Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France/2-1

Texte établi par Gilbert Lely, Jean-Jacques Pauvert (Œuvres complètes, t. XXXIp. 137-211).



DEUXIÈME PARTIE


Nudabo ignominiam ejus coram eis, videbunt omnes turpidinem ejus.
Ezéchiel.

Les tourmentes révolutionnaires sont au bouleversement des empires, ce que les ouragans sont aux secousses violentes de la machine terrestre qui la brisent ou qui la déchirent. Il semble que tous les grands accidents de la nature doivent être précédés par des orages ! Est-il donc une chaîne qui unit les troubles dont nous sommes agités, aux convulsions de ce globe qui leur sert de théâtre ? les éléments et les hommes, ont-ils donc entre eux quelque analogie ? et le choc électrique qui atteint les uns, doit-il également frapper les autres ? De tels doutes sont injurieux à la divinité : ils supposent deux pouvoirs, et l’homme véritablement rempli de la toute puissance du créateur ne peut admettre le monstrueux partage de cette puissance unique et universelle.

Dès lors, cet agent qui réunit tout, qui imprime tous les mouvements, ne sera-t-il pas le plus cher, le plus respectable objet de toutes les portions de sensibilité qu’il a placées dans nous ?

Cette réflexion est nécessaire dans un ouvrage où nous avons tant de malheurs à peindre, et par conséquent un besoin aussi essentiel de convaincre que la main qui nous écrase est la même que celle qui nous rend la prospérité, ainsi qu’elle rend à l’univers, dans des périodes fixées, le foyer de lumières qu’elle lui ravit quelques heures, parce que tout est utile dans un monde où la grandeur de l’ouvrier n’est admirablement démontrée que par cette harmonie céleste qui ramène nécessairement tout à lui.

Dans tout ce qui se faisait à la cour, dans tous les partis qui s’y pressaient, on commençait à voir naître les germes de la haine qui devait bientôt diviser les ducs de Bourgogne et d’Orléans. Ce dernier, jaloux de l’autorité qu’usurpait chaque jour son oncle, ne dissimulait plus son chagrin. La reine dirigeait et partageait tous ses sentiments sans doute ; mais cela suffisait-il pour contrebalancer le crédit immense de l’oncle du roi…, d’un prince, en un mot, possesseur de si grandes richesses, et par conséquent entouré de partisans, puisqu’il n’est que trop vrai que les hommes s’attachent toujours à la fortune ?

Ces divisions, parmi les princes qui environnaient le roi, faisaient naître des contradictions dans les ordres qui se donnaient, en suscitant l’insubordination d’un côté et la mésintelligence de l’autre. Ces règnes affreux, pour ceux qui aiment le bien, préparent presque toujours des triomphes aux méchants, mais, dans tous les cas, de funestes malheurs en sont inévitablement les suites.

La ruine de l’état se présageait sans qu’on pût entrevoir aucun moyen de l’empêcher ; les deux partis ne s’épargnaient point, et le public scandalisé ne ménageait ni l’un ni l’autre ; de tous côtés on dénonçait, en emprisonnait, on livrait au glaive des lois tout ce qui gênait ou déplaisait.

Les partisans du duc de Bourgogne ne cessaient de rappeler tout ce que les moines empiriques avaient dit et, quoique ce prince ne fût pas plus exempt d’atrocités politiques et de frauduleuses exactions que son neveu, ce qui paraissait porter directement atteinte au malheureux monarque excitait encore plus de courroux et de pitié ; et sous ce rapport le duc d’Orléans, menant avec la reine la conduite la moins régulière, paraissait encore plus blâmable.

Les mœurs particulières se ressentaient de cette corruption générale ; les contemporains nous assurent qu’il était impossible qu’elles fussent plus relâchées.

La rapacité du duc d’Orléans, pour le moins égale à celle de ses oncles, lui faisait communément échoir toutes les confiscations qu’Isabelle avait soin de ne faire porter que sur des gens riches, dont son artifice faisait autant de coupables. Ce fut elle qui encouragea la révolte du comte de Périgord contre le roi ; ce grand vassal ayant été privé de ses biens, ce fut au duc d’Orléans qu’ils passèrent. Voilà comme, en ces temps désastreux, tous les gens de même parti se servaient réciproquement, afin d’hériter les uns de la puissance des autres et des richesses de ceux dont ils obtenaient la condamnation auprès d’un prince imbécile, qui se rendait toujours au parti dont il se trouvait le plus obsédé.

Cependant le crédit du duc d’Orléans et de la reine croissaient de jour en jour, excepté auprès du duc de Bourgogne. D’Orléans avait l’art de se mettre bien avec tout le monde, Paris l’aimait, ses grâces, sa popularité lui gagnaient tous les cœurs. La reine lui conseilla de profiter de ce moment, pour demander l’admission au partage des soins du gouvernement ; venant d’atteindre sa vingt-huitième année, un refus ne pouvait se motiver sur son extrême jeunesse ; ses désirs furent satisfaits. Le premier usage qu’il fit de son pouvoir, fut de faire lever le siège d’Avignon, où le maréchal de Boucicaut tenait le pape Benoît XIII dans une sorte de captivité. Ce procédé lui gagnait nécessairement le chef de la religion, politique très sage dans une cour plus livrée à la superstition qu’à la véritable piété, sentiments bien différents l’un de l’autre, puisque le premier défigure le culte, dont le second n’admet que la pureté. Benoît avait un compétiteur, on le sait ; mais l’appui que lui offrait la cour de Charles joint à la protection du frère de ce monarque, lui donnait une sorte de préférence sur son rival, et mettait comme nous venons de le dire, un pape dans une association qui avait elle-même si souvent besoin d’indulgence.

Rien de tout cela ne plaisait au duc de Bourgogne ; sa haine pour un rival tel que d’Orléans ne se fortifiait que davantage. Cette observation est nécessaire pour bien entendre ce qui contraignit le duc de Bourgogne au crime affreux qu’on lui conseilla, et dont nous donnerons bientôt les détails.

Une des colonnes de la coupable ambition d’Isabelle s’écroula dans les dernières années de ce siècle. Richard, en horreur à ses peuples et véritablement digne de mépris par ses faiblesses, et plus encore par les cruautés qu’il exerça contre ses oncles, ne put résister à la conjuration qui éclata contre lui et qui plaça le duc d’Herefort sur le trône de la Grande-Bretagne.

Renfermé dans la tour de Londres, Richard y fut assassiné. Mais tant de versions différentes s’offrent aux lecteurs sur cette fin tragique, et sur ceux qui y coopèrent, ce trait d’ailleurs appartenant beaucoup plus à l’histoire d’Angleterre qu’à celle de la reine de France, nous le laisserons dans les ténèbres qui l’environnent, et dont nous ne le sortirions, peut-être, que par des erreurs ou des calomnies.

Une seule réflexion se présente ici. Il paraît que le duc de Bretagne favorisa l’usurpation du duc d’Herefort : comment ce procédé peut-il s’arranger sans contradiction avec l’intérêt que ce duc avait toujours paru prendre à Isabelle ? Nous allons le dire, et si nous sommes fâchés des lumières que nous allons porter sur ceci, c’est parce qu’elles fourniront à nos lecteurs de nouvelles preuves de la fourberie et de l’ambition démesurée d’une femme qui sacrifiait tout à ses dangereuses passions.

Le mariage d’Isabelle, fille aînée de Charles VI, ne fut pas plus tôt contracté avec Richard II que la reine sentit que les défauts énormes de ce prince détesté des Anglais ne rempliraient aucune de ses vues ; elle avait tâché de le rendre digne de la double couronne ; elle sentit bientôt qu’il était incapable de porter même la sienne. De ce moment, elle se joignit aux ennemis de Richard et contribua, peut-être plus qu’un autre, à le perdre : elle avait vu le duc de Lancastre à Paris, lorsqu’il n’était encore que comte d’Herefort, et s’était concertée avec lui sur tous les moyens de la conspiration élevée à Londres contre un gendre qui lui convenait aussi peu. Elle-même avait grossi les défauts de Richard, et nous avons sous nos yeux les preuves que les charges de la condamnation de ce prince sont absolument semblables à tout ce qu’elle avait dit au duc d’Herefort[1].

« Érection des lois les plus tyranniques.

« Exécutions commises par lui sur ses oncles.

« Mêmes cruautés sur plusieurs seigneurs de la cour.

« Emprunts forcés, impositions arbitraires, délations calomnieuses, vols dans les églises.

« Indécence dans les propos que tenait Richard chaque jour en affirmant que l’existence et les biens de ses sujets ne pouvaient appartenir qu’à un monarque qui, comme lui, ne tenait son sceptre que de Dieu. »

Telles furent les accusations qui composèrent les charges ; telles furent les choses qu’Isabelle suggéra au duc d’Herefort et sur quoi roulèrent les entretiens qu’elle eut avec Bois-Bourdon. Voilà enfin ce qui fit condamner Richard.

Or, en quittant Paris, Lancastre fut à Rennes. Là, le duc de Bretagne toujours bien avec Isabelle, et plein de mépris pour Richard, acheva de déterminer Lancastre à s’emparer d’un trône si mal occupé et que lui seul était digne de remplir.

De là, la déposition de Richard et sa mort dans la tour de Londres, « moyen toujours sûr, disait Isabelle, d’empêcher les gens de se plaindre ».

Mais cette mort devait-elle être accompagnée de circonstances aussi féroces ? Fallait-il priver ce malheureux prince du sommeil, afin de perpétuer sous ses yeux l’image de ses crimes ? Fallait-il lui présenter des aliments qu’on lui retirait aussitôt que la faim le contraignait à les saisir ? Ne pouvait-on pas le laisser s’éteindre de vieillesse, sans précipiter aussi cruellement le terme de ses jours, et sans inventer contre lui des supplices dont les cannibales rougiraient ? En un mot, voilà la politique du duc de Bretagne expliquée, et la seule réponse que nous ayons à faire à ceux qui le taxèrent de s’être contredit. Si l’on ajoute à ces réflexions la manière amicale dont il se comporta avec la France, on aura, ce semble, la solution totale de la conduite du duc de Bourgogne avec Lancastre, quand il le vit à Rennes avant que de retourner dans sa patrie.

Tout paraissait n’avoir pour objet que de se maintenir avec Henri IV, successeur de Richard. La reine l’avait assuré de sa faveur et de sa protection. Tranquillisé par cette princesse, il ne s’émut d’aucun des préparatifs du roi pour se remettre en possession de la Guyenne ; et véritablement on eut beau faire, la trêve de vingt-huit ans fut renouvelée entre les deux couronnes, et tout resta aux Anglais.

Il était donc certain qu’Isabelle tendait toujours au même but, faisait tout, ménageait tout, préparait tout, pour réunir un jour ces deux royaumes, sur lesquels elle régnerait avec d’autant plus d’empire, que cette honteuse réunion serait son ouvrage… Ouvrage bien perfide sans doute, puisque cette femme atroce nourrissait dans son cœur le coupable désir d’éteindre et d’anéantir la dynastie française pour lui substituer celle d’Angleterre, à laquelle son ambition destinait déjà le trône sur lequel elle était assise.

Un des premiers effets de la prorogation de la trêve fut le retour en France de la veuve de Richard restée prisonnière à Londres avec la dame de Couci, la seule Française qui ne l’eût pas quittée.

Isabelle, aussi avare qu’ambitieuse, réclamait, en même temps que sa fille, la dot et les joyaux qu’avait apporté cette princesse à son mari ; mais Henri IV parut sourd à la majeure partie de ses propositions. D’abord, il voulut tout garder, et la jeune princesse et l’argent : mais à quoi bon, dans le fait, restituer la dot et les bijoux, puisque le roi d’Angleterre désirait de s’unir à la veuve ? et l’on sent que, d’après ces nouvelles réflexions, Isabelle devait entretenir dans le cœur d’Henri tout ce qui pouvait tendre à la rattacher à ce prince ; on avait beau représenter qu’un tel hymen blessait toutes les convenances, puisque c’était en le contractant donner la veuve de Richard au meurtrier de ce malheureux prince ; de telles considérations semblaient de bien peu d’importance à une femme comme Isabelle qui n’avait favorisé la conspiration de Londres, l’assassinat de Richard, l’élection de Lancastre, que pour donner à sa fille un époux plus capable de remplir un jour les projets que nous venons de développer.

Tout était enfin au moment de se terminer de façon ou d’autre, lorsque le duc de Bourgogne objecta que l’on ne pouvait disposer d’une fille de France sans l’aveu du roi, pour lors dans une situation de corps et d’esprit qui ne lui permettait pas de prononcer sur un sujet d’une telle importance.

La jeune épouse revint donc, et les choses en restèrent là.

Cependant, le crédit du duc d’Orléans s’augmentait tous les jours, il se faisait adjuger des possessions nombreuses, et si ses richesses n’égalaient pas celles du duc de Bourgogne, au moins surpassait-il la splendeur de ce prince par le nombre de ses pairies.

Toujours guidé par les conseils intéressés de son amante, d’Orléans s’était fait donner tout ce qui tenait à la manutention des finances du royaume, pour être plus à même de soutenir le luxe immodéré de cette princesse.

Les généraux des aides, investis de ce qui avait rapport à l’administration des revenus publics, les fermiers des impositions, les dépenses, les recettes générales ou particulières, tout fut entre ses mains et avec de telles sûretés, qu’en cas d’abus ou de prévarications, il était défendu de se pourvoir au conseil du roi, le duc ayant seul le droit de tout établir et de tout réformer.

Les effets de ce despotisme furent affreux. Non seulement la nation s’appauvrit, se découragea, mais elle eut même à rougir de l’état d’abandon dans lequel on laissait son roi qui manquait, au milieu de tous ces désordres, des premiers besoins de la vie. Isabelle le savait, elle le voyait, et elle riait, nous dit Bois-Bourdon, du parallèle de ses propres superfluités avec le dénuement total dans lequel languissait son époux… effronterie digne de ses crimes, mais plus maladroite encore ; car elle déshonorait, à la fois, elle-même et celui qui partageait de semblables torts.

Dès lors, on s’aperçut que le duc d’Orléans perdait chaque jour quelques portions de l’estime publique, et la France entière adopta bientôt l’opinion de Paris.

Peu avant le retour de la jeune reine d’Angleterre, et toujours par les instigations d’Isabelle, Henri IV, pénétré des bonnes raisons qu’on lui avait données pour l’empêcher d’épouser la veuve de Richard, venait de la demander pour le prince de Galles ; mais quels que furent les efforts de la reine pour l’accomplissement d’un hymen qui remplissait également ses vues, les mêmes raisons qui avaient fait manquer le premier furent alléguées pour le second. Isabelle de France pouvait-elle épouser le fils du meurtrier de son époux ? Les tentatives de la reine furent donc aussi en défaut que sa politique qui, certes, aurait pourtant bien dû pressentir qu’en perdant Richard toute espérance de rallier sa fille à l’Angleterre s’évanouissait également : mais le crime ne prévoit jamais tout, et ce n’est qu’à cette négligence que sont presque toujours dus ses mauvais succès.

On acheva de remarquer ici une preuve bien constante du parfait accord qui régnait entre la reine, Henri IV et le duc d’Orléans ; ce fut lorsqu’on agita de rendre la dot et les joyaux de la jeune veuve. Le roi d’Angleterre voulait une quittance signée de tous les princes ; le duc d’Orléans seul ne voulut jamais la signer, et ce refus, qui ne devait pas déplaire à Henri, prouva bien que d’Orléans ne voulait rien faire qui eût l’air d’une rupture totale avec le prince anglais, et qui ôtât par ce moyen à la reine l’espoir de renouer avec l’Angleterre.

Quoi qu’il en fût, la jeune reine, comme nous l’avons dit, s’embarqua et fut remise à Boulogne entre les mains des ambassadeurs français.

Isabelle eut enfin un moment de triomphe, mieux constaté qu’aucun de ceux dont elle avait joui jusqu’alors. Le mariage d’Antoine de Bourgogne rappela le duc dans ses états ; le roi, qu’il fut obligé de quitter, retomba dans une de ses crises les plus violentes. Nous laissons nos lecteurs faire leurs réflexions sur une crise qui se déclarait à une pareille époque.

Le duc d’Orléans, bien servi par la reine, profita de cette circonstance pour s’emparer totalement de l’empire. Son compétiteur reparut bientôt, mais ce ne fut que pour voir jouir sans obstacle le rival de son autorité. Le duc de Bourgogne mécontent et ne pouvant parler au roi repartit pour achever le mariage de son fils, en se contentant d’écrire au Parlement de s’opposer à l’imprudence que l’on commettait en confiant de si grands intérêts à un homme tel que son neveu ; mais il ne reçut qu’une réponse vague et le duc d’Orléans régna seul. Dès lors, il ne crut plus devoir garder aucune mesure : se trouvant si bien secondé par Isabelle, il n’y eut rien dont il ne s’emparât, rien dont il n’abusât, et comme c’était principalement de l’argent qu’il fallait à ces deux déprédateurs, le duc imposa de suite une taxe énorme, dont le clergé même ne fut pas exempt. Le peuple ruiné par la nullité du commerce, par ce nouvel impôt dont il ne pouvait soutenir le poids, en proie à la maladie pestilentielle, qui achevait alors de l’anéantir, ne put déguiser son humeur : il se plaignait, on ne l’écouta point… Ah ! l’accent plaintif du malheureux arrive-t-il jamais à l’oreille du scélérat qui l’opprime ?

Le clergé refusa de payer ; tout s’aigrit, tout s’envenima ; le mécontentement fut à son comble, et d’Orléans perdit dès lors le peu qui lui restait de la considération générale et de l’amitié des Français. Il eut peur, il fallut revenir sur ses pas : tels sont les effets de l’imprudence d’une part, et du despotisme de l’autre. Reculer est une faiblesse bien dangereuse pour un prince. Personne ne sut gré au jeune duc de sa révocation ; mais on le blâma de sa débilité, et la honte seule fut son partage.

La fierté d’un souverain ne s’allie point avec des démarches rétrogrades : qu’il prenne garde à celles qu’il fait, mais que pour son honneur il les soutienne, quelles qu’elles soient.

Le duc de Bourgogne témoigna beaucoup d’humeur de ce qui s’était fait sans sa participation. Il assura que malgré l’offre de cent mille francs qui lui avait été faite pour tout ratifier, il n’avait voulu consentir à rien. Il écrivit encore au Parlement, et parut enfin en personne pour démentir ce qu’on avait dit et mettre ordre à tout ce qu’on avait fait ; mais ce ne fut qu’en armes qu’il se montra ; plusieurs de ses vassaux lui conduisaient des troupes. Le duc d’Orléans crut qu’il était prudent de se mettre en défense, il le fit : les environs de Paris se couvrirent d’Orléanais et de Bourguignons : cruelles dispositions qui ne tardèrent pas à devenir funestes à la France.

La reine eut pourtant quelques frayeurs : elle s’unit aux autres princes pour travailler à une réconciliation, et les deux rivaux s’embrassèrent. Plût au ciel que la franchise eût présidé à des démonstrations presque aussitôt démenties qu’affichées !

Dès que le roi fut rétabli, il assembla son conseil. On y décida que la conduite du duc d’Orléans ne permettait pas de lui laisser l’entière manutention des affaires et, quelque dépit qu’en conçut Louis, il fut arrêté qu’attendu l’âge mûr du duc de Bourgogne, son expérience et ses grands biens, les rênes du gouvernement ne pouvaient être en meilleures mains que les siennes. Le duc d’Orléans eut de la peine à soutenir cette humiliation, et le chagrin qu’il en ressentit devint bientôt la source de tous les malheurs qui suivirent. Ce fut alors que la nation française se donna aux yeux de l’Europe le ridicule insoutenable de se déchirer mutuellement pour des princes, dont les seuls désirs étaient de l’opprimer.

Vers ce temps, la reine accoucha d’un prince qui régna depuis sous le nom de Charles VII et qui, par les fautes de celle qui lui avait donné la vie, éprouva bien des peines et bien des traverses pour cicatriser les plaies qui affligèrent si longtemps la nation qu’avaient perdue les crimes de sa mère.

Les désordres multipliés du duc d’Orléans, la faveur que lui prodiguait Isabelle, les préférences marquées qu’elle lui accordait toujours sur les autres princes, firent soupçonner à tous ceux qui connaissaient son intrigue avec d’Orléans que le dauphin dont elle venait d’accoucher appartenait bien moins à son mari qu’à son beau-frère ; et combien ces idées acquéraient-elles de force aux yeux de ceux qui s’apercevaient des dégoûts multipliés qu’elle éprouvait chaque jour pour son mari. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Anglais se réunirent à nouveau pour lui adresser des reproches auxquels elle ne répondit jamais qu’avec l’impudence du cynisme. Il était également facile de voir à quel point le duc d’Orléans partageait avec sa maîtresse l’éloignement qu’elle avait pour Charles. Dans un démêlé assez maladroit que Louis eut avec Henri d’Angleterre, le duc ayant reproché au monarque d’avoir manqué d’une manière atroce à Richard son prédécesseur, Henri répliqua : « Plût à Dieu que vous n’ayez pas eu de procédés plus injustes envers votre souverain ! »

Et qui inspirait au duc naturellement brave, loyal et franc, qui lui inspirait les procédés qu’on lui reprochait, si ce n’était son indigne amante ?

On demandera peut-être ici par quelle raison d’Orléans se brouille avec Henri, par quel motif il le défie, en un mot, qui peut engager l’amant de la reine à se conduire aussi mal avec le prince anglais que celle-ci avait tant de sujets de ménager… Qu’on se rappelle ce qui précède.

Isabelle, dans le fait, n’avait pas fort à se louer du roi d’Angleterre ; elle l’accusait sourdement de n’avoir pas fait tout ce qu’il aurait dû faire pour épouser la veuve de Richard. Sans doute, les objections qu’on avait employées étaient solides, étaient basées sur la saine raison ; mais la raison a-t-elle de l’empire sur une femme telle qu’Isabelle, et tout ce qui lui déplaît ou la contrarie ne cesse-t-il pas, par cela seul, d’être juste ? Son ressentiment, versé dans l’âme du duc d’Orléans, légitimait donc tout ce que celui-ci pouvait entreprendre contre Henri. Telle est la réponse aux objections que l’on pourrait faire ; mais à quel point cette assertion acquiert de force, quand on voit Henri épouser la veuve du duc de Bretagne, et tous les arrangements qui se font en vertu de ce mariage pour conserver cette province à la France. Était-il rien qui pût autant déplaire à Isabelle, qui ne s’occupait qu’à brouiller, qu’à diviser le royaume, attendu qu’il n’était pas un seul de ces troubles qui ne remplît ses coffres, et ne servît son ambition ?

L’admission que le roi fit d’elle au conseil vint pourtant la consoler ; mais ce malheureux prince qui croyait par là balancer les factions, ne fit que fortifier celle qui était la plus dangereuse pour lui, malgré la ridicule précaution qu’il prit de faire faire à tous les membres de ce conseil le serment de n’obéir qu’à lui : comme si les serments pouvaient enchaîner ceux dans le cœur desquels ils ne sont pas empreints par le zèle et la fidélité.

Encouragée par ce premier succès, Isabelle crut pouvoir franchir toutes les bornes. Les passions ressemblent aux volcans : plus leurs laves s’ouvrent d’issues, plus leurs ravages s’étendent. Nous l’avons dit, tous les désordres de la nature absolument égaux dans leurs causes, ont à peu près les mêmes effets. Que cette réflexion ne serve qu’à fortifier en nous le désir de combattre ces dangereuses passions ; celui qui nous les inspire, les modère, quand nous le lui demandons avec ferveur.

Cependant, Isabelle craignait de perdre d’un côté ce qu’elle acquérait de l’autre et, qu’ainsi qu’on avait déféré le gouvernement au duc d’Orléans, on ne déférât de même la régence au duc de Bourgogne. Que devenait en ce cas la frêle autorité d’Isabelle ?

Pour l’affermir irrévocablement, Isabelle fit déclarer à son mari que dans le cas où il viendrait à mourir, son fils aîné serait aussitôt reconnu souverain, sans qu’il eût aucunement besoin de régence, mesure inutile, moyennant que le roi remettrait à la reine la garde et le gouvernement absolu de ses enfants. Alors n’est-elle pas régente sans cri avoir le titre ? et ne devenait-il pas pour ce moment très peu nécessaire de le lui conférer, encore moins de le donner à d’autres, puisqu’elle en remplissait toutes les attributions ?

Il était impossible de rien imaginer de plus adroit et de mieux fait pour concentrer tous les pouvoirs dans la personne de la cour la moins faite pour en être revêtue.

Cependant, le faible Charles consentit à tout, et d’Orléans qui régnait bien plus que son frère, quand sa maîtresse tenait le timon de l’empire, se garda bien de le retirer d’une main si chère, mais comme les désirs d’une femme telle qu’Isabelle ne s’assouvissent jamais, elle obtint bientôt de plus sûrs moyens de disposer de tout et de neutraliser la vaine puissance du duc de Bourgogne. Ce fut la faculté d’anéantir et même de révoquer les donations que le roi avait faites, ou pouvait faire par la suite. Charles ne sentait pas à quel point ces usurpations le liaient et à quel point il se trouvait dépendre d’une femme aussi dangereuse. « Ce fut alors, disent les historiens, que l’ingrate Isabelle parut oublier les devoirs les plus sacrés, le respect conjugal et la tendresse maternelle. Le roi fut abandonné aux mains mercenaires qui voulurent le soigner ; ses propres enfants manquèrent de tout : tandis qu’elle disposait des revenus de son souverain et des tributs arrachés à la nation, il ne restait pas même à l’infortuné Charles la force de s’irriter d’un si coupable abus de ses bienfaits. Averti, par quelques domestiques fidèles, de l’état déplorable où se trouvaient ses enfants, il fit appeler une gouvernante qui lui avoua en pleurant qu’ils manquaient d’habits et de nourriture : « Hélas ! répondit le malheureux monarque en soupirant, je ne suis pas mieux traité. »

Et voilà donc où conduit l’abus du pouvoir, dans une âme basse et flétrie, tant il est vrai que la corruption des mœurs est le berceau de tous les crimes !

Le crédit du duc de Bourgogne se soutenait ; le peuple n’oubliait pas qu’il s’était sans cesse opposé à toutes les déprédations de ses rivaux. Ce fut lui qui, malgré la reine et d’Orléans, projeta le mariage de Louis, troisième enfant mâle de Charles, avec Marguerite de Bourgogne, sa petite-fille ; mais cet établissement, qui ne flattait pas assez l’ambition d’Isabelle, lui déplut. Puis elle se consola de ce projet, en faisant imposer par le duc d’Orléans une charge nouvelle, connue sous le nom de taille générale ; et cette insatiable créature satisfaisait ainsi son luxe effréné, ne pouvant contenter sa perfide ambition. La guerre que l’on regardait comme inévitable avec les Anglais servit de prétexte à ce nouvel impôt, qui eut lieu malgré les représentations du duc de Bourgogne, fondées sur la misère beaucoup trop réelle des peuples. Les peines les plus rigoureuses, les arrestations, les contraintes par corps étaient décrétées contre ceux qui ne payaient pas. On recueillit dix-huit cent mille francs de cette vexation, somme immense pour ces temps, et cependant ces derniers efforts d’un peuple épuisé n’eurent pas un meilleur succès que les autres. L’argent fut déposé à la tour du Louvre ; et le duc d’Orléans, après l’avoir fait enlever, le fit porter chez la reine, où il fut scrupuleusement partagé entre ces deux spoliateurs qui ruinaient la nation, en la déshonorant.

La mort du duc de Bourgogne suivit de près l’édit de l’emprunt dont nous venons de parler, et auquel il s’était si courageusement opposé. Cette mort qui lui faisait succéder le duc son fils, surnommé Jean sans Peur, devint l’époque de tous les fléaux qui devaient écraser la France.

La tranquillité dont parut jouir le duc d’Orléans par la perte d’un rival aussi dangereux que Philippe de Bourgogne fut bientôt troublée par les craintes trop réelles que lui inspira l’arrivée de Jean sans Peur, homme incontestablement plus à craindre et plus méchant que ne l’était son père.

Les vertus de Jean avaient bien moins d’éclat que les vices qu’elles couvraient. Et quels étaient ces vices, qu’il ne prenait pas toujours la peine de dissimuler ?… Tous ceux que l’enfer aurait pu produire pour le malheur des hommes, s’il se fût déchaîné contre eux. Méchant jusqu’à la noirceur, vindicatif, avare, spoliateur, intrigant, impie ; n’ayant ni foi, ni dieu, ni mœurs ; fourbe, dissimulé, dévoré des passions les plus fougueuses et les plus cruelles ; incapable de remords, portant l’avilissement au point de ne pas même admettre, ainsi que nous venons de le dire, l’indispensable nécessité de feindre. Ce qu’il y avait de singulier, et ce qui prouve à quel point deux âmes qui se ressemblent se sentent entraînées l’une vers l’autre, Jean n’eut pas plutôt vu la reine qu’il en devint amoureux ; mais comme il avait l’art de contenir ses passions et de ne leur donner l’essor qu’à propos, il attendit le moment favorable pour lui déclarer son amour. Rien ne parut donc encore et par conséquent rien n’entrava le crédit de la reine et du duc d’Orléans.

Cependant le mal croissait toujours ; les charges, les impositions, les taxes arbitraires, la vénalité des emplois, tout ce qui pouvait enfin contribuer au luxe prodigieux et à l’ambition démesurée d’Isabelle et de son complice était mis en usage sans la moindre pudeur et la plus légère retenue. On ne craignait plus le roi ; tantôt stupide et tantôt furieux, il ne résultait chez lui, de ces deux extrêmes, qu’une apathie bien favorable aux ennemis de l’état.

Le public se vengeait comme dans tous les règnes par des sarcasmes et des bons mots, consolation d’autant plus triste pour le malheureux qu’on opprime, que l’oppresseur en rit toujours.

On appelait publiquement Isabelle la grande gore ; mais cela ne raccommodait rien. Quand ceux qui sont à la tête du gouvernement permettent tout à leurs passions, l’effronterie devient l’égide qui les garantit des traits qu’on dirige sur eux.

Jean de Bourgogne, en arrivant à la cour, était trop adroit pour ne pas commencer par s’allier avec les déprédateurs avant que de le devenir lui-même ; et pour parvenir à ce but, son premier soin fut de presser le mariage déjà projeté par son père entre Marguerite, sa fille, et le dauphin Louis et celui du comte de Charolais, son fils, avec Madame Michelle, quatrième fille de la reine. Cette double alliance conclue, il demanda dans le Conseil une place qu’il devenait impossible de lui refuser. Dès lors, il se crut en droit de prétendre au gouvernail de l’état et de faire déterminer dans le Conseil tout ce qui pourrait favoriser ses cruelles vues.

Isabelle ne tarda pas à sentir à quel point il lui devenait utile de ménager un tel homme, et que ce qu’elle avait de mieux à faire, en cette occasion, était de laisser flotter son opinion entre ces deux princes, afin de fixer irrévocablement à elle celui des deux qui lui paraîtrait le plus capable de la bien servir.

Si la délicatesse pouvait s’allier dans le cœur d’Isabelle avec le crime et l’infamie, ses liaisons avec le duc d’Orléans eussent assurément dû la retenir au parti de ce prince ; mais l’amour n’a point d’empire sur les âmes atroces ; on le nourrit s’il peut être utile, on le sacrifie s’il est capable de nuire.

Isabelle était trop fine pour que d’Orléans pût s’apercevoir de son changement. Elle avait ce prince, parce qu’elle lui avait reconnu un degré de dépravation qui le rendait digne de partager ses crimes ; mais d’après ses systèmes, elle devait préférer le duc de Bourgogne dont l’esprit plus énergique ouvrirait à ses désirs et à son ambition un champ plus vaste et plus épineux sans doute, mais aussi plus riant et semé de plus de fleurs.

Que nos lecteurs veuillent bien se contenter des idées que nous jetons ici dans leur esprit ; ils verront bientôt si nous avons tort de les préparer à de bien plus étranges scènes.

Pour sonder le crédit qu’avait au Conseil l’un et l’autre de ces princes, la reine engagea le duc d’Orléans à proposer une seconde taxe déjà connue sous le nom de Taille générale, et dès lors elle était résolue de se déterminer en faveur de celui qui ferait réussir son dessein.

Le beau-frère de la reine fit valoir à cette occasion l’épuisement des coffres de Charles VI, et la crainte d’une nouvelle rupture avec l’Angleterre, mais le duc de Bourgogne, enchanté de pouvoir déguiser ses vices sous le voile d’une popularité que sa fourberie le mettait à même de feindre, mit en avant son zèle pour le bien d’un état que lui-même allait remplir de concussions, de deuil et de terreur. Et se levant avec autant d’énergie que de noblesse, il combattit d’Orléans avec une éloquence d’autant plus singulière, qu’il était loin de vouloir agir dans le sens de ses paroles.

Il représenta la misère du peuple, le mauvais emploi des sommes exorbitantes qu’on le forçait d’acquitter tous les jours. Il dit qu’il ne cesserait de désapprouver le dangereux avis qu’on venait d’ouvrir et qu’il n’exigerait jamais de nouveaux subsides avant qu’on lui eût montré l’emploi de ceux dont le peuple gémissait encore ; qu’à l’égard de la guerre que l’on paraissait craindre, il ne la redoutait nullement, mais que si elle avait lieu, il offrait à la France sa noblesse, ses troupes et ses trésors. Il termina en assurant enfin que, si l’impôt passait, ni lui ni ses états ne contribueraient, et qu’il fallait que ceux qui avaient la faiblesse de ne rien opposer à d’aussi dangereux desseins fussent bien ennemis de la patrie ; que, pour lui, il jurait de la servir et de ne l’abandonner jamais, autant qu’elle ouvrirait les yeux sur ses véritables dangers.

Ce discours produisit tout l’effet qu’en pouvaient attendre les amis sincères du prince et de l’état.

Le jeune duc de Bretagne parla dans le même sens ; il offrit de plus d’accorder à la France tout le temps qu’elle voudrait, pour les sommes qu’il avait à réclamer.

Cependant l’édit passa : le duc d’Orléans était lieutenant-général du royaume ; personne n’osa lui résister. Le duc de Bourgogne, pour dernière ressource, publia dans Paris tout ce qu’il avait dit pour s’opposer à des vexations si onéreuses. De ce moment il devint l’idole du peuple, mais celui-ci donna ses deniers ; et d’Orléans préféra ce tribut au vain encens que les gens honnêtes brûlaient aux pieds de son rival.

Le duc de Bourgogne, couvert des éloges publics et peut-être plus flatté de ce succès que de tout autre, parce que celui-ci le menait à tout, crut devoir s’éloigner de la cour.

Le champ ne fut pas plutôt libre, qu’Isabelle et Louis, croyant n’avoir plus rien à redouter d’un compétiteur aussi dangereux, se rapprochèrent plus que jamais, ne mirent plus de bornes à leurs honteux désordres et à leurs coupables prodigalités.

Tous les jours se passaient en fêtes, que d’Orléans donnait à la reine, et qu’Isabelle lui rendait. Rien n’égalait le faste qui régnait à ces brillantes réunions. Chaque jour offrait une mode nouvelle qui faisait rejeter celle qui l’avait précédée, et le vil imitateur de ce luxe insolent ne pouvait montrer deux fois de suite les bijoux dont il se parait. La multitude de flambeaux qui éclairaient ces fêtes jetait un éclat moins vif que l’or et les pierreries qui chamarraient les vêtements de l’un et de l’autre sexe ; mais on ne payait rien, le marchand fournissait, on lui disait qu’il était trop heureux de la préférence qu’on lui donnait sur ses confrères, et que l’honneur qu’on lui faisait de s’occuper de lui quelquefois valait bien mieux que l’obscurité profonde dans laquelle il eût végété, si on ne lui eût pas accordé la faveur de le ruiner.

Cependant, aucun des officiers ni des domestiques de la maison du roi n’était payé ; ses enfants même manquaient de tout, et la misère générale, rampant auprès du luxe, craignait même de l’étourdir de ses trop douloureux accents. La superstition s’alliait avec tous ces désordres. D’Orléans et la reine parcouraient les églises ; ils en augmentaient le faste, ils prodiguaient de riches offrandes à ceux qui les desservaient ; mais ils repoussaient durement le pauvre qui réclamait au nom du ciel sa faible subsistance ; et méprisant ainsi les préceptes de la plus sainte et de la plus respectable des religions, ce n’était qu’en les outrageant qu’ils prétendaient leur rendre hommage… Aveuglement bien coupable sans doute, puisqu’il met, à la place de la véritable vertu, tout ce que l’hypocrisie et l’inhumanité peuvent produire de plus effrayant !

C’était pourtant du sein de cette religion, avilie par ceux qui avaient un si grand intérêt à la faire généralement respecter, qu’allait sortir l’apôtre assez courageux pour faire parvenir au trône le langage de la vérité.

Un religieux nommé Jacques le Grand, prêchant devant la cour, osa lancer de la tribune sainte tout ce qu’on pouvait exprimer de plus fort contre les abus monstrueux de ce siècle pervers ; et débutant par le tableau de la misère du peuple :

« Ô vous, s’écria-t-il, vous, homme du siècle, que le bonheur rend insensible au sort de l’infortune, quittez un moment ces attributs scandaleux qui vous dérobent le spectacle affligeant des malheurs du pauvre ; veuillez me suivre dans les tristes asiles où il se réfugie, bien moins pour cacher sa misère que pour dérober les larmes qui l’humilient. N’est-il donc pas un homme comme vous, ce malheureux qui languit abattu sur le sein de la compagne de ses douleurs, tandis qu’elle gémit elle-même de l’obligation de transmettre aux gages débiles de sa tendresse conjugale une existence qu’elle se sent hors d’état de leur conserver. Comme vous, cet homme a brûlé d’un vertueux amour ; mais ses lèvres flétries ne peuvent plus en articuler l’expression… Il a été sensible comme vous, et vous pouvez ne pas l’être pour lui !… Borné dans ses désirs aux choses purement nécessaires, que votre orgueil méprise, il y attache autant de prix que vous mettez d’importance aux frivolités d’un luxe révoltant. Il pleure, vous le repoussez ; il vous implore, vos oreilles se ferment ; vous rejetez sur la crainte d’émouvoir votre sensibilité celle que vous avez de partager la sienne. Un même principe vous a pourtant fait naître les uns et les autres ; un même sol va vous couvrir, et si c’est par votre faute qu’il vous a précédé dans ce dernier asile des misères humaines, il n’aura pas, du moins, comme vous, en expirant, le remords de vous y avoir plongé par indifférence. »

Ici l’on vit les larmes couler des yeux de cet interprète de la vérité. « Hélas ! poursuivit-il en les essuyant, songez que les jours de la prospérité, ou du moins ceux que vous appelez ainsi, s’écoulent avec la rapidité de l’éclair en vous entraînant avec eux dans l’abîme que leurs feux trompeurs vous dérobent, et souvenez-vous que les jours qui les suivent, obscurcis par les regrets, ne laissent plus dans votre âme affaiblie que l’affreux sentiment du désespoir. Comparez un instant les frivoles plaisirs que vous procurent ces richesses amassées par les mains de l’avarice, prodiguées par celles du crime ; comparez, dis-je, ces faibles jouissances avec celles que vous fait éprouver la reconnaissance du pauvre soulagé par vous, et venez me dire où vous aurez trouvé le bonheur. »

Rappelant ensuite les bontés de Dieu pour son peuple égaré dans le désert, il mit cette touchante description à côté de celle de tous les maux causés par les spoliateurs du peuple.

« Si vous vous refusez à la persuasion, ajouta-t-il avec ce courage de la vertu, que venez-vous faire dans le temple du Seigneur ? Pourquoi, au lieu de m’entendre, jetez-vous avec complaisance vos regards sur ces parures scandaleuses, qui vous rendent indignes d’y entrer. Pourquoi choisissez-vous l’asile de ce Dieu, le père des pauvres, pour y étaler un faste imposant qui vous rend à la fois des objets de haine et de scandale ? Rappelez-vous ce trait de Jésus chassant les marchands du temple, et voyez-y en même temps la honte dont vous couvrez votre conduite et la grandeur de la justice divine. Rendez-vous dignes d’entrer avec lui dans le sanctuaire, au lieu de vous exposer à être repoussés des portiques, et songez que Dieu ne vous élève au-dessus des autres que pour leur donner des exemples de mœurs et de piété. »

À ces touches aussi vraies qu’énergiques, le courageux apôtre ajouta des portraits si frappants que tout le monde se reconnut.

La reine sortit aussi confuse que piquée. D’Orléans sut dissimuler, mais n’en menaça pas moins l’orateur de le faire noyer s’il persistait à insulter de cette manière les personnes les plus qualifiées de la cour.

Le roi voulut entendre ce prédicateur. Le frère Jacques parla devant lui et le bon Charles fut ému jusqu’aux larmes. Hélas ! lui dit le monarque, nous ferons tout ce qui dépendra de nous, pour profiter de ce que vous dites… Réponse qui prouvait à la fois et la faiblesse et la bonté de cette âme paisible.

Quelques femmes de la cour demandèrent au frère Jacques comment il avait osé parler avec une audace aussi répréhensible ? Ah ! leur répondit-il, vous êtes bien plus coupables que moi, vous qui m’y avez contraint.

Toujours stimulé par la reine, dont nous connaissons maintenant les secrètes intentions, le duc d’Orléans se donna, peu après, le gouvernement de Normandie ; mais la province refusa de le reconnaître. Dans sa colère, il vole à Rouen et trouve la noble franchise des Normands supérieure à son insolence : il revint sans aucun succès. Les peuples de cette province lui avaient déclaré qu’ils ne reconnaissaient d’autre maître que le roi. En conséquence, dès que la santé de Charles le permit, le duc d’Orléans voulut faire confirmer sa nomination ; mais tant de gens s’y opposèrent dans le Conseil ; on représenta si fortement au roi les dangers de confier une telle province à un homme dont les désordres commençaient à faire tant de bruit, on peignit si vivement au monarque tous les vices de l’administration de ce prince que l’affaire manqua et, comme il est facile de le croire, ce fut par la très grande influence des partisans du duc de Bourgogne.

Le roi sentit pour lors la nécessité d’une réforme dans l’état et, pour y procéder, on demanda le duc de Bourgogne ; mais une rechute encore plus dangereuse que les précédentes, en retardant les sages résolutions de Charles, donna plus de crédit et plus d’insolence que jamais à son frère et à son épouse.

Rien ne fut néanmoins changé au projet d’appeler le duc Jean ; mais ce fut avec des forces capables de se faire craindre qu’il céda aux instances de ceux qui le désiraient. Pour légitimer le grand nombre de guerriers qu’il conduisait avec lui, il prit le prétexte d’une descente faite par les Anglais au port de l’Écluse et, pour mieux tromper Isabelle et d’Orléans, il leur demanda de les servir dans une aussi glorieuse entreprise. Trompés par de telles apparences, tous ceux qui pouvaient donner des secours s’empressèrent d’en fournir, et ce ne fut que quand le duc Jean se trouva à deux journées de Paris qu’on s’aperçut de ses véritables intentions. De ce moment, Louis vit bien qu’il était perdu et que la nécessité de céder à son rival allait faire en même temps éclater contre lui et la colère du peuple qu’il écrasait et la vengeance des grands, jaloux de son autorité. Il se retira à Melun. Isabelle, qui ne le croyait pas encore perdu, se flatta de rétablir ses affaires en lui amenant le dauphin de Guyenne. Elle courut donc avec ce prince chercher d’Orléans dans l’asile qu’il s’était choisi. Le duc de Bourgogne qui venait d’apprendre au Louvre l’évasion de ces trois importants personnages, ne pensant plus dès lors qu’à s’opposer à cette fuite, se rend à l’hôtel Saint-Paul, où l’on lui dit que, malgré la résistance des officiers et des domestiques de la maison, le dauphin vient d’être enlevé.

Sans mettre pied à terre, le duc, simplement suivi de quelques cavaliers, s’élance sur les traces des ravisseurs et atteint la voiture à Juvisy. Après avoir salué le dauphin que conduisait Louis de Bavière, frère de la reine, il lui demande s’il n’aime pas mieux retourner à Paris que d’aller à l’endroit où l’on veut le conduire ; le jeune prince assure qu’il ne demande pas mieux que de revenir. Louis de Bavière veut faire quelques représentations ; Jean ne les écoute point et fait aussitôt retourner vers Paris la litière où était le dauphin. Il est reçu dans la capitale par le roi de Navarre, les ducs de Berri et de Bourbon, le comte de la Marche et une foule de seigneurs. Des réjouissances se préparent, les rues sont tapissées et le duc de Bourgogne est hautement proclamé le sauveur de la France.

Entre deux rivaux aussi puissants, il est rare que ce qui fait le bonheur de l’un ne fasse le malheur de l’autre. D’Orléans se désolait, Isabelle le plaignait ou du moins semblait prendre part à sa douleur ; mais une telle femme n’existe ni pour adoucir l’infortune ni pour la partager. L’ardent foyer de l’ambition fit bientôt disparaître le flambeau de l’amour. Un prince malheureux n’a plus de charmes aux yeux de celle que dévore une passion qu’il ne peut plus servir, et, malgré le coupable silence des historiens sur un trait aussi essentiel, cette inconstance méditée, vice d’un cœur corrompu, dans lequel s’allumait en même temps l’incendie qui allait embraser la France ; cette inconstance, disons-nous, revêtue de tous les caractères de la plus forte vraisemblance établirait seule toute la conviction nécessaire aux lecteurs, quand même nous n’ajouterions pas à cette vraisemblance des preuves matérielles fournies par Bois-Bourdon et qui vont bientôt l’étayer. Que cette certitude nous conduise au moins en attendant à rejeter les bruits ridicules que l’on fit courir alors, du départ d’Isabelle pour l’Allemagne, après y avoir fait passer des sommes énormes. Eh ! qu’eût été faire la reine en Allemagne ? par quelle raison y aurait-elle envoyé des sommes que ces nouveaux projets lui rendaient si nécessaires en France ? Cette accusation peut se mettre au nombre de tous les faux calculs que nous vîmes faire à la fin du XVIIIe siècle, parce que les sots combinent toujours d’après leurs petites vues, leurs sentiments peu élevés et jamais en raison des probabilités qu’ils n’ont pas l’esprit de concevoir, ou des matériaux dont la connaissance leur est interdite.

Après cette expédition, le duc de Bourgogne s’établit au Louvre, et prit un appartement au-dessus de celui du dauphin, pour être plus à même de le surveiller.

Pendant ce temps, le duc d’Orléans écrivait dans toutes les provinces pour obtenir des troupes. Il s’adressa au Parlement, mais l’action du duc Jean éclipsant toutes les siennes, Louis n’éprouva que des refus.

De ce moment, il sentit que l’adresse et la ruse étaient les seuls moyens qui lui restaient.

L’embarras n’avait pas été médiocre dans le Parlement ; on y prévoyait tous les maux qu’allait entraîner une pareille division, et ces magistrats, sages mais trop pusillanimes, ne trouvèrent rien de mieux que de s’en rapporter à la justice et à la bonté de la Providence. Mais les vues de Dieu sont impénétrables, et si elles contrarient les nôtres, c’est parce que la prévoyance de cet être infiniment sage sait toujours bien mieux que nous-mêmes ce qui nous convient.

Ce fut néanmoins dans la capitale que toutes ces précautions furent prises. Le duc de Bourgogne se retira dans son hôtel d’Artois, qu’il fit fortifier ; le gouvernement de la Bastille fut donné à Montagu, quoiqu’il fût du nombre de ceux qui avaient accompagné le dauphin dans sa fuite ; on laissa le soin du jeune prince au duc de Berri. Les chaînes et les armes furent rendues aux Parisiens ; vingt-cinq mille hommes entrèrent dans la ville, et tout, en un mot, tout prit dans cette malheureuse cité et dans ses environs cette teinte de factions et de terreur qui ne présageait que trop à quel degré l’ambition d’une femme atroce et l’inimitié qu’elle fomentait entre deux grands coupables allaient plonger les malheureux Français dans l’infortune et dans le sang.

On tint conseil : Jean de Bourgogne protesta qu’il n’avait en vue que le bien de la France, qu’il offrait ses trésors et ses troupes pour en convaincre, et parla avec plus de sérieux que de franchise du besoin d’une réforme générale dans toutes les branches de l’administration.

La reine et d’Orléans de leur côté se fortifièrent dans Melun. Déjà, vingt mille hommes rassemblés sous les ordres de Louis, toujours lieutenant-général du royaume, s’avançaient vers Paris en s’emparant de tous les villages circonvoisins. On allait en venir à une action générale qui, de quelque manière qu’elle tournât, ne pouvait que devenir funeste, lorsqu’à la sollicitation des oncles de nos deux jeunes rivaux, on conclut enfin à Vincennes un arrangement auquel Isabelle participa et dont les premiers fruits furent le désarmement et le renvoi des troupes.

À la suite de cette pacification simulée, les deux rivaux réunis à l’hôtel de Nesle, chez le duc de Berri, leur oncle, s’embrassèrent avec tous les simulacres de la plus parfaite cordialité et couchèrent dans le même lit, ce qui était dans ces temps le signe le plus certain d’un raccommodement entre deux guerriers ennemis.

La reine reparut bientôt dans la capitale et, continuant de cacher ses vices sous une audacieuse effronterie, elle arriva dans une litière découverte, dont les chevaux richement caparaçonnés étaient ferrés d’argent ; les ducs de Bourgogne et d’Orléans marchaient à ses côtés ; les dames de sa suite étalaient un luxe égal à celui de leur maîtresse et dont jamais, dit-on, il ne s’était encore vu d’exemple.

Pendant ce temps, le malheureux Charles était réduit à la plus extrême détresse que rendait plus cruelle encore le redoublement des crises de sa frénésie, et tous les yeux se fermaient sur son état ; ses maux n’attendrissaient pas un seul cœur. Isabelle, d’Orléans et Bourgogne n’auraient-ils donc pas dû soutenir la conduite que l’on attendait d’eux, par des procédés moins barbares ? Il demeurait donc certain que chacun de ces trois personnages avait une même dose de perversité et que les mêmes passions les guidaient vers les mêmes crimes.

Isabelle, toujours mécontente de la conduite du roi d’Angleterre à son égard, se décida à profiter de la circonstance pour éloigner le duc d’Orléans et voir si elle serait mieux servie par le duc de Bourgogne. Elle engagea en conséquence son beau-frère à se mettre à la tête des troupes qui devaient se porter en Guyenne pour tâcher de rentrer dans cette province usurpée par les Anglais.

D’Orléans partit à la tête d’une armée considérable et marcha directement vers Blaye, qu’il investit.

Mais c’était bien moins des lauriers que de l’or, qu’il fallait à Louis et à sa maîtresse. Tant que l’expédition dura, il fut délivré au duc neuf cent mille francs par mois ; mais le Conseil qui lui accordait cette somme dans une occasion où, quoiqu’il fût à la tête des finances, on ne voulait pourtant pas qu’il se payât lui-même, le Conseil disons-nous, se lassa bientôt de fournir des sommes aussi exorbitantes. De ce moment le projet manqua et d’Orléans revint à Paris. On gémit, mais comme la campagne du duc de Bourgogne n’avait pas été plus heureuse, aucun des deux n’eut à se glorifier des sottises de l’autre : le peuple seul pleura sur celle qu’il faisait en donnant sa confiance à des gens qui la méritaient si peu, et cette fois la reine ne put encore commencer ses épreuves, l’absence des deux rivaux ne lui permettant pas de sonder le terrain.

D’Orléans, plus tôt revenu que le duc de Bourgogne, sollicita vivement auprès du roi le rappel de son rival, et il l’obtint ; mais ce dernier prouva que lui-même aurait réussi, si on l’avait laissé faire, et cette vérité abattit tellement son antagoniste qu’il en tomba malade. Il vint se rétablir au château de Beauté, dont on voit encore les débris vers l’extrémité méridionale du bois de Vincennes. Le duc Jean fut l’y voir et mit dans cette visite toute la morgue de la supériorité. Soit impuissance, soit politique, il paraît que la reine ne travaillait que très mystérieusement au dessein qu’elle avait d’abandonner d’Orléans pour se jeter dans les bras du duc de Bourgogne. Le roi, dans un moment de santé qu’il eut, convaincu par les justes représentations qui lui furent faites, se détermina à ôter au duc Louis la manutention des revenus de l’état, mais le monarque ne tarda pas à retomber, le projet s’évanouit et Louis conserva ce qu’on voulait lui ôter.

Le malheureux monarque, comme on le voit, retombait chaque fois qu’il allait faire exécuter une résolution sage ; et précisément lorsque cette résolution était contraire aux intérêts de la reine. Celle-ci était donc maîtresse d’affaiblir ou de redoubler les tourments de son époux ? elle les dirigeait donc à son gré ?… Quoique les pièces importantes et déjà citées que nous avons sous nos yeux pussent nous mettre à même de prononcer affirmativement sur ce fait, nous le laisserons pourtant à discuter au lecteur, et si ce que nous lui suggérons ne lui paraît pas décisif, nous achèverons de le convaincre dès qu’il voudra consulter avec nous les pièces que nous avons en mains[2].

Mais, pourra-t-on nous objecter, celle qui possédait des secrets assez singuliers pour rendre ce prince tour à tour furieux et calme, devait en posséder d’aussi efficaces pour trancher le fil de ses jours, et en ce cas pourquoi ne le faisait-elle pas ? Nous avons déjà répondu à cette objection : il fallait absolument à Isabelle un fantôme couronné, une ombre qu’elle pût animer ou faire disparaître à son gré ; autrement les voiles de la mort, qui envelopperaient Charles, deviendraient bientôt pour Isabelle ceux de l’oubli le plus profond.

Isabelle s’assurait l’entière possession du trône qu’elle partageait avec Charles, en ne l’y faisant siéger qu’à son gré.

D’Orléans recouvra donc, par l’événement de la rechute du roi, ce qu’on voulait encore lui faire perdre, et la reine lui continua ses bons offices.

Cependant, l’animosité la plus entière continuait de subsister entre deux hommes assez célèbres, assez puissants, pour que leurs querelles dussent ouvrir des plaies, dont la France saignerait bien longtemps : cette idée naissait dans toutes les têtes, on en frémissait.

L’adroite Isabelle se convainquit fermement, enfin, que quels que fussent les forces et le crédit des deux rivaux, Louis d’Orléans, déjà perdu dans l’opinion publique, devait inévitablement succomber sous un homme revêtu de la confiance du peuple, aimé de son roi, bien plus courageux, bien plus entreprenant, bien plus hardi dans le crime que ne l’avait jamais été d’Orléans. Quelle différence d’ailleurs, et de richesses et de titres ! Louis, à la vérité, était frère de Charles VI, mais le duc de Bourgogne possédant des propriétés bien plus étendues que celles de son cousin, il était fortement appuyé par ses deux frères, à l’un desquels il venait d’assurer la succession des duchés de Brabant et de Limbourg. Il était beau-père du dauphin, considéré pour lors comme héritier de la couronne si Charles ne laissait pas d’enfant mâle en mourant. Le comte de Charolais, son fils aîné, avait épousé une fille du roi ; ses alliances s’illustraient encore de l’union de l’un des fils de Charles avec Jaqueline de Bavière, sa nièce, fille du comte de Hainaut : pouvait-il exister un plus grand seigneur ? S’agissait-il de talents et de vertus guerrières, combien sous ce point de vue Jean l’emportait sur Louis ! et quelle différence de réputation ! plus brave que Louis, Jean le surpassait encore par l’usage savant qu’il faisait de cette bravoure, dans tout ce qui tenait à l’art militaire ; plus heureux que Louis, Jean comptait des victoires où son cousin avait à peine cueilli quelques lauriers. Si les faibles succès de Louis à la guerre lui donnaient l’orgueil et l’insolence des petits talents, le duc de Bourgogne mettait à la place de cette ridicule vanité, une modestie surprenante dans le triomphe, et qui en relevait tellement l’éclat et le mérite, qu’il avait trouvé l’art bien précieux de se gagner les cœurs que désespéraient ses exploits.

Mais il faut malheureusement convenir que les vices cachés par ces vertus l’emportaient de beaucoup sur elles ; telle est à peu près l’histoire de tous les grands coupables : plus les qualités qu’ils offrent sont brillantes, plus les vices qu’elles cachent sont dangereux.

Ce parallèle bien établi dans l’esprit de la reine, dont les projets exigeaient un homme aussi exercé dans le bien que dans le mal, elle ne balança plus à préférer le duc de Bourgogne à un amant dont elle était lasse et qui n’avait tout au plus que la moitié des vices et des vertus dont elle avait besoin.

Isabelle ne flottait donc presque plus lorsque l’événement qui suit acheva de la décider.

Louis, aussi galant qu’indiscret, ose se vanter un jour d’être l’amant de la duchesse de Bourgogne, et pour mieux convaincre de sa bonne fortune, il montre à l’époux de cette princesse le portrait de celle qui le trahit. Au même instant la perte de Louis est jurée dans le cœur de l’époux qu’il outrage ; aussi adroit sur les moyens de l’opérer, que sur ceux d’associer à sa cause tout ce qui peut lui être utile, comme si l’ange des ténèbres qui distillait ses poisons goutte à goutte dans l’âme d’Isabelle eût servi de guide au duc de Bourgogne, c’est chez la reine elle-même que le conduit ce génie des enfers.

Quelle meilleure preuve de l’influence de la fatalité sur les hommes ! Et que de destinées allaient dépendre de cette funeste visite !

« Madame, dit le duc Jean à la reine en entrant chez elle, c’est en vain que vous avez cru régner seule sur le cœur du duc d’Orléans ; vous avez une rivale, et cette rivale est ma femme : c’est de mon cousin, c’est de votre amant même que je viens d’en recevoir la preuve ; ici nos intérêts deviennent les mêmes : réunissons-nous donc pour les servir et qu’un même poignard conduit par vos mains et les miennes fasse jaillir le sang impur qui coule dans les veines de ce perfide. En vous offrant de partager avec moi le crime nécessaire qui doit nous venger tous deux, en vous en supposant le courage, c’est vous prouver que je connais tous ceux que vous commettiez avec lui. Les motifs qui vous rendaient complice de son ambition et de sa rapacité seraient-ils donc plus sacrés pour vous, que ceux qui doivent vous engager à servir ma haine pour un homme qui nous outrage l’un et l’autre si grièvement ? les jouissances de l’intérêt l’emporteraient-elles sur celles de la vengeance ? les premières pouvaient vous valoir des honneurs de plus, mais celles-ci, Madame, un déshonneur de moins. Avec bien plus de moyens que lui de vous prouver mon zèle, je vous en offre comme lui les effets les plus certains ; l’amour qu’il vous jura paraissait le sceau de ce zèle, vous voyez comme il vous trompait ; un sentiment semblable, mais plus ardent et bien plus pur, brûle mon cœur comme le sien ; veuillez en recevoir l’hommage : oui, Madame, je vous adore, et cette passion violente dont je fais le serment à vos pieds, vous garantit à la fois mon silence et mes soins. Nécessairement jetés par Louis dans la carrière où nous allons nous étayer mutuellement, il y aurait autant de lâcheté à n’oser s’y plonger ensemble, qu’il y a de grandeur et de courage à y précipiter notre ennemi commun. Mais que rien ne retarde l’effet de cette résolution : Louis est aimé de Charles, il peut nous nuire, si nous ne nous hâtons ; faits pour régner tous deux, plaçons-nous sans frayeur où la main du ciel nous élève ; ce qu’il nous conseille est donc juste, puisqu’il nous l’a rendu nécessaire. Prononcez, Madame ; devenez à la fois et ma complice et mon amante, ou je deviens moi-même à l’instant votre délateur et votre ennemi.

— Cette menace, répondit Isabelle, m’effraie peu, relativement à la délation : j’ai pour principe ou de ne point trembler et de ne me repentir jamais de ce que je fais, ou de ne jamais faire ce qui me donnerait des craintes et des remords. L’inimitié que vous me faites redouter a plus d’empire sur une âme telle que la mienne ; vous êtes prévenu, Monsieur, dans les sentiments que vous m’avouez ; vous ne parûtes pas plutôt à la cour, que mes liens avec d’Orléans ne tenaient plus qu’au besoin que j’avais de lui ; il m’avait servi ; tant que j’étais son appui, il pouvait me servir encore. Vous ne m’aviez fait aucune avance, je ne pouvais rompre avec Louis ; en servant vos projets et les miens, je retrouve en vous bien plus que je ne perds en lui, puisque la politique seule formait des nœuds que le sentiment le plus tendre va serrer avec vous. Allons, Monsieur, allons sceller, sur les autels de l’amour les serments prononcés sur ceux de la vengeance ; devenons tous les deux aussi coupables que nous obligent à l’être tant d’intérêts réunis et que la France en deuil ne soit dépouillée de ses crêpes que par des mains plus dignes de la gouverner désormais. »

De ce moment la reine s’engagea, et voici littéralement ce qu’elle dit au duc de Bourgogne ; ces paroles furent rapportées par elle à son favori Bois-Bourdon, qui les a rendues mot à mot dans les interrogatoires qui précédèrent son supplice, et quant aux localités, elles se trouvent absolument conformes à tout ce qu’en ont conservé les meilleurs historiens de ce siècle et les registres du Parlement :

« Mercredi 23 novembre 1407, dit la reine, j’engagerai d’Orléans à venir souper chez moi au petit séjour : préparez tout, ayez du monde et comptez sur moi[3]. »

Nous sommes obligés de jeter un voile sur ce qui cimenta ce pacte horrible, dressé par les furies, et que l’enfer déchaîné vint exécuter en détail,

Ô malheureuse patrie ! laisse un instant couler nos pleurs sur les maux dont tu fus déchirée par cette exécrable association ! les flots du sang qu’elle te coûta ont si longtemps rougi ton sein que c’est pleurer nos malheurs du siècle dernier que de déplorer ceux de ces temps horribles ; et l’une des plus douces consolations du navigateur abordant au port est de tourner ses yeux humides de larmes sur les écueils dont le ciel sut le garantir.

Le duc de Bourgogne assuré de la reine et parfaitement instruit par elle, ne songea plus qu’à l’exécution. Dix-huit scélérats à sa solde, commandés par Raoul d’Octonville, homme couvert de crimes et noté d’infamie[4], se cachèrent dans une maison qu’on acheta exprès dans la vieille rue du Temple, en face de l’hôtel de Rieux, distinguée par deux niches dans l’une desquelles était une Vierge, et qui, d’après cela s’appelait maison de l’image Notre-Dame. Ces préparatifs se firent avec un tel mystère que celui contre lequel ils étaient dirigés n’en eut aucune connaissance, quoique les conjurés y restassent six jours, eux et leurs chevaux, ne sortant jamais que la nuit.

Le duc Jean, dans l’âme duquel la reine avait fait passer tout le venin de sa fausseté et de sa perfidie, feignit de se prêter avec son cousin à une parfaite réconciliation, ménagée par le duc de Berri, leur oncle. En conséquence, le dimanche 20 novembre, il conduisit les deux princes aux Augustins, où ils consacrèrent le serment de leur réunion, en entendant la même messe et communiant de la même hostie, comme cela se pratiquait alors dans des cas semblables. Cette cérémonie fut suivie d’un grand repas à l’hôtel de Nesle, où les deux princes confirmèrent de nouveau les promesses d’une inviolable amitié. Ils signèrent un acte de confraternité, acceptèrent mutuellement l’un de l’autre l’ordre de chevalerie, et ne se séparèrent qu’avec mille protestations de vivre désormais dans la plus étroite intelligence. Ils se revirent au Conseil le mardi 22 ; se donnèrent en présence du roi, de la reine et de toute la cour, les témoignages de la plus singulière bienveillance, et prirent les épices et burent le vin ensemble.

Le duc de Bourgogne fut invité par le duc d’Orléans à dîner pour le dimanche suivant : le duc Jean accepta… il accepta et il savait que le lendemain il devait faire assassiner celui qui lui donnait cette marque d’amitié[5] !

Enfin le jour qui suivit cette dernière entrevue, c’est-à-dire le mercredi 23, ainsi que les clauses en avaient été arrêtées avec Isabelle, le duc d’Orléans se rendit à ce qu’elle appelait son petit séjour, et que nous avons vu plus haut désigné par elle-même : là, nous dit Bois-Bourdon qu’elle avait fait cacher dans un cabinet voisin, n’osant pas, disait-elle, rester seule dans cette circonstance, là cette perfide créature s’entretint familièrement avec la victime déjà courbée sous le fer des bourreaux, qu’elle excitait contre elle. « Beau cher sire, dit-elle à Louis, je ne sais pourquoi j’ai l’esprit très noir aujourd’hui[6]. Le raccommodement avec votre cousin est-il bien sincère ? — Assurément. — Oui, de votre part je le crois, votre candeur est si reconnue, mais de la sienne, bel ami ? Vous n’empêcherez pas celle qui vous aime de trembler pour vos jours. Oh ! mon cher Louis, cet homme est plus faux, plus entreprenant, plus vindicatif que vous. Pourquoi lui avoir montré ce portrait ? Cher duc, vous aviez donc une autre amie qu’Isabelle ? vous m’immoliez tout à votre aise, moi qui vous aimais tant ! avez-vous de semblables reproches à me faire ?… » Et Bourdon assure qu’ici le duc sollicita son pardon… il l’obtint… il l’obtint près de la maison où s’aiguisaient les armes avec lesquelles on allait lui prouver la sincérité de ce pardon !… Il était à peine accordé, dit le favori, qu’un grand bruit se fit entendre dans les pièces qui précédaient celle où se tenaient les deux amants. « Qu’est ceci ? dit Louis encore en désordre. — Monseigneur, dit Schaz de Courtheuze, valet de chambre de Charles, et l’un des conjurés, de par le roi, Monseigneur, le roi vous mande que sans délai veniez devant lui, et qu’il a à parler à vous hâtivement, et pour chose qui grandement touche à vous et à lui, qui est moult pressée. — Schaz, sais-tu ce que c’est ? — Non Monseigneur, je l’ignore, mais Sa Majesté m’a dit de vous hâter. — Allez… allez, beau-frère, dit la reine, je vais vous attendre jusqu’à matines, vous reviendrez me dire ce que vous veut le fou. »

Le duc sort, demande sa mule. Il était huit heures du soir[7] ; la nuit extrêmement sombre ; il s’élance sur sa monture, seulement accompagné de deux écuyers, montés sur le même cheval et que précédaient trois valets portant des flambeaux. Ils passent tous par la porte située dans la rue Barbette et dont les vestiges, ainsi que nous dit Bonamy, se voyaient encore il y a peu de temps. Les autres domestiques qui avaient accompagné Louis chez la reine ne se pressèrent pas de le suivre, Isabelle leur ayant dit que le duc allait revenir. Louis était sans chaperon, vêtu d’une houppelande de damas noir fourrée de martre ; tenant d’une main la pomme de sa selle, badinant de l’autre avec son gant et fredonnant une chanson. En se rendant ainsi à l’hôtel Saint-Paul, situé sur le quai des Célestins, il passait nécessairement devant la maison que le duc de Bourgogne avait achetée pour le rassemblement, vieille rue du Temple, en face de l’Hôtel de Rieux, et sur la porte de laquelle, comme on vient de le dire, se trouvait une petite statue de la Vierge, d’où lui était venu le nom de maison de l’image de Notre-Dame. C’est là que le long du mur se trouvaient déjà rangés tous les assassins. Le cheval des deux écuyers s’emporta à la vue de ces hommes mussés[8] ; il prit le mors aux dents et ne s’arrêta qu’à l’entrée de la rue Saint-Antoine.

Ce fut au moment où le duc, toujours longeant la vieille rue du Temple, arriva presque au coin de celle des Rosiers, que l’atteignirent les assassins, rangés le long de la muraille de la maison de l’image Notre-Dame, en lui criant : À mort !… à mort !… — Je suis le duc d’Orléans, leur répond Louis. — Tant mieux, dit d’Octonville, c’est ce que nous demandons. Et en même temps, d’un coup de bec à faucon[9], il lui abat la main gauche, dont il tenait le pommeau de sa selle ; les coups redoublent, le duc lâche la bride de sa mule, chancelle et tombe. Les assassins l’achèvent ; armés de massues garnies de pointes de fer, ils lui brisent le crâne.

Jusqu’alors, le malheureux duc n’avait cessé de crier : Que me voulez-vous ? que me voulez-vous donc ? Mais la quantité de coups qu’il reçoit l’empêche bientôt de s’exprimer. Jean, qui dirige ces coups, veut s’assurer de leurs effets, il sort de la maison Notre-Dame, la tête couverte d’un chaperon vert et, comme s’il eût craint que son ennemi n’échappât, comme s’il eût redouté que quelques principes de vie n’eussent conservé l’existence qu’il détruisait avec tant de barbarie, il lui porte sur le crâne un dernier coup de massue qui achève de lui faire sauter la cervelle. Saisissant alors un flambeau, comme pour surprendre les dernières angoisses de sa victime, il lui met cette torche ardente sous les yeux. Satisfait enfin des ravages qu’imprime sur les traits de Louis l’implacable faux de la mort : « Éteignez, dit le vil assassin, il n’est plus, éteignez et éloignons-nous. »

On croit cependant encore entendre quelques gémissements ; on revient.

Quel exemple touchant de fidélité ! ô doux élan de la nature, console-nous des horreurs que nous venons d’être obligés de peindre !

Jacob, ce nom mérite d’être respecté, celui des valets de Louis qui lui était le plus attaché, étendu sur le corps de son maître, essayait de le ranimer de son souffle et de le réchauffer de ses pleurs ; vingt coups de massue le réunissent au moribond ; il expire avec lui.

Les assassins, en se retirant, mirent le feu à la maison Notre-Dame qui leur avait servi d’asile, afin que le tumulte de cet incendie pût favoriser leur fuite, et pour qu’elle ne fût pas interrompue, ils jetèrent des chausse-trapes qui, devant blesser les poursuivants, rompraient nécessairement leurs desseins.

Cependant les écuyers, qu’emportait leur cheval, et les valets rentrés à la maison de la reine revinrent au lieu du meurtre ; ils enlevèrent le corps de leur maître et le déposèrent à l’hôtel de Rieux, situé en face de l’endroit où s’était passée cette horrible scène.

Isabelle, en qui l’habitude du crime imprimait à propos tous les caractères de la fourberie, joua la plus profonde douleur. On la porta à l’hôtel Saint-Paul : l’eût-on fait si la maison de la rue Barbette eût été son palais, et si elle eût été en couche d’un enfant mort le lendemain, comme on osa le dire, pour déguiser la vérité de cette aventure ? Tout le monde eut l’air de croire à son chagrin, et cette petite fausseté, si commune dans les cours, en faisant autant de dupes qu’il se trouvait de courtisans, égara de même les historiens qui ne transmirent leurs bévues, à cet égard, que parce qu’ils étaient également la dupe de tous les mensonges de la cour ; et puis, faut-il le dire ? on répugnait moins à l’idée d’entendre Isabelle gémir sur le sort de son amant qu’à celle de voir ses mains teintes du sang de ce malheureux prince.

Bois-Bourdon fut un des premiers qui la visita, dès qu’elle fut à l’hôtel Saint-Paul. « Es-tu bien sûr de sa mort ? lui dit-elle aussitôt qu’elle le vit. — Oui, Madame ; sorti de chez vous, peu après les cris que nous entendîmes, je vis relever son cadavre, couvert de sang et de fange, et dont les deux mains étaient coupées ; on le déposa chez le maréchal de Rieux. — Cette mort était nécessaire, Bourdon ; cache avec soin la part que j’ai dans tout ceci, non que je redoute autre chose que l’opinion des sots, mais leur manière de voir est si gauche !… Attache-toi au duc de Bourgogne, bel ami, il est le seul qui puisse nous servir maintenant. S’il a moins de cette ridicule franchise qui caractérisait d’Orléans, il a plus de courage et plus d’énergie que lui, il ne connaît ni préjugés ni remords ; je lui ai parlé de toi, il aura soin de ta fortune[10].

Le 25 novembre, à la pointe du jour, les princes s’assemblèrent à l’hôtel d’Anjou, rue de la Tisseranderie ; le duc de Bourgogne y vint.

On fit fermer toutes les portes de Paris ; on posa des corps de garde dans toutes les rues. Les dépouilles mortelles de Louis furent transférées de l’hôtel du maréchal dans l’église des Blancs-Manteaux, près de l’hôtel de Rieux, et ce fut là que les princes vinrent les visiter. On vit, dit-on, jaillir du sang de ses plaies, lorsque le duc de Bourgogne s’approcha de lui ; ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’inhumation, de porter un des coins du drap mortuaire et d’afficher la plus grande douleur, en s’écriant que jamais il ne s’était commis un crime plus horrible.

Tignonville, prévôt des marchands, tenant lieu du magistrat appelé depuis lieutenant de police ; fut chargé de toutes les perquisitions. On soupçonna d’abord le sire de Cani, dont la femme avait été la maîtresse de Louis : ces idées s’évanouirent quand il eut prouvé l’alibi. On fit différentes enquêtes, mais jamais chez ceux dont on aurait pu tirer le plus de lumières. Tignonville apprit à la fin qu’un des meurtriers s’était retiré à l’hôtel de Bourgogne ; il n’osa le poursuivre dans le domicile du prince, sans être autorisé par le roi.

Dès que le duc Jean fut réuni aux autres princes à l’hôtel d’Anjou, ainsi que nous venons de le dire, il faiblit. Trop justement effrayé du crime de sa conscience, il prit à part le duc de Berri et le roi de Sicile dans l’embrasure d’une fenêtre de la salle du Conseil, et leur avoua son crime, en leur disant qu’il y avait été entraîné par un mouvement involontaire, qu’il ne pouvait attribuer qu’au démon ; mais quand il voulut reparaître au Conseil le lendemain, le duc de Berri l’en empêcha, et le duc de Bourbon se plaignit de ce qu’on ne l’avait pas fait arrêter.

Retiré chez lui, ses craintes redoublèrent. Il se sauva de Paris, uniquement suivi de six cavaliers auxquels il fit couper le pont Saint-Maxence, afin de retarder la marche de ceux qui le poursuivraient. Par une singularité inconcevable, il voulut en passant à Bapaume y consacrer l’heure de son arrivée : il ordonna que l’angélus ne se fît entendre qu’en ce moment, et cet usage se conserva longtemps dans cette ville, sous le nom de l’angelus du duc de Bourgogne ; et voilà comme dans ces siècles de ténèbres la superstition se mêlait toujours au crime.

De tous les princes, le duc de Berri fut le seul qui voulut absolument faire poursuivre le coupable ; mais on ne vint point à bout de l’atteindre, et l’on se doute bien de la part qu’eut la reine à la négligence d’une démarche dont le succès était certain sans les entraves qu’elle y mit.

En se moquant de la faiblesse du duc de Bourgogne, Isabelle dut au moins lui savoir gré de sa retenue. Elle avait promis de le servir, elle le fit.

La duchesse d’Orléans crut devoir venir à Paris implorer la justice du roi, et chercher des vengeurs à un époux qui, malgré son inconstance et sa légèreté, la laissait pourtant mère de plusieurs enfants.

On se souvient de ses liaisons avec le roi et de l’arrangement très immoral qui avait existé entre la reine, le duc d’Orléans et elle. Tout s’oublia dans une telle circonstance : ignorant d’ailleurs les secrètes liaisons d’Isabelle avec le duc Jean, et la part que la reine avait aux horreurs qui venaient de se commettre, Valentine ne pensa plus qu’à ce que lui prescrivait ses devoirs d’épouse et de mère. Elle arriva suivie du comte d’Angoulême, l’un de ses enfants, et de la jeune reine d’Angleterre qui avait épousé Charles d’Orléans, son fils aîné[11]. Quand elle se jeta aux pieds du roi, alors dans un moment de santé, ce bon prince lui promit la justice qu’elle méritait et, les embrassant tous, il mêla ses larmes à celles de cette famille au désespoir.

Le duc de Bourgogne, pendant ce temps-là, ne songeait qu’à sa sûreté et qu’à opposer l’audace la plus impudente à tout ce qu’on pourrait alléguer contre lui. La reine lui dépêcha Bois-Bourdon, qui revint chargé par le duc d’assurer cette princesse qu’elle ne serait jamais trahie par lui ; qu’il levait des troupes en Flandre, à la tête desquelles il répondrait bientôt à tous ses ennemis. Il lui recommandait la même effronterie, dont il savait si bien se servir, comme le moyen le plus sûr, disait-il, d’embarrasser les gens d’esprit et d’imposer toujours aux sots.

On imagine aisément combien cette réponse tranquillisa la reine et redoubla son impudence. Ce n’était, on le sait, que par des guerres intestines et sanglantes qu’elle allait acheter l’impunité qui lui était promise ; mais de semblables considérations devaient-elles être de quelque poids pour une âme de cette trempe ? que lui importait le prix d’un bonheur dont rien ne pouvait la frustrer !

En convoquant ses vassaux, le duc de Bourgogne leur avait avoué qu’il était bien véritablement l’auteur du meurtre de son cousin ; mais il leur avait présenté cette action sous des couleurs si favorables, sous des intentions si dignes d’être approuvées ; il les avait si bien persuadés qu’en faisant assassiner le duc Louis, il n’avait fait que de délivrer la France d’un tyran qui la désolait, que cet aveu et ses développements n’avaient servi qu’à réchauffer le zèle de ceux qu’il convoquait et qu’à hâter l’envoi de leurs secours. Tous l’applaudirent, et tous offrirent leur personne et leur or.

On voulut négocier avec ce coupable… Quelle honte ! mais il le fallait : non seulement les circonstances ne permettaient pas de se mesurer avec lui, mais on appréhendait son crédit dans la capitale ; on savait à quel point il avait gagné tous les cœurs et que le nombre infini de ses partisans le rendait extrêmement redoutable.

Jean ne voulut rien entendre : la bassesse des moyens que l’on employait avec lui achevait de le faire triompher, et plus on avait l’air de le craindre, plus il devenait inflexible. La reine avait soin de ne lui rien laisser ignorer, et chacune de ses instructions était suivie des promesses les plus affirmatives de le soutenir jusqu’à la mort.

On négociait à Paris ; on délibérait dans le Conseil ; on tenait des lits de justice, et Jean sans Peur faisait des levées.

Isabelle qui, de son côté, ne négligeait rien de tout ce qui devait maintenir l’autorité qu’elle avait acquise avec d’Orléans, sentit bien qu’en réunissant cette portion de pouvoir à celle que le duc Jean allait lui acquérir, elle deviendrait plus puissante que jamais. Elle fit en conséquence tout ce qui pouvait atteindre ce double but, et le peu de vigueur qu’elle mit aux poursuites projetées contre le duc de Bourgogne fut un des premiers moyens qu’elle employa pour parvenir à ce qu’elle désirait.

Pendant toutes ces menées politiques, Jean s’avançait à la tête de ses troupes. On eut beau lui faire défendre de paraître de cette manière dans les environs de Paris, il ne tint compte de rien, et ce fut dans cette attitude imposante qu’il pénétra dans Saint-Denis, sous le prétexte d’y faire ses dévotions, mais en effet pour y conférer avec Isabelle, qui vint le voir secrètement dans l’abbaye. Là, se renouvelèrent leurs serments d’amour… de fidélité, et ce fut sur le tombeau des rois que ces deux régicides jurèrent et le déshonneur de leurs ancêtres et l’avilissement de celui qui en occupait la place.

Ces nouvelles firent retirer la duchesse d’Orléans : quelle justice pouvait-elle espérer d’un prince assez faible pour ne pas même oser défendre rapproche du trône au meurtrier de son époux ? Cette malheureuse princesse courut s’enfermer dans Blois qu’elle fit fortifier ; et le duc entra dans Paris, comme dans une ville conquise. Mille hommes d’armes l’escortaient ; le reste de son armée était cantonné dans les environs.

Les Parisiens le reçurent avec des transports de joie, qui allaient jusqu’à l’ivresse ; tous semblaient retrouver en lui un protecteur, un père et le véritable réparateur de tous les maux de la France. Il logea dans son hôtel d’Artois, dont il avait presque fait une citadelle ; une garde nombreuse l’environnait, mais si ce triomphe apparent du crime put en imposer un instant à la multitude, il ne rassura jamais le coupable. Le duc si bien entouré, si bien reçu, frémissait pourtant à tel point qu’il s’était ménagé dans son hôtel une chambre secrète où il allait passer les nuits sans que personne le sût.

Son arrogance n’en était pas moins la même : il la porta au point de faire justifier l’horreur qu’il avait commise. Mais, ce qu’il y a de plus honteux, ce fut dans le sein de la religion qu’il trouva l’apologiste de son crime : un moine, un religieux, qui par état ne devait prêter son organe qu’à la défense de Dieu et qu’au soutien des bonnes mœurs, osa, pour de l’argent, se rendre le défenseur du plus lâche attentat. Jean Petit, cordelier, se chargea de prouver que rien n’était aussi méritoire que l’action que venait de commettre le duc de Bourgogne en assassinant le frère de son roi. Ce fut, hélas ! par cette doctrine pernicieuse que ce prêtre, indigne du titre qu’il déshonorait, aiguisa les poignards des Clément, des Ravaillac, des Damiens, etc., comme s’il existait au monde une chaîne plus forte que celle qui lie le sujet au monarque, et comme si la conservation de celui-ci n’était pas pour l’autre une obligation aussi sacrée qu’indispensable.

Ce fut dans la grande salle de l’hôtel Saint-Paul, le 18 mars 1408, que cette étrange apologie fut entendue de toute la cour. Le roi ne put s’y trouver ; il dit aux princes, que ce qui l’en empêchait, venait de la nuit qu’il avait passée avec la reine.

Il est bien singulier que l’on n’ait jamais réfléchi sur de telles paroles…, bien étonnant qu’on en n’ait jamais tiré les conséquences qu’elles offrent : contentons-nous donc de faire observer qu’il est fort extraordinaire que ce soit précisément le jour où l’apologie des crimes du duc de Bourgogne dut se faire, qu’Isabelle, par des moyens que nous ignorons, ait empêché son mari de paraître dans cette célèbre assemblée. Elle avait donc des motifs de craindre les résultats de cette assemblée sur l’esprit sain du roi, et des moyens d’empêcher que cet esprit ne fût sain quand il existait des raisons de s’opposer à ce que son mari parût quelque part ; et ici, il devenait donc prouvé qu’elle avait trempé dans cette monstrueuse action, puisqu’elle faisait tout au monde pour que le roi, naturellement révolté de ce qu’on allait dire, ne pût soupçonner l’intérêt qu’elle pouvait avoir à faire prononcer l’éloge du crime dont elle partageait l’affreuse complicité avec le duc de Bourgogne.

Faire voir en un mot qu’Isabelle aliénait à son gré l’esprit de son mari, qu’elle le fit dans ce cas-ci, parce qu’elle était coupable du meurtre de d’Orléans, voilà ce que nous voulions démontrer, et c’est ce qui devient aussi évident que puisse l’être une vérité géométrique.

Nous laisserons mûrir ces réflexions dans l’esprit de ceux qui savent en faire, mais il nous sera du moins permis d’affirmer qu’aucun siècle ne nous offre une femme aussi singulière, et qu’ils ont dit une grande absurdité, ceux qui ont prétendu qu’il était bien peu important de mettre Isabelle en scène ; que le règne de Charles VI était assez intéressant par lui-même, sans qu’il devînt utile d’y présenter la reine[12] : comme s’il n’était pas reconnu que cette reine était la cause de tout, à tel point qu’il n’est pas un seul fait dans ce règne à jamais mémorable, dont elle ne fût le premier mobile, pas une goutte de sang répandu, qui ne fût le fruit de ses monstrueuses scélératesses.

Le duc de Bourgogne parut armé dans la séance où se fit cette apologie ; une garde nombreuse l’environnait et la reine, par une sorte d’attention qui la caractérisait bien, l’avait fait suivre par la plus vile canaille.

Enfin le cordelier Jean Petit parla, et après avoir déclaré qu’il était chèrement payé pour ce qu’il faisait (aveu bien extraordinaire sans doute), il osa soutenir que, dans certains cas, l’homicide était légitime, ce qu’il appuya par douze raisons, en l’honneur, dit-il, des douze apôtres, qui pourtant ne tuèrent personne et qui ne parlaient qu’au nom d’un dieu de paix bien éloigné de légitimer le meurtre. Mais est-il étonnant qu’un moine bien payé préconise les crimes du scélérat qui le couvre d’or ? Ce n’est donc pas du discours odieux de Jean Petit qu’il faut que la postérité s’étonne, mais seulement de l’ineptie des auditeurs qui loin de faire à l’instant punir un tel monstre le laissèrent déraisonner plus de trois heures.

Après avoir prouvé la légitimité de l’action, Jean Petit démontra que si le meurtre pouvait n’être pas un crime, celui commis sur la personne du duc d’Orléans était une excellente action ; parmi les récriminations qu’il faisait à l’appui de sa proposition, il en est une fort remarquable et faite pour jeter du jour sur tout ce que nous avons dit.

Le cordelier-défenseur assura que le duc d’Orléans avait voulu empoisonner le dauphin et avait contracté une alliance secrète avec le duc de Lancastre contre Richard, roi d’Angleterre, pour se venger de ce que ce monarque avait révélé à Charles que sa folie n’était occasionnée que par la méchanceté des ducs d’Orléans et de Milan ; et ceci, l’on en conviendra, doit ouvrir les yeux de ceux qui se ressouviendront des intrigues d’Isabelle avec son beau-frère et Valentine de Milan. On verra que nous n’avons pas été les seuls à révéler ces faits, et qu’ils étaient déjà connus, puisqu’ils entraient dans les accusations portées contre le duc d’Orléans par Jean Petit, et cela devant toute la cour, excepté le roi qui ne s’y trouva point, à la prière de la reine, bien instruite de ce qu’allait dire le cordelier.

Le discours fini, le duc de Bourgogne approuva tout ce que son avocat venait de dire, en assurant l’assemblée qu’il y avait encore des choses plus importantes qu’il se réservait de dire au roi seul.

C’est ici qu’Isabelle fait connaître la quintessence de sa politique, puisqu’elle part à l’instant pour Melun avec ses enfants, et que l’effet qui devait résulter de cette fuite devait nécessairement expliquer la terreur que faisait naître en elle le duc de Bourgogne.

Il est inouï à quel point les historiens ont été dupes de cette démarche ; combien elle leur en impose, et leur fait bonnement dire à tous, que la crainte qu’inspirait le Bourguignon à la reine était bien la preuve la plus certaine de l’amertume des regrets que lui causait la mort de Louis. « Ce duc de Bourgogne me fait une telle horreur, disait-elle à tout le monde, que son nom seul me cause des frémissements, dont je ne suis pas la maîtresse. »

Adroite créature, comme tu savais profiter du faible d’une nation, dont le premier tort était de t’avoir laissée sur son trône, ou plutôt d’avoir permis que tu y montasses ! mais tu fuis… tu devais le faire ; il était essentiel que le duc, seul avec le roi, pût lui faire ratifier, sans que la reine y fût pour rien, tout ce qu’avait dit le cordelier, et ce fut précisément ce qu’il fit. Toujours encouragé par la reine qui lui écrivait par Bois-Bourdon : Menacez-le, enchaînez-le ; c’est le seul moyen de lui faire faire tout ce que vous voudrez, il exigea du roi de lui signer un écrit, dont l’esprit était que lui, Charles, bien informé des tentatives régicides faites contre sa personne par le duc d’Orléans, dont l’objet était de le faire mourir pour se mettre à sa place, non seulement pardonnait à son cousin le duc de Bourgogne la mort de d’Orléans, mais qu’il la regardait même comme une action méritoire, et qui n’avait pour but que d’assurer la tranquillité du royaume. Charles eut néanmoins l’esprit de dire à son cousin, en lui remettant ces lettres, qu’il craignait bien que cette justification ne lui en servît pas à tous les yeux, et ne le garantît pas de la vengeance de ses ennemis. Le duc lui répondit avec son audace ordinaire qu’il ne craignait rien, tant qu’il serait absous par son roi, comme il l’était par sa conscience.

Cependant Isabelle ne revenait point à Paris. Sans avoir l’air de s’en mêler, elle laissait à Jean tout le temps nécessaire pour rétablir son crédit, mais elle crut enfin essentiel de mettre un terme à cette absence : ayant eu cependant l’air de fuir le duc de Bourgogne, comment pouvait-elle rentrer dans Paris quand il y commandait ?

Le duc de Bretagne, qui ne savait rien de la nouvelle intelligence d’Isabelle avec le duc Jean, et qui en était encore à supposer à la reine un grand éloignement pour le meurtrier de Louis, pensa tout perdre par une prévenance hors de saison : il offrit des troupes à Isabelle pour favoriser son retour. Quel embarras pour cette princesse ! refusait-elle ? tout se dévoilait ; acceptait-elle ? cette démarche pouvait la brouiller avec Jean. Se fiant donc à sa profonde adresse, elle prit le parti d’accepter.

« De puissants motifs dont je vous rendrai compte, écrivait-elle au duc Jean, m’ont contrainte d’accepter les troupes du duc de Bretagne : paraissez craindre cette approche, et profitez de ce temps pour vaquer aux affaires de Jean de Bavière qui vous appellent à Liège. Mon premier soin en arrivant à Paris sera de congédier les Bretons ; vous reviendrez et nous continuerons de tout conduire. Il nous sera d’abord indispensable de feindre un raccommodement, et nous pourrons toujours en imposer à la crédulité du peuple. »

Plein de confiance dans celle qu’il aimait, le duc fit tout ce qu’on lui prescrivait et la reine rentra dans sa capitale au milieu du plus somptueux cortège, entourée des princes et escortée des troupes bretonnes qu’elle congédia sur-le-champ, sous le prétexte que le séjour de ces troupes déplairait aux Parisiens ou nuirait à leurs privilèges ; et se faisant aussitôt apporter les clefs de la ville, elle put lire sur le front de ces bons habitants à quel point ils étaient contents d’elle. De ce moment son insolence s’accrut en raison de ses succès.

La duchesse d’Orléans ne fut pas longtemps sans la suivre. Elle était loin de se douter de la part qu’Isabelle avait au meurtre de son époux : la croyant toujours son amante, il s’en fallait bien qu’elle la soupçonnât d’un tel crime, et la reine accoutumée à la dissimulation, mêla ses larmes à celles de Valentine.

Rien à la fois de sombre et d’imposant comme l’entrée de cette princesse. La jeune douairière d’Angleterre, épouse de Charles d’Orléans, figurait dans cette marche lugubre. Les habitants de Paris partagèrent un instant cette douleur, mais sans que l’affection qu’ils portaient au duc de Bourgogne en fût diminuée.

Qu’on nous permette de placer ici une réflexion qui nous paraît bien importante à l’intelligence de cette histoire.

On demande ce qui put engager les Parisiens à croire que le duc de Bourgogne, si digne du surnom de Jean sans Peur, eût pu fuir de Paris, rien que sur les craintes d’y voir arriver quelques soldats de Bretagne. Cette faiblesse est-elle dans son caractère ? et ne doit-on pas regarder cette fuite comme une ruse dont il était aisé de démêler la cause, sans l’attribuer à ce qui vient d’être dit ? Voilà, cependant, comme on s’étourdissait alors sur tous les effets de la politique des grands et comme on s’aveuglait sur les vérités les plus évidentes, dès que l’intérêt ou l’ignorance paraissaient y jeter des voiles. Il fallait qu’Isabelle et le duc de Bourgogne se réunissent à Paris ; mais comment pouvaient-ils concilier cette réunion avec l’apparence d’inimitié que devait afficher Isabelle envers le duc ? il fallait d’ailleurs que l’éloignement de celui-ci mît la reine en état de ressaisir les rênes de l’empire : le pouvait-elle tant qu’il serait à Paris ? elle devait agir pendant son absence, et lui, devait prolonger cette absence jusqu’à ce qu’Isabelle eût pris des mesures telles, qu’une fois réunis, rien ne pût détruire leur autorité.

Isabelle voulut donc que le pouvoir qu’on allait confier au duc fût revêtu de la sanction générale. En conséquence, on convoqua une assemblée nombreuse composée de l’élite du royaume et présidée par la reine et le dauphin de Guyenne. On y admit cent des plus notables bourgeois de Paris. Ce fut là que l’avocat du roi, Jean Juvenal des Ursins, déclara que l’intention de Sa Majesté était que la puissance souveraine fût octroyée et commise à la reine et à Monseigneur le duc de Guyenne, le roi empêché ou absent.

  1. Que l’on confronte les pièces du procès de Richard II qui existent à la Tour de Londres avec celles du procès de Bois-Bourdon, à qui la reine avait tout dit, et l’on s’en convaincra. Voyez la première sous le titre de An authentick writing extracted from the trial of Richard II, King of England, Fo 15.

    Quant aux secondes, elles se voyaient aux pièces du procès de Bois-Bourdon, liasse 6, fo 9.

  2. Voyez la préface, ainsi que ce qui a déjà été dit sur cela dans le premier volume.
  3. La rue Barbette d’alors, qu’il ne faut point confondre avec la nouvelle, percée dans le milieu des jardins d’Isabelle, n’était qu’une prolongation de la vieille rue du Temple. C’était donc dans cette rue, loin de Paris et écartée de plusieurs toises de l’enceinte tracée par Philippe Auguste, c’était là, disons-nous, qu’était située cette maison ornée par Isabelle et qui, en raison de sa situation hors des murs, était appelée maison de plaisance, ou petit séjour de la reine. Elle l’avait achetée de Jean de Montagu, grand maître de France qui, lui-même, la tenait d’Étienne Barbette, grand voyer de Paris, dont elle était la demeure, et qui avait donné son nom à l’emplacement dit Couture Barbette, sur lequel il l’avait construite. C’est cette même maison qui fut pillée en 1306 dans une émeute occasionnée par le changement des monnaies ; ce fut aussi dans cette maison que Montagu logea Charles VI et toute sa cour, peu avant le départ du roi pour la Bretagne ; et quand il l’eut vendue à Isabelle, il fut logé à l’hôtel de Giac que lui avait donné le duc de Bourgogne, ancienne demeure d’Hugues Aubriot, prévôt de Paris.
  4. Il avait à se plaindre du duc d’Orléans, qui venait de le destituer d’un emploi de finances dont il abusait.
  5. À quel point l’intérêt qu’inspire ici le duc d’Orléans semble pallier tous ses crimes ! Crimes dans lesquels il était entraîné par une femme beaucoup plus fourbe et bien plus méchante que lui.
  6. Voyez fo 8, 7e liasse.
  7. Et cependant il avait soupé, l’usage d’alors étant de dîner à onze heures et de souper à six.
  8. Cachés.
  9. Espèce d’arme en usage alors.
  10. 8e séance de l’interrogatoire, fo 18.
    Pourquoi, a-t-on demandé, ces pièces ne se trouvaient-elles pas dans les registres du Parlement ? Parce que le Parlement ne fut point investi de la cause de Bois-Bourdon, jugée à huis clos par les commissaires du roi, et que le monarque, attendu la part qu’avait la reine aux aveux de ce favori, devait nécessairement désirer que l’on couvrît d’un voile tout ce qu’il disait. Si par la suite les pièces de cette procédure furent déposées aux Chartreux près de Dijon, d’où nous les avons extraites, c’est que le duc Jean de Bourgogne, aussi compromis que la reine dans ces pièces, se hâta de les enlever des registres de la cour pour les cacher dans le lieu destiné à sa sépulture (voyez la préface).
  11. Ce fut lui qui succéda au duché d’Orléans.
  12. Nous invitons le libraire imbécile qui tint ce propos à convenir qu’il est bien peu fait pour l’honnête profession qu’il exerce.