Histoire populaire du Christianisme/Xe siècle
DIXIÈME SIÈCLE.
ome et la papauté offraient, à cette époque, le spectacle le plus curieux. Les mœurs générales n’étaient pas excellentes, mais celles de l’Église laissaient à désirer. Voici ce qu’en dit le cardinal Baronius dans ses Annales ecclésiastiques :
« Quel horrible aspect ne présentait pas alors la sainte Église romaine, lorsque d’infâmes courtisanes disposaient à leur gré des Sièges épiscopaux, et, ce qui est également terrible à prononcer et à entendre, lorsqu’elles plaçaient leurs amants sur le trône même de saint Pierre ! Qui pourrait appeler pontifes légitimes des intrus qui devaient tout à des femmes de mauvaise vie ? Car on ne parlait plus de l’élection du clergé : les canons, les décrets des papes, les anciennes traditions, les rites sacrés étaient ensevelis dans le plus profond oubli ; la dissolution la plus effrénée, le pouvoir mondain, l’ambition de dominer, avaient pris leur place. Le Christ, assurément, dormait alors d’un profond sommeil dans le fond de sa barque, et, ce qui est bien plus malheureux encore, les disciples du Seigneur dormaient plus profondément que lui. »
Après cet aperçu général présenté par un juge irrécusable, reprenons le détail des faits.
Le pape Benoît IV mourut le 20 octobre 904. Léon V lui succéda, mais celui-ci, chassé par l’antipape Christofle, mourut en prison deux mois après. Christofle étant mort lui-même presque immédiatement, Sergius III fut élu.
Le premier acte de Sergius fut de faire déterrer encore une fois le cadavre de Formose pour le maudire et le mutiler.
Aucun pape ne fut plus maltraité après sa mort que ce malheureux Formose. On l’inhumait et on l’exhumait sans relâche, et on en coupait un morceau à chaque condamnation nouvelle.
En 908, une dame romaine, Théodora, s’empara du gouvernement de Rome. Sa fille, Marozia, était la maîtresse du pape Sergius dont elle eut un fils, nommé Jean, qui devint pape plus tard.
En 911, l’empereur d’Orient, Alexandre, successeur de Léon le Philosophe, fit relever dans l’hippodrome de Constantinople les statues des Dieux et voulut qu’on leur offrît des sacrifices ; mais cette tentative ne réussit pas.
Le pape Sergius mourut le 6 décembre de cette même année. Le siège de Rome resta inoccupé pendant deux ans ; Anastase III fut élu en 913. Mort le 6 juin 914, Anastase fut remplacé par Landon.
En 915, Théodora, fille cadette de Théodora et sœur de Marozia, fit nommer Jean, son amant, archevêque de Ravenne. Le pape Landon étant mort le 25 avril de cette année, l’amant de Théodora fut élu sous le nom de Jean X.
Toutes les églises étaient, dans ce temps-là, aussi régulièrement menées que celle de Rome. Hébert, comte de Vermandois, ayant jugé à propos de faire sacrer archevêque de Reims son fils âgé de cinq ans, Jean X approuva l’élection.
Bien que Théodora fût la maîtresse du pape, elle n’était pas aussi puissante à Rome que sa sœur Marozia. Celle-ci avait épousé Guy, marquis de Toscane, qui menait rudement le peuple et le clergé, disposant à son gré des biens et de la vie de chacun, mais soumis le premier à la volonté de sa femme et n’agissant que par ses ordres. Marozia fit poignarder par son mari un frère du pape, nommé Pierre, dans le palais de Latran ; puis ils se saisirent de Jean X qui fut étouffé sous des coussins, le 2 juillet 928. Léon VI lui succéda. Ce dernier, étant mort l’année suivante, eut pour successeur Étienne VII qu’on laissa régner deux ans. Le 12 mars 931, le siège pontifical devint vacant, et Marozia fit sacrer, sous le nom de Jean XI, le fils qu’elle avait eu du pape Sergius ; c’est-à-dire qu’elle exerça toute l’autorité religieuse et civile.
Le pape Jean XI mourut le 14 février 936. Léon VII lui succéda. Mort de Léon VII, le 23 août 939. Il eut pour successeur Étienne VIII. Ce pape étant Allemand, les Romains le prirent en haine et le défigurèrent à coups de pierres. D’ailleurs, à défaut d’événements religieux ou politiques, les pillages et les luttes armées dans les rues et dans les maisons, les rapts de femmes et les meurtres occupaient tous les instants.
Le pape Étienne VIII mourut le 15 janvier 943. Martin III lui succéda. En 946, le 4 août, mort de Martin. Il eut pour successeur Agapet II.
Vincent de Beauvais rapporte que, vers cette époque, les moines du monastère de Glastemburg fouettaient régulièrement tous leurs disciples, le cinquième jour avant Noël, non, dit-il, pour les punir de quelque faute, mais uniquement parce que c’était l’usage.
Le pape Agapet II mourut le 18 mars 952. Ce fut le petit-fils de Marozia qui lui succéda. C’était un jeune homme de dix-huit ans nommé Octavien. Il prit le nom de Jean XII en montant sur le siège pontifical. La première intervention armée des empereurs d’Allemagne en Italie date de 961. Menacé par Bérenger qui se disait roi d’Italie, Jean XII demanda du secours à Othon qui se hâta de le lui amener en personne.
Les donations faites par Peppin et Karl le Grand furent solennellement confirmées et cinq villes de Lombardie ajoutées au domaine temporel, mais toujours avec l’ancienne clause : « Sauf notre puissance et celle de nos successeurs. » Ce qui déplut grandement au pape dont l’intention n’était pas de reconnaître la souveraineté tudesque en Italie. Aussi, l’empereur n’eut pas plus tôt quitté Rome que Jean XII engagea secrètement Adalbert, fils de Bérenger, à s’unir à lui pour se débarrasser d’Othon. Celui-ci, averti, revint promptement, en 963 ; mais le pape eut le temps de s’enfuir. On réunit un Concile qui accusa le pefit-fils de Marozia d’un assez grand nombre de crimes, faux ou avérés, et l’accusé fut invité à venir se justifier. Jean XII répondit aux Pères qu’il les excommunierait s’ils osaient nommer un pontife, ce qu’ils firent peu après en ordonnant Léon protoscriniaire de l’Église romaine.
En 964, Jean XII, étant rentré à Rome, fit mutiler le cardinal-diacre Jean, puis déposa Léon et ceux qui l’avaient élu. Les écrivains ecclésiastiques disent que les mœurs de Jean XII étaient horribles ; rien n’est plus probable, mais ses mœurs étaient celles de tous ses contemporains, et, selon saint Augustin, tout est au mieux pourvu qu’on ait la foi.
Le pape Jean XII mourut en mai 964. Benoît V lui succéda.
Othon le Grand assiégea Rome cette année-là et s’en empara par la famine ; puis il fit élire de nouveau Léon VIII qu’avait déposé Jean XII. Un Concile réuni en 965 dégrada Benoît de l’ordre de la prêtrise et l’exila. Les Pères, le pape Léon, le cierge et le peuple confirmèrent à l’empereur et à ses successeurs le droit d’établir le pape et de donner l’investiture aux évêques, sous peine, pour qui s’y opposerait, d’être excommunié, exilé, ou même puni de mort. Nous verrons que les papes ne voulurent jamais obéir aux décrets de ce Concile.
Léon VIII mourut en avril et Benoît V en juillet 965. Jean XIII fut élu le 1er octobre.
En 969, l’empereur d’Orient, Nicéphore, voulut contraindre les évêques de déclarer martyrs ceux qui étaient tués en combattant les Musulmans, auxquels on donnait le nom de Sarrasins. Notons en passant que Sarrasin vient du mot arabe Scharqyyn, qui signifie Orientaux. Nicéphore fut égorgé dans son lit, pendant qu’il dormait.
Le pape Jean XIII mourut le 6 septembre 972. Benoît VI lui succéda.
Ce fut cette année-là que Crescentius, fils de Théodora et de Jean X, enferma le pape au château Saint-Ange et fit élire Boniface VII. En 974, Benoît fut étranglé dans sa prison et Boniface fut chassé de Rome. Donus II lui succéda et mourut en octobre 975. Il eut pour successeur Benoît VII ; mais, celui-ci étant mort en 984, Boniface, qui s’était retiré à Constantinople, rentra à Rome, déposa Jean XIV qu’on avait élu dans l’intervalle, l’enferma au château Saint-Ange et l’y laissa mourir de faim. En ce temps-là, peu de Souverains pontifes finissaient régulièrement.
Boniface VII, le protégé de Crescentius, mourut en décembre 985. Jean XV lui succéda. C’était le fils d’un prêtre romain.
Le pape Jean XV étant mort le 30 avril 995, l’empereur Othon II fit élire un de ses neveux qui prit le nom de Grégoire V ; mais, deux ans après, Crescentius chassa Grégoire et nomma pape le grec Philagathe, évêque de Plaisance, Jean XVI. L’empereur revint, se saisit de Jean à qui on coupa le nez et la langue et on arracha les yeux. Puis Grégoire le fit promener tout sanglant par la ville, sur un âne dont il tenait la queue entre ses mains.
En 998, Othon, qui assiégeait Crescentius dans le château Saint-Ange, lui promit la vie sauve s’il se rendait, mais, dès qu’il le tint, il lui fit couper la tête. Cependant, pour expier le tort de n’avoir point tenu sa promesse, il prit pour concubine la veuve de Crescentius.
Le pape Grégoire V excommunia, cette année-là, le roi de France Robert qui avait épousé une de ses parentes sans dispense.
Voici quelques formules d’excommunication. Elles datent toutes du IXe au XIe siècle :
« Nous les frappons d’un anathème perpétuel. Qu’ils souffrent la colère du Juge suprême ; qu’ils soient relégués avec le Diable et ses ministres dans les tourments de la flamme vengeresse et d’une douleur sans fin. Qu’ils soient en horreur au ciel et à la terre. Qu’ils soient maudits dans leur habitation. Qu’ils soient maudits aux champs. Maudite soit la nourriture de leur corps, et maudit le fruit de leurs entrailles. Qu’ils n’aient d’autre sépulture que celles des ânes ! Amen. »
« Que leurs fils deviennent orphelins et leurs femmes veuves ; que leurs fils soient pourchassés et réduits à mendier leur pain ; qu’ils soient eux-mêmes arrachés à leurs habitations et que l’usurier spécule sur leur substance. Poursuis-les, mon Dieu, dans ta fureur ; couvre leur face d’ignominie. Amen. »
« Qu’ils soient maudits à la ville, aux champs et en tous lieux. Amen. »
« Qu’ils soient maudits lorsqu’ils sortent de chez eux et lorsqu’ils y rentrent. Amen. »
« Que le Seigneur les frappe de faim, de soif, de misère, de froid et de fièvre. Amen. »
« Que le Seigneur les frappe d’une plaie horrible, de la gale, de la rogne, de folie et d’aveuglement. Amen. »
« Qu’ils soient maudits toujours et partout ; qu’ils soient maudits la nuit, le jour et à toute heure, dormant et veillant, mangeant et jeûnant, parlant et se taisant, du sommet de la tête à la plante des pieds. Que toutes les parties de leur corps soient maudites. Qu’ils soient maudits debout, couchés, assis. Que leur sépulture soit celle des chiens et des ânes, et que les loups rapaces dévorent leurs cadavres. Amen. »
Le Xe siècle fut le plus ignare, le plus stupidement féroce et brutalement corrompu de tous les siècles de l’Ère chrétienne. Aucune hérésie ne s’y manifesta, parce qu’une hérésie suppose un travail intellectuel quelconque et que l’abrutissement général était absolu.
Le pape Grégoire V mourut le 11 février 999. Sylvestre II lui succéda.
Fin du dixième siècle.