Histoire politique de la Révolution française/Chapitre 3

CHAPITRE III

Bourgeoisie et démocratie
(1789-1790).

I. On ne tire de la Déclaration des droits, ni toutes les conséquences sociales, ni toutes les conséquences politiques. Il n’y a, à cette époque, ni socialistes ni républicains. — II. Organisation de la monarchie. — III. Organisation de la bourgeoisie en classe privilégiée. Régime censitaire. — IV. Mouvement démocratique. V. Application du régime censitaire. — VI. Les revendications démocratiques s’accentuent.

I. Nous avons vu que, dans la Déclaration des droits, discutée et votée du 20 au 26 août 1789, il y a implicitement toute la République démocratique et sociale.

On se garda bien d’appliquer tous ces principes, d’en tirer toutes les conséquences.

En réalité, on se borna à légaliser ce que le peuple avait fait, à consacrer les destructions et les acquisitions effectuées.

Au point de vue économique, on s’en tint à la révolution sociale proclamée dans la nuit du 4 août, à l’abolition de la féodalité. On modifia certaines manières de posséder. On affranchit la terre (du moins en principe) et l’homme. Bientôt on abolira le droit d’aînesse, on établira dans le mode d’hériter des règles propres à diviser davantage la propriété foncière, et la vente des biens nationaux par lots et parcelles accentuera encore cette subdivision.

Mais on ne s’attaque pas encore au principe même de l’héritage, quoiqu’il puisse être présenté comme logiquement contraire à l’article premier de la Déclaration, qui porte que les hommes naissent égaux en droits.

L’idée, soit d’un partage égal des terres entre tous les hommes, soit de la socialisation générale ou partielle des propriétés foncières, des capitaux, des instruments de travail, cette idée n’est alors, en 1789, soutenue par personne, ou si elle est formulée[1], c’est sans influence et aucun groupe ne l’accepte. Ce que nous appelons aujourd’hui le socialisme (et cela s’appelait alors la loi agraire), c’est une doctrine si peu répandue, si peu populaire, que les plus « conservateurs » des écrivains d’alors ne prennent même pas la peine de la critiquer ou de la foudroyer de leurs anathèmes[2].

Si on veut voir à quel point les esprits les plus hardis répugnaient, dans les premiers temps de la Révolution, au socialisme tel que nous l’entendons, il faut lire, dans la France libre de Camille Desmoulins, un dialogue supposé entre la Noblesse et les Communes. La Noblesse y critique l’idée de faire tout décider par la pluralité. Quoi ! dit elle, si le gros de la nation voulait une loi agraire, il faudrait donc s’y soumettre ! Les Communes, un peu embarrassées par cette objection, répondent que les propriétés sont dans le pacte social primitif, qui est au-dessus de la volonté générale, et elles ajoutent qu’en fait, les non-propriétaires ne devant pas être électeurs, il est impossible que la loi agraire passe[3].

On peut dire qu’il y a alors, et qu’il y aura quelque temps encore, un accord unanime pour écarter tout supplément de révolution sociale.

Au point de vue politique, on ne demande pas la république, on est d’accord pour garder la monarchie. Comment organisera-t-on la monarchie ? C’est là-dessus qu’on se divise. Personne ne réclame le rétablissement de l’absolutisme. Les opinions vont de l’idée d’un roi très fort, participant à la confection des lois, ayant le dernier mot en toutes choses, jusqu’à l’idée d’un roi annihilé, d’un soliveau, d’une sorte de président de république.

Que la France ne voulut pas la république en 1789, c’est prouvé, évident. Mais n’y eut-il pas un parti républicain à Paris, dans ces démagogiques conciliabules du Palais-Royal ? N’y eut-il pas au moins d’individuelles manifestations républicaines ?

Ce parti, ces manifestations, je ne les vois pas. J’ai beau chercher, je ne rencontre qu’un Français qui alors se dise républicain : c’est Camille Desmoulins. Dans sa France libre, écrite à la fin de juin 1789 et mise en vente le 17 juillet suivant, il déclare préférer la république à la monarchie, et, faisant sa confession politique, avoue avoir loué Louis XVI dans une Ode aux États généraux. Jusqu’au 23 juin, les vertus personnelles du roi avaient rallié Camille à la monarchie. Mais la séance royale l’a désabusé. Décidément, tous les rois sont les ennemis du peuple, et il ne faut plus de royauté. Néanmoins, se sentant seul de son avis, il n’insiste pas pour que le trône soit aussitôt renversé, et bientôt il aidera de sa plume les patriotes qui, comme Robespierre, chercheront à améliorer la royauté. Ce procureur général de la Lanterne est encore en 1789, malgré ses boutades contre les rois, résigné à la monarchie.

Et les autres agitateurs du Palais-Royal, ce Saint-Huruge, ce Danton ? Ils sont royalistes, comme le peuple dont ils excitent les passions. Et Marat ? Il a peu d’influence alors, mais il en aura tant demain qu’il faut noter son opinion d’alors. Il trace un plan de constitution[4] et c’est une constitution monarchique. Il admet expressément la monarchie héréditaire. Il veut mettre le roi « dans l’heureuse impuissance de faire le mal ». Mais il veut un roi inviolable : « Le prince, dit-il, ne doit être recherché que dans ses ministres ; sa personne sera sacrée. » Et il se vante « d’avoir tracé la seule forme du gouvernement monarchique qui puisse convenir à une grande nation, instruite de ses droits et jalouse de sa liberté ». À cette époque, s’il aime Rousseau, il adore Montesquieu, qu’il trouve « plus héroïque », et qu’il salue d’un long cri d’amour et de reconnaissance.

Dans les innombrables pamphlets de cette époque, un chercheur plus patient ou plus habile que moi trouvera-t-il un jour une autre manifestation républicaine que celle de Camille Desmoulins ? C’est possible ; mais, ce que je puis affirmer, c’est que je n’en ai rencontré aucune autre, et que, s’il s’en produisit une dans la presse ou dans les clubs, elle passa inaperçue de l’opinion.

Aucune gazette, même avancée, même le Patriote de Brissot, ne demande la république ou un autre roi. Les Révolutions de Paris seront plus tard démocrates, puis républicaines. En septembre 1789, c’est un journal monarchiste, dévoué à Louis XVI. Ainsi, on y lit, à propos d’une lettre royale qui demandait aux archevêques et évêques de venir au secours de l’État par leurs prières et leurs exhortations : « Un sage disait que les peuples seraient heureux quand les philosophes seraient rois ou que les rois seraient philosophes. Nous sommes donc à la veille d’être heureux, car jamais prince n’a parlé à son peuple, ou de son peuple avec autant de philosophie que Louis XVI[5]. » Et le même journal[6] constate avec satisfaction qu’au Théâtre-Français, le 9 septembre, le public fit répéter ces vers de la tragédie de Marie de Brabant par Imbert :

 
Puisse un roi, quelque jour l’idole de la France,
De l’hydre féodale abattre la puissance,
Et voir l’heureux Français, sous une seule loi,
Au lieu de vingt tyrans ne servir qu’un bon roi !

Et dans l’Assemblée nationale ? Y avait-il un parti républicain ou des républicains isolés ?

On l’a cru, on l’a dit.

Nous avons déjà rapporté[7], d’après Mallet du Pan, ce propos de l’ambassadeur des États-Unis, Gouverneur Morris, qui, causant avec Barnave dans les premiers jours de la Révolution, lui aurait dit « Vous êtes beaucoup plus républicain que moi. » Mais il faisait allusion à l’état d’esprit républicain que nous avons déjà caractérisé, et non à un projet d’établir la république en France. Et Barnave, fermement monarchique, théoricien et apologiste de la monarchie en toute circonstance, ne fit jamais aucune manifestation qui ne fût monarchique.

Des constituants, comme Mounier[8] et Ferrières[9], ont cru rétrospectivement, par une sorte de déformation logique de leurs souvenirs, qu’il y avait alors un parti républicain dans l’Assemblée, avec un comité secret : aucun fait ne confirme cette assertion.

Un autre constituant, Barère, imprima en l’an III qu’il n’avait pas « attendu le tocsin du 14 juillet 1789 et la Révolution du 10 août, pour être patriote, pour aimer la république[10] ». Et il ne disait pas cela pour les besoins de sa cause, car il avait plutôt alors, sous la réaction thermidorienne, à se défendre d’avoir été démagogue ; il le disait par une sincère illusion d’esprit ; il avait oublié la chronologie de ses propres évolutions d’opinion[11].

À ces allégations fantaisistes, opposons un important et peu connu témoignage contemporain, qui prouve qu’aucun constituant ne se disait alors républicain ou ne se laissait traiter de républicain : c’est celui de Rabaut Saint-Étienne, dans un discours imprimé par ordre de l’Assemblée.

Le 28 août 1789, on avait commencé à discuter l’article premier du projet du Comité de constitution, consacrant la monarchie, puis on avait passé à autre chose. Le 1er septembre, parlant de la sanction royale Rabaut Saint-Étienne s’exprima ainsi[12] :

« Il est impossible de penser que personne dans l’Assemblée ait conçu le ridicule projet de convertir le royaume en république. Personne n’ignore que le gouvernement républicain est à peine convenable à un petit État, et l’expérience nous a appris que toute république finit par être soumise à l’aristocratie ou au despotisme. D’ailleurs, les Français sont attachés de tout temps à la sainte, à la vénérable antiquité de la monarchie ; ils sont attachés au sang auguste de leurs rois, pour lequel ils ont prodigué le leur ; ils révèrent le prince bienfaisant qu’ils ont proclamé le restaurateur de la liberté française. C’est vers le trône consolateur que se tournent toujours les yeux des peuples affligés ; et quels que soient les maux sous lesquels ils gémissent, un mot, un seul mot, dont le charme magique ne peut être expliqué que par leur amour, le nom paternel du roi, suffit pour les ramener à l’espérance[13]. Le gouvernement français est donc monarchique ; et lorsque cette maxime a été prononcée dans cette salle, tout ce que j’ai entendu réclamer, c’est que l’on définît le mot de monarchie. »

Contre ces paroles, qui furent entendues et lues, personne ne protesta, ni dans l’Assemblée, ni au dehors. Ainsi, du haut de la tribune, un orateur provoqua les républicains à se montrer, et il ne s’en montra pas un[14]. Ainsi tous les Français, qui venaient d’acclamer la républicaine Déclaration des droits, étaient monarchistes, jusqu’à ne pas établir même une courte discussion sur la forme du gouvernement.


II Le débat sur la constitution eut donc lieu uniquement entre monarchistes, porta uniquement sur l’organisation de la monarchie. Il commença le 28 août 1789 et prit fin le 2 octobre suivant.

On débuta par la lecture et l’examen de l’article premier du projet de Mounier (déposé le 28 juillet) : « Le gouvernement français est monarchique ; il est essentiellement dirigé par la loi  ; il n’y a point d’autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle, et, quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger l’obéissance. »

Les motifs de garder la monarchie avaient été brièvement exposés dans un premier rapport du même Mounier (9 juillet 1789). Il y constatait qu’il y avait un roi depuis quatorze siècles, que « le sceptre n’a pas été créé par la force, mais par la volonté de la nation », que les Français « ont toujours senti qu’ils avaient besoin d’un roi », et, dans l’article 2 de « l’ordre de travail qui suivait ce rapport du 9 juillet, il était dit que le gouvernement monarchique « convient surtout à une grande société ».

Le débat qui s’engagea aussitôt ne porta nullement sur le principe monarchique, mais sur les applications de ce principe. L’abbé d’Eymar, on l’a vu[15], demanda (sans succès) que le premier article eut pour objet de déclarer dominante la religion catholique. Démeunier voulait qu’on dît : « La France est une monarchie tempérée par des lois. » Malouet, plus hardi que les autres, proposait comme première phrase : « La volonté générale de la nation française est que son gouvernement soit monarchique. » Selon lui, le pouvoir royal, émané de la nation, devait être subordonné à la nation. Adrien du Port aurait désiré qu’on parlât d’abord des droits de la nation, et Wimpffen, qu’on déclarât « que le gouvernement de la France est une démocratie royale[16] ». Robespierre n’intervint que pour proposer « des règles pour une discussion libre, paisible et aussi étendue que les différents points de la constitution pouvaient l’exiger[17] ».

On s’aperçut que l’on n’était pas d’accord sur la définition de la monarchie ; on pensa qu’avant de la définir il fallait l’organiser, et, ajournant l’article premier, on fixa les traits essentiels de cette organisation, les droits respectifs de la nation et du roi (troisième rapport de Mounier, du 31 août). On régla successivement les questions du veto, de la permanence de l’Assemblée, de l’unité du pouvoir législatif (une seule chambre), de l’inviolabilité royale, du mode d’hérédité de la couronne, et enfin, le 22 septembre 1789, revenant à l’article premier, on vota que « le gouvernement français est monarchique ».

Les amateurs de coïncidences remarqueront peut-être que la monarchie fut consacrée trois ans, jour pour jour, avant l’établissement de la République. Il est plus important de constater que ce vote fut enregistré sans commentaire, sans étonnement ou réclamation quelconque, par toutes les gazettes qui le mentionnèrent, par celles de Brissot, de Gorsas, de Barère, de Marat[18].

Voilà donc la monarchie consacrée par l’Assemblée constituante, et la République écartée, sans même qu’on lui eût fait l’honneur d’un débat.

L’inviolabilité de la personne royale avait été votée (15 et 16 septembre) par acclamation, à l’unanimité, et Marat n’avait critiqué, et encore à la réflexion, que le fait d’avoir défini les prérogatives du prince avant de fixer les droits de la nation[19].

Mais cette République, dont on ne veut même pas parler, on « l’infuse »[20]dans la monarchie, si largement que ce roi inviolable n’a plus presque aucun des pouvoirs d’un roi[21].

Voici, en effet, tout l’article voté le 22 septembre 1789 :

« Le gouvernement français est monarchique ; il n’y a point en France d’autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’en vertu des lois qu’il peut exiger l’obéissance. »

C’est clair, et cependant on craint que ce ne soit pas assez clair encore, que le pouvoir divin du roi ne paraisse pas suffisamment aboli et, le lendemain 23, sur la motion de Fréteau, cet article est voté : « Tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation, et ne peuvent émaner que d’elle. » On avait déjà dit cela dans la Déclaration[22] ; on le répète ici, pour bien montrer qu’il s’agit d’une monarchie subordonnée a la nation, et, afin de mieux affirmer encore cette subordination, cet article 2 devient l’article 1er et précède celui qui consacre la monarchie. Cela fut voté, d’après Gorsas[23], à l’unanimité et avec applaudissements.

Si l’on veut comprendre dans quel esprit la Constituante organisa la monarchie, il faut se rappeler que par ce mot : la nation, elle entendait une nouvelle classe privilégiée, celle que nous appelons la bourgeoisie.

Elle veut un roi qui soit entre ses mains, mais qui conserve assez de force pour la défendre contre la démocratie.

Ainsi elle accorde au roi le droit de veto, mais elle ne le lui accorde que suspensif, c’est-à-dire que les effets en cesseront « lorsque les deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret auront successivement représenté le même décret dans les mêmes termes[24] ». De la sorte, si le roi, s’appuyant sur un courant d’opinion démocratique, entreprenait de secouer la tutelle de la bourgeoisie, il n’y réussirait pas. Ce n’est donc pas seulement dans une vue révolutionnaire que l’on rejeta le veto absolu, mais aussi dans une vue anti-démocratique.

C’est ce que Paris ne comprit pas, quand il se leva contre le veto absolu.

C’est ce que Mirabeau comprit, quand, dans son discours du 1er septembre 1789, il présenta le veto absolu comme un moyen d’empêcher la formation d’une aristocratie également hostile au monarque et au peuple. « Le roi, dit-il, est le représentant perpétuel du peuple, comme ses députés sont ses représentants élus à certaines époques. » Cette « démocratie royale[25] », le peuple de Paris n’y comprit rien : il applaudit et siffla. Nous saisissons très bien aujourd’hui la politique de Mirabeau : le roi s’appuyant sur le peuple contre la nouvelle classe privilégiée, la bourgeoisie, comme il s’était jadis appuyé sur le peuple contre l’ancienne classe privilégiée, la noblesse.

Le roi ne comprit pas : il continua à faire cause commune avec la noblesse, cette moribonde, et la cause du peuple parut se confondre avec celle de la bourgeoisie, à tel point que le peuple, dans les querelles de la bourgeoisie et du roi, prit toujours parti pour la bourgeoisie.

Ainsi, le mouvement populaire d’opinion contre le système des deux Chambres, — système proposé par Mounier et le Comité de Constitution, — ne servit au fond qu’à la bourgeoisie, qui, comprenant mieux que Mounier ses véritables intérêts, repoussa l’idée d’une Chambre haute pour écarter la noblesse de la scène politique, et reprendra à son profit, en l’an III, l’idée d’une Chambre haute, quand la noblesse, émigrée ou incarcérée, ne sera plus à craindre.

De même, la permanence du Corps législatif, le droit de dissolution refusé au roi, ces mesures d’apparence démocratique ne furent prises que pour rendre le roi impuissant contre la bourgeoisie.

Empêcher qu’on ne démocratise le roi, faire qu’il n’existe que par et pour la nation bourgeoise, voilà une des intentions des auteurs de ces articles de constitution.

Si, dans la Déclaration des droits, il y avait en germe la République démocratique et sociale, on peut dire que, dans la constitution, il y avait en germe une République bourgeoise.

D’autre part, si nous laissons de côté pour un instant cette question de la bourgeoisie et de la démocratie, nous remarquerons que ces tendances involontairement républicaines ne se marquent pas seulement dans le texte même de la constitution monarchique de 1789, mais aussi et surtout dans la manière dont l’Assemblée demanda au roi son assentiment à la constitution. Elle voulut qu’il l’acceptât, sans lui accorder le droit de la repousser et sans lui permettre d’exercer, en cette matière, son droit de sanction. Il faut citer et peser la théorie qu’exposa Mounier, à cet égard, dans son rapport du 31 août 1789 :

« Je dois aussi, dit-il, prévenir une fausse interprétation de la sanction royale proposée par le Comité. Il entend parler de la sanction établie par la constitution, et non pour la constitution, c’est-à-dire de la sanction nécessaire aux simples actes législatifs.

« Le roi n’aurait pas le droit de s’opposer à l’établissement de la constitution, c’est-à-dire à la liberté de son peuple. Il faut cependant qu’il signe et ratifie la constitution, pour lui et ses successeurs. Étant intéressé aux dispositions qu’elle renferme, il pourrait exiger des changements mais, s’ils étaient contraires à la liberté publique, l’Assemblée nationale aurait, non seulement la ressource du refus de l’impôt, mais encore le recours à ses commettants, car la nation a certainement le droit d’employer tous les moyens nécessaires pour devenir libre. Le Comité a pensé qu’on ne devait pas même mettre en question si le roi ratifierait la constitution, et qu’il fallait placer la sanction dans la constitution même pour les lois qui seraient ensuite établies. »

Le 11 septembre, Guillotin demanda : « Le roi peut-il refuser son consentement à la constitution ? » Meunier et Fréteau répondirent qu’il était inopportun et dangereux de s’occuper en ce moment de cette question, « qui était convenue par tous les esprits[26] » et, « la question préalable ayant été réclamée, l’Assemblée, dit le procès-verbal, a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de délibérer quant à présent ».

Et le sens de ce vote fut encore précisé par Mirabeau, qui dit à la tribune « que, si l’Assemblée avait jeté un voile religieux sur la grande vérité qu’une constitution n’a pas besoin d’être sanctionnée, c’était parce qu’on avait cru que, dans les circonstances, cette vérité était dangereuse à énoncer, mais que le principe restait toujours le même, et qu’il ne pouvait jamais être abandonné[27]».

Les articles une fois votés, il fut décrété (1er octobre) que la Déclaration et la constitution seraient « présentées à l’acceptation du roi », et les débats qui précédèrent le vote de ce décret firent voir que ce mot d’acceptation était entendu dans ce sens, que le roi ne pouvait pas apposer son veto[28].

Ainsi l’Assemblée n’admet pas qu’en droit et en fait le roi puisse repousser la Constitution  : elle entend la lui imposer.

Quoi de plus républicain?

Le roi payait bien cher la faute qu’il avait commise en désertant son devoir politique de directeur de l’opinion, de directeur de la Révolution qui s’annonçait. Le voilà réduit à un rôle humilié et passif, que les Cahiers n’avaient ni demandé ni prévu[29].

Il se conduisit alors comme il s’était déjà conduit, soit avec les Parlements, soit avec l’Assemblée elle-même. Il eut un soubresaut de colère, puis il céda.

Quand, le 1er octobre 1789, on présenta les articles et la Déclaration à son acceptation (forcée !), il dit qu’il répondrait plus tard. Et la cour prépara un coup d’État. Le 5 octobre, il fit savoir qu’il n’acceptait les articles constitutionnels qu’avec réserve, et qu’il refusait de se prononcer sur la Déclaration des droits. Alors Paris intervint : une multitude armée se rendit à Versailles, et le roi, intimidé, donna son acceptation pure et simple. Le peuple l’emmena à Paris[30], où il dut résider, à demi prisonnier, et l’Assemblée l’y suivit.

La voilà donc, cette Assemblée, victorieuse encore une fois du roi, mais, encore une fois, grâce au peuple de Paris. La voilà à la merci de ce peuple. Elle aura désormais autant peur de la démocratie que de l’absolutisme, et de là sa politique de bascule, tantôt contre le roi, tantôt contre le peuple.

Contre le roi est rendu le décret du 8 octobre 1789, qui change son titre à forme absolutiste de roi de France et de Navarre en celui de roi des Français.

Puis elle en fait un roi à deux faces, ou plutôt à deux essences : Louis, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français (10 octobre), juxtaposant ainsi, dans une même formule et d’une façon empirique, le vieux principe mystique et le nouveau principe rationnel, l’ancien régime et la Révolution. C’est contre la démocratie qu’elle fait ainsi appel à la grâce de Dieu. C’est contre le roi, et en faveur de la classe bourgeoise, qu’elle invoque la loi constitutionnelle. Cette contradiction, ce fut ce qu’on appela, dans la langue politique d’alors, le mystère, qu’il n’était pas patriotique éclaircir. C’est aussi ce que Mirabeau avait appelé, dans un discours du 18 septembre 1789, « sauver la soudaineté du passage[31] ».

Contre le roi, par l’organisation départementale (22 décembre 1789), où il n’y a place pour aucun agent du pouvoir central, elle établit une sorte d’anarchie administrative[32].

Contre le peuple, elle vota (14 décembre) la loi d’organisation municipale.

On parle toujours de cette loi, comme si elle avait créé ou rétabli la vie municipale en France, ou comme si c’était une loi à tendances populaires. C’est tout le contraire. La révolution à forme municipale, de juillet-aout 1789, avait été démocratique, le peuple s’étant installé en maître sur la place publique ou dans l’église, y délibérant en armes. La loi du 14 décembre restreignit cette liberté, supprima la démocratie municipale ; elle ne permit plus aux citoyens des communes de se réunir qu’une fois et pour un seul objet : la nomination de la municipalité et celle des électeurs, et elle ne le permit qu’aux citoyens actifs. Il n’y eut plus même de ces assemblées générales d’habitants que l’ancien régime réunissait encore çà et là dans certains cas. Toute la vie municipale fut légalement concentrée dans la municipalité, choisie parmi les plus riches, par un suffrage censitaire. Cependant, cette loi concédait (article 12) aux citoyens actifs le droit « de se réunir paisiblement et sans armes en assemblées particulières pour rédiger des adresses et des pétitions ». Ces réunions tinrent lieu, jusqu’à un certain point, des assemblées d’habitants ; elles devinrent, en fait, un des organes importants de la vie municipale. Ce furent les clubs de Jacobins, qui maintinrent la Révolution, unifièrent la France et contribuèrent indirectement, et sans le vouloir d’abord, à l’avènement de la démocratie et de la république.


III Nous avons vu comment l’Assemblée nationale avait organisé la monarchie. Voyons comment elle organisa la bourgeoisie en classe politiquement privilégiée.

Le lecteur n’a pas oublié que les philosophes et les écrivains politiques du XVIIIe siècle avaient été unanimes — y compris Rousseau — contre l’idée d’établir en France la démocratie telle que nous l’entendons, le régime du suffrage universel, et les Français avaient encore été encouragés à répudier cette démocratie par l’exemple de ces Anglo-Américains, qui avaient établi dans leurs républiques un mode censitaire de suffrage.

Au début de la Révolution, c’est encore le même état d’esprit.

Ainsi, en juin 1789, Camille Desmoulins écrit[33] :

« Les hommes qui se sont réunis les premiers en société ont vu d’abord que l’égalité primitive ne subsisterait pas longtemps ; que, dans les assemblées qui suivaient la première, tous les associés n’auraient plus le même intérêt à la conservation du pacte social, garant des propriétés, et ils se sont occupés de mettre la dernière classe des citoyens hors d’état de le rompre. Dans cet esprit, les législateurs ont retranché du corps politique cette classe de gens qu’on appelait prolétaires, comme n’étant bons qu’à faire des enfants et à recruter la société ; ils les ont relégués dans une centurie sans influence sur l’assemblée du peuple. Éloignée des affaires par mille besoins, et dans une continuelle dépendance, cette centurie ne peut jamais dominer dans l’État. Le sentiment seul de leur condition les écarte d’eux-mêmes des assemblées. Le domestique opinera-t-il avec le maître, et le mendiant avec celui dont l’aumône le fait subsister ? »

Quelques semaines après, Camille Desmoulins changea d’avis, et il ne fut pas le seul. Il y eut bientôt des partisans du suffrage universel, de la démocratie, même parmi les disciples de Rousseau, même parmi ceux qui, comme Robespierre, adoraient Rousseau.

Pourquoi ?

Parce qu’un fait nouveau s’était produit : l’entrée en scène, la prise de robe virile du peuple qui, uni à la bourgeoisie, avait conquis la Bastille, opéré la révolution municipale dans toute la France.

Était-il juste ou possible de réléguer dans la centurie des prolétaires ces ouvriers qui avaient, dans la rue, fait reculer les troupes du roi, ces paysans victorieux de la féodalité, tant de Français armés ?

C’est cependant ce que fit l’Assemblée constituante.

Mais ce n’est plus là une de ces réformes où les patriotes sont unanimes, et qui semblent le résultat de la force des choses.

L’établissement du régime censitaire n’eut lieu qu’après des débats compliqués et tumultueux, et amena une scission parmi les hommes de la Révolution. Il y a désormais un parti démocratique et un parti bourgeois, innomés encore et à demi inconscients, et c’est dans le premier que se recruteront les éléments du futur parti républicain.

Tâchons d’élucider ce fait, assez mal connu, de l’établissement du régime censitaire, de l’organisation politique de la classe bourgeoise.

Dans le rapport fait par Mounier, au nom du Comité de Constitution, le 9 juillet 1789, il n’y avait rien sur le régime censitaire, ou presque rien : une vague protestation contre l’idée de « placer l’autorité arbitraire dans la multitude ». C’est peut-être que la bourgeoisie avait alors besoin de la « multitude » pour renverser le despotisme royal.

Après la prise de la Bastille, quand la bourgeoisie eut vaincu ce despotisme par le concours du peuple, quand elle crut pouvoir désormais se passer de ce concours, l’idée d’éliminer de la vie politique la partie la plus pauvre du peuple se fit jour, et, les 20 et 21 juillet 1789, Siéyès lut au Comité de la Constitution un travail intitulé : Préliminaires de la Constitution, reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme et du citoyen[34], où il distinguait les droits naturels et civils, qu’il appelait droits passifs, des droits politiques, qu’il appelait droits actifs. Il disait : « Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif ; tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc., mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l’établissement public, ne doivent pas influer activement sur la chose publique. Tous peuvent jouir des avantages de la société ; mais ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres de l’association. » À quoi reconnaissait-il « ces vrais actionnaires » ? Il ne le disait pas, il ne parlait pas formellement de condition censitaire. Mais on voyait clairement où il voulait en venir. Et il avait beau s’écrier : « L’égalité des droits politiques est un principe fondamental, elle est sacrée, etc. », il était clair qu’il entendait seulement par là que tous les citoyens actifs devaient avoir les mêmes droits politiques. En tout cas, c’est lui qui, le premier, prononça les mots d'actif, de passif, et proposa ces formules d’où allait sortir toute l’organisation bourgeoise.

C’est seulement quand la défaite de l’ancien régime parut définitive que les projets censitaires furent annoncés officiellement[35] dans le rapport que Lally-Tolendal fit au nom du Comité de constitution, le 31 août 1789. En y proposant le système des deux Chambres, il demandait que les membres de la « Chambre des représentants » fussent propriétaires, parce que, disait-il, les propriétaires sont plus indépendants. Pour ne pas exclure le mérite, il ne demandait qu’une propriété immobilière quelconque : « Ce sera, ajoutait-il, être moins rigoureux que les Anglais et même que les Américains, qui, en exigeant cette propriété, en ont déterminé la valeur. » Mais, quant à la Chambre haute, « chaque sénateur devra justifier d’une propriété territoriale à valeur déterminée (par l’Assemblée nationale) ».

Lally ne parlait que des conditions d’éligibilité. Mounier, dans un rapport et dans un projet qu’il déposa le même jour (31 août), dit que, « pour avoir le droit d’élire, il faudrait être domicilié depuis une année dans le lieu où se fait l’élection, et y payer une imposition directe égale au prix de trois journées de travail ». Et, quant à l’éligibilité, exprimant un avis un peu différent de celui de Lally, il voulait que, pour être éligible au « Corps législatif », on eût « depuis une année une propriété foncière dans le royaume[36] ».

L’Assemblée hésitait visiblement à violer ainsi l’article premier de la Déclaration des droits. On ne fit pas entrer le système électoral dans les articles constitutionnels décrétés en septembre ; on le renvoya au plan de division administrative du royaume.

Ce plan fut l’objet du rapport que Thouret déposa le 29 septembre 1789. Il y calculait que, la population de la France étant d’environ 26 millions d’habitants, il ne devait y avoir qu’environ 4 400 000 électeurs. Pour être citoyen actif, il demandait la condition de trois journées de travail ; pour être éligible à l’Assemblée de la commune et à celle du département, la condition de dix journées de travail ; pour être éligible à l’Assemblée nationale, la condition de payer une contribution directe égale à la valeur d’un marc d’argent. Tout ce système était proposé par Thouret brièvement, sèchement, sans raisons à l’appui.

C’est le 20 octobre 1789 que s’ouvrit le débat sur les conditions requises pour être citoyen actif.

Montlosier demanda la suppression des mots actifs et passifs. Mais il voulait qu’on réservât le droit de suffrage aux seuls chefs de famille.

LeGrand voulait qu’on se bornât à exiger une seule journée de travail[37].

La discussion traînait, comme si l’Assemblée avait honte d’éliminer de la cité ce peuple qui avait pris la Bastille. Une émeute parisienne (meurtre du boulanger François) fournit fort à propos des arguments à la bourgeoisie contre le peuple : le 21 octobre, la loi martiale fut votée au profit de l’ordre bourgeois qui s’annonçait. La discussion reprit le 22, plus vive, plus passionnée, et on y vit aux prises les bourgeois et les démocrates. « M. l’abbé Grégoire, dit un journaliste contemporain, s’est élevé, avec sa véhémence ordinaire et patriotique, contre cette condition : « L’argent, a-t-il dit, est un ressort en matière d’administration : mais les vertus doivent reprendre leur place dans la société. La condition d’une certaine contribution est un excellent moyen que propose le Comité de constitution pour nous replacer sous l’aristocratie des riches. Il est temps d’honorer l’indigent ; il a des devoirs à remplir comme citoyen, quoique sans fortune ; il suffit qu’il ait un cœur français[38]

Adrien du Port, qui était une des lumières de la bourgeoisie, s’éleva lui aussi, et au nom de la Déclaration des droits, contre toute restriction censitaire, et Defermon parla dans le même sens[39]. Reubell ne fut pas de cet avis ; mais il lui parut que ces mots : journées de travail, présentaient « une idée avilissante », et, « de même que le Comité proposait une contribution de la valeur d’un marc d’argent, comme condition d’éligibilité à l’Assemblée nationale, il suivait la progression en exigeant une contribution d’une once d’argent pour être éligible aux assemblées primaires[40] ». Et Gaultier de Biauzat, renchérissant, demanda deux onces d’argent« [41] . « M. Noussitou disait que, dans le Béarn, on n’avait jamais consulté la mesure des impôts, mais les lumières pour la représentation. M. Robespierre puisait dans la Déclaration des droits la preuve que les citoyens n’avaient pas besoin de payer une contribution pour exercer les droits politiques, sans lesquels il n’existerait pas de liberté individuelle[42]. »

Du Pont (de Nemours), « pénétré de l’idée que la propriété est la base fondamentale de la société[43] », émit un avis mixte : que tout homme fut éligible ; mais, pour être électeur, il faut être propriétaire[44].

Démeunier défendit le projet du Comité : « En payant trois journées de travail, dit-il, c’est un motif d’émulation et d’encouragement, et cette incapacité n’est que momentanée : le non-propriétaire le deviendra tôt ou tard[45]. » C’est déjà le Enrichissez-vous, de Guizot.

En somme, le suffrage universel fut demandé, dès lors, par cinq députés : Grégoire, Adrien du Port, Defermon, Noussitou et Robespierre. Quelle était l’importance numérique de la minorité au nom de laquelle ils parlaient ? Nous ne le savons pas, et il n’y eut pas de vote au scrutin. Cette minorité dut être assez faible, car nous voyons que des patriotes très « avancés » se résignaient au régime censitaire. Ainsi Petion dira à la tribune, le 29 octobre suivant : « D’un côté, je me disais que tout citoyen doit partager le droit de cité ; de l’autre, lorsque le peuple est antique et corrompu, j’ai cru remarquer quelque nécessité dans l’exception proposée par votre Comité de constitution. »

L’article fut voté séance tenante, et devint le troisième de la 1re section du décret du 22 décembre 1789. Il est ainsi conçu :

« Les qualités nécessaires pour être citoyen actif sont 1° d’être Français ; 2° d’être majeur de vingt-cinq ans accomplis ; 3° d’être domicilié de fait dans le canton, au moins depuis un an ; 4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ; 5° de n’être point dans l’état de domesticité, c’est-à-dire de serviteurs à gages[46]. »

Comment et à quel taux seraient évaluées les journées de travail ? Ce furent d’abord les autorités municipales qui eurent à faire cette évaluation[47]. Il y en eut qui arrêtèrent un chiffre trop élevé. Ainsi le Comité de Soissons les fixa à 20 sols, quoique le prix moyen de la journée de travail ne fût réellement dans cette ville que de 12 sols[48]. Il semble qu’ailleurs ce prix ait été fixé à plus de 20 sols. Aussi, le 15 janvier 1790, le décret suivant fut-il rendu : « L’Assemblée nationale, considérant que, forcée d’imposer quelque condition à la qualité de citoyen actif, elle a dû rendre au peuple ces conditions aussi faciles à remplir qu’il est possible, que le prix des trois journées de travail, exigées pour être citoyen actif, ne doit pas être fixé sur les journées d’industrie, susceptibles de beaucoup de variations, mais sur celles employées au travail de la terre, a décrété … que, dans la fixation du prix de la journée de travail à ce point de vue, on ne pourrait excéder la somme de 20 sols. »

C’est exceptionnellement que les municipalités tendaient à majorer le prix de la journée de travail, à « aristocratiser » le droit de suffrage. On verra plus loin qu’elles avaient en général une tendance à évaluer ce prix au-dessous de la réalité, à « démocratiser » le droit de suffrage, et cette tendance provoqua des observations et instructions du Comité de constitution (30 mars 1790). Il y était dit « que, si les municipalités peuvent évaluer les journées de travail à un prix inférieur à 20 sols, elles ne doivent pas abaisser ridiculement ce prix, pour augmenter leur influence ». Par exemple, pour une évaluation inférieure à 10 sols, elles devraient en référer à l’Assemblée nationale.

La question des trois journées de travail revint devant l’Assemblée dans la séance du 23 octobre 1790, où elle discuta le projet relatif à la contribution mobilière et personnelle, qui devint la loi du 13 janvier 1791. Le Comité de constitution essaya alors de rendre le mode de suffrage plus démocratique et proposa, par l’organe de Defermon, de faire payer à tous ceux qui avaient des ressources quelconques, sauf aux « ouvriers-manœuvres de la dernière classe », une contribution égale à la valeur de trois journées de travail. Les « ouvriers-manœuvres » pouvaient la payer volontairement, et alors ils seraient citoyens actifs. C’était presque le suffrage universel que le Comité tâchait ainsi d’établir par une voie indirecte. L’Assemblée se récria, au sujet de la clause qui permettait de payer volontairement la contribution des trois journées de travail ; on affecta de craindre la corruption, et, au milieu d’un tumulte, la question préalable fut votée. Rœderer insista pour que le reste de l’article fût rédigé de manière à exclure le plus d’ouvriers possible. Robespierre parla dans un sens démocratique[49]. Voici ce que vota l’Assemblée : « La contribution des trois journées de travail sera payée par tous ceux qui auront quelques richesses foncières ou mobilières, ou qui, réduits à leur travail journalier, exercent quelque profession qui leur procure un salaire plus fort que celui arrêté par le département pour la journée de travail dans le territoire de leur municipalité[50]. » C’était un peu élargir la base primitivement fixée. Par exemple, dans les communes ou la taxe de la journée de travail était fixée a 13 sols, un ouvrier qui gagnait 16 sols par jour devenait électeur.

D’autres mesures furent prises ou avaient été prises pour élargir encore un peu le suffrage. Ainsi, à Paris, le Comité de constitution autorisa « l’admission aux assemblées primaires de tout garde national ayant servi à ses frais, sans qu’il eût à justifier d’une autre contribution[51] ». La loi du 28 février 1790 édicta que les militaires et marins qui avaient servi seize ans au moins seraient électeurs et éligibles sans autre condition de cens[52]. Enfin, il semble que les ecclésiastiques aient été admis comme citoyens actifs aux assemblées primaires sans être astreints à la condition de trois journées de travail[53].

Il existe une statistique officielle de la population active de la France. Sur 26 millions d’habitants qu’on croyait que la France comptait alors, il y eut 4 298 360 citoyens actifs, si on en croit le recensement proclamé dans le décret du 28 mai 1791.

Telles furent les conditions requises pour être admis à voter au premier degré, pour faire partie des assemblées primaires, pour être citoyen actif[54]. Restait à régler les conditions d’éligibilité. Le Comité de constitution proposait d’exiger le paiement d’une contribution égale à la valeur locale de dix journées de travail : 1° pour être nommé électeur par les assemblées primaires ; 2° pour être élu membre de l’assemblée de département ; 3° pour être élu membre de l’assemblée de district ; 4° pour être élu membre des assemblées municipales. Le débat s’ouvrit le 28 octobre 1789 et se termina le même jour, par l’adoption du projet du Comité[55]. Il y avait eu un peu d’opposition. Du Pont(de Nemours) ne voulait aucune restriction censitaire au droit d’éligibilité, et Montlosier opinait de même : « Jean-Jacques Rousseau, disait-il, n’aurait jamais pu être élu.[56] » Au contraire, de Virieu demandait qu’on exigeât, en outre, la possession d’une « propriété foncière suffisante[57] ». Les députés démocrates ne semblent pas avoir « donné » dans cette circonstance[58] : ils se réservaient pour le débat sur le marc d’argent.

Ce débat sur le marc d’argent, c’est-à-dire sur les conditions d’éligibilité à l’Assemblée nationale, commença le 29 octobre 1789[59].

Le Comité de constitution, renonçant à exiger la possession d’une propriété foncière, demandait « qu’on s’occupât de la condition de payer une contribution foncière égale à la valeur d’un marc d’argent, pour être éligible en qualité de représentant, aux Assemblées nationales ».

Petion s’éleva contre toute condition censitaire d’éligibilité : « Il faut, dit-il, laisser à la confiance le soin de choisir la vertu[60]. »

Un autre député, reprenant l’idée primitive du Comité, demanda qu’on exigeât une propriété, en outre du marc d’argent[61].

Ramel de Nogaret réclama une exception en faveur des fils de famille, qui, dans les pays de droit écrit, ne pouvaient pas posséder tant que leur père était vivant.

L’abbé Thibault fit observer que la condition d’avoir une propriété foncière rendrait peut-être, à l’avenir, tout le clergé inéligible, et il déclara en outre qu’à son avis, un marc d’argent, c’était trop.

Démeunier défendit le projet du Comité, mais sans arguments intéressants.

Cazalès dit : « Le commerçant transporte aisément sa fortune : le capitaliste, le banquier, l’homme qui possède l’argent, sont des cosmopolites ; le propriétaire seul est le vrai citoyen ; il est enchaîné à la terre ; il est intéressé a sa fertilité ; c’est à lui à délibérer sur les impôts. » Et l’orateur allégua l’exemple de l’Angleterre, où, pour être membre de la Chambre des communes, il fallait avoir un revenu de 7 200 livres. Il demanda que la propriété foncière à exiger des éligibles fût d’un revenu d’au moins 1 200 livres[62].

Reubell et Defermon répliquèrent a Cazalès et soutinrent le projet du Comité.

Barère parla contre la condition d’avoir une propriété foncière, et, soutenu par quelques autres, proposa de substituer à la condition du marc d’argent celle de payer une contribution de la valeur locale de trente journées de travail. D’autres orateurs demandèrent que cette contribution pût être payée en grains.

Enfin, Prieur (de la Marne), reprenant l’idée de Petion, proposa de supprimer toute autre condition que celle de la confiance des électeurs, et, appuyé par Mirabeau, demanda la priorité pour cette motion : l’Assemblée vota contre la priorité.

Le premier amendement mis aux voix fut celui d’exiger une propriété foncière quelconque, en outre du marc d’argent : adopté. La minorité réclama, avec Grégoire et une partie du clergé : l’Assemblée ne revint pas sur son vote.

Second amendement : à quelle valeur sera fixée la propriété foncière ? Décrété qu’il n’y a pas lieu à délibérer la-dessus.

Troisième amendement : évaluer la contribution en journées de travail ou en grains. Décrété qu’elle sera évaluée en poids d’argent.

Quatrième amendement : qu’elle soit évaluée à un demi-marc, ou seulement à deux onces d’argent. Décrété qu’elle sera évaluée à un marc.

Alors, le président donna lecture de l’article décrété : « Pour être éligible à l’Assemblée nationale, il faudra payer une contribution directe équivalente à la valeur d’un marc d’argent, et, en outre, avoir une propriété foncière quelconque. »

On réclama ; on prétendit qu’on n’avait pas voté sur le fond et sur l’ensemble, etc.[63]. L’Assemblée alla aux voix, et déclara « que tout est décidé ». Les opposants insistèrent. La question des fils de famille revint sur le tapis et inspira un discours à Barère[64], et l’Assemblée, allant encore aux voix, décréta « que le décret a été rendu légalement ». Aussitôt, la discussion recommença, confuse, violente, comme si l’Assemblée avait des remords. Elle finit par se déjuger, et, allant une troisième fois aux voix, décida qu’elle « remettait la délibération au premier jour, laissant toutes choses en l’état ».

La délibération reprit le 3 novembre. Il y eut de nouveaux discours en faveur des fils de famille, de nouvelles tentatives pour faire rapporter le décret. L’Assemblée le confirma définitivement.

Le Comité de constitution essaya bientôt d’atténuer les effets antidémocratiques de ce décret sur le marc d’argent et du système censitaire en général. Le 3 décembre 1789, entre autres articles additionnels sur les élections, il proposa un article 6, ainsi conçu : « La condition de l’éligibilité, relative à la contribution directe déclarée nécessaire pour être citoyen actif, électeur ou éligible, sera censée remplie par tout citoyen qui, pendant deux ans consécutifs, aura payé volontairement un tribut civique égal à la valeur de cette contribution. »

Cette proposition souleva une tempête de protestations. On hua le Comité. « Mille voix réunies, dit Gorsas[65], ont crié : A l’astuce !» D’autres crient que la corruption va vicier le suffrage. Le Comité recule ; il amende l’article de manière qu’il ne s’applique plus qu’aux éligibles. Mirabeau soutient cette nouvelle rédaction[66]. L’article, mis aux voix, est repoussé. La minorité proteste, obtient l’appel nominal : l’article est définitivement repoussé, par une majorité de quelques voix[67].

Le Comité ne se découragea pas : le 7 décembre, il proposa un article 8, qui dispensait des conditions censitaires pour l’éligibilité, soit aux assemblées administratives, soit à l’Assemblée nationale, les citoyens qui obtiendraient les trois quarts des suffrages. Il y eut encore un débat tumultueux[68]. Virieu, parlant des citoyens exclus de l’éligibilité, s’écria : « Qu’ils deviennent propriétaires, et rien ne les empêchera d’en jouir ! » Rœderer et Castellane parlèrent en faveur du projet du Comité. Après un vote douteux, on recourut à l’appel nominal, et l’article fut rejeté par 453 voix contre 443[69].

La question du marc d’argent fut très habilement réintroduite et rouverte par Robespierre, dans la séance du 25 janvier 1790[70] : « En Artois, dit-il, la contribution directe personnelle est inconnue, parce que la taille personnelle ou la capitation y ont été converties par l’administration des États en vingtièmes et en impositions foncières. » Ce n’est donc que comme propriétaire foncier qu’en Artois on pourrait arriver à payer le marc d’argent. Et la plus grande partie des habitants de cette province se trouverait ainsi frappée d’une « exhérédation politique ». Robespierre ne demanda pas une mesure particulière pour l’Artois : le projet de décret qu’il lut avait pour objet d’ajourner l’application de la condition du marc d’argent jusqu’à l’époque où l’Assemblée aurait réformé le système d’impositions existant.

Comme toutes les propositions démocratiques, celle de Robespierre mit la majorité en colère. Il y eut réclamations, huées, tumulte, « ouragan et volcan », dit Le Hodey. On réclama la question préalable. Charles de Lameth demanda qu’on discutât, mais en ajournant à une autre séance. Un député[71] obtint le renvoi au Comité de constitution, qui fut chargé de préparer un décret. Robespierre eut gain de cause. En effet, le décret du 2 février 1790 édicta, article 6, que, dans les lieux où l’on ne percevait aucune contribution directe, il n’y aurait pas de condition censitaire pour être citoyen actif et éligible, jusqu’à la nouvelle organisation de l’impôt ; on exceptait seulement « dans les villes, les citoyens qui, n’ayant ni propriétés, ni facultés connues, n’auront, d’ailleurs, ni profession ni métier ; et, dans les campagnes, ceux qui n’auront aucune propriété foncière, ou qui ne tiendront pas une ferme ou une métairie de trente livres de bail ».

Cette nouvelle organisation, quant à l’objet qui nous occupe, ne fut réglée que par la loi du 13 janvier 1791.

Il suit de là, je veux dire de ces faits et de ces dates, que, dans une partie de la France, les élections administratives, judiciaires, ecclésiastiques eurent lieu par un suffrage presque universel ; mais que, pour les élections à l’Assemblée législative, on appliqua toute la rigueur du système censitaire : trois journées de travail, dix journées, marc d’argent.

Telle fut l’organisation légale du régime censitaire, et c’est ainsi que la bourgeoisie se forma en classe politiquement privilégiée[72].


IV Comment l’opinion accueillit-elle le régime censitaire et le privilège de la classe bourgeoise ?

Disons d’abord qu’au début il n’y a pas de protestation bien vive contre le principe même du cens. On accepte généralement la distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs, ou on s’y résigne. C’est le cens élevé pour l’éligibilité à l’Assemblée nationale, c’est le marc d’argent qui amène une révolte d’une partie de l’opinion.

D’autre part, je ne vois guère de publicistes, même parmi les plus démocrates, qui demandent ou acceptent tout le suffrage universel, tel que nous l’entendons. Ainsi, les gazetiers sont d’accord avec l’Assemblée constituante pour exclure les domestiques. Il y a des préjugés religieux contre les Juifs[73] ; il y a des préjugés sociaux contre les comédiens, contre le bourreau. Les Révolutions de Paris, ce journal si hardi, si révolutionnaire, admettent qu’un comédien puisse être électeur, mais non éligible[74] : « Croit-on, dit-il, que Frontin puisse être maire ? Conçoit on qu’il puisse descendre dans le parterre où l’on ferait quelque tumulte pour rétablir l’ordre, surtout lorsque ce tumulte viendrait de ce qu’on serait excédé de ses charges ou de ses quolibets ? Conçoit-on qu’il pût étudier des rôles, répéter, jouer et vaquer aux détails d’une administration publique, qui, dans les cas imprévus, le forceraient, au milieu d’une pièce, à troquer le caducée contre le bâton de commandement ? »

L’Assemblée nationale ne tint pas compte des préjugés sociaux : elle admit les comédiens et le bourreau à l’exercice des droits politiques. Mais elle tint pendant quelque temps compte des préjugés religieux. Le décret des 23 et 24 décembre 1789, qui admettait à l’électorat et à l’éligibilité les non-catholiques, en excluait provisoirement les Juifs[75]. Le décret du 28 janvier 1790 n’y admit qu’une partie des Juifs résidant en France, à savoir les Juifs portugais, espagnols et avignonnais. C’est seulement à la veille de se séparer, le 27 septembre 1791, que l’Assemblée se décida à assimiler tous les Juifs aux autres citoyens français.

L’opinion de Marat est intéressante à connaître parce que, dans son projet de constitution, il s’était exprimé en démocrate (quoique monarchiste). « Tout citoyen, avait-il dit, doit avoir droit de suffrage, et la naissance seule doit donner ce droit[76]. » Il n’excluait que les femmes, les enfants, les fous, etc. Cependant, dans son journal, il ne s’éleva contre le régime censitaire qu’à l’occasion du marc d’argent, quand Thouret le proposa en son rapport du 29 septembre 1789. Il prévit une aristocratie de nobles, de financiers. Il déclara préférer la lumière à la fortune. Mais il aurait voulu « écarter de la lice », c’est-à-dire rendre inéligibles, « les prélats, les financiers, les membres des Parlements, les pensionnaires du prince, ses officiers et leurs créatures », sans compter « une multitude de lâches », membres de l’Assemblée actuelle[77].

On a vu que Mirabeau était hostile au privilège de la classe bourgeoise cela n’empêcha pas son journal, le Courrier de Provence, de louer la condition des trois journées et de dire que cela rappelait à tous « l’obligation du travail[78] ».

La Chronique de Paris approuva d’abord la condition du marc d’argent[79]. Elle sembla se rallier à l’idée d’exclure provisoirement la plèbe de la cité politique, et publia une lettre d’Orry de Mauperthuy, avocat au Parlement, où, après avoir critiqué la condition d’avoir une propriété foncière, il disait[80] : « Il est cependant une classe d’hommes, nos frères, qui, grâce à l’informe organisation de nos sociétés, ne peuvent être appelés à représenter la nation : ce sont les prolétaires de nos jours. Ce n’est pas parce qu’ils sont pauvres et nus : c’est parce qu’ils n’entendent pas même la langue de nos lois. En outre, cette exclusion n’est pas éternelle : elle n’est que très momentanée. Peut-être aiguisera-t-elle leur émulation, provoquera-t-elle nos secours. Sous peu d’années, ils pourront siéger avec vous, et, comme on le voit dans quelques cantons helvétiques, un pâtre, un paysan du Danube ou du Rhin, sera le digne représentant de sa nation. Mieux vaudrait encore (si ce ne pouvait être la ressource de l’aristocratie expirante, et non expirée) s’en rapporter uniquement à la confiance des représentés. Voila le seul principe inviolable. » Il veut un cens pour être électeur, pas de cens pour être éligible. Quand le Comité de constitution proposa de rendre éligibles ceux qui paieraient volontairement la contribution nécessaire, la Chronique s’indigna du rejet de cette motion[81].

Il y a peu de chose dans le Patriote français sur le régime censitaire. Je vois seulement qu’à propos de la séance du 3 décembre 1789 et du décret sur le marc d’argent, ce journal dit : « On le maintenait par opiniâtreté, par envie d’humilier les citoyens peu aisés, par la manie de vouloir faire des classes dans la société[82]. »

Les deux journalistes qui, à cette occasion, manifestèrent avec le plus de netteté leurs opinions démocratiques furent Camille Desmoulins et Loustallot.

Le premier s’exprima ainsi : « Il n’y a qu’une voix dans la capitale, bientôt il n’y en aura qu’une dans les provinces contre le décret du marc d’argent. Il vient de constituer la France en gouvernement aristocratique, et c’est la plus grande victoire que les mauvais citoyens aient remportée à l’Assemblée nationale. Pour faire sentir toute l’absurdité de ce décret, il suffit de dire que Jean-Jacques Rousseau, Corneille, Mably n’auraient pas été éligibles. Un journaliste a publié que, dans le clergé, le cardinal de Rohan, seul, a voté contre te décret ; mais il est impossible que les Grégoire, Massieu, Dillon, Jallet, Joubert, Gouttes, et un certain moine qui est des meilleurs citoyens[83], se soient déshonorés à la fin de la campagne, après s’être signalés par tant d’exploits. Le journaliste se trompe. Pour vous, ô prêtres méprisables, ô bonzes stupides, ne voyez-vous donc pas que votre Dieu n’aurait pas été éligible ? Jésus-Christ, dont vous faites un Dieu dans les chaires, dans la tribune, vous venez de le reléguer parmi la canaille ! Et vous voulez que je vous respecte, vous, prêtres d’un Dieu prolétaire, et qui n’était pas même un citoyen actif ! Respectez donc la pauvreté qu’il a anoblie. Mais que voulez-vous dire avec ce mot de citoyen actif tant répété ? Les citoyens actifs, ce sont ceux qui ont pris la Bastille, ce sont ceux qui défrichent les champs, tandis que les fainéants du clergé et de la cour, malgré l’immensité de leurs domaines, ne sont que des plantes végétatives,pareilles à cet arbre de votre Évangile qui ne porte point de fruits, et qu’il faut jeter au feu[84]. »

Loustallot ne fut pas moins véhément contre le décret du marc d’argent[85]. Il prépara un vaste pétitionnement pour obtenir le rapport de ce décret et de la partie de l’organisation municipale déjà votée : « Déjà, dit-il, l’aristocratie pure des riches est établie sans pudeur. Qui sait si déjà ce n’est pas un crime de lèse-nation que d’oser dire : la nation est le souverain ? » Et il concluait par cet appel au roi : « Ô Louis XVI ! ô restaurateur de la liberté française ! vois les trois quarts de la nation exclus du Corps législatif par le décret du marc d’argent ; vois les communes avilies sous la tutelle d’un conseil municipal. Sauve les Français ou de l’esclavage ou de la guerre civile. Purifie le veto suspensif par l’usage glorieux que tu en peux faire dans ce moment. Conservateur des droits du peuple, défends-le contre l’insouciance, l’inattention, l’erreur ou le crime de ses représentants ; dis-leur lorsqu’ils te demanderont la sanction de ces injustes décrets : La nation est le souverain : je suis son chef ; vous n’êtes que ses commissaires, et vous n’êtes ni ses maîtres, ni les miens. »

Ces articles amenèrent-ils un mouvement d’opinion ? Ou furent-ils le résultat d’un mouvement d’opinion ? On ne sait on est assez mal renseigne par les journaux sur ce qui se disait dans la rue, dans les cafés, ou au Palais-RoyaI, relativement à l’établissement du régime censitaire. Je crois qu’à la première nouvelle de cet établissement le peuple de Paris ne s’émut pas, ne comprit pas. Il semble que ç’ait été une élite de citoyens actifs qui ensuite, expliqua aux citoyens passifs en quoi ils étaient lésés.

En tout cas, c’est après la publication des articles de Camille Desmoutins et de Loustallot qu’il y eut une première manifestation contre le régime censitaire, ou plutôt la première que nous connaissons vint après ces articles.

D’abord, il s’agit surtout du marc d’argent, et il semble, comme nous t’avons dit, qu’on se resignait aisément au reste.

Le 17 décembre 1789, le district de Henri IV prit un arrêté en vue de s’entendre avec les autres districts pour envoyer à Louis XVI une députation qui lui demanderait de refuser sa sanction au décret sur le marc d’argent[86]. Cette idée, si conforme à la politique de Mirabeau, d’user du veto et du pouvoir royal dans l’intérêt de la cause populaire, ne semble avoir eu ni écho ni suite quelconque.

Mais un certain nombre de districts protestèrent alors contre le marc d’argent[87].

Cette campagne était encouragée par le plus éminent des penseurs d’alors, par Condorcet, membre de la Commune de Paris depuis le mois de septembre. Lui aussi, jadis partisan du cens, il avait changé d’opinion, depuis que les prolétaires avaient fait acte de citoyens en aidant la bourgeoisie à prendre la Bastille, depuis que la populace de Paris, par cette opération raisonnable et héroïque, s’était élevée à la dignité de peuple.

Président d’un comité de la Commune qui était chargé de préparer un plan de municipalité, Condorcet avait lu à ce comité, le 12 décembre 1789, un mémoire où il demandait la révocation pure et simple du décret sur le marc d’argent. Il se fit autoriser par ses collègues à présenter officieusement ce mémoire au Comité de constitution de l’Assemblée nationale, qui, désireux (on l’a vu) d’élargir la base électorale, répondit que, si Paris joignait sa voix à celles des autres villes, cette manifestation pourrait avoir de l’influence, et « qu’ainsi c’était le cas de consulter sur ce point l’Assemblée générale et les districts[88] ».

Alors Condorcet présenta officiellement un mémoire à la Commune[89] qui arrêta (28 janvier 1790) que ce mémoire serait présenté à l’Assemblée nationale, « après que la majorité des districts aurait manifesté son vœu ». Mais il ne semble pas que la Commune, alors plutôt bourgeoise de tendances, ait convoqué les districts à cet effet. Ceux-ci se mirent en mesure d’agir par eux-mêmes. Déjà, le 9 janvier, le district de Saint-Jean-en-Grève avait provoqué une réunion de commissaires des districts, qui dut avoir lieu le 31 janvier. Il fut rédigé une « adresse de la Commune de Paris dans ses sections », en date du 8 février 1790, qui ne fut signée que de 27 districts sur 60, mais qui exprimait certainement, comme l’a bien montré l’éditeur des Actes de la Commune de Paris[90], l’opinion de la majorité des districts. On y suppliait l’Assemblée de revenir, non seulement sur le décret du marc d’argent, mais sur toute disposition censitaire. On y déclarait contraire à la Déclaration des droits qu’il y eût quatre classes dans la nation : la classe des éligibles au Corps législatif ; la classe des éligibles aux assemblées administratives ; la classe des citoyens actifs, électeurs dans les assemblées primaires ; « une quatrième enfin, déchue de toute prérogative, courbée sous la loi qu’elle n’aura ni faite, ni consentie, privée des droits de la nation dont elle fait partie, retracera la servitude féodale et mainmortable[91] ».

Présentée le 9 février à l’Assemblée nationale, cette adresse fut renvoyée au Comité de constitution. Le lendemain 10, le président de la députation des districts, nommé Arsandaux, insista vainement par lettre auprès du président de l’Assemblée pour être entendu à la barre : « Ce n’est pas, dit-il, un particulier, c’est tout Paris dans ses sections, c’est la France entière qui réclame contre le décret du marc d’argent[92].» L’adresse des districts ne fut l’objet d’aucun rapport.

Mais Paris était d’autant plus intéressé à la question qu’il se trouvait, du fait de l’ancien régime, dans une situation exceptionnelle, une foule de citoyens n’y payant d’autre impôt direct que la capitation. Or, Louis XVI avait fait remise de la capitation, pour plusieurs années, à tous les Parisiens qui avaient été taxés au-dessous de six livres. Cette grâce royale se trouvait avoir diminué par avance le nombre des citoyens actifs, surtout dans les faubourgs Saint-Marceau et Saint-Antoine[93]. J’ai trouvé, dans les papiers du Comité de constitution, une longue et respectueuse pétition des « ouvriers du faubourg Saint-Antoine », qui fut reçue par l’Assemblée nationale le 13 février 1790. Ils y protestent contre la distinction en actifs et en passifs. D’autre part, s’ils ne sont pas citoyens actifs, c’est parce qu’ils ne paient pas de contribution directe. Ils sollicitent la faveur d’en payer une, pour n’être plus des « ilotes ». Ils demandent que, dans tout le royaume les impositions indirectes et autres soient remplacées par une imposition directe unique de 2 sols par tête, soit 36 livres par an, ce qui donnera une recette annuelle de 900 millions au plus, de 600 millions au moins. Et les vingt-sept signataires de cette pétition affirment que tous les ouvriers du faubourg sont d’accord avec eux[94]. Les journaux ne signalèrent même pas cette démarche, et l’Assemblée nationale n’en tint aucun compte.

V C’est dans les départements que se fit la première expérience du mode censitaire de suffrage, par les élections municipales de janvier et février 1790.

Il y a, dans les papiers du Comité de constitution, quelques renseignements sur la manière dont cette expérience fut faite et accueillie.

Voici, par exemple, une lettre de Mouret, syndic de Lescar, à « monseigneur le président de l’Assemblée nationale », du 7 mars 1790. Il mande que les élections municipales ont eu lieu le 26 février. La commune compte environ 2200 habitants. On a élu un maire, cinq officiers municipaux et douze notables. « Le scrutin n’a pu rendre autre chose dans le moment, à raison de l’article du décret qui exige dix journées de travail pour être éligible ; il en serait autrement, si cette condition était modérée, si elle était fixée à 40 sols pour élire et à 4 francs pour être élu. Les deux tiers des habitants de cette ville ne seraient pas exclus, comme ils sont, de participer aux charges honorables, et condamnés à croupir dans une inaction avilissante. » Et il signale la contradiction criante avec la Déclaration des droits[95].
La municipalité de Rebenac en Béarn écrit, en mars 1790, que dans cette paroisse, qui compte environ 1100 âmes, et dont les habitants sont en partie laboureurs et en majeure partie « fabricants de laine et autres métiers », la journée de travail a été fixée à 6 sols, sans quoi il n’y aurait eu que 12 éligibles, tandis qu’il en fallait 19 pour former la municipalité. Il s’est trouvé environ 130 citoyens actifs.

Quelques municipalités prennent sur elles de modifier la loi électorale. Ainsi celle de Saint-Félix, diocèse de Lodève, est dénoncée (6 février 1790) pour avoir admis comme citoyen actif un certain Vidai fils, qui, étant sous la puissance paternelle, ne paie aucune contribution[96]. M. de Rozimbois, docteur en droit, capitaine commandant de la garde nationale, écrit de Beaumont en Lorraine, le 19 février 1790, que, dans les assemblées auxquelles il a assisté comme citoyen actif, il a été surpris de voir le peuple s’ériger « en souverain législateur », et décider « qu’on pouvait être électeur à moins de vingt-cinq ans et avec cinq ou six mois de domicile[97] ».

Que fallait-il entendre au juste par contribution directe ? Voila ce qu’on ignorait généralement. Deux citoyens de Nîmes se plaignent (27 janvier 1790) qu’on n’ait pas voulu les inscrire comme actifs et éligibles, quoiqu’ils paient 19 livres 5 sols chacun pour décimes, sous prétexte que ce n’est pas là une contribution directe[98]. Le 3 décembre 1789, les citoyens de Marseille avaient fait remettre une adresse au Comité de constitution pour avoir des éclaircissements à ce sujet, et ils en reçurent la note suivante :

« Le Comité de constitution de l’Assemblée nationale, consulté par les députés de la ville de Marseille, sur l’adresse du conseil municipal de cette ville, en date du 31 décembre 1789, déclare que les décrets de l’Assemblée doivent être exécutés selon les principes suivants « Les contributions directes de trois et de dix journées de travail, qui servent de règle pour pouvoir exercer les fonctions de citoyen actif, d’électeur et d’éligible, sont toutes celles que chaque citoyen paie directement, soit à raison des impositions établies sur les biens dont il est propriétaire, soit à raison de son imposition personnelle. Ainsi le vingtième, la taille, leurs abonnements, les impositions territoriales, les impositions par retenue sur les rentes, la capitation, toutes impositions personnelles, réelles ou abonnées, et généralement toutes impositions autres que celles qui se paient sur les consommations, sont des contributions directes, dont la quotité sert de règle pour le titre de citoyen actif, d’électeur, ou d’éligible.

« La journée de travail est celle du simple journalier, et doit être évaluée sur le pied de ce qu’elle est payée habituellement dans chaque lieu, soit à la ville, soit à la campagne ; et par conséquent cette évaluation doit être différente entre la ville et la campagne, lorsque le prix de la journée y est différent.

« Arrêté au Comité de constitution, le 4 janvier 1790[99]. »

Cette réponse parvint sans doute trop tard aux Marseillais, et, quand ils la reçurent, il est probable qu’ils avaient déjà dressé, à leur fantaisie, leur liste de citoyens actifs. Il n’y eut, en réalité, pour l’établissement de ces listes et l’appréciation du caractère direct ou non de la contribution, aucune règle uniforme.

Voici une autre difficulté, que signalent le maire et les membres du bureau municipal de Vannes (18 mars 1790), et qui ne se rapporte pas, celle-là, aux élections municipales, mais qui signale bien les imperfections du système électoral en général. Ils font observer que chaque municipalité, dans le district et dans le département, ayant eu la liberté de fixer comme elle l’entendait, le taux de la journée de travail, « il s’ensuit que tel est citoyen actif à 30 sous dans un endroit, qui ne le serait qu’à un écu dans un autre ». Cette base incohérente servira-t-elle à établir l’éligibilité aux fonctions d’électeur du second degré, de membre du district ou du département ? « Un habitant d’un canton ou la journée a été fixée à 10 sols sera-t-il éligible pour les département et districts, lorsqu’il paiera 100 sols de contribution directe, tandis qu’un habitant d’un autre canton, ou elle a été fixée à 20 sols, ne pourra être élu, s’il ne paie le double de la contribution du premier ? » Cela donnerait trop d’avantage aux campagnes, dont les électeurs ne seraient pas en nombre proportionné à ceux des villes. Il faudrait qu’un décret fixât uniformément le prix des dix journées de travail[100].

On signale aussi, çà et là, d’autres conséquences absurdes du régime censitaire. Ainsi Lhomme, maître en chirurgie, écrit de Sancoins, le 18 décembre 1789, qu’il a un fils en bas âge, qu’il aurait voulu le faire instruire avec soin, et qu’il y renonce, parce qu’il y faudrait des dépenses qui diminueraient sa fortune au point de priver plus tard ce fils de l’éligibilité il faudra donc qu’il soit ignorant pour être éligible[101].

Autre difficulté la loi dit que les citoyens doivent écrire leurs bulletins mais comment fera-t on pour les illettrés ? À Die, ou le tiers de la population est illettré, les élections sont suspendues (3 février 1790), jusqu’à ce qu’on ait reçu la décision de l’Assemblée nationale à ce sujet[102]. Les gens de Die ne pouvaient savoir à cette date que, trois jours avant, le 2 février 1790. l’Assemblée nationale avait décrété que les bulletins des illettrés seraient écrits par les trois plus anciens électeurs lettrés[103]. Cette loi fut connue trop tard dans une partie de la France, et il n’y eut pas plus de règle uniforme pour l’admission des illettrés qu’il n’y en avait eu pour l’évaluation de la contribution directe.

Toutefois les réclamations, soit collectives, soit individuelles[104], furent assez peu nombreuses. En général, on accepta docilement les décrets sur le régime censitaire, on les appliqua avec bonne volonté, le plus souvent sans plainte aucune, et il n’y eut pas, contre le cens, de grand courant d’opinion.


VI Mais Paris intervint de nouveau, et avec plus d’insistance. C’est quand il eut vu fonctionner le régime censitaire qu’il en comprit la portée et les inconvénients. Il fallut aux ouvriers parisiens une « leçon de choses » pour qu’ils saisissent bien le sens de ce mot passif, et aussi, pour qu’il se produisît un sérieux mouvement d’opinion, il fallut que la bourgeoisie se sentît lésée par le marc d’argent.

On fut très ému par la loi du 18 avril 1790, où les impositions directes de Paris étaient calculées uniquement sur le prix du loyer. Il en résultait que, dans la capitale, il fallait avoir un loyer d’au moins 750 livres pour payer 50 livres d’impositions directes, c’est-à-dire pour pouvoir être éligible à l’Assemblée nationale. Pour un loyer de 699 livres, par exemple, on ne payait que 33 livres. Une foule d’hommes aisés et notables se trouvaient ainsi inéligibles il n’y a qu’a parcourir les Petites Affiches pour se convaincre qu’à un prix inférieur à 750 livres on pouvait avoir un appartement très convenable, très « bourgeois ».

C’est en alléguant les inconvénients de cette loi du 18 avril 1790 que, le lendemain 19, Condorcet fit décider par la Commune que l’adresse rédigée par lui serait présentée à l’Assemblée nationale.

Cette adresse est fort remarquable. Condorcet y marque éloquemment la contradiction entre la Déclaration des droits et le régime censitaire. Une des objections qu’il fait au marc d’argent, c’est « qu’un décret qui supprimerait un impôt direct priverait de l’éligibilité des millions de citoyens ». Il admettrait une « taxe légère pour être citoyen actif, mais il ne veut point de taxe pour être éligible[105]. Déposée sur le bureau de la Constituante le 20 avril 1790, l’adresse de la Commune n’obtint qu’un simple accusé de réception.

L’opposition au régime censitaire s’accentuait chaque jour davantage. Elle se manifesta, d’une manière très vive, dans le journal de Marat du 30 juin 1790, où on lit une prétendue supplique des citoyens passifs[106] : « Il est certain, y dit Marat, que la Révolution est due à l’insurrection du petit peuple, et il n’est pas moins certain que la prise de la Bastille est principalement due à dix mille pauvres ouvriers du faubourg Saint-Antoine. » Dix mille pauvres ouvriers ! Marat exagère, de même qu’il exagère quand il prétend faire sa supplique au nom de « 18 millions d’infortunés privés de leurs droits de citoyens actifs », puisqu’il n’est pas probable qu’il existât plus de trois millions de citoyens passifs[107]. Mais il n’exagère pas quand il montre qu’il y a une nouvelle classe privilégiée, et ses menaces à la bourgeoisie ont un intérêt historique : « Qu’aurons-nous gagné, dit il, a détruire l’aristocratie des nobles, si elle est remplacée par l’aristocratie des riches ? Et si nous devons gémir sous le joug de ces nouveaux parvenus, mieux valait conserver les ordres privilégiés. Pères de la patrie, vous êtes les favoris de la fortune ; nous ne vous demandons pas aujourd’hui à partager vos possessions, ces biens que le ciel a donnés en commun aux hommes connaissez toute l’étendue de notre modération, et, pour votre propre intérêt, oubliez quelques moments le soin de votre dignité, dérobez vous quelques moments aux douces rêveries de votre importance, et calculez un instant les suites terribles que peut avoir votre irréflexion. Tremblez qu’en nous refusant le droit de citoyens, à raison de notre pauvreté, nous ne le recouvrions en vous enlevant le superflu. Tremblez de nous déchirer le cœur par le sentiment de vos injustices. Tremblez de nous réduire au désespoir et de ne nous laisser d’autre parti à prendre que celui de nous venger de vous, en nous livrant à toute espèce d’excès, ou plutôt en vous abandonnant à vous-mêmes. Or, pour nous mettre à votre place, nous n’avons qu’à rester les liras croisés. Réduits alors a vous servir de vos mains et à labourer vos champs, vous redeviendrez nos égaux ; mais, moins nombreux que nous, serez-vous surs de recueillir les fruits de votre travail ? Cette révolution qu’amènerait infailliblement notre désespoir, vous pouvez la prévenir encore. Revenez a la justice, et ne nous punissez pas plus longtemps du mal que vous avez fait. »

Marat est le premier qui ait ainsi nettement posé — et on a vu avec quelle véhémence — la question politique et sociale. Quelle influence eut son article ? On ne sait, et les autres journaux ne le mentionnèrent pas. Il ne fut pas cependant sans écho, comme le prouvent le succès de l’Ami du peuple et le fait que Marat se soit senti encouragé à poursuivre cette campagne démocratique avec une hardiesse chaque jour croissante. Il osa même s’attaquer au club des Jacobins, en juillet 1790[108] : « Qu’attendre de ces assemblées d’imbéciles, qui ne rêvent qu’égalité, qui se vantent d’être frères, et qui excluent de leur sein les infortunés qui les ont affranchis ? » Ce n’est pas qu’il croie à la sagesse du peuple, ni qu’il le flatte toujours. Au lendemain des journées d’octobre 1789, il avait écrit[109] : « Ô mes concitoyens, hommes frivoles et insouciants, qui n’avez de suite ni dans vos idées, ni dans vos actions, qui n’agissez que par boutades, qui pourchassez un jour avec intrépidité les ennemis de la patrie, et qui, le lendemain, vous abandonnez aveuglément à leur foi, je vous tiendrai en haleine, et, en dépit de votre légèreté, vous serez heureux, ou je ne serai plus. » Au besoin, il prodigue au peuple les épithètes d’esclaves, d’imbéciles[110]. Il veut que ce peuple soit mené par un homme sage. Il rêve peut être pour lui même une dictature de la persuasion. Plus tard, c’est un dictateur quelconque qu’il demandera. C’est une démocratie césarienne qu’il voudrait, mais il est, à sa manière et depuis qu’il a vu fonctionner le régime censitaire, partisan du suffrage universel.

C’est ainsi que, césarien chez Marat, libéral chez la plupart, s’annonce déjà, surtout dans les journaux, un parti démocratique, dont le programme est alors d’obtenir la suppression du cens en général (et c’est le programme des plus avancés), ou tout au moins (et c’est le programme des politiques pratiques) la suppression du cens d’éligibilité, une atténuation des effets les plus anti-populaires du système bourgeois qui vient de s’établir.

  1. Peut-être trouverait-on dès lors des revendications socialistes dans les écrits de l’abbé Fauchet. Mais quels sont ceux de ces écrits qui parurent réellement en 1789 ? Rien de plus confus que la bibliographie des divers libelles, périodiques ou non, de Fauchet, de Bonneville et de leur groupe.
  2. Il arrive qu’à la tribune de la Constituante, en 1789, on parle du danger de la loi agraire, mais par hypothèse. Ainsi l’abbé Maury (13 octobre 1789) dit que la spoliation du clergé pourrait légitimer « toutes les insurrections de la loi agraire ».
  3. Camille Desmoulins, Œuvres, éd. Claretie, t. I, p. 84, 85.
  4. Marat, La Constitution, Paris. 1789, in-8o. Bibl. nat., Lb 39,7221.
  5. Révolution de Paris, no IX. p. 10.
  6. Ibid., p. 30.
  7. Voir plus haut, p. 6, note 1.
  8. Recherches sur les causes, etc., t.I, p. 260.
  9. Mémoires, 1re éd., t. I, p. 203.
  10. Voir sa Défense, Bibl. nat., Lb41/1629, in-8o.
  11. Je crois que les Jacobins de Dôle furent en proie à la même illusion, quand ils écrivirent à la Convention nationale, le 29 septembre 1792 : « Nous étions déjà républicains avant la prise de la Bastille ; nous abhorrions les rois… » (Arch nat., C, 237, dossier 238, pièce 17.)
  12. Opinion de Rabaut Saint-Etienne sur la motion suivante de M. le Vicomte de Noailles… (relative à la sanction). Cette opinion est reliée dans le Procès-verbal de la Constituante, t. IV.
  13. Rien n’était plus exact. Le nom du roi, uni à celui de l’Assemblée nationale, suffisait, dans les premiers temps de la Révolution, pour ramener le calme dans les esprits les plus troublés. Deux commissaires du roi lui racontèrent en ces termes comment ils avaient apaisé, en janvier 1791, une sédition de paysans dans le département du Lot : « Sire, nous éprouvons une bien douce satisfaction à vous le dire : votre nom et celui de l’Assemblée nationale produisaient tout à coup dans les esprits une impression qui, sans nous étonner, nous pénétrait d’attendrissement. A peine avions-nous prononcé ces noms, qu’il ne faut plus désunir, que le sentiment de la joie, du bonheur et de la reconnaissance se peignait sur tous les visages ; ces noms, enfin, qui rappelaient tant d’actes de bienfaisance et de justice, étaient, pour les bons habitants de la campagne, les meilleurs de tous les raisonnements, et nous ont suffi plus d’une fois, pour toucher leur âme et convaincre leur raison.. » (Rapport de MM. J. Godard et L. Robin, p. 29. Bibl. nat., Le 29/l 410, in-8.)
  14. Pourrait-on dire qu’ils cachaient leur jeu ? On lit dans les Mémoires de Ferrières (1ere éd., t. I p. 203) : « Le premier article excita de longs débats, non sur le fond, quelque désir qu’eussent les révolutionnaires d’anéantir le gouvernement monarchique et d’y substituer un gouvernement républicain : ils n’étaient pas alors assez puissants pour oser montrer à découvert leurs intentions. » Mais il faut remarquer que Ferrières écrivait cela sous le Directoire (ses Mémoires parurent en l’an VII), et que ses souvenirs étaient déjà assez lointains
  15. Voir plus haut, p. 44.
  16. Courrier de Provence, n°XXXIV. Cf. Patriote français, n° XXX, et Point du Jour, t.II, p. 236.
  17. Point du Jour, t. II, p. 237.
  18. Voir le Patriote français, n° LII ; Gorsas, p. 417 ; Barère, t. III, p. 76 ; Marat, n° XIII, p. 117.
  19. Ami du peuple, n° VI, p. 39, et n° XII, p. 110.
  20. Selon le mot et le conseil de d’Argenson. Voir plus haut, p. 11.
  21. Le caractère fragile de cet édifice à la fois monarchique et républicain aurait été dès lors aperçu, d’après un témoignage rétrospectif de Du Pont (de Nemours), par quelques députés, qui auraient dit : « Vous avez tissu une république; vous voulez broder dessus une monarchie ; l’aiguille accroche, et l’étoffe risque de ne pas durer.» Voir le journal l’Historien, n° du 1er frimaire an IV, p. 12. Bibl. nat., Le 2/900, in-8.
  22. Article 3 de la Déclaration : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ; nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
  23. Courrier de Versailles à Paris et de Paris à Versailles, t. III, p. 134. Bibl.nat., Le 2/159, in-8.
  24. Chaque législature devait durer deux ans.
  25. Selon le mot de Wimpffen. Voir plus haut, p. 54. Ce mot resta longtemps célèbre. Même sous Louis-Philippe, il importunait et effrayait les partisans du régime bourgeois. Ainsi Royer-Collard disait à la tribune, en 1831, dans le débat sur l’ hérédité de la pairie : « Allons au vrai : la démocratie royale, qu’elle daigne ou non garder son fantôme de royauté, est ou sera bientôt la démocratie pure. » (Voir ce discours dans la Vie politique de Royer-Collard par M. de Barante, t. II, p. 169.)
  26. Point du Jour t. II, p. 333. D’après Le Hodey (t.III, p. 398) Mounier aurait dit : « Le roi n’a pas de consentement à donner à la constitution : elle est antérieure à la monarchie.» Et Fréteau, d’après le même journaliste, aurait exprimé la crainte que, si on demandait au roi son consentement, il répondit qu’il ne l’accorderait que quand elle aurait été ratifiée par le peuple : « qu’alors les commettants deviendraient juges de la constitution, et qu’il en pourrait résulter de grands maux ».
  27. Point du Jour, t. II, p. 375.
  28. Voir le résumé de la discussion dans le Point du Jour, t. III, p 185, et les réflexions de Barère, p. 186. Cependant le Journal de Le Hodey t. IV, p 331, dit que ce vote ne préjugea pas la grande question du veto en matière de constitution. Mais il ne saurait y avoir de doute sur les intentions de l’ Assemblée : elle évita seulement de trancher la question par un décret formel.
  29. Notons ici que c’étaient maintenant les réactionnaires qui alléguaient les cahiers, les objectaient aux révolutionnaires. On n’osait plus guère s’autoriser des cahiers à la tribune. Ainsi, dans la séance du 7 décembre 1789, à propos du projet d’atténuer la rigueur de la condition du marc d’argent, le marquis de Foucauld-Lardimalie dit en souriant : « Je suis forcé de vous citer mon malheureux cahier. » Le journaliste Le Hodey (t. VI, p. 319), qui rapporte ce propos (cf. Point du Jour, t.V, p.39), ajoute cette remarque : « L’Assemblée regarde les Cahiers comme un conte de fée, et rarement l’on peut s’empêcher de rire, quand un député veut en argumenter. La raison, c’est que tous ces messieurs les ont outrepassés et que les circonstances l’ont voulu.» Dans des fragments de mémoires intitulés : Extraits de mon journal, publiés en septembre 1791 (in-8 de 128 p. ; Bibl. nat., Lb 39/5289), le constituant Félix Faulcon s’exprime ainsi : « Je ne dirai pas que la plupart de ces cahiers étaient contradictoires, que l’un défendait ce qui était commandé par l’autre, et que, si chaque député eût voulu s’y astreindre littéralement, il eut été impossible de rien faire, ou de faire autre chose que la besogne la plus monstrueuse et la plus incohérente ; je ne chercherai point à soutenir (ce que pourtant je me ferais fort de prouver) qu’il n’est aucune de nos opérations qui n’ait été réclamée par un ou plusieurs cahiers, et que d’ailleurs elles ont toutes été sanctionnées par le vœu national, manifesté si souvent dans les nombreuses adresses d’adhésion… Mais en vérité, aujourd’hui que depuis deux ans l’horizon de nos lumières s’est si prodigieusement agrandi, comment peut-on encore avoir l’impudeur de soutenir que nous devions poser les bases d’une constitution libre sur des principes qui avaient été dictés sous la verge et dans la peur du despotisme ? Était-ce donc des hommes courbés partout sous le joug de toutes les oppressions qui pouvaient s’énoncer avec une entière franchise ? Comment auraient-ils osé attaquer de front les abus de l’ancien régime, dans un temps où l’un des électeurs d’un bailliage de la Normandie fut décrété par le Parlement de Rouen, parce que, dans une assemblée primaire, il s’était avisé très irrévérencieusement de dire quelques vérités sur le compte des ci-devant nos seigneurs ? » (Chapitre XXXII, 28 mars 1791 p. 83)
  30. Pas plus alors qu’au 14 juillet, le peuple de Paris ne songea à détrôner le roi. Il voulait seulement le ramener à Paris, afin de l’y avoir sous sa surveillance, et dans l’espérance que, mieux conseillé, il serait meilleur roi. Il s’agit de placer le roi à la tête de la Révolution, de lui imposer ce rôle auquel il se dérobe, et non d’ébranler le trône. Les insurgés des 5 et 6 octobre 1789 sont encore royalistes. Il serait inutile, après tout ce que nous avons dit, de rappeler qu’au moment de cette insurrection populaire, il n’y avait pas de républicains dans l’Assemblée nationale, s’il n’existait pas, sur la séance du 5 octobre 1789, une anecdote célèbre où le monarchiste Meunier, alors président, est encore une fois présenté comme un républicain. Mirabeau l’ayant engagé, dans une conversation particulière, à lever la séance, il répondit : « Paris marche sur nous ; eh bien, tant mieux : nous en serons plus tôt république, (Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p.319, publiée en 1790.) Mais qui ne voit qu’ici Mounier parle ironiquement ? Son tant mieux signifie-t-il autre chose que ceci : « Tant mieux pour les factieux : leurs vœux seront comblés » ?
  31. Mirabeau peint par lui-même, t.I, p.360.
  32. Ainsi les conseils et directoires de département furent invités, par la loi du 15 mars 1791 (art. 24), à dénoncer au Corps législatif ceux des ordres du roi qui leur paraîtraient contraires aux lois.
  33. La France libre. Œuvres de C. Desmoulins, éd. Claretie, t. I, p. 85.
  34. Paris, Baudouin, 1789, in-8 de 32 p. (Relié dans le Procès-verbal, t. II.)
  35. Il n’y a rien sur cette question dans le rapport de Mounier du 28 juillet 1789.
  36. L’exposé des motifs se trouve dans un autre rapport de Mounier, du 4 septembre suivant, mais en termes assez obscurs et peu intéressants.
  37. Point du Jour, t. III, p. 489.
  38. Le Hodey, t.V, p.147-148. D’après Gorsas, Courrier, t.V, p.77, Grégoire aurait dit que, pour être électeur ou éligible, « il ne faut être que bon citoyen, et avoir un jugement sain et un cœur français. »
  39. Point du Jour, t.III, p.416
  40. Ibid., t.III, p.415
  41. Le Hodey, t.V, p.149
  42. Point du Jour, t.III, p.415. On trouvera des analyses plus étendues du discours de Robespierre dans Le Hodey, t.V, p.149, et dans Gorsas, t.V, p.78.
  43. Point du Jour, ibid.
  44. Le Hodey, t.V, p.149
  45. Ibid., p. 151
  46. Sur cette question de l’incapacité politique des domestiques, voir le Point du Jour, t. III, p. 458 à 460. Le décret des 20, 23 mars et 19 avril 1790 porte, article 7 : « Ne seront réputés domestiques ou serviteurs à gages les intendants ou régisseurs, les ci-devant feudistes, les secrétaires, les charretiers ou maitres-valets de labours employés par les propriétaires, fermiers ou métayers, s’ils réunissent d’ailleurs les autres conditions exigées.»
  47. Avant l’application de la loi municipale, le prix de la journée fut fixé par les municipalités révolutionnaires établies spontanément en juillet et en août 1789, ou par les « Comités » qui s’étaient formés dans les villes. Le décret du 11 février 1790 confia le soin de cette fixation aux municipalités nouvelles. Plus tard, par le décret du 13 janvier 1791, art.11 du titre 2, cette attribution passa aux districts et aux départements.
  48. Point du Jour, t. VI, p. 330.
  49. Je résume cette discussion d’après le Point du Jour t. XV, p. 333 à 335, et d’après le Moniteur, réimpression, t. VI, p. 191. On voit que Robespierre et Rœderer, tous deux membres de l’extrême gauche de la Constituante, n’étaient pas d’accord alors sur cette importante question du droit de suffrage.
  50. Cet article devint l’art. 13 du titre 2 de la loi du 13 janvier 1791.
  51. Je n’ai point retrouvé cet arrêté du Comité de constitution. Mais il y est fait allusion, dans les termes que je viens de rapporter, par Desmousseaux, substitut-adjoint du procureur de la Commune, en une lettre du 10 juin 1791, où il demande
    au Comité s’il faudra suivre les mêmes règles pour la formation des assemblées primaires, en vue des élections à la future Assemblée nationale. (Arch. nat., D IV, dossier 1.425, pièce 25.) Nous n’avons pas la réponse du Comité à cette lettre.
  52. Cf. l’instruction du 12 août 1790, $ VI, art. 20.
  53. Cela résulte d’un discours de Robespierre, Œuvres, éd. Laponneraye, t. I, p. 173. Mais je n’ai trouvé ni loi ni arrêté à ce sujet. — Voici les expressions de Robespierre : « Vous les avez accordés (les droits de citoyen actif) aux ministres du culte, lorsqu’ils ne peuvent remplir les conditions pécuniaires exigées par vos décrets. »
  54. Notons ici que ce sont les assemblées primaires qui étaient juges de la capacité et des titres des citoyens actifs et des citoyens éligibles. Voir les décrets du 22 décembre 1789 et du 3 février 1790.
  55. Point du Jour, t. III, p. 478 à 480.
  56. Gorsas, Courrier, t. V, p. 169.
  57. Ibid., p. 170.
  58. Mirabeau, qui était hostile à l’idée de créer une classe bourgeoise privilégiée, disait cependant ou faisait dire dans son journal, le Courrier de Provence, n°LIX, p. 13, que le décret sur les 10 journées de travail était « très propre à exciter et à honorer une laborieuse industrie ».
  59. Pour analyser ce débat, je suis le Procès-verbal, qui est ici très clair, très bien fait, en y ajoutant les noms des orateurs et des extraits de discours d’après les gazettes de Barère et de Le Hodey.
  60. Point du Jour, t. III, p. 487.
  61. D’après Le Hodey, l’auteur de cette motion était « M. le président ». Or, c’est Camus qui présidait alors la Constituante.
  62. Point du Jour, t. III, p. 488.
  63. Sur le tumulte qui s’éleva alors dans l’Assemblée, voir Gorsas, t. V, p. 175.
  64. Robespierre (Point du Jour, t. III, p. 494) se prononça contre l’exception en faveur des fils de famille. « Il y a chose jugée, dit-il.» Pourquoi ? Est-ce qu’il sentit que cette exception fortifierait le système bourgeois ? Cf. Le Hodey, t. V, p. 256.
  65. Courrier, t. VI, p. 332.
  66. Point du Jour, t. V. p. 6.
  67. Le Procès-verbal ne donne pas de chiffres. Le Point du Jour dit que la majorité fut de 14 voix. Le Hodey, t. VI, p. 271, indique 439 voix contre 428. Le Courrier de Provence, n° LXXIV. p. 26 : 442 voix contre 436. Gorsas, t. VI, p. 339, dit « 449 voix contre 428 à peu près.»
  68. Le meilleur compte-rendu de ce débat se trouve dans le Courrier de Provence, t. IV, n° LXXVI.
  69. Ces chiffres nous sont fournis, non par le Procès-verbal, qui n’en donne pas, mais par le Point du Jour, t. V, p. 40, le Courrier de Provence, n° LXXVI, p. 13, le Journal de Le Hodey, t. VI, p. 331, le Patriote français n° CXXII, p. 2, et le Courrier de Gorsas, t. VI, p. 392. Gorsas ajoute que certains députés disaient « que la majorité était réellement de 460 voix contre 433 ».
  70. Point du Jour, t. VI, p. 184 à 186 ; Le Hodey, t. VIII, p. 61 à 64.
  71. Le Point du Jour l’appelle Dumetz. Il n’y avait pas de constituant de ce nom. Peut-être est-ce Beaumez.
  72. C’est une chose incroyable à quel point ces faits, si publics, furent oubliés et défigurés. Ainsi un homme qui avait assisté à la Révolution, et qui ne passa jamais pour un étourdi, Royer-Collard, s’imagina plus tard que la constitution de 1791 avait été démocratique. Il dit à la tribune, en 1831 : « Deux fois la démocratie a siégé en souveraine dans notre gouvernement ; c’est l’égalité politique qui a été savamment organisée dans la Constitution de 1791 et dans celle de l’an III. » (Discours sur l’hérédité de la pairie, dans la Vie politique de Royer-Collard, par M. de Barante, t. II, p. 469.) La Constitution de l’an III, on le verra, n’admit pas plus « l’égalité politique » que ne l’avait admise celle de 1791.
  73. Voir, dans la Révolution française du 15 août 1898, l’article de M. Sigismond Lacroix, intitulé : Ce qu’on pensait des Juifs à Paris en 1790.
  74. N° XXIV (du 19 au 26 décembre 1789), p. 6 et 7.
  75. Cf. Courrier de Provence, t. V, n° LXXXIII.
  76. Marat, la Constitution, p. 21. Voir plus haut, p. 51.
  77. Ami du peuple, n° XXI, p. 179, 180, 181. Il est juste d’ajouter que, si Marat n’exprima pas d’opinion l’occasion du vote des autres mesures censitaires, c’est qu’au moment de ces votes il était poursuivi et avait interrompu la publication de son journal.
  78. N° LVI, p. 23. On a vu plus haut, p. 66, que ce journal avait également approuvé la condition des dix journées de travail.
  79. N° LXVIII, p. 272, col. 1. — Bibl. nat., Le 2/218, in-4.
  80. N° LXXI.
  81. Chronique de Paris du 4 déc. 1789, p. 411, 412.
  82. Patriote français, n° CXIX. — Bibl. nat., Le 2/185, in-4.
  83. Il s’agit sans doute de dom Gerle.
  84. Révolutions de France et de Brabant, n° 3 (t. I, p. 108, 109).
  85. Révolutions de Paris, n° XXI (du 28 novembre au 5 décembre 1789). Les articles de ce journal sont anonymes. La tradition attribue à Loustallot tous ceux ou on traite des questions de politique générale. Mais il y avait d’autres rédacteurs, et il n’y a pas moyen de savoir avec certitude si un article des Révolutions était réellement de Loustallot. Quand donc nous donnons une opinion extraite de cette gazette comme étant celle de Loustallot, c’est sous toute réserve.
  86. Sigismond Lacroix, Actes de la Commune de Paris, t. III p. 582.
  87. Ibid., 583, 584.
  88. Sigismond Lacroix, t.III, p.591.
  89. Ce mémoire fut imprimé alors dans le recueil intitulé Cercle social, lettre VIII, p. 57. Il parut aussi à part, et il y a, au British Museum, un exemplaire de cette impression, dont M. Sigismond Lacroix a reproduit le texte.
  90. T. III, p. 618, 619.
  91. Sigismond Lacroix, t. III, p. 620.
  92. Arch. nat., D iv, 49, dossier 1404.
  93. Arch. nat., D IV, 49, dossier 142, pièce 8 : « Questions posées aux Comités par Desvieux, ex-vice-president du ci-devant district de Saint-Eustache. »
  94. Ibid., dossier 1425, pièce 1.
  95. Arch. nat., D IV, 10, dossier 155, pièce 7.
  96. Arch. nat., D iv, 11, dossier 157, pièce 1.
  97. Ibid., dossier 156.
  98. Ibid., dossier 157.
  99. Ibid., dossier 156, pièce 7.
  100. Arch. nat., D iv, 11, dossier 157, pièce 4.
  101. Ibid., dossier 156. pièce 9.
  102. Ibid., dossier 157, pièces 22 et 24.
  103. La loi du 28 mai 1790 édicta que le bulletin devait être écrit sur le bureau même, et qu’on ne devait pas l’apporter tout préparé.
  104. Voir, par exemple, une pétition de D. Chauchot, curé d’Is-sur-Tille (17 décembre 1789), qui demande, au nom de t’articte 6 de la Déclaration, la suppression de toute condition censitaire (Arch. nat., D iv, 11, dossier 156, pièce 7), et (ibid., pièce 8) une très vive protestation anonyme contre les conditions d’éligibilité, qui nous « replongeraient » dans la féodalité. Voir aussi, D iv, 49, dossier 1425, pièces 17, 21, 27. — On a cru devoir rapporter à cette époque une « pétition individuelle des citoyens formant la Société des amis de la liberté, séante rue du Bac, à Paris », où on demanda le retrait des décrets censitaires, au nom de la Déclaration des droits. Cette pétition est sans date. On lit en marge : « Reçu le 12 juin. Mais ce ne peut être le 12 juin 1790. Car il y a en tête une vignette imprimée avec cette inscription « Société des amis de la liberté, Paris, novembre 1790. La pétition de cette Société fondée en novembre 1790 doit donc être datée de l’année 1791.
  105. Voir Sigismond Lacroix, t. V, p. 55 à 63.
  106. Œuvres de Marat, éd. Vermorel, p. 144.
  107. Nous savons, par le décret des 27 et 28 mai 1791, que les citoyens actifs étaient au nombre de 4 218 360. Nous n’avons pas le nombre des citoyens admis à voter après le 10 août 1792, quand le suffrage universel eut été établi, et, si nous l’avions, il suffirait de soustraire de ce nombre celui des citoyens actifs pour avoir le nombre des citoyens passifs. Mais nous avons le chiffre des électeurs inscrits à des époques où le territoire de France se trouvait à peu près de la même étendue qu’en 1790, 1791 et 1792. Ainsi, en 1863, sur une population de 37 446 313 habitants (d’après le dénombrement de 1861), il y avait 10 004 028 électeurs inscrits. Si le suffrage universel avait existé en 1791, et si on admet qu’à cette époque la population de la France fut de 26 000 000 d’habitants, il y aurait eu 7 300 000 électeurs. Retranchons-en les 4 298 360 citoyens actifs il reste environ 3 000 000 de citoyens passifs.
  108. Ami du peuple, n° 175.
  109. Ibid., n° 28.
  110. Voir Bougeart, t. I, p. 363.