Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 29

XXIX. Révolutions arrivées dans la Nouvelle-Jerſey.

Au voiſinage de la Nouvelle-York eſt la Nouvelle-Jerſey, qui porta d’abord le nom de Nouvelle Suède. Elle fut ainſi déſignée par des aventuriers de cette nation, qui abordèrent à ces plages ſauvages vers l’an 1638. Ils y formèrent trois petits établiſſemens, Chriſtiana, Elzimbourg & Gottembourg. Cette colonie n’étoit rien, lorſqu’elle fut attaquée & conquiſe, en 1655, par les Hollandois. Ceux des habitans, qui tenoient plus à leur première patrie qu’à leurs plantations, repaſſèrent en Europe. Les autres ſe ſoumirent aux loix de leur vainqueur ; & leur territoire fut incorporé au ſien. Lorſque le duc d’York reçut l’inveſtiture de la province à laquelle il donna ſon nom, il en détacha ce qui y avoit été ajouté, & le partagea à deux de les favoris, ſous le titre de Nouvelle-Jerſey.

Carteret & Berkeley, qui poſſédoient, le premier la partie de l’eſt, & le ſecond la partie de l’oueſt, n’avoient ſollicité ce vaſte territoire que pour le vendre. Des hommes à ſpéculation leur en achetèrent à vil prix de grandes portions, dont ils ſe défirent en détail. Au milieu de toutes ces ſubdiviſions, la colonie reſta partagée en deux provinces, séparément gouvernées par les héritiers des premiers propriétaires. Les difficultés qu’éprouvoit leur adminiſtration, les dégoûtèrent de cette eſpèce de ſouveraineté, qui ne convient guère à des ſujets. Ils remirent, en 1702, leur charte à la couronne. Depuis cette époque, les deux provinces n’en font qu’une, qui, comme la plupart des colonies Angloiſes, eſt dirigée par un gouverneur, un conſeil, & les députés des communes.

Avant la dernière révolution, on ne voyoit dans un pays ſi vaſte, que ſeize mille habiſans. C’étoit les deſcendans des Suédois & des Hollandois, ſes premiers cultivateurs. Quelques Quakers, quelques Anglicans, un plus grand nombre de Preſbytériens Écoſſois, s’étoient joints aux colons des deux nations. Les vices du gouvernement arrêtoient les progrès & cauſoient l’indigence de cette foible population. L’époque de la liberté ſembloit devoir être, pour cette colonie, l’époque de la proſpérité : mais la plupart des Européens qui cherchoient un aſyle ou la fortune dans le Nouveau-Monde, préferoient la Penſylvanie ou la Caroline, qui avoient plus de célébrité. À la fin cependant, la Nouvelle-Jerſey s’eſt peuplée. On y compte cent trente mille habitans.