Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 11

XI. Deſcription de l’iſle de Terre-Neuve.

Située entre les quarante-ſix & cinquante-deux degrés de latitude nord, cette iſle n’eſt séparée de la côte de Labrador que par un canal de médiocre largeur, connu ſous le nom de détroit de Belle-Iſle. Sa forme triangulaire renferme un peu plus de trois cens lieues de circonférence. On ne peut parler que par conjecture de ſon intérieur, parce qu’on n’y a jamais pénétré bien avant, & que vraiſemblablement perſonne n’y pénétrera, vu la difficulté de le tenter, & l’inutilité, du moins apparente, d’y réuſſir. Le peu qu’on en connoit eſt rempli de rochers eſcarpés, de montagnes couronnées de mauvais bois, de vallées étroites & ſablonneuſes. Ces lieux inacceſſibles ſont remplis de bêtes fauves, qui s’y multiplient d’autant plus aisément, qu’on ne ſauroit les y pourſuivre. Jamais on n’y a vu d’autres ſauvages que quelques Eſkimaux venus du continent dans la ſaiſon des chaſſes. La côte eſt par-tout remplie d’anſes, de rades, de ports ; quelquefois couverte de mouſſe, mais plus communément de petits cailloux qui ſemblent deſtinés à sécher le poiſſon qu’on prend aux environs. On éprouve des chaleurs fort vives dans tous les endroits découverts, où des pierres plates réfléchiſſent les rayons du ſoleil. Le reſte du pays eſt exceſſivement froid, moins par ſa poſition que par les hauteurs, les forêts, les vents, ſur-tout par ces monſtrueuſes glaces, qui, venues des mers du Nord, ſe trouvent arrêtées ſur ſes rivages, & y séjournent. Les quartiers ſitués au nord & à l’oueſt jouiſſent conſtamment du ciel le plus pur : il eſt beaucoup moins ſerein à l’eſt & au ſud, trop voiſins du grand banc, où il règne un brouillard perpétuel.