Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVI/Chapitre 9

IX. La France pouvoit retirer de grands avantages de la Louyſiane. Fautes qui ont empêché ce ſuccès.

La Louyſiane, que la nature ſembloit appeler à une grande proſpérité, y ſeroit ſans doute arrivée, ſi l’on eût eu la ſageſſe d’écouter les vœux des proteſtans François réfugiés dans les colonies établies par les Anglois au Nord du Nouveau-Monde.

Sous le règne le plus brillant & ſous l’époque la plus heureuſe de ce règne, trois cens mille familles calviniſtes jouiſſoient paiſiblement en France des droits de l’homme & du citoyen, droits confirmés par l’édit fameux qui avoit aſſoupi tant de troubles & terminé tant de malheurs, l’édit de Nantes. L’effroi de ſes voiſins & l’idole de ſes ſujets, Louis XIV n’avoit à redouter ni des ennemis au-dehors, ni des rebelles au-dedans de ſes provinces. Les proteſtans, tranquilles par devoir & par intérêt, ne ſongeoient qu’à ſervir l’état & qu’à contribuer à ſa puiſſance & à ſa gloire. On les voyoit à la tête de beaucoup de nouvelles manufactures ; & répandus dans les contrées maritimes, une marine formidable à ſa naiſſance trouvoit ſa force principale dans leurs bras. Où règne une aiſance honnête, fruit du travail & de l’induſtrie, là ſont ordinairement les bonnes mœurs. Elles diſtinguoient les proteſtans, parce qu’ils étoient les plus foibles, les plus laborieux, & qu’ils avoient encore à juſtifier leur croyance par leurs vertus.

Je le répète. Tout étoit tranquille dans l’intérieur du royaume : mais l’orgueil ſacerdotal, mais l’ambition phariſienne ne l’étoient pas. Le clergé de France, Rome & les jéſuites obsédoient le trône de leur calomnieuſes remontrances. Des François qui ne s’humilioient pas au pied d’un confeſſeur ; qui ne voyoient que du pain dans la ſainte hoſtie ; qui ſe paſſoient de meſſes ; qui n’apportoient aucune offrande à l’autel ; qui épouſoient leurs couſines ſans acheter des diſpenſes : ces François ne pouvoient aimer ni la patrie, ni le ſouverain. Ce n’étoient, au fond du cœur, que des traîtres hypocrites qui, pour ſecouer le joug de l’obéiſſance, n’attendoient qu’une circonſtance favorable, que, tôt ou tard, ils ſauroient bien faire naître.

Lorſque l’impoſture alarmera le ſouverain ſur la fidélité de ſes ſujets, il eſt difficile qu’elle ne ſoit pas attentivement écoutée. Cependant nous oſerons demander ſi Louis XIV fut excuſable, lorſqu’il parut ignorer combien ſes ſujets proteſtans lui étoient utiles ; s’il pouvoit croire sérieuſement qu’ils le ſeroient davantage en devenant catholiques ; & ſi la tolérance d’un maître auſſi puiſſant, auſſi abſolu pouvoit jamais amener aucune de ces fâcheuſes conséquences dont on ne ceſſoit de le menacer. Les proteſtans avoient été séditieux, il eſt vrai : mais persécutés, mais alternativement avec les catholiques le jouet de l’ambition turbulente des grands. Tant de ſang versé ſous les règnes précédens, ne devoit-il pas lui faire craindre d’en verſer encore ? Les événemens paſſés lui apprendre qu’un roi ne peut rien ſur les opinions religieuſes ; que les conſciences ne ſe forcent point ; que la fortune, la vie, les dignités ne ſe comparent point avec les peines éternelles ; & que s’il eſt bon de fermer l’entrée d’un pays où l’on n’obſerve qu’un ſeul culte, à toute ſuperſtition étrangère, la force n’en exclura jamais celle qui y eſt établie. Louis XIV l’éprouva. Vous, qui êtes chargés du ſoin de conduire les hommes, ſouverains, apprenez à les connoître. Étudiez leurs paſſions, pour les régir par leurs paſſions. Sachez qu’un prince qui dit à ſes ſujets, votre religion me déplaît ; vous l’abjurerez, je le veux, peut faire dreſſer des potences & des roues : que ſes bourreaux ſe tiennent prêts.

Louis XIV chargea de l’exécution de ſon projet impie en religion, abſurde en politique, deux miniſtres impérieux comme lui ; deux hommes qui haïſſoient les proteſtans, parce que Colbert s’en étoit ſervi ; un Letellier, homme dur & fanatique ; un Louvois, homme cruel & ſanguinaire : c’eſt celui-ci qui opinoit à ſubmerger la Hollande, & qui depuis fit réduire le Palatinat en cendres. Sur le moindre prétexte, on ferme au calviniſte ſon temple ; on l’exclut des fermes du roi ; il ne peut être admis dans aucune corporation ; on inſcrit ſes miniſtres ſur le rôle de la taille ; on prive ſes maires de la nobleſſe ; on applique aux hôpitaux les legs faits à ſes conſiſtoires ; les officiers de la maiſon du prince, les ſecrétaires du roi, les notaires, les avocats, les procureurs ont ordre de quitter leurs fonctions ou leur croyance. L’abſurdité ſuccède à la violence, Une déclaration du conſeil de 1681 autoriſe les enfans à l’âge de ſept ans de renoncer à leur foi. Des enfans de ſept ans qui ont une foi ! qui ont une volonté civile ! qui en font des actes publics ! Ainſi donc le ſouverain & le prêtre peuvent également & des enfans en faire des hommes, & des hommes en faire des enfans !

Mais il falloit ſouſtraire les enfans à l’autorité de leurs parens. La force y pourvoit. Des ſoldats les enlèvent de la maiſon paternelle & s’inſtallent à leur place. Le cri de la déſolation retentit d’un bout du royaume à l’autre. On ſonge à s’éloigner de l’oppreſſeur. Des familles entières déſertent leurs foyers tranſformés en corps-de-garde. Les puiſſances rivales de la France leur offrent des aſyles. Amſterdam s’agrandit de mille maiſons qui les attendent. Les provinces ſe dépeuplent. Le gouvernement voit ces émigrations, & il en eſt troublé. Les galères ſont décernées contre l’artiſan & le matelot fugitifs. On ferme les paſſages. On n’oublie rien de ce qui pouvoit accroître le mérite du ſacrifice, & plus de cinq cens mille citoyens utiles s’échappent, au haſard de recevoir en chemin la couronne du martyre.

C’eſt en 1685, au milieu de ces horreurs que paroît la fatale révocation de l’édit de Nantes. Il eſt ordonné aux miniſtres opiniâtres de ſortir du royaume dans l’intervalle de quinze jours, ſous peine de mort.

Les enfans ſont arrachés d’entre les bras de leurs pères & de leurs mères. Et ce ſont des hommes réfléchis ; une aſſemblée de graves perſonnages ; une cour ſuprême qui légitime de pareilles horreurs ! ils étoient pères, & ils ne frémirent pas en ordonnant l’infraction des loix les plus ſacrées de la nature !

Cependant les eſprits s’échauffent. Les proteſtans s’aſſemblent. On les attaque. Ils ſe défendent. On envoie contre eux des dragons. Et voilà les hameaux, les villages, les champs, les grands chemins, les entrées des villes hériſſés d’échafauds & trempés de ſang. Les intendans des provinces ſe diſputent de barbarie. Quelques miniſtres oſent prêcher, oſent écrire. Ils ſont ſaiſis & mis à mort. Bientôt le nombre des cachots ne ſuffit plus au nombre des persécutés ; & c’eſt la volonté d’un ſeul qui peut faire tant de malheureux ! Il parle, & les liens civils & moraux ſe briſent ! Il parle, & mille citoyens révérés par leurs vertus, leurs dignités, leurs talens, ſont dévoués à la mort & à l’infamie. Ô peuples ! ô troupeau d’imbéciles & de lâches !

Et toi, tyran aveugle ! parce que tes prêtres n’ont pas l’art perſuaſif qui feroit triompher leurs raiſons ; parce qu’ils ne peuvent effacer de l’eſprit de ces innocens les traces profondes que l’éducation y a gravées ; parce que ceux-ci ne veulent être ni des lâches, ni des hypocrites, ni des infâmes ; parce qu’ils aiment mieux obéir à leur Dieu qu’à toi, il faut que tu les ſpolies, que tu les enchaînes, que tu les brûles, que tu les pendes ; que tu traînes leurs cadavres ſur une claie. Lorſque tu retires d’eux la protection, parce qu’ils ne penſent pas comme toi ; pourquoi ne retirent-ils pas de toi leur obéiſſance, parce que tu ne penſes pas comme eux ? C’eſt toi qui romps le pacte.

Les temples des proteſtans ſont détruits. Leurs miniſtres ont été mis à mort ou ſe ſont enfuis. La déſertion des persécutés s’eſt-elle arrêtée ? Non. Quel parti prendra-t-on ? On imaginera que la fuite fera moins fréquente, lorſque la ſortie ſera libre. L’on ſe trompera ; & après avoir ouvert les paſſages, on les refermera une ſeconde fois avec auſſi peu de ſuccès que la première.

L’horrible plaie que le fanatiſme fit alors à la nation, a ſaigné juſqu’à nos jours, & ſaignera long-tems encore. Des armées détruites ſe refont. Des provinces envahies ſe reprennent. Mais l’émigration d’hommes utiles qui en portant chez des nations étrangères leur induſtrie & leurs talens, les élèvent tout-à-coup au niveau de la nation qu’ils ont abandonnée, eſt un mal qui ne ſe répare point. Le coſmopolite, dont l’âme vaſte embraſſe les intérêts de l’eſpèce humaine s’en conſolera peut-être. Pour le patriote, il ne ceſſera jamais de s’en affliger, Ce patriote, c’eſt lui qui dit aux rois dans ce moment. Maitres de la terre, lorſqu’un homme, ſous le nom de prêtre, aura ſu lier ſes intérêts aux prétendus intérêts d’un Dieu ; quand ſa haîne ombrageuſe pourra faire ſervir le nom de ce Dieu qu’il ne manquera pas de peindre jaloux & cruel pour allumer la persécution contre celui qui ne penſera pas comme lui, ou pour parler plus exactement, qui ne penſera pas comme il veut que l’on penſe ; malheur à vous & à vos ſujets, ſi vous l’écoutez.

Cependant les proteſtans François diſpersés dans les différentes parties du globe tournoient par-tout de triſtes regards vers leur ancienne patrie. Ceux qui avoient trouvé un aſyle au Nord de l’Amérique, déſeſpérant de revoir jamais leurs premiers foyers, vouloient du moins être réunis à la nation aimable dont la tyrannie les avoit séparés. Ils offraient de porter leur induſtrie & leurs capitaux à la Louyſiane, pourvu qu’il leur fut permis d’y profeſſer leur culte. Le malheur de l’état voulut que la ſuperſtition de Louis XIV, que la foibleſſe du régent fiſſent rejeter ces propoſitions.

Cependant quel rapport y a-t-il entre les dogmes de la religion & les ſpéculations du miniſtère ? pas plus, ce me ſemble, qu’entre l’ordonnance du médecin & les dogmes qu’il profeſſe. Le malade s’eſt-il jamais avisé de demander à Dumoulin s’il alloit au ſermon ou au prêche, s’il croyoit en Dieu ou s’il n’y croyoit pas ? Maîtres de la terre, celui qui fait luire indiſtinctement ſon ſoleil ſur les contrées orthodoxes & ſur les contrées hérétiques ; celui qui laiſſe également tomber la rosée féconde ſur leurs champs, ne vous dit-il pas avec aſſez d’évidence & de force, combien il doit vous être indifférent par quels hommes elles ſoient peuplées, par quels bras elles ſoient cultivées ? c’eſt à vous de les protéger tous ; c’eſt à vous à animer leurs travaux ; c’eſt à vous à encourager leur induſtrie & leurs vertus. C’eſt à lui à lire au fond de leurs cœurs & à les juger. Rend-il les mères des calviniſtes ſtériles, ou étouffe-t-il l’enfant dans le ſein des mères luthériennes, lorſqu’elles ſont fécondes ? Comment oſez-vous donc condamner à l’exil, à la mort, à la misère pire qu’elle, celui à qui le ſouverain des ſouverains, votre père & le leur, permet de vivre & de proſpérer ? Parce qu’on n’auroit pas célèbre la meſſe & chanté vêpres à la Louyſiane, les productions du ſol en auroient-elles été moins abondantes, moins précieuſes & moins utiles ? Si cette contrée eût été peuplée d’orthodoxes, & que quelque raiſon d’état vous en eût fait tenter la conquête, vous les euſſiez tous égorgés ſans ſcrupule : & vous en avez à confier ſa culture à l’hérétique ? De quelle étrange manie êtes-vous donc tourmentés ? La conformité du culte n’arrête point votre férocité, la diverſité l’excite. Eſt-il de la dignité du chef d’un état, de régler ſa conduite ſur l’eſprit fanatique & les vues étroites d’un directeur de séminaire ? Eſt-il de la ſageſſe de n’admettre au nombre de ſes ſujets que les eſclaves de ſes prêtres ? Qu’après avoir déterminé un vieux monarque puſillanime & humilié par une longue ſuite de calamités à y mettre le comble en révoquant un édit ſalutaire, les ſuperſtitieux & les hypocrites qui l’environnoient l’aient amené de conséquence en conséquence à rejeter les propoſitions avantageuſes des religionnaires du Nouveau-Monde, je n’en ſerai point étonné : mais que des conſidérations, qu’on peut appeler monacales, aient eu la même autorité ſur le prince éclairé qui tenoit les rênes de l’empire après le vieux monarque, & qui certes ne fut jamais ſoupçonné de bigoterie, c’eſt ce que je ne ſaurois expliquer.

Indépendamment de ce fatal ſyſtême, peut-être la Louyſiane n’auroit-elle pas langui ſi long-tems, ſans la faute qu’on fît dès l’origine, d’accorder des terres au haſard & ſelon le caprice de ceux qui les demandoient. Des déſerts immenſes n’auroient pas séparé les colons les uns des autres. Rapprochés d’un centre commun, ils ſe ſeroient prêtés des ſecours mutuels, & auroient heureuſement joui de tous les avantages d’une ſociété régulière & bien ordonnée. À meſure que la population auroit augmenté, le cercle des défrichemens ſe ſeroit étendu. Au lieu de quelques hordes de ſauvages, on eût vu s’élever une riche colonie qui ſeroit peut-être devenue avec le tems une nation puiſſante. Que d’avantages il en eût réſulté pour la France même ?

Ce royaume qui achète chaque année dix-huit à vingt millions peſant de tabac, auroit pu le faire cultiver dans la Louyſiane, & tirer de cette poſſeſſion tout ce qu’il lui en falloit pour ſa conſommation. Ainſi le penſoit & l’eſpéroit le gouvernement, quand il fît arracher cette plante en France. Convaincu que les terres de ſes provinces étoient propres à des cultures plus riches & plus importantes, il crut ſervir à la fois la métropole & la colonie, en aſſurant à cet établiſſement naiſſant le débouché de la production, qui demandoit le moins d’avance, le moins de tems & le moins d’expérience. Le diſcrédit où tomba Law, auteur du projet, fit tomber dans l’oubli cette vue dont les avantages étoient ſi ſenſibles avec celles qui n’avoient pour baſe qu’une imagination déréglée. L’aveuglement du miniſtère fut perpétué par les intérêts particuliers des agens du fiſc, & ce n’eſt pas un des moindres maux que la finance ait faits à la monarchie.

Les richeſſes que le tabac eût fait entrer dans la colonie, lui auroient ouvert les yeux ſur l’utilité des vaſtes & belles prairies dont elle eſt remplie. Bientôt, elles ſe fuſſent couvertes de nombreux troupeaux, dont les cuirs auroient diſpensé la métropole d’en acheter de pluſieurs nations, & dont la chair préparée & ſalée, auroit remplacé le bœuf étranger dans les iſles. Les chevaux & les mulets, qui s’y ſeroient multipliés dans la même proportion, euſſent tiré les colonies Françoiſes de la dépendance où elles ont toujours été, où elles ſont encore des Anglois & des Eſpagnols pour cet objet indiſpenſable.

Une fois mis en action, les eſprits ſeroient montés d’une branche d’induſtrie à l’autre. Auroient-ils pu ſe refuſer à la conſtruction des vaiſſeaux ? Le pays étoit couvert des bois propres pour le corps du navire. La mâture & le goudron ſe trouvoient dans les pins, qui rempliſſoient les côtes. Le chêne ne manquoit pas pour le bordage, & il pouvoit être remplacé par le cyprès, moins ſujet à ſe fendre, à ſe courber, à ſe rompre, & rachetant par un peu d’épaiſſeur ce que la nature lui refuſoit de force & de dureté. Il étoit facile de faire croître du chanvre, pour les voiles & pour les cordages. On n’eût été réduit qu’à tirer du fer des autres contrées ; & encore paroît-il prouvé qu’il en exiſte des mines dans la Louyſiane,

Les forêts, ainſi défrichées ſans frais & même avec profit, auroient laiſſé le ſol libre aux grains, à l’indigo, même à la ſoie, lorſqu’une population abondante auroit permis de ſe livrer à une occupation à laquelle la douceur du climat, la multitude des mûriers, quelques expériences heureuſes ne ceſſoient d’inviter. Que n’eût-on pas fait d’une poſſeſſion où le ciel eſt tempéré, où le terrein eſt uni, vierge, fertile ; & qui avoit été moins habité que parcouru par quelques vagabonds auſſi inappliqués que mal-habiles ?

Si la Louyſiane fût parvenue à la fécondité que la nature y ſembloit attendre de la main des hommes, on n’auroit pas tardé à s’occuper du ſoin de rendre ſon entrée plus acceſſible. Peut-être y eût-on réuſſi, en bouchant les petites paſſes avec les arbres flottans que les eaux entraînent, & en réuniſſant toute la force du courant dans un ſeul canal. Si la molleſſe du terrein, ſi la rapidité du fleuve, ſi le refoulement de la mer euſſent opposé à ce projet des obſtacles inſurmontables, le génie eût trouvé des reſſources. Tous les arts, tous les biens ſeroient nés les uns des autres, pour former dans cette vaſte plaine de l’Amérique, une colonie floriſſante & vigoureuſe.

Cette perſpective, qu’on n’avoit jamais entrevue que dans le lointain, ſembloit ſe rapprocher à la paix dernière. Les habitans auxquels le fiſc devoit ſept millions, acquis la plupart par des manœuvres criminelles, déſeſpérant d’être jamais payés de cette dette impure, ou ne pouvant ſe flatter que de l’être tard & imparfaitement, tournoient heureuſement leurs travaux vers des cultures importantes. Ils voyoient groſſir leur commerce d’une partie des pelleteries, qu’attiroit autrefois le Canada. Les iſles Françoiſes, dont les beſoins augmentoient continuellement & les reſſources venoient de diminuer, leur demandoient plus de bois & de ſubſiſtances. Les liaiſons frauduleuſes avec le Mexique, interrompues par la guerre, reprenoient leur cours. Les navigateurs de la métropole, exclus d’une partie des marchés qu’ils avoient fréquentés, tournoient leurs voiles vers le Miſſiſſipi, dont les bords, trop long-tems déſerts, alloient enfin être habités. Déjà deux cens familles Acadiennes s’y étoient fixées, & les reſtes infortunés de cette nation, diſpersés dans les établiſſemens Anglois, faiſoient leurs arrangemens pour les ſuivre. Les mêmes diſpoſitions ſe remarquoient dans pluſieurs colons de Saint-Vincent & de la Grenade, mécontens de leurs nouveaux maîtres. Douze ou quinze cens Canadiens s’étoient mis en marche pour la Louyſiane, & ils devoient être ſuivis par beaucoup d’autres. On a même de fortes raiſons pour croire qu’un aſſez grand nombre de catholiques alloient paſſer des poſſeſſions Britanniques, dans cette vaſte & belle contrée.