Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XII/Chapitre 16

XVI. Deſcription de l’iſle Hollandoiſe de Curaçao.

Ce rocher, qui n’eſt qu’à trois lieues de la côte de Venezuela, peut avoir dix lieues de long ſur cinq de large. Il a un port excellent, mais dont l’approche eſt fort difficile. Lorſqu’une fois on y eſt entré, ſon vaſte baſſin offre toutes ſortes de commodités. Une fortereſſe, conſtruite avec intelligence, & conſtamment bien entretenue, fait ſa défenſe.

Les François, qui avoient corrompu d’avance le commandant de la place, y abordèrent en 1673, au nombre de cinq ou ſix cens hommes. Comme la trahiſon avoit été découverte, & le traître puni, ils furent reçus par ſon ſucceſſeur tout autrement qu’ils ne s’y attendoient. Ils ſe rembarquèrent avec la honte de n’avoir montré que leur foibleſſe & l’iniquité de leurs meſures.

Louis XIV, dont l’orgueil fut bleſſé par cet imprudent échec, donna cinq ans après dix-huit vaiſſeaux de guerre & douze bâtimens flibuſtiers à d’Eſtrées, pour effacer l’affront qui terniſſoit à ſes yeux l’éclat d’un règne rempli de merveilles. Cet amiral approchoit du terme de ſon expédition, lorſque ſon audace & ſon opiniâtreté firent échouer ſa flotte à l’iſle d’Aves. Il recueillit ce qu’il put des débris de ſon naufrage, & regagna, ſans avoir rien entrepris, le port de Breſt dans un aſſez grand déſordre.

Depuis cette époque, ni Curaçao, ni les petites iſles d’Aruba & de Bonaire qui ſont ſous ſes loix, n’ont été inquiétées. Aucune nation n’a ſongé à conquérir un ſol ſtérile, qui n’offre que quelques beſtiaux, quelque manioc, quelques légumes propres à la nourriture des eſclaves, & qui ne fournit d’autre production qu’un peu de coton qui puiſſe entrer dans le commerce. Saint-Euſtache vaut encore moins.