Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VII/Chapitre 12

XII. Premiers événemens dont le pays de Venezuela fut le théâtre.

Alphonfe Oſeda reconnut le premier, en 1499, le pays appelle Venezuela ou petite Veniſe, nom qu’il reçut, parce qu’on y vit quelques huttes établies ſur des pieux pour les élever au-deſſus des eaux ſtagnantes qui couvraient la plaine. Ni cet aventurier, ni ceux qui le ſuivirent ne ſongeoient à y former des établiſſemens. Leur ambition étoit de faire des eſclaves pour les tranſporter aux iſles que leur férocité avoit dépeuplées. Ce ne fut qu’en 1527 que Jean d’Ampuez fixa ſur cette côte une colonie, & qu’il promit à ſa cour une contrée abondante en métaux. Cette aſſurance donna lieu, l’année ſuivante, à un arrangement aſſez ſingulier pour être remarqué.

Charles-Quint, qui avoit réuni un ſi grand nombre de couronnes ſur ſa tête & concentré dans ſes mains tant de puiſſance, ſe trouvoit engagé par ſon ambition ou par la jalouſie de ſes voiſins dans des querelles interminables dont la dépenſe excédoit ſes facultés. Dans ſes beſoins, il avoit emprunté des ſommes conſidérables aux Velfers d’Auſbourg, alors les plus riches négocians de l’Europe. Ce prince leur offrit en paiement la province de Venezuela, & ils l’acceptèrent comme un fief de la Castille.

On devoit croire que des marchands, qui devoient leur fortune à l’achat & à la vente des productions territoriales, établiroient des cultures dans leur domaine. On devoit croire que des Allemands élevés au milieu des mines feroient exploiter celles qui se trouveroient sur la concession qui leur étoit faite. Ces espérances furent entièrement trompées. Les Velfers n’embarquèrent pour le Nouveau-Monde que quatre ou cinq cens de ces féroces soldats que leur patrie commençoit à vendre à quiconque vouloit & pouvoir payer leur sang. Ces vils stipendiaires portèrent au-delà des mers le goût du brigandage qu’ils avoient contracté dans les différentes guerres où ils avoient servi. Sous la conduite de leurs chefs, Alfinger & Sailler, ils parcoururent un pays immense, mettant les sauvages à la torture & leur déchirant le flanc pour les forcer à dire où étoit leur or. Des Indiens, entraînés & chargés de vivres, qu’on massacroit à l’instant où ils tomboient de fatigue, suivoient cette troupe barbare. Heureusement la faim, la fatigue, les flèches empoisonnées délivrèrent la terre de cet odieux fardeau. Les Eſpagnols ſe remirent en poſſeſſion d’un ſol dont les Velſers ne vouloient plus ; & leur conduite ne fut guère différente de celle qui venoit de cauſer tant d’horreur. Leur commandant Carvajal paya, il eſt vrai, de ſa tête ſes atrocités : mais ce châtiment ne rappela pas du tombeau les victimes qu’on y avoit plongées. De leurs cendres ſortirent avec le tems quelques productions dont le cacao fut la plus importante.