Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IX/Chapitre 26

XXVI. Liaiſons extérieures du Bréſil.

La colonie a formé des liaiſons de commerce avec diverſes contrées du globe. Autrefois, les vaiſſeaux qui revenoient des Indes Orientales en Portugal y relâchoient & y vendoient une partie de leur cargaiſon. Cette communication a été interrompue dans les tems modernes pour des raiſons que nous ignorons, mais qui ne ſauroient être bonnes.

La côte occidentale de l’Afrique, depuis les iſles du Cap-Verd juſqu’au-delà du pays d’Angole, eſt plus fréquentée que jamais par les navigateurs du Bréſil ; & ceux de Rio-Janeiro ont commencé aſſez récemment à ſe porter ſur la côte orientale. Dans ces voyages ſont employés des bâtimens, conſtruits dans la colonie même, qui n’ont pas moins de ſoixante tonneaux, ni plus de cent quarante. Des nègres ou des mulâtres forment la totalité ou la plus grande partie des équipages. C’eſt pour l’exploitation des mines, c’eſt pour la culture des terres que ſe fait ce grand mouvement. Des états très-authentiques que nous avons ſous les yeux démontrent que chacune des huit dernières années, on a arraché de ces malheureux rivages ſeize mille trois cens trois eſclaves, qui, à raiſon de 312 liv. l’un dans l’autre, ont dû coûter 5 161 536 liv. On les a payés avec l’or, le tabac, les eaux-de-vie de ſucre, les ſortes de coton que fournit le Bréſil ; avec la verroterie, les miroirs, les bonnets rouges, les rubans, diverſes quincailleries arrivés d’Europe.

Les liaiſons de la colonie avec les iſles Portugaiſes ont un autre but. Madère lui envoie tous les ans, ſur huit ou neuf petits navires, pour 400 000 liv. de vin, de vinaigre & d’eau-de-vie. Elle reçoit des Açores, ſur quatre ou cinq bâtimens de plus, pour 610 000 liv. des mêmes boiſſons, auxquelles on joint des ſortes de lin, des viandes ſalées & des farines. Les agens de ce commerce ſe chargent en retour des productions du Bréſil, dont la métropole ne s’eſt pas réſervé la propriété excluſive. Ces différentes branches de commerce réunies n’emportent chaque année des denrées de la colonie, que pour 2 271 000 liv.

Preſque toutes les richeſſes de cette vaſte contrée du Nouveau-Monde arrivent en Portugal. Depuis 1770 juſqu’en 1775, elles s’élevèrent annuellement à 56 949 290 liv., L’or, les diamans ; quatre cens quarante-trois mille quintaux de ſucre ; cinquante-huit mille cinq cens quintaux de tabac ; quatre mille cinq cens quintaux de coton ; vingt mille quintaux de bois de teinture ; cent quatorze mille quatre cens vingt cuirs ; d’autres objets moins importans formèrent ce grand produit.

Quelques variations ont ſuivi l’époque dont on vient de parler. Elles ne nous ſont pas aſſez connues, pour que nous en puiſſions parler avec la dernière préciſion. Ce que nous ſavons certainement, c’eſt que la métropole a reçu tous les ans de Rio-Janeiro, un peu plus de café, un peu plus d’indigo, mille quintaux de ſucre de plus qu’elle n’en recevoit antérieurement. Ce que nous ſavons certainement, c’eſt que le Para & le Maragnan lui ont envoyé tous les ans trois cens vingt-un quintaux de riz & cent quatre-vingt-douze quintaux de coton de plus qu’ils ne lui envoyoient autrefois. Ce que nous ſavons certainement, c’eſt qu’il y a eu tous les ans une diminution de quatre mille cuirs & de 965 000 livres en or dans les envois qui lui ont été faits.

La colonie eſt payée avec des marchandiſes qui, originairement, n’ont pas coûté au-deſſus de quinze ou ſeize millions. Les droits que s’eſt réſervé le ſouverain, divers monopoles, des taxes exorbitantes, la cherté du fret, le bénéfice du marchand abſorbent le reſte.

Le Portugal ne fourniſſoit autrefois de ſon propre fonds à la colonie que quelques boiſſons. Depuis que l’induſtrie de ſes provinces a été un peu réveillée, il ſuffit à la moitié des conſommations qui ſe font dans la contrée du nouvel hémiſphère qui lui eſt ſoumiſe.

C’eſt avec les deux tiers des produits du Bréſil qu’on livre à l’étranger ; c’eſt avec l’or & les diamans qui arrivent de cette région ; c’eſt avec les vins, les laines, les ſels, les fruits de la métropole même, que le Portugal parvient à payer ſoixante-millions de marchandiſes qu’il reçoit annuellement des diverſes contrées de l’Europe. Il y a eu de grandes variations dans la part que les différens peuples ont priſe à ce commerce. Au tems où nous écrivons, l’Angleterre en a quatorze portions, l’Italie huit, la Hollande ſept, Hambourg ſix, la France cinq, la Suède quatre, le Dannemarck quatre, l’Eſpagne deux, & la Ruſſie une ſeulement. On ne s’eſt pas toujours ainſi diſputé les dépouilles de cette nation.