Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre III/Chapitre 32

XXXII. À quel uſage les Anglois font ſervir les iſles de Comore.

Ces iſles, ſituées dans le canal de Mozambique, entre la côte de Zanguebar & Madagaſcar, ſont au nombre de quatre. Comore qui eſt la principale, & qui a donné ſon nom à ce petit archipel, eſt peu connue. Les Portugais, qui, dans leurs premières expéditions, la découvrirent, y firent tellement déteſter, par leurs cruautés, le nom des Européens, que tous ceux qui ont osé s’y montrer depuis ont été ou maſſacrés, ou fort mal reçus : auſſi l’a-t-on entièrement perdue de vue. Celles de Mayotte & de Moely, ne ſont pas plus fréquentées, parce que les approches en ſont difficiles, & que le mouillage n’y eſt pas sûr. Les Anglois ne relâchent qu’à l’iſle d’Anjouan.

C’eſt-là que la nature, dans une étendue de trente lieues de contour, étale toute ſa richeſſe avec toute ſa ſimplicité. Des coteaux toujours verts, des vallées toujours riantes, y forment par-tout des payſages variés & délicieux. Trente mille habitans, distribués en soixante-treize villages, en partagent les productions. Leur langue est l’arabe ; leur religion, un mahométisme fort corrompu. On leur trouve des principes de morale, plus épurés qu’ils ne le sont communément dans cette partie du globe. L’habitude qu’ils ont contractée de vivre de lait & de végétaux, leur a donné une aversion insurmontable pour le travail. De cette paresse, est né un certain air de grandeur, qui consiste, pour les gens distingués, à laisser croître excessivement leurs ongles. Pour se faire une beauté de cette négligence, ils les teignent d’un rouge tirant sur le jaune, que leur fournit un arbrisseau.

Ce peuple né pour l’indolence, a perdu la liberté qu’il étoit, sans doute, venu chercher d’un continent voisin, dont il doit être originaire. Un négociant Arabe, il n’y a pas un siècle, ayant tué au Mozambique un gentilhomme Portugais, se jeta dans un bateau que le hasard conduisit à Anjouan. Cet étranger se servit si bien de la supériorité de ses lumières, & du secours de quelques-uns de ses compatriotes, qu’il s’empara d’une autorité abſolue que ſon petit-fils exerce encore aujourd’hui. Cette révolution dans le gouvernement, ne diminua rien de la liberté & de la sûreté que trouvoient les Anglois qui abordoient dans l’iſle. Ils continuoient à mettre paiſiblement leurs malades à terre, où la ſalubrité de l’air, l’excellence des fruits, des vivres & de l’eau, les rétabliſſoient bientôt. Seulement on fut réduit à payer plus cher les proviſions dont on avoit beſoin ; & voici pourquoi.

Les Arabes ont pris la route d’une iſle où régnoit un Arabe. Ils y ont porté le goût des manufactures des Indes ; & comme des cauris, des noix de coco, & les autres denrées qu’ils y prenoient en échange, ne ſuffiſoient pas pour payer ce luxe, les Inſulaires ont été réduits à exiger de l’argent pour leurs bœufs, leurs chèvres, leurs volailles, qu’ils livroient auparavant pour des grains de verre, & d’autres bagatelles d’un auſſi vil prix. Cette nouveauté n’a pas cependant dégoûté les Anglois d’un lieu de relâche, qui n’a d’autre défaut que celui d’être trop éloigné de nos parages.