Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre III/Chapitre 27

XXVII. Vue des Anglois ſur Balambangan. Leur expulſion de cette iſle.

Cette colonie n’eſt pas jugée allez utile. Auſſi devoit-elle être abandonnée, mais ſeulement après le ſuccès d’un grand projet qu’on méditoit. Depuis long-tems les Anglois déſiroient une poſſeſſion qui pût devenir un entrepôt, où les marchandiſes, les denrées de la Chine & des iſles orientales ſeroient échangées contre les denrées, les marchandiſes de l’Indoſtan & de l’Europe. Leur plan étoit d’en faire le marché le plus conſidérable de l’Aſie. L’iſle de Balambangan, ſituée à la pointe ſeptentrionale de Bornéo, leur parut propre à remplir leurs vues ; & le roi de Solon la leur abandonna en 1766. Ils y arborèrent leur pavillon l’année ſuivante ; mais ce ne fut qu’en 1772 qu’ils formèrent leur établiſſement.

Quelques commis, trois cens ſoldats blancs ou noirs, un vaiſſeau & deux petits bâtimens : tels furent les premiers matériaux d’un édifice qui devoit, avec le tems, s’élever à une hauteur immenſe. Malheureuſement les chefs ſe brouillèrent ; le peu de troupes qui avoit échappé à des maladies deſtructives fut trop diſpersé ; les navires allèrent ouvrir le commerce avec les états voiſins. Dans ces circonſtances fâcheuſes, le nouveau comptoir fut attaqué, pris & détruit.

Les Anglois ignorent encore, ou feignent d’ignorer d’où vint un acte de violence qui leur coûta 9 000 000 livres. Leurs ſoupçons ont paru ſe porter ſucceſſivement ſur les Hollandois, toujours alarmés pour les Moluques ; ſur les Eſpagnols, qui pouvoient craindre pour les Philippines ; ſur les barbares des parages voiſins, dont la liberté ſembloit menacée : quelquefois même ſur une conſpiration de tous ces ennemis, qui avoient uni leurs haines & leurs intérêts. De quelque main que ſoit parti un trait inattendu, le mal n’eſt pas ſans remède. La nation Britannique pourra retrouver à Queda, ſur une autre partie du continent de Malaca, ou dans quelqu’une des nombreuſes iſles répandues dans ce détroit, ce qu’elle a perdu à Balambangan. Si des obſtacles trop puiſſans rendoient encore une fois ſes efforts inutiles, elle trouveroit cent motifs de conſolation dans le Bengale.