Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre II/Chapitre 17

XVII. Commerce des Hollandois à la côte de Malabar.

Sa ſituation eſt encore moins bonne au Malabar. Les Portugais, dépouillés par-tout, ſe maintenoient encore avec quelque éclat dans cette partie de l’Inde, lorſqu’en 1663, ils s’y virent attaqués par les Hollandois, qui leur enlevèrent Culan, Cananor, Grandganor & Cochin. Le général victorieux avoit à peine inveſti la dernière place, la ſeule importante, qu’il apprit la réconciliation de ſa patrie avec le Portugal. Cette nouvelle fut tenue ſecrète. On précipita les travaux ; & les aſſiégés, fatigués par des aſſauts continuels, ſe ſoumirent le huitième jour. Le lendemain une frégate, partie de Goa, apporta les articles de la paix. Le vainqueur ne juſtifia pas autrement ſa mauvaiſe foi, qu’en diſant, que ceux qui ſe plaignaient avec tant de hauteur, avaient tenu, quelques années auparavant, la même conduite dans le Bréſil.

Après cette conquête, les Hollandois ſe crurent aſſurés d’un commerce conſidérable dans le Malabar. L’événement n’a pas répondu aux eſpérances qu’on avoit conçues. La compagnie n’a pu réuſſir, comme elle l’eſpéroit, à exclure de cette côte les autres nations Européennes. Elle n’y trouve que les mêmes marchandiſes qu’elle a dans ſes autres établiſſemens ; & la concurrence les lui fait acheter plus cher que dans les marchés, où elle exerce un privilège excluſif.

Ses ventes ſe réduiſent à un peu d’alun, de benjoin, de camphre, de toutenague, de ſucre, de fer, de calin, de plomb, de cuivre & de vif-argent. Le vaiſſeau qui a porté cette médiocre cargaiſon, s’en retourne à Batavia avec un chargement de kaire, pour les beſoins du port. La compagnie gagne, au plus, ſur ces objets, 396 000 livres qui, avec 154 000 livres que lui produiſent ſes douanes, forment une maſſe de 550 000 liv. Dans la plus profonde paix, l’entretien de ſes établiſſemens lui coûte 510 400 livres, de ſorte qu’il ne lui reſte que 39 600 livres pour les frais de ſon armement : ce qui eſt évidemment inſuffiſant.

La compagnie tire du Malabar, il eſt vrai, deux millions peſant de poivre, qui eſt porté ſur des chaloupes à Ceylan, où il eſt versé dans les vaiſſeaux qu’on y expédie pour l’Europe. Il eſt encore vrai que, par ſes capitulations, elle ne paie le cent du poivre que 38 liv. 8 ſols, quoiqu’il coûte depuis 43 juſqu’à 48, aux aſſociations rivales, & plus cher encore aux négocians particuliers ; mais le bénéfice qu’elle peut faire ſur cet article, eſt plus qu’abſorbé par les guerres ſanglantes dont il eſt l’occaſion.

Ces obſervations avoient ſans doute échappé à Golonefs, ditecteur-général de Batavia, lorſqu’il oſa avancer que l’établiſſement de Malabar, qu’il avoit long-tems régi, étoit un des plus importans de la compagnie. « Je ſuis ſi éloigné de penſer comme vous, lui dit le général Moſſel, que je ſouhaiterois que la mer l’eût englouti il y a un ſiècle ».