Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre I/Chapitre 23

XXIII. Étendue de la domination Portugaiſe aux Indes.

Leur cupidité devoit être ſatiſfaite, ainſi que leur ambition. Ils étoient les maîtres de la Guinée, de l’Arabie, de la Perſe & des deux preſqu’iſles de l’Inde. Ils régnoient aux Moluques, à Ceylan, dans les iſles de la Sonde ; & leur établiſſement à Macao leur aſſuroit le commerce de la Chine & du Japon.

Dans cet immenſe eſpace, la volonté des Portugais étoit la loi ſuprême. Ils tenoient ſous le joug les terres & les mers. Leur deſpotiſme ne laiſſoit aux choſes & aux perſonnes, qu’une exiſtence précaire & fugitive. Aucun peuple, aucun particulier, ne naviguoient, ne faiſoient le commerce ſans leur aveu & leurs paſſeports. Ceux auxquels on permettoit cette activité, ne pouvoient l’étendre à la canelle, au gingembre, au poivre, au bois de charpente, au fer, à l’acier, au plomb, à l’étain, aux armes, dont les conquérans s’étoient réſervé la vente excluſive. Mille objets précieux, ſur leſquels tant de nations ont depuis élevé leur fortune, & qui, dans leur nouveauté, avoient une valeur qu’ils n’ont pas eue depuis, étoient concentrés dans leurs ſeules mains. Ce monopole les rendoit les arbitres abſolus du prix des productions, des manufactures de l’Europe & de l’Aſie.

Au milieu de tant de gloire, de tréſors & de conquêtes, les Portugais n’avoient pas négligé cette partie de l’Afrique, compriſe entre le cap de Bonne-Eſpérance & la mer Rouge, qui avoit été renommée dans tous les tems, par la richeſſe de ſes productions. Tout y fixoit leurs regards avides.

Les Arabes s’y étoient établis & fort multipliés depuis pluſieurs ſiècles. Ils y avoient formé ſur la côte de Zanguebar, pluſieurs petites ſouverainetés indépendantes, dont quelques-unes avoient de l’éclat, preſque toutes de l’aiſance. Ces établiſſemens dévoient leur proſpérité aux mines qui étoient dans les terres. Elles fourniſſoient une partie de l’or qui ſervoit à l’achat des marchandiſes de l’Inde. Dans leurs principes, les Portugais devoient chercher à s’emparer de ces richeſſes & à les ôter à leurs concurrens. Ces marchands Arabes furent aisément ſubjugués vers l’an 1508. Sur leurs ruines s’éleva un empire, qui s’étendoit depuis Sofala juſqu’à Melinde, & auquel on donna pour centre l’iſle de Mozambique. Elle n’eſt séparée du continent que par un petit canal, & n’a pas deux lieues de tour. Son port, qui eſt excellent, & auquel il ne manque qu’un air plus pur, devint un lieu de relâche & un entrepôt pour tous les vaiſſeaux du vainqueur. C’eſt-là qu’ils attendoient ces vents réglés, qui, dans certains tems de l’année, ſoufflent conſtamment des côtes de l’Afrique à celles de l’Inde, comme dans d’autres tems des vents oppoſés ſoufflent des côtes de l’Inde à celles de l’Afrique.