Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre I/Chapitre 19

XIX. Arrivée des Portugais à la Chine. Idée générale de cet empire.

Le grand Albuquerque en avoit formé le deſſein. Il avoit rencontré à Malaca des vaiſſeaux & des négocians Chinois ; & il avoit pris la plus haute idée d’une nation, dont les derniers matelots avoient plus de politeſſe, d’attachement aux bienséances, de douceur & d’humanité, qu’il n’y en avoit alors en Europe dans la nobleſſe même. Il invita les Chinois à continuer leur commerce dans Malaca. Il apprit d’eux des détails ſur la puiſſance, la richeſſe, les mœurs de leur vaſte empire, & il fit part de ſes découvertes à la cour de Portugal.

On n’avoit aucune idée, en Europe, de la nation Chinoiſe. Le Vénitien Marc-Paul, qui avoit fait par terre le voyage de la Chine, en avoit donné une relation qui avoit paſſé pour fabuleuſe. Elle étoit conforme, cependant, à ce que manda depuis Albuquerque. On ajouta foi au témoignage de ce capitaine ; on crut ce qu’il diſoit du riche commerce qu’on pourroit faire dans cette contrée. Une eſcadre partit de Liſbonne en 1518, pour y porter un ambaſſadeur. Quand elle fut arrivée aux iſles voiſines de Canton, elle ne tarda pas à être entourée de navires Chinois, qui vinrent la reconnoître. Ferdinand d’Andreade, qui en étoit le chef, ne ſe mit point en défenſe : il laiſſa viſiter ſes vaiſſeaux ; il fit part aux mandarins qui commandoient à Canton du ſujet de ſon arrivée, & il leur remit l’ambaſſadeur, qui fut conduit à Pékin.

Cet ambaſſadeur rencontroit dans ſa route des merveilles, qui l’étonnoient à tout moment. La grandeur des villes ; la multitude des villages ; la quantité des canaux, dont les uns font navigables & traverſent l’empire, & les autres contribuent à la fertilité des terres ; l’art de cultiver ces terres ; l’abondance & la variété de leurs productions ; l’extérieur ſage & doux des peuples ; ce commerce continuel de bons offices, dont les campagnes, les grands chemins donnent le ſpectacle ; le bon ordre au milieu d’un peuple innombrable, que l’induſtrie entretient dans une agitation très-vive : tout cela dut ſurprendre l’ambaſſadeur Portugais, accoutumé aux mœurs barbares & ridicules de l’Europe.