Histoire naturelle des cétacées/Le Delphinaptère béluga

LE DELPHINAPTÈRE BÉLUGA[1].



Ce cétacée a porté pendant long-temps le nom de petite baleine et de baleine blanche. Il a été l’objet de la recherche des premiers navigateurs basques et hollandois qui osèrent se hasarder au milieu des montagnes flottantes de glaces et des tempêtes horribles de l’Océan arctique, et qui, effrayés par la masse énorme, les mouvemens rapides et la force irrésistible des baleines franches, plus audacieux contre les élémens conjurés que contre ces colosses, ne bravoient encore que très-rarement leurs armes et leur puissance.

On a trouvé que le béluga avoit quelques rapports avec ces baleines, par le défaut de nageoire dorsale et par la présence d’une saillie peu sensible, longitudinale, à demi calleuse, et placée sur sa partie supérieure ; mais par combien d’autres traits n’en est-il pas séparé !

Il ne parvient que très-rarement à une longueur de plus de six ou sept mètres. Sa tête ne forme pas le tiers ou la moitié de l’ensemble du cétacée, comme celle de la baleine franche, des cachalots, des physales, des physétères : elle est petite et alongée. La partie antérieure du corps représente un cône, dont la base, située vers les pectorales, est appuyée contre celle d’un autre cône beaucoup plus long, et que composent le reste du corps et la queue.

Les nageoires pectorales sont larges, épaisses et ovales ; et les plus longs des doigts cachés sous leur enveloppe ont cinq articulations.

Le museau s’alonge et s’arrondit par-devant.

L’œil est petit, rond, saillant et bleuâtre.

Le dessus de la partie antérieure de la tête proprement dite montre une protubérance au milieu de laquelle on voit l’orifice commun de deux évents ; et la direction de cet orifice est telle, suivant quelques observateurs, que l’eau de la mer, rejetée par les évents, au lieu d’être lancée en avant, comme par les cachalots, ou verticalement, comme par plusieurs autres cétacées, est chassée un peu en arrière.

On découvre derrière l’œil l’orifice extérieur du canal auditif ; mais il est presque imperceptible.

L’ouverture de la gueule paroît petite à proportion de la longueur du delphinaptère : elle n’est pas située au-dessous de la tête, comme dans les cachalots, les physales et les physétères, mais à l’extrémité du museau.

La mâchoire inférieure avance presque autant que celle d’en-haut. Chaque côté de cette mâchoire est garni de dents au nombre de neuf, petites, émoussées à leur sommet, éloignées les unes des autres, inégales, et d’autant plus courtes qu’elles sont plus près du bout du museau.

Neuf dents un peu moins obtuses, un peu recourbées, mais d’ailleurs semblables à celles que nous venons de décrire, garnissent chaque côté de la mâchoire supérieure.

La langue est attachée à la mâchoire d’en-bas.

Le béluga se nourrit de pleuronectes soles, d’holocentres norvégiens, de plusieurs gades, particulièrement d’églefins et de morues. Il les cherche avec constance, les poursuit avec ardeur, les avale avec avidité ; et comme son gosier est très-étroit, il court souvent le danger d’être suffoqué par une proie trop volumineuse ou trop abondante.

Ces alimens substantiels et copieux donnent à sa chair une teinte vermeille et rougeâtre.

La graisse qui la recouvre a près d’un décimètre d’épaisseur ; mais elle est si molle, que souvent elle ne peut pas retenir le harpon. La peau, qui est très-douce, très-unie, est d’ailleurs déchirée facilement par cet instrument, quoiqu’onctueuse, et épaisse quelquefois de deux ou trois centimètres.

Aussi ne cherche-t-on presque plus à prendre des bélugas ; mais on les voit avec joie paroître sur la surface des mers, parce que quelques pêcheurs, oubliant que la nourriture de ces cétacées est très-différente de celle des baleines franches, ont accrédité l’opinion que ces baleines et ces delphinaptères fréquentent les mêmes parages dans les mêmes saisons, pour trouver les mêmes alimens, et par conséquent annoncent l’approche les uns des autres.

Au reste, comment, au milieu des ennuis d’une longue navigation, ne verroit-on pas avec plaisir les vastes solitudes de l’océan animées par l’apparition de cétacées remarquables dans leurs dimensions, sveltes dans leurs proportions, agiles dans leurs mouvemens, rapides dans leur natation, réunis en grandes troupes, montrant de l’attachement pour leurs semblables, familiers même avec les pêcheurs, s’approchant avec confiance des vaisseaux, leur composant une sorte de cortége, se jouant avec confiance autour de leurs chaloupes, et se livrant presque sans cesse et sans aucune crainte à de vives évolutions, à des combats simulés, à de joyeux ébats ?

Leurs nuances sont d’ailleurs si agréables !

Leur couleur est blanchâtre ; des taches brunes et d’autres taches bleuâtres sont répandues sur ce fond gracieux, pendant que les bélugas ne sont pas très-âgés. Plus jeunes encore, ils offrent un plus grand nombre de teintes foncées ou mêlées de bleu ; et l’on a écrit que, très-peu de temps après leur naissance, presque toute leur surface est bleuâtre.

Des fœtus arrachés du ventre de leur mère ont paru d’une couleur verte.

La femelle ne porte ordinairement qu’un petit à la fois.

Ce delphinaptère, parvenu à la lumière, ne quitte sa mère que très-tard. Il nage bientôt à ses côtés, plonge avec elle, revient avec elle respirer l’air de l’atmosphère, suit tous ses mouvemens, imite toutes ses actions, et suce un lait très-blanc de deux mamelles très-voisines de l’organe de la génération.

On a joui de ce spectacle agréable et touchant d’un attachement mutuel, d’une affection vive et d’une tendresse attentive, dans l’Océan glacial arctique et dans l’Océan atlantique septentrional, particulièrement dans le détroit de Davis.

On a écrit que, pendant les hivers rigoureux, les bélugas quittent la haute mer et les plages gelées, pour chercher des baies que les glaces n’aient pas envahies ; mais ce qui est plus digne d’attention, c’est qu’on a vu de ces delphinaptères remonter dans des fleuves.

Notre célèbre confrère M. Pallas, qui a répandu de si grandes lumières sur toutes les branches de l’histoire naturelle, est un des savans qui nous ont le plus éclairés au sujet du béluga.


  1. Delphinapterus beluga.
    Marsouin blanc.
    Witfisch.
    Balæna albicans.
    Delphinus leucas. Linné, édition de Gmelin.
    Delphinus rostro conico obtuso, deorsum inclinato, pinnâ dorsali nullâ. Pallas, It. 3, p. 84, tab. 4.
    Dauphin béluga. Bonnaterre, planches de l’Encyclopédie méthodique.
    Delphinus pinnâ in dorso nullâ. Brisson, Regn. animal. p. 374, n. 5.
    Beluga. Pennant, Quadr. p. 357.
    Bieluga. Sleller, Kamtschatka, p. 106.
    Witfisch oder weissfisch. Anderson, Island. p. 251.
    Weisfisch. Cranz, Groenland, p. 150.
    Mull. Prodrom. Zoolog. Dan. p. 50.
    Oth. Fabric. Faun. Groenland. p. 50.