Histoire naturelle des cétacées/La Baleine nordcaper

LA BALEINE NORDCAPER[1].



Ce cétacée vit dans la partie de l’Océan atlantique septentrional située entre le Spitzberg, la Norvége et l’Islande. Il habite aussi dans les mers du Groenland, où un individu de cette espèce a été dessiné, en 1779, par M. Bachstrom, dont le travail, remis dans le temps à sir Joseph Banks, m’a été envoyé il y a trois mois par cet illustre président de la société royale de Londres. Il paroît qu’on l’a trouvé d’ailleurs dans les eaux du Japon, et par conséquent dans le grand Océan boréal, vers le quarantième degré de latitude.

Pl. 2.


1. Baleine nordcaper, Vue de dessus.
2. Baleine nordcaper, Vue de dessous.
3. 3. Os de la mâchoire inférieure du nordcaper.

Son corps est plus alongé que celui de la baleine franche.

La mâchoire inférieure est au contraire très-arrondie, très-haute, et plus large à proportion de celle d’en-haut, que dans le plus grand des cétacées. La forme générale de la tête, vue par-dessus et par-dessous, est celle d’un ovale tronqué par derrière, et un peu échancré à l’extrémité du museau. Parmi les dessins de M. Bachstrom, que nous avons fait graver, il en est un qui montre d’une manière particulière cette forme ovale présentée et maintenue par les deux os de la mâchoire inférieure. Ces deux os, réunis sur le devant par un cartilage qui en lie les extrémités pointues, et terminés par deux apophyses, dont l’une s’articule avec l’humérus, forment comme le cadre d’un ovale presque parfait.

Pl. 3.


1. Baleine nordcaper, Vue de côté, et la bouche entrouverte.
2. Baleine nordcaper, Représentée de manière à montrer les parties de sa tête et de son corps qui sont hors de l’eau, lorsqu’elle nage.

L’ensemble de la tête et les fanons sont cependant plus petits dans le nordcaper que dans la baleine franche, proportionnellement à la longueur totale.

Les dimensions du nordcaper sont, d’ailleurs, très-inférieures à celles de la baleine franche ; et comme il est aussi moins chargé de graisse, même à proportion de sa grandeur, il n’est pas surprenant qu’il ne donne souvent que trente tonnes d’huile.

Les deux évents représentent deux petits croissans, un peu séparés l’un de l’autre, et dont les convexités sont opposées.

L’œil est très-petit ; et son diamètre le moins court, placé obliquement.

Le bord des fanons, qui touche la langue, est garni de crins noirs, qui la préservent d’être blessée par un tranchant trop aigu. La partie de ces mêmes fanons qui rencontre la lèvre inférieure, est unie et douce, mais dénuée de crins ou filamens.

La longueur de chaque nageoire pectorale excède le cinquième de la longueur totale ; et ces deux bras sont situés au-delà du premier tiers de cette même longueur.

La queue est déliée, très-menue à son extrémité, terminée par une nageoire non seulement échancrée, mais un peu festonnée par derrière, et dont les lobes sont si longs, que du bout extérieur de l’un au bout extérieur de l’autre, il y a une distance égale aux trois septièmes ou environ de la longueur totale du cétacée.

On voit sur le ventre du mâle une fente longitudinale, dont la longueur est égale au sixième de la longueur de l’animal, et dont les bords se séparent pour laisser sortir le balénas.

L’anus est une petite ouverture ronde, située, dans le mâle, au-delà de cette fente longitudinale.

La couleur du nordcaper est ordinairement d’un gris plus ou moins clair ; ses nuances sont assez uniformes ; et souvent le dessous de la tête paroît un grand ovale d’un blanc très-éclatant, au centre et à la circonférence duquel on voit des taches grises ou noirâtres, irrégulières, confuses et nuageuses.

Quelqu’étonnante que soit la vîtesse de la baleine franche, celle du nordcaper est encore plus grande. Sa queue, beaucoup plus déliée, et par conséquent beaucoup plus mobile, sa nageoire caudale, plus étendue à proportion de son corps ; l’extrémité de sa queue, à laquelle cette nageoire est attachée, plus étroite et plus flexible, lui donnent une rame bien plus large, bien plus vivement agitée, bien plus puissante ; et la force avec laquelle il tend à se mouvoir, doit en effet être bien considérable, puisqu’il échappe à la poursuite, et, pour ainsi dire, à l’œil, avec la rapidité d’un trait, et que cependant il déplace un très-grand volume d’eau. Lors même que le nordcaper nage à la surface de l’océan, il ne montre au-dessus de la mer qu’une petite partie de sa tête et de son corps. On peut remarquer aisément sur un des dessins de M. Bachstrom, que la ligne du niveau de l’eau est alors au-dessus de la partie la plus haute de l’ouverture de la gueule ; que la queue, toutes les nageoires, l’œil, et les deux mâchoires, sont sous l’eau ; que le cétacée ne laisse voir que la sommité du dos et celle du crâne ; et qu’il ne tient dans l’atmosphère que ce qu’il ne pourroit enfoncer dans l’eau sans y plonger en même temps les orifices supérieurs de ses évents.

Cette rapidité dans la natation est d’autant plus utile au nordcaper, qu’il ne se nourrit pas uniquement, comme la baleine franche, de mollusques, de crabes, ou d’autres animaux privés de mouvement progressif, ou réduits à ne changer de place qu’avec plus ou moins de difficultés et de lenteur. Sa proie a reçu une grande vîtesse. Il préfère, en effet, les clupées, les scombres, les gades, et particulièrement les harengs, les maquereaux, les thons et les morues. Lorsqu’il en a atteint les troupes ou les bancs, il frappe l’eau avec sa queue, et la fait bouillonner si vivement, que les poissons qu’il veut dévorer, étourdis, saisis et comme paralysés, n’opposent à sa voracité, ni la fuite, ni l’agilité, ni la ruse. Il en peut avaler un si grand nombre, que Willughby compta une trentaine de gades dans l’intérieur d’un nordcaper ; que, suivant Martens, un autre nordcaper, pris auprès de Hitland, avoit dans son estomac plus d’une tonne de harengs ; et que, selon Horrebows, des pêcheurs islandois trouvèrent six cents gades morues encore palpitans, et une grande quantité de clupées sardines, dans un autre individu de la même espèce, qui s’étoit jeté sur le rivage en poursuivant des poissons avec trop d’acharnement.

Ces clupées, ces scombres et ces gades trouvent quelquefois leur vengeur dans le squale scie.

Ennemi audacieux de la baleine franche, il attaque avec encore plus de hardiesse le nordcaper, qui, malgré la prestesse de ses mouvemens et l’agilité avec laquelle il remue ses armes, lui oppose souvent moins de force, parce qu’il lui présente moins de masse. Martens raconte qu’il fut témoin d’un combat sanglant entre un nordcaper et un squale scie. Il n’osa pas faire approcher son bâtiment du lieu où ces deux terribles rivaux cherchoient à se donner la mort ; mais il les vit pendant long-temps se poursuivre, se précipiter l’un sur l’autre, et se porter des coups si violens, que l’eau de la mer jaillissoit très-haut autour d’eux, et retomboit en brouillard.

Mais le nordcaper n’est pas seulement vif et agile ; il est encore farouche : aussi est-il très-difficile de l’atteindre. Néanmoins, lorsque la pêche de la baleine franche n’a pas réussi, on cherche à s’en dédommager par celle du nordcaper. On est souvent obligé d’employer pour le prendre un plus grand nombre de chaloupes, et des matelots ou harponneurs plus vifs et plus alertes, que pour la pêche de la grande baleine, afin de lui couper plus aisément la retraite. La femelle, dans cette espèce, est atteinte plus facilement que le mâle lorsqu’elle a un petit : elle l’aime trop pour vouloir l’abandonner,

Cependant, lorsqu’on est parvenu auprès du nordcaper, il faut redoubler de précautions. Il se tourne et retourne avec une force extrême, bondit, élève sa nageoire caudale, devient furieux par le danger, attaque la chaloupe la plus avancée, et d’un seul coup de queue la fait voler en éclats ; ou, cédant à des efforts supérieurs, contraint de fuir, emportant le harpon qui l’a blessé, entraîne jusqu’à mille brasses de corde, et, malgré ce poids aussi embarrassant que lourd, nage avec une telle rapidité, que les matelots, qu’il remorque, pour ainsi dire, peuvent à peine se soutenir, et se sentent suffoquer.

Les habitans de la Norvége ont moins de dangers à courir pour se saisir du nordcaper, lorsque cette baleine s’engage dans des anses qui aboutissent à un grand lac de leurs rivages : ils ferment la sortie du lac avec des filets composés de cordes d’écorce d’arbre, et donnent ensuite la mort au cétacée, sans être forcés de combattre.

Duhamel a écrit qu’on lui avoit assuré que la graisse ou le lard du nordcaper n’avoit pas les qualités malfaisantes qu’on a attribuées à la graisse de la baleine franche.

Au reste, Klein a distingué dans cette espèce deux variétés : l’une, qu’il a nommée nordcaper austral, et dont le dos est très-aplati ; et l’autre, dont le dos est moins plat, et à laquelle il a donné le nom de nordcaper occidental. De nouvelles observations apprendront si ces variétés existent encore, si elles sont constantes, et si on doit les rapporter au sexe, à l’âge, ou à quelque autre cause.


  1. Balæna nordcaper.
    Sarde.
    Baleine de Sarde.
    Nordkaper, par les Allemands.
    id. en Norvége.
    Sildqual, ibid.
    Lilie-hual, ibid.
    Nordkapper, dans le Groenland.
    Balæna mysticetus, var. B. Linné, édition de Gmelin.
    Balæna Islandica, bipinnis ex nigro candicans, dorso lævi. Briss. Regn. anim. p. 350, n. 2.
    Balæna glacialis. Klein, Miss. pisc. 2, p. 12.
    Autre espèce, qu’on appelle nordkapper. Eggede, Groenland. p. 53.
    Nordcaper. Anders. Island. p. 219.
    id. Cranz, Groenland. p. 145.
    Baleine nordcaper. Bonnaterre, planches de l’Encyclopédie méthodique.
    Horrebows, Description d’Islande, p. 309.
    Raj. Pisc. p. 17.
    Nordcaper. Édition de Bloch, donnée par R. R. Castel, etc.
    Nordcaper. Valmont-Bomare, Dictionnaire d’histoire naturelle.

    C’est avec beaucoup d’empressement que nous engageons nos lecteurs à consulter les articles relatifs aux cétacées, qu’ils trouveront dans l’Encyclopédie méthodique, et dans les Dictionnaires d’histoire naturelle, ainsi que dans les différentes éditions de Buffon que l’on vient de publier, ou dont la publication n’est pas encore terminée. Les auteurs de ces Dictionnaires, et des additions importantes que ces éditions renferment, sont trop célèbres pour que nous devions les indiquer aux amis des sciences naturelles.