Histoire naturelle de la religion
Traduction par Anonyme.
(Œuvres philosophiques. Tome 3p. 143-199).

EXAMEN
DE
L’HISTOIRE
NATURELLE
DE LA
RELIGION.


J’entreprends l’examen d’un ouvrage philosophique ; & je l’examinerai en philosophe. Je dirai tranquillement mes raisons, je les dirai avec simplicité, sans chercher des embellissemens, & sans m’égarer dans le vaste champ de l’érudition. Je respecte les lumières & les talens de M. Hume ; mais il fait des assertions dont la vérité me paroît douteuse ; il en fait d’autres où il me semble avoir tort : je les combattrai les unes & les autres avec cette franchise, & avec cette candeur qui conviennent à tout écrivain qui fait profession d’être honnête homme.

Comment l’esprit humain est-il parvenu à se faire une religion ? C’est le problème que M. Hume se propose de resoudre. Le polythéïsme est la plus ancienne des religions, l’idolâtrie le plus ancien des cultes. Cette religion & ce culte doivent leur naissance aux passions, à ces passions ordinaires que les événemens journaliers, & les diverses scenes de la vie excitent dans le cœur humain. Le théïsme est sorti du sein même de l’idolâtrie. C’est la solution du problème.

Toutes les parties de ce Traité sont subordonnées à ce plan général : elles tendent toutes ou à le développer, ou à confirmer les idées qu’il renferme : s’il y en a qui paroissent des digressions, comme par exemple le parallele du théïsme & de l’idolâtrie, où l’on balance les avantages & les inconvéniens de ces deux systêmes, on trouvera pourtant, en les envisageant de plus près, qu’elles rentrent dans le dessein principal. Enfin la conclusion de l’ouvrage contient une espece de scepticisme. Je suivrai, dans mon examen, le fil que je viens de marquer.

Est-il vrai que le polythéïsme ait été la premiere notion que les hommes se soient faite d’un pouvoir supérieur ? Pour établir cette these, M. Hume fait valoir deux sortes de preuves, des preuves de fait, & des preuves de raisonnement.

Il nous dit d’abord qu’en remontant au-delà de dix-sept siecles, on trouve tout le genre humain plongé dans l’idolâtrie. Quand on lui accorderoit ce point ; il n’en pourroit pourtant tirer aucun avantage, avant d’avoir fixé l’époque de l’origine du genre humain. Si nous pouvons reculer cette époque à notre gré, que d’étranges révolutions ne peut-on pas concevoir dans les opinions des hommes pendant des myriades, ou des myriades de myriades de siecles ? Le culte du vrai Dieu a pu, mille & mille fois, triompher du culte des idoles, & en être subjugué à son tour ; il a pu disparoître & reparoître, se détruire & se relever de ses cendres. Nous voyons dans l’histoire les nations les plus civilisées retomber dans la barbarie, & les nations les plus barbares s’instruire & le polir : le goût, la politesse, les arts, les sciences, les mœurs, les façons de penser, tout est sujet au changement : les connoissances humaines ne sont pas plus éternelles que les empires, & la religion, suivant les idées de M. Hume, appartient à cette classe : elle peut donc, par des degrés insensibles, dégénérer au point de devenir tout-à-fait méconnoissable ; elle peut même se perdre entiérement, & être engloutie dans les abymes du tems. Tout ce que je prétends ici, c’est que tant qu’on n’aura pas déterminé, ou du moins à-peu-près déterminé, l’époque de l’origine du genre humain, & tant qu’on n’aura point de sentiment fixe sur l’état des premiers hommes, l’histoire ne nous fournit pas même de quoi conjecturer quelle étoit la premiere religion.

À s’en rapporter à M. Hume, les premiers théïstes qui méritent d’être comptés, ce seroient les chrétiens : l’instituteur de la religion chrétienne seroit donc le premier docteur du théïsme, le premier qui ait enseigné aux hommes qu’il n’y a qu’un Dieu. Mais les Juifs étoient théïstes ; & n’avoient pas besoin d’instruction à cet égard : la doctrine de l’unité de Dieu, créateur & souverain maître de l’univers étoit consacrée dans leur livres symboliques : Jesus-Christ l’y trouva toute établie, & n’y fit aucun changement. M. Hume dira-t il que ce n’étoit pas un théïsme pur ? mais c’est le même que celui des chrétiens : il n’y en eût jamais de plus pur ni de plus éloigné de l’idolâtrie : rien n’égale l’horreur que cette religion inspire pour le culte des idoles, & même pour la plus légère apparence de ce culte. Ce sont-là des vérités que l’on n’a pas besoin de prouver.

Quand M. Hume ne voit dans l’ancien monde que des idolâtres ; quels sont les organes ou les instrumens dont il se sert pour porter sa vue à une si grande distance ? Quels sont, en un mot, les historiens garans de son opinion ? Il ne les nomme pas : mais l’on sent bien que ce ne peut être que les Grecs, ou les Romains, copistes des Grecs. Il semble donc ne compter pour rien les livres de Moyse, qui cependant sont, sans contredit, la plus ancienne histoire que nous ayons, & quand on ne la considéreroit que comme une production humaine, l’histoire la plus digne de foi. Il en appelle à tous les vieux monumens ? quels sont-ils ces monumens ? Les écrits d’Hérodote, de Diodore de Sicile.

Et quicquid Gracia mendax
Audet in Historiâ.

Aucun de ces écrivains ne remonte dans la haute antiquité ? ils se perdent tous dans le tems fabuleux, vuide immense que les Grecs ont rempli de toutes les rêveries de leur imagination : ils y ont peint des dieux, des déesses, des héros, auteurs de leur race : ils y ont créé le monde, ou plutôt le ridicule chaos de la mythologie.

S’agit-il de l’origine du genre humain, où de celle du monde ? Ils se taisent, ou ils débitent la premiere futilité qui leur passe par l’esprit. Et comment les Grecs auroient-ils été en état de décider de pareilles questions ? se regardant comme le centre de l’univers, ils traitoient toutes les autres nations de barbares ; ils ne connoissoient pas leur propre origine, ils ignoroient celle de leur langue, & sur-tout ils ne savoient pas d’où ils tenoient les premiers germes de leur religion, les plus sages d’entr’eux soupçonnoient à peine qu’ils en fussent redevables à ces mêmes nations barbares, pour lesquelles ils marquoient tant de mépris. Platon a entrevu que bien de noms reçus en Grece étoient originairement des noms étrangers : & en effet tous ceux qui servent à désigner les divinités & les fêtes sont de ce genre : le fonds de l’histoire fabuleuse vient de l’Asie & de l’Egypte, dont les colonies ont peuplé les différentes provinces de la Grece. Mais les racines de ces mots barbares s’étant perdues par le laps de tems, & ces mots mêmes ayant été estropiés à la grecque, on leur a cherché des étymologies dans cette langue : cela est arrivé sur-tout à l’égard du langage religieux ; & Dieu fait les beaux contes que les philosophies, les prêtres, les poëtes, les fabulistes ont été obligés d’inventer pour trouver des étymologies, ou pour justifier celles qu’ils avoient forgées de leur propre autorité. C’est-là la vraie origine de la religion, & de la théologie des Grecs : toute la métamorphose n’est qu’une métamorphose des langues de l’orient & de celle de l’Egypte en langue grecque.

On s’apperçoit sans peine de quel poids doivent être de pareils monumens : jetons un coup d’œil sur ceux que M. Hume récuse, ou du moins qu’il néglige de consulter.

Il existe une histoire qui perce à travers les épaisses ténebres des tems fabuleux, qui remonte jusqu’à la naissance du genre humain dont elle fixe la datte, qui nous donne une idée de l’origine des nations, & de leur dispersion successive sur la surface de globe. Cette histoire a tous les caracteres d’autenticité qui manquent à l’histoire payenne : elle est soutenue, suivie ; elle a été fidélement conservée, & transmise jusques à nous par un peuple dont l’antiquité est incontestable, & qui subsiste encore, séparé de tous les autres peuples : les événemens de ce peuple sont étroitement liés à cette histoire, & sa religion sur-tout y tient d’une façon particuliere, religion fondée de tout tems sur le pur theïsme, c’est-à-dire, de l’aveu de M. Hume, par le seul sentiment raisonnable qu’il y ait sur cette matiere. Se peut-il que cette histoire, ce peuple, cette religion aient paru des phénomenes indifférens à un philosophe qui prétend découvrir les premieres idées que les hommes se sont formées de la divinité ? pouvoit-il se promettre de réussir dans ses recherches en négligeant cette source, & en ne puisant que dans des sources suspectes ?

Il est vrai que M. Hume lui-même ne semble pas faire beaucoup de fonds sur ces prétendus argumens historiques ; il ne les touche que fort légérement ; il ne s’en sert que pour se ménager une transition aux preuves tirées de la philosophie, qui lui paroissent victorieuses & triomphantes.

Avant de les examiner, faisons cette remarque générale : que lorsqu’il s’agit d’un fait, on ne sauroit assez se mettre en garde contre de petites probabilités, fondées sur des analogies toujours très-imparfaites, & souvent fort trompeuses. Je conçois qu’une chose pouvoit ou devoit se passer ainsi donc elle n’a pu se passer autrement : rien de plus téméraire, ni de plus sujet à erreur que cette décision. Les événemens ne se reglent pas sur notre façon de penser : notre façon de penser doit se régler sur les événemens : quand des monumens authentiques attestent un fait, défions-nous de nos spéculations : elles ne sont alors que des conjectures, de simples apparences qui pour l’ordinaire nous mettent à cent lieues du vrai : loin de pouvoir contredire les faits, elles ne sont plausibles qu’autant qu’elles s’appuyent des faits. Ce n’est pas aux philosophes à faire l’histoire ; encore moins sont-ils en droit de la façonner à leur gré pour la faire rimer avec leurs systêmes ; mais l’histoire doit être le guide & le flambeau de la philosophie.

La premiere preuve de M. Hume est tirée du progrès naturel de nos connoissances. Cette preuve, pourroit être hypothétiquement bonne. Si l’on suppose des créatures humaines, sorties du limon de la terre, & abandonnées au développement naturel de leurs facultés ; sans doute qu’elles ne se perfectionneront que par degrés : il s’ écoulera bien des siecles, leur esprit passera par bien des erreurs & par bien des absurdités avant qu’il s’élève jusqu’à l’origine de son être si tant est qu’il puisse jamais y atteindre ; si peut-être même il ne demeure pour toujours abruti, & réduit à l’état de pure animalité.

Mais ce n’est ici qu’une supposition qui n’a pas une ombre de probabilité. La raison perfectionnée nous apprend que l’homme est la production d’un être dont la puissance, la sagesse, la bonté n’ont point de bornes. M. Hume en convient ; mais pourquoi perd-il de vue cette grande vérité, lorsqu’il entreprend de remonter à la naissance des religions ? N’est-ce pas de là qu’il devoit partir ? Craignoit-il que son histoire n’en devint moins naturelle pour être fondée sur la nature & la raison ? falloit-il des hypotheses chimériques pour lui mériter ce titre ?

Si dans un de ces mondes innombrables, dont le créateur a parsemé l’espace il se trouve une planete destinée au séjour d’une créature, laquelle, avec bien des imperfections, attachées à son espece, renferme pourtant un certain degré de perfectibilité, mais qui par lui-même ne sauroit se développer, ou dont le développement naturel ne seroit que fort tardif, fort casuel, & fort incertain. Est-il à présumer que Dieu laissera ce germe étouffé, ou pour toujours, ou du moins pendant une longue succession de siecles, au bout desquels cet être n’en seroit encore qu’à ses rudimens ; puis plongé, pour le moins aussi long-tems, dans la barbarie, & dans la superstition la plus grossiere, ne s’en débarrasseroit à la fin qu’avec beaucoup de peine, & très-imparfaitement ? Si la destination visible de l’homme est de connoître & d’aimer l’auteur de son existence, sera-t-il exposé à manquer cette destination, à ressembler aux animaux brutes, ou à croupir éternellement dans l’ignorance & dans l’erreur ?

On m’accordera, sans doute, qu’il est infiniment plus probable que Dieu fournisse à l’homme des moyens propres à le conduire au but de son existence : il pourra le faire de deux manieres. Ou il placera les premiers hommes dans des circonstances favorables, qui dégourdiront leurs facultés, qui accéléreront la marche de leur intelligence, les mettront en état de remonter du spectacle de la nature jusques à la premiere cause. Ou bien il le découvrira à eux d’une façon plus directe & plus immédiate, peut-être aussi se servira-t-il de ces deux moyens à la fois.

Quand ce ne seroient ici que des hypotheses, il en résulteroit toujours trois conséquences. 1. Que M. Hume n’a pas épuisé toutes les possibilités. 2. Que mon hypothese est pour le moins aussi bonne que la sienne. 3. Qu’elle découle d’un principe solide, incontestable, & que lui-même n’ose pas contester ; tandis que la sienne n’est bâtie que sur l’idée vague d’hommes existans, sans que l’on sache, ni depuis quand, ni comment, ni pourquoi.

Mais lorsque je rapproche ces notions, qu’une saine philosophie me suggere, des relations de l’histoire, il me semble voir disparoître tout ce que l’on y pouvoit soupçonner de simplement hypothétique ; tout ce que l’on pouvoit ne prendre que pour des présomptions spécieuses, il me semble que je le vois se réaliser. Je les retrouve, ces mêmes notions, dans la plus ancienne des histoires : j’y vois l’origine du genre humain : j’y vois le théïsme dicté aux premiers hommes par celui-même qui est l’objet du théïsme : de-là, par une suite de générations bien liée, je passe aux fondateurs d’une famille, d’une société, d’une nation théïste, d’une nation, dis-je, qui a transmis cette doctrine pure, qu’elle reçut de ses ancêtres, jusques à sa postérité la plus reculée, & dont les annales ont été en tout tems dépositaires des principes du théïsme, & inséparables de ces principes. Alors je me dis : si la raison d’un côté me fait croire que le théïsme doit avoir été la religion des premiers hommes : si, de l’autre, la plus ancienne & la plus authentique des histoires me représente les choses précisément de la même façon ; il y a donc un heureux accord entre l’histoire & les enseignemens de la raison : ces deux sources de mes connoissances conspirent donc, & se prêtent une confirmation réciproque, au-lieu que chez M. Hume elles sont en perpétuelle contradiction : ses raisonnemens non seulement sont démentis par l’histoire, mais encore par les principes même qu’il adopte, comme des principes raisonnables.

Ami de la liberté de penser, j’ai lu, sans prévention & sans humeur, les ouvrages qui combattent la religion que je professe : le zele qui foudroie les vices, m’a toujours paru le mouvement naturel d’une ame bien née ; mais il m’a semblé que celui qui s’échauffe contre les opinions, ne pouvoit, en nous foibles mortels, provenir que d’un mélange de fanatisme : il m’a semblé que ce n’étoit pas une impression naturelle, mais une impression factice, artificielle, qui contrefait la nature. Mais, en lisant dans cet esprit, les ouvrages dont je viens de parler, j’ai été surpris, plus d’une fois, de voir faire à des personnes, à qui d’ailleurs on ne sauroit refuser du génie & du jugement, de leur voir faire, dis-je, des raisonnemens bien moins philosophiques que ne peuvent être tous ceux qu’ils reprochent aux plus crédules & aux plus superstitieux de leurs antagonistes, & qui sont le sujet éternel de leur plaisanterie.

Tout ce qu’ils disent, par exemple, contre la révélation faite à nos premiers parens, est de cet ordre. Ils conviennent que le systême de l’univers est l’ouvrage d’une souveraine intelligence : il y a donc eu des premiers hommes sur le globe que nous habitons : ils ne sauroient nier que Dieu ne leur ait pu manifester son existence, ni que son intention n’ait été d’être connu d’eux ; mais la méthode de cette manifestation ne leur plaît pas : qu’ils en imaginent donc une meilleure ! Parce qu’ils ne voient plus de ces révélations, & de ces événemens extraordinaires auxquels on a donné le nom de miracles ; ils pensent qu’il ne peut jamais y avoir eu rien de pareil ; mais qu’est-ce qu’ils voient, & depuis quand voient-ils, Ils ne sont peut-être pas en état de prouver que sans une pareille révélation l’homme eût pu sortir de l’état animal, déployer les ailes de son intelligence, & devenir véritablement homme. Est-ce montrer un esprit fort étendu, que de conclure de la situation présente du genre humain à celle du genre humain à peine ébauché ? Ces différentes situations exigeoient sans doute différentes économies : & quand je considere les tems des miracles, je trouve toujours que ces grands coups n’ont été frappés que dans les grandes occasions. Le monde naissant en eut besoin pour apprendre à qui il devoit son origine, & pour s’affermir dans la croyance d’un seul Dieu : le monde idolâtre en eût besoin pour être ramené vers le seul objet digne de son adoration : le monde corrompu en eut besoin pour repasser du vice à la vertu, & pour empêcher que les principes & les mœurs ne s’abrutissent de nouveau. Ne nous hâtons donc pas tant de décider : il peut y avoir eu de très-bonnes raisons pour tout cela ; quand même nous ne les concevrions pas ; & ne jugeons pas les choses passées & futures par nos fantaisies présentes. Les phénomenes les plus extraordinaires, comme les plus communs, ne paroissent que parce que l’arrangement général, & l’exigence du systême les appelle ; & s’ils ne nous étonnent point dans le monde physique, pourquoi nous choqueroient-ils si fort dans le monde moral ? Voici en un mot où tout se réduit : La nature de l’homme étant donnée, en tirer le meilleur parti possible : c’est, pour ainsi dire, le problème que l’éternelle sagesse avoit à résoudre : notre religion est une solution de ce problème : je sais bien que ces philosophes n’y acquiescent point ; mais ont-ils proposé quelque chose de mieux ? s’ils l’ont fait, il n’est pas parvenu à ma connoissance. Revenons à M. Hume.

Le second argument qu’il emploie pour prouver que l’idolâtrie a précédé le théïsme, est pris de l’impossibilité qu’il y auroit, selon lui, que l’idolâtrie se fût engendrée de la corruption du théïsme : il suppose un théïsme fondé sur le raisonnement : & il avoue que s’il n’étoit fondé que sur la tradition, il pourroit dégénérer au point de se changer en polythéïsme. Mais nous avons vu que la raison & l’histoire nous apprennent également que Dieu s’est découvert aux premiers hommes d’une façon particuliere. Quelle qu’ait été cette façon, ils auront transmis cette vérité à leurs enfans ; & de-là elle sera passée plus loin par la tradition : elle pouvoit donc s’abâtardir par degrés, & s’éteindre entiérement ; l’erreur, la superstition, & tous les égaremens du monde payen pouvoient prendre sa place.

Cette réponse suffiroit. Cependant quand nous nous prêterions à l’hypothese de Mr. Hume, quand nous supposerions avec lui un théïsme raisonné, je ne vois pas encore qu’il ait prouvé l’impossibilité de la corruption d’un pareil théïsme. Voici son dilemme ; ce théïsme, dit-il, étoit fondé, ou sur des raisonnemens faciles, & à la portée de tout le monde ; ou bien sur des raisonnemens difficiles, compliqués, qui ne pouvoient être compris que par un petit nombre de contemplateurs. Les premiers devoient avoir un effet durable, & par conséquent empêcher la corruption du théïsme. Les seconds ne seroient jamais parvenus jusqu’au peuple, & par-là étoient encore moins sujets à être pervertis.

Mais d’abord, quoique les preuves que nous avons de l’existence de Dieu soient de différens ordres ; la moins compliquée & la moins difficile de ces preuves demande pourtant une certaine recherche, & un certain degré d’attention : d’ailleurs, il s’agit de concevoir un être immatériel, invisible, placé hors de la sphere des sens. Combien à tous ces égards le théïsme n’est-il pas exposé à la corruption ? C’est une grande affaire que d’engager le peuple à se servir de sa raison, & s’il raisonne une fois, il n’est pas dit qu’il le fera toujours : il semble même que les conceptions spirituelles soient pour lui un état forcé : à tout moment elles lui échappent, s’il retombe, par son propre poids, dans les sens & dans la matiere.

On voit combien cette disposition des esprits favorisoit & la naissance & les progrès de l’idolâtrie : il ne faut pas s’imaginer qu’elle s’établisse brusquement tout d’un coup : son commencement est insensible, & ses progrès sont gradués. On veut se représenter la divinité : on veut, pour ainsi dire, mettre les objets intellectuels en relief : on choisit des emblèmes, des types, des hiéroglyphes ; & ces signes, dont l’usage étoit d’abord innocent, dans la suite des tems, deviennent des faux dieux : on commencera par les subordonner à l’Être suprême : on les mettra dans le soleil, dans la lune, dans les étoiles : bientôt on les fera descendre sur la terre, on les renfermera dans des statues. Alors environné de tant de divinités présentes & sensibles, l’idée subtile de l’être invisible disparoît peu-à-peu, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucune trace : il en est à cet égard comme des objets lointains, lorsque ceux qui sont autour de nous, nous affectent fortement, & absorbent toute notre attention. Le peuple en revient toujours à ses idées grossieres : que sera-ce si ce penchant reçoit une nouvelle impulsion de l’artifice de quelque imposteur qui trouve son compte à l’entretenir & à le fortifier ? Si dans le sein du théïsme même, & dans les siecles les plus éclairés il ne se fait gueres de notions plus saines ; à combien plus forte raison devoit-il s’y affectionner sous le regne de l’ignorance & de la stupidité ? & faut-il être surpris de l’entendre s’écrier : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ?

Quand je considere le second membre du dilemme de M. Hume ; je n’y trouve pas plus de solidité. En supposant que les principes du théïsme aient été découverts par les spéculateurs, est-il absolument nécessaire que ses principes soient demeurés renfermés chez eux ? Ne sont-ce pas les hommes de génie qui créent, pour ainsi dire, les nations, qui deviennent les fondateurs & les législateurs des peuples ? ne peuvent-ils pas leur faire part de leurs découvertes, les mettre sur la voie de la vérité, & procurer même au théïsme la sanction des loix, aussi-bien que la sanction religieuse ? Confucius ne paroît-il pas avoir été un philosophe de cette espece ? Un pareil théïsme, fondé sur le raisonnement, établi par autorité publique, & répandu par la tradition, peut donc encore dégénérer, tout comme si dans son origine il dépendoit de la révélation.

Mais enfin ouvrons l’histoire : c’est le sort de toutes les hypotheses de M. Hume d’échouer contre cet écueil, Nous y verrons l’idolâtrie pulluler au sein même du théïsme, nous la verrons étendre son empire sur les cœurs corrompus & sur les esprits courbés vers la terre. Je ne déciderai point ici si elle a été en vogue dès avant le déluge, & s’il faut en rapporter les commencemens au tems d’Enos : ce sentiment de Maimonides & des Rabbins du moyen âge ne s’appuie que sur un partage équivoque de la Genese : cependant l’on voit par la distinction entre les enfans de Dieu & les enfans des hommes, que dès-lors la corruption s’étoit glissée dans les mœurs, & pouvoit avoir entraîné celle de l’esprit. Ce qu’il y a de certain, c’est que le patriarche Abraham étoit sorti d’une famille idolâtre, & avoit été rappellé au culte du vrai Dieu par une vocation extraordinaire. Mais ne nous en tenons qu’aux annales du peuple Hébreux : elles prouvent par des faits indisputables que le théïsme le plus pur peut se convertir dans l’idolâtrie la plus grossiere ; & l’on peut au moins en croire les historiens dans des récits qui font si peu d’honneur à leur nation.

Cependant, comme M. Hume, quoique sans aucune raison, semble récuser ces autorités ; voyons jusqu’où nous conduit l’histoire profane. Tout ce que l’on y peut entrevoir, c’est que l’Égypte a été le berceau de l’idolâtrie. Hérodote, Diodore de Sicile, Lucien nous disent que le nom des douze dieux vient des Égyptiens, qui les premiers observerent les douze astérismes du zodiaque : qu’ils ont les premiers connu l’usage des autels, des statues, des temples : qu’ils sont les inventeurs des rites, des cérémonies, & du langage religieux[1]. Et indépendamment de ces témoignages, de savans hommes ont fait voir que toute la mythologie grecque étoit empruntée de l’Égypte. Les navigateurs Phéniciens puiserent dans cette source impure le poison de l’idolâtrie, & en abreuverent les nations chez qui leurs courses maritimes les conduisoient. Après eux les diverses colonies sorties de l’Egypte en infecterent les lieux de leur transmigration. Cela explique merveilleusement un fait dont notre auteur a pris connoissance : c’est que les Grecs & les Romains rencontroient leurs divinités par-tout où ils portoient leurs armes victorieuses ; on ne s’en étonnera gueres si l’on pense que toutes ces divinités avoient une origine commune, & qu’elles descendoient toutes également des rivages de Nil.

Mais comment l’idolâtrie est-elle née en Egypte ? Ce n’est certainement pas de la façon dont M. Hume en conçoit l’origine. Il y a sur ce sujet un sentiment bien plus ingénieux & qui a pour base des recherches, bien plus exactes. C’est l’abus du langage de l’astronomie, & dès figures symboliques de l’écriture ancienne qui sont la vraie cause du mal. Parmi ces figures il y en avoit qui représentoient la vraie divinité & le culte simple qu’on lui rendoit ; d’autres désignoient les objets les plus intéressans pour l’Egypte ; comme par exemple le tems du débordement du Nil, & celui de sa rentrée dans son lit, avec les différentes précautions que ces époques demandoient : c’étoit, en un mot, des affiches qui exprimoient, sous différens emblêmes, les fêtes instituées en l’honneur du vrai Dieu, les travaux convenables à chaque partie de l’année, les réglemens de police, & d’autres choses de cette nature. Après l’invention de l’écriture courante & populaire, le sens de cette écriture symbolique se perdit peu-à-peu, & à la fin on prit ces affiches pour les objets mêmes du culte. Voilà, ce me semble, une représentation assez naturelle de l’idolâtrie, naissant de la corruption du theïsne : je ne m’y arrête pas d’avantage : nous avons un excellent livre où tout ceci est prouvé en détail, c’est l’Histoire du Ciel de M. Pluche, que M. Hume n’a pas même été tenté de réfuter dans son Histoire naturelle de la Religion.

Après tout, de quoi disputons-nous ? D’une chose dont M. Hume va bientôt lui-même tomber d’accord. Qu’on lise le paragraphe VIII. Il y est parlé d’une espece de flux & de reflux qui fait passer les hommes de l’idolâtrie au théïsme, & repasser du théïsme à l’idolâtrie : remarquons bien la maniere dont se fait ce retour à l’idolâtrie. Les dogmes du théïsme étant trop subtils pour la portée commune il faut les étayer de la notion d’êtres médiateurs, qui tiennent le milieu entre Dieu & les hommes : ces êtres deviennent ensuite l’objet principal du culte ; & l’on oublie la vraie divinité. Ici je demande si la même chose ne peut pas arriver, soit que l’on suppose un théïsme révélé, soit qu’on suppose un théïsme originairement connu par le raisonnement. M. Hume se contredit ; & nous verrons que ce n’est pas la seule contradiction où il tombe.

L’explication qu’il donne de l’origine de l’idolâtrie, est fondée sur la supposition qu’elle a précédé le théïsme, supposition que je crois avoir détruite. Cependant je ferai encore quelques réflexions sur sa théorie concernant la naissance de polythéïsme.

Il ne croit pas que les hommes aient été conduits à cette superstition par la contemplation des œuvres de la nature ; ces œuvres prêchent par-tout l’unité de Dieu. Il nous dit pourtant qu’il y a des personnes qui ne trouveroient pas si étrange que plusieurs êtres se fussent concertés pour arranger le plan de l’univers, & pour l’exécuter en commun, & à ce sujet il cite, dans une note, la statue de Laocoon, qui est le fruit du travail de trois ouvriers. Quoique M. Hume rejette cette opinion ; je pense qu’il sera à propos d’ajouter quelques remarques propres à dissiper tous les doutes que l’esprit humain pourroit se former sur un dogme aussi important.

Sans toucher aux argumens métaphysiques qui démontrent évidemment qu’il ne peut y avoir qu’un Dieu unique, il me semble que l’on peut dire, avec plus d’assurance que ne le fait M. Hume, que quelque grand que soit le nombre des ouvriers subalternes, employés à l’exécution d’un ouvrage, le plan doit toujours être conçu dans une seule tête ; cela est d’autant plus nécessaire que l’ouvrage est plus composé, plus uniforme, plus beau & plus parfait. Celui qui dresse le plan, & en cas que l’on en fournisse plusieurs, celui dont le plan obtient une juste préférence, est à proprement parler l’inventeur, ce qui suppose déjà une supériorité d’intelligence, & fait disparoître l’égalité des autres. Quel ouvrage eût-ce été que cette statue de Laocoon, si chacun des trois statuaires y avoit travaillé selon sa propre fantaisie ; si l’un avoit fait le prêtre, l’autre les enfans, le troisieme les dragons, sans s’attacher à une idée générale, conçue sans doute par l’un des trois, & approuvée des deux autres : c’est tout ce que peut signifier ici l’expression latine qui dit qu’ils ont travaillé de concert[2]. Pline dit que le nombre des ouvriers est préjudiciable à leur célébrité, d’un côté parce qu’un seul ne peut pas se revendiquer toute la gloire, & que de l’autre on ne peut pas les mettre tous au même rang[3] : c’est que l’honneur de l’ invention n’appartenoit quà celui qui avoit tracé le dessein, & qu’apparemment on ne savoit pas, du tems de Pline, si c’étoit Agésandre, Polydore ou Athénodore. Si le plan de la statue avoit été un composé de trois idées différentes, & que l’on n’eût point déféré à un avis général, on auroit grand tort de nous la donner pour un chef-d’œuvre qui surpasse tout ce que la peinture & la sculpture ont produit de plus achevé[4]. Au reste, cette statue, qui ornoit autrefois le palais de l’empereur Titus, se voit encore dans les jardins du Vatican : & un habile antiquaire a observé que Pline s’étoit trompé, en la croyant, faite d’une seule pierre ; elle l’est de trois pour le moins, qui sont artistement liées par une soudure imperceptible[5].

Le polythéïsme, selon M. Hume, doit son origine aux passions excitées par cette alternative de biens & de maux qui partage la vie de l’homme. Ces passions nous peignent d’abord un pouvoir inconnu & invisible en général. Ensuite le penchant que nous avons de nous figurer tous les êtres semblables à nous, donne à ce pouvoir la figure humaine, nos organes, & toutes les propriétés affectées à notre espece.

Ce pouvoir en général sembleroit ne devoir porter que sur un être ; mais est-il croyable que des hommes stupides & matériels eussent commencé par se former l’idée abstraite du pouvoir ; & que de cette notion intellectuelle ils fussent ensuite descendus à celle d’un individu, ou de plusieurs individus ? je ne reconnois point ici la gradation naturelle de nos connoissances. Il me paroît encore moins vraisemblable que les premieres divinités individuelles dont on se soit forgé la notion, aient été revêtues de la figure humaine : on devoit les supposer d’une nature plus excellente ; & l’on connoissoit déjà des objets qui, à des esprits grossiers sur-tout y devoient paroître plus excellens que l’homme.

Quels sont-ils ? ce sont les corps qui roulent sur nos têtes, le soleil, la lune, tous ces brillant luminaires qui décorent la voûte céleste. Plus élevés que nous, ils sont plus puissans que nous : environnés d’éclat & de splendeur, ils sont d’une nature supérieure : ils ont du mouvement, donc ils ont de la vie : mais quel mouvement en comparaison du nôtre ! & par conséquent quelle vie ! Ils se promenent librement dans les plaines de l’Éther, tandis que nous sommes affaissés contre la terre. Voyez cet astre glorieux qui fait réguliérement le tour du monde, cet océan de feu & de lumière, dont les émanations bienfaisantes nous éclairent, nous échauffent, font mûrir nos fruits & nos moissons : je veux le fixer ; & mes yeux éblouis se ferment : il voit tout, nous ne voyons que par lui : son absence nous replongeroit dans les ténebres, si une divinité moins éclatante ne venoit quelquefois nous prêter son pâle mais secourable flambeau ; à son retour elle disparoît avec tout son cortége, & lui cede l’empire de l’univers.

Ne sont-ce pas là les idées les plus naturelles que l’on puisse supposer à des hommes grossiers qui se font une religion ? À la place de M. Hume, j’eusse combiné les passions humaines avec le spectacle de la nature, je dis avec ce spectacle qui frappe les sens. N’est-ce pas déjà une passion que ce mouvement que nous éprouvons en voyant le lever ou le coucher du soleil, ou en voyant, dans une belle nuit, la lune rayonnante au milieu d’un ciel parsemé d’étoiles ? Que dis-je ? ce que nous sentons alors, n’approche-t-il pas de bien près d’un sentiment religieux ? Et si nous n’étions pas mieux instruits, pourrions-nous nous empêcher de concevoir de la vénération pour des êtres aussi magnifiques, & de nous humilier devant eux ? ce qui seroit déjà une espece de culte, d’où il n’y auroit pas bien loin jusqu’à l’adoration ?

Platon & plusieurs anciens philosophes prenoient les astres pour des êtres vivans & animés : Philon était du même sentiment : Origene n’en doutoit pas : ce fut, pendant un certain tems, l’opinion de S. Jérôme & celle de S. Augustin : & le célebre Tycho Brahé étoit, à cet égard, platonicien décidé. Clément d’Alexandrie avoit été bien plus loin : il pensoit que Dieu avoit donné aux payens le soleil, la lune les astres, dans la vue expresse qu’ils les adorassent, & afin qu’ils ne tombassent point dans l’athéïsme, & il fait consister leur plus grand crime à avoir quitté ce culte pour celui des images taillées[6]. Mais ce n’est rien en comparaison des philosophes du Portique, ils taxoient d’ignorance, de folie d’impiété ceux qui osoient nier la divinité des astres[7]. Si de tels hommes n’ont pu se garantir de cette illusion, il faut qu’elle soit bien naturelle, & par conséquent qu’elle ait été bien propre à séduire des hommes grossiers & dépourvus d’instruction, tels que M. Hume se représente les premiers habitans de la terre. Et si ces phénomenes journaliers, paisibles & bienfaisans ne faisoient point d’impression sur eux ; n’y en a-t-il pas de plus rares ? de plus bruyans & de plus terribles ? les vents & les orages qui ruinent le travail de la campagne, le bruit effrayant du tonnerre, le ciel embrasé d’un bout de l’horison à l’autre, & la foudre en éclat ? Il y a peu d’hommes, de ceux même qui se vantent d’avoir dépouillé tout sentiment de religion, peu de vrais, & encore moins de prétendus philosophes à l’épreuve d’une pareille scene ; combien donc en devoient être frappés des hommes à demi-sauvages ? À ne regarder la religion que comme l’ouvrage des passions, je ne vois pas qu’il fût si absurde de s’écrier avec Pétrone.

Primus in orbe Deos fecit timor, ardua cœlo
Fulmina cum caderent, discussaque mœnia flammis,
Atque ictus flagraret Athos.

En s’y prenant de cette façon, M. Hume avoit encore l’histoire pour lui. Le culte des astres est le plus ancien dont elle fasse mention : le soleil étoit adoré sous le nom de Mithra chez les Perses, sous celui de Belus, d’Adonis, de Moloch en différentes contrées de l’orient, sous celui d’Osiris en Égypte, d’Ammon en Libye, de Bacchus, d’Apollon, de Jupiter, & d’Hercule dans la Grece. Toutes les nations idolâtres qui habitoient le pays de Canaan étoient infectées de ce culte : de-là les précautions scrupuleuses du législateur des Juifs ; & la maniere dont elles sont exprimées, fait voir combien naturellement l’esprit humain panche vers cette espece d’idolâtrie[8] : aussi les précautions de Moyse n’empêcherent-elles point que les Juifs n’y tombassent plus d’une fois. Les premiers Grecs ne connurent d’autres divinités[9] ; & le mot même, qui dans la langue grecque signifie Dieu, est dérivé d’un verbe qui signifie courir, se mouvoir, par allusion au mouvement des astres[10].

Les météores eurent aussi leurs adorateurs, principalement parmi les nations barbares : les Persans adoroient la terre, le feu, l’eau & les vents[11] ; les Péruviens le tonnerre & la foudre : parmi les Romains même il est parlé d’un Jupiter Fulgur, qui paroît avoir été une divinité particuliere : ce qu’il y a de certain, c’est que la foudre passoit chez eux pour une portion détachée de la planete de Jupiter, qui retenoit encore sa nature divine, & qui prévoyoit l’avenir : sur cela étoit fondée la science fulgurale des vieux Étruriens. Je ne parle point ici du culte du ciel & de l’Éther qui est postérieur à celui des astres, & qui me paroît être déjà un ravissement d’idolâtrie.

Mais c’est assez nous arrêter à cette matiere je passe à l’origine du théïsme, les idées de M. Hume sur ce sujet sont peut-être le morceau le plus curieux & le plus singulier de cet ouvrage si plein de singularités. En supposant le théïsme postérieur à l’idolâtrie, en niant qu’il soit l’ouvrage du raisonnement, en mettant de côté la révélation, ne croiroit-on pas qu’il ne reste plus rien à dire, & que toutes les hypotheses sont épuisées ? M. Hume a trouvé dans la subtilité de son esprit de quoi en fabriquer une toute neuve ; la voici :

Une nation idolâtre du nombre des dieux qu’elle adore, en choisir un qu’elle met au premier rang : on flatte ce dieu, on le courtise, on exalte ses attributs : c’est à qui renchérira sur ses titres : l’idée qu’on s’en forme s’aggrandit de jour en jour : à la fin, enivré d’éloges & d’encens à force d’exagération, & de pieuses hyperboles, ce dieu devient l’être Suprême, l’être infini, l’être par excellence, le créateur & le maître de l’univers.

Se seroit-on attendu à un pareil expédient ? Mais à quoi tient cette toile si subtilement ourdie ? À rien du tout, elle voltige dans l’air ; le moindre soufle l’emporte & la détruit.

Y a-t-il un seul exemple d’une nation, d’une société, d’un particulier qui par ce chemin-là soit arrivé aux principes du théïsme ? Est-ce ainsi que se forma le théïsme des anciens philosophes ? celui des chrétiens ? celui des Juifs ? M. Hume n’oseroit l’affirmer ; cependant il fait, par rapport au théïsme judaïque, une insinuation oblique & entortillée, qui semble tendre à le rapprocher de son idée.

Après avoir dit que le ravisseur d’Europe est devenu, par degrés, le optimus maximus du monde payen, il ajoute que c’est ainsi qu’une bonne partie de la populace juive ne paroît avoir regardé le vrai Dieu que comme une divinité nationale.

On ne voit pas trop à quoi cela peut aboutir. Où est la comparaison ? Jupiter s’est élevé, dans l’esprit des payens, au premier rang : Dieu s’est dégradé, dans l’esprit des Juifs, à un rang subalterne : d’un côté il y auroit une amélioration du polythéïsme, de l’autre une corruption du théïsme ; cela fait deux choses diamétralement opposées. Que signifient donc ces deux mots c’est ainsi, lorsque c’est précisément le contraire.

Si la populace des Juifs s’est formé de Dieu des idées familieres jusques à l’absurdité, pendant que leur religion présentoit les idées les plus sublimes ; cela prouve qu’on peut descendre des idées sublimes à des idées absurdes & rien n’est plus vrai ni plus contraire au sentiment de M. Hume : on voit bien que le peuple peut corrompre les religions les plus pures, mais il ne sauroit les inventer ; elles ont une origine plus noble.

Enfin de l’optimus maximus des payens il y a encore bien loin jusqu’à l’Être infini, créateur & conservateur du monde. M. Hume convient lui même que les idolâtres n’ont jamais songé à donner aucun de ces attributs à leurs divinités. Le surnom d’optimus maximus n’appartenoit proprement qu’au Jupiter du capitole ; & l’on voit dans Cicéron que tout ce que les philosophes mêmes pouvoient entendre sous ce nom de plus grand & de plus sublime, se réduisoit au ciel ou à l’Éther[12]. Dans la suite il fut donné aux empereurs[13], & même à des fonds de terre libres de toute sorte de charges & d’impots[14]. Je ne garantirois pourtant pas qu’originairement cette épithete honorable n’ait été pillée dans quelque religion théïste, & appliquée mal-à-propos à un être aussi ridicule que l’étoit Jupiter.

Mais laissons-là les faits, dont M. Hume s’embarrasse si peu : & faisons passer son opinion par l’épreuve de la philosophie. Si par la route que M. Hume a tracée, le peuple peut parvenir aux mêmes vérités où la raison conduit le spéculateur, & la révélation le fidele ; le peuple est donc en état de former, & de concevoir les notions abstraites d’infinité, de simplicité, de spiritualité, de souveraine perfection, de création, & ainsi de suite. Voici donc tout d’un coup un peuple philosophe ; & ce qui est plus singulier encore, la flatterie outrée devient de la métaphysique. Mais si le peuple est capable de se faire de pareilles conceptions, il le sera, à plus forte raison, de comprendre la futilité du polythéïsme & de la théologie payenne, ce qui coûte infiniment moins d’efforts, & ne demande que l’usage libre du sens commun. Si le peuple saisit les abstraction philosophiques ; il lui sera bien plus facile de secouer le joug de l’idolâtrie, & de se faire un theïsme raisonné. C’est ainsi que M. Hume s’enveloppe dans ses propres subtilités.

S’il prétexte que l’exaltation de l’idée du dieu favori ne va point jusqu’à cette hauteur ; il est clair aussi qu’elle ne va pas jusqu’au théïsme, & que les religions théïstes n’en sauroient être le résultat.

Et comment seroit-il possible qu’elles le fussent ? Prenons un Jupiter, & tâchons d’en faire un être infini : comment nous y prendrons-nous ? Lui laisserons-nous les qualités & les actions que la fable lui attribue cet être tout-parfait sera-t-il encore le fils de Saturne, le mari de Junon, le taureau d’Europe, le cygne de Leda : Retrancherons-nous toutes ces imperfections ? Ce n’est plus Jupiter ; c’est toute autre chose substituée à sa place. Nous avons donc reconnu que Jupiter n’est qu’une chimere : nous l’avons anéanti, & au lieu de lui nous adorons le vrai Dieu. Or c’est ici le théïsme de la raison ; & non celui de la flatterie.

Rien de plus foible que les preuves de M. Hume. L’exemple du servile courtisan, qui divinise le monarque, vient ici tout-à-fait hors de propos. Le monarque érigé en dieu subalterne demeureroit le même individu personnel, qu’il étoit avant son apothéose. Alexandre, fils de Jupiter Ammon, est encore le vainqueur de Darius, le meurtrier de Clitus, l’incendiaire qui brûla Persépolis. L’alliage des superstitions avec le théisme, prouve que, le théïsme peut se détériorer, mais il ne prouve absolument point que le théïsme dérive de la source que M. Hume a imaginée.

Je n’ai que deux mots à dire sur le parallele de l’idolâtrie & du théïsme. M. Hume vante fort l’esprit tolérant des idolâtres, il en fait avec l’intolérance des théïstes une comparaison qui tourne toute à l’avantage des premiers. Mais en examinant la chose de plus près, il se trouvera que pour la plupart les idolâtres n’ont été tolérant qu’envers les idolâtres, & cela étoit fort naturel. Les divinités des différentes nations étoient ou les mêmes sous différens noms, ou du moins de la même extraction ; de sorte qu’il étoit aisé de les concilier : quelques douzaines de dieux de plus ou de moins, ne faisoient pas un objet : l’olympe étoit assez spacieux pour les contenir, & quoi qu’en pense Lucien[15], il n’étoit pas à craindre qu’ils fissent renchérir le nectar & l’ambroisie. Mais M. Hume nous persuadera-t-il que l’idolâtrie ait toujours usé d’une égale douceur envers le théïsme ? L’histoire de l’église judaïque, celle de l’église chrétienne sous les empereurs, celle du Japon & d’autres prouvent trop manifestement le contraire.

Le théïsme ne prêche que paix, douceur & charité : il nous dit que tous les hommes sont nos freres, & que nous devons les aimer comme nous mêmes. L’être que le théïste adore est la souveraine bonté.

C’est le pere & l’ami de toute la nature.

Comment seroit-il possible qu’une doctrine aussi sainte & aussi pure autorisât les horreurs de la persécution ? Et peut-on, sans profaner le glorieux nom de théïste, le donner à des fanatiques qui se représentent le meilleur des êtres comme un tyran foible, capricieux, vindicatif & sanguinaire ? Est-ce là l’idée que nous en donne la religion naturelle ? N’est-ce pas plutôt celle que se faisoient les payens de leurs fausses divinités ?

L’unité de Dieu, dit M. Hume, semble exiger une unité de foi & de cérémonies. Toute la force du raisonnement consiste dans le retour du mot d’unité & par conséquent il ne sauroit être celui d’une théïste raisonnable. Le théïsme n’est donc persécuteur qu’autant qu’il est corrompu, qu’autant qu’il est, pour ainsi dire, amalgamé avec la superstition. Une preuve évidente que l’esprit persécuteur naît de la superstition, c’est que moins une religion est superstitieuse, moins elle est persécutrice. Dans le tribunal qui livre aux flammes les Juifs & les hérétiques, je ne vois autre chose que superstition qui persécute le théïsme. Le gouvernement de l’Angleterre, & celui de la Hollande méritent, sans doute, des éloges à cause de leur tolérance ; mais est-il décidé que l’esprit de la religion n’influe pour rien dans cette modération du gouvernement, si conforme à cet esprit ? si elle n’accomcommode pas toujours le clergé ; ce n’est que dans les cas où l’esprit du clergé differe de l’esprit de la religion.

M. Hume n’est pas mieux fondé à soutenir que le théïsme énerve le courage. Les vertus monacales ne sont pas les fruits du théïsme, mais de la superstition. Je ne crains point d’avancer que proportion gardée il y a eu plus de grands hommes & de héros parmi les théïstes que parmi les idolâtres, & ce qu’il faut sur-tout remarquer, des héros moins féroces & moins inhumains.

Il y a un contraste étonnant dans les tableaux de M. Hume, & ce contraste va souvent jusqu’à la contradiction. Tantôt il dit que l’idolâtrie bannit tout sentiment d’humanité ; tantôt il n’y a rien de plus doux ni de plus sociable que l’idolâtrie. Quelquefois la superstition lui paroît légère, commode & riante ; d’autres fois, importune & insupportable. Ici, il nous peint la mythologie payenne comme remplie d’absurdités ; là, il la trouve tout-à-fait plausible ; il n’y voit rien d’expressément contradictoire ; il soupçonne même qu’elle pourroit fort bien être réalisée, dans quelque planete.

Presque tout ce qu’il dit de la corruption des systêmes, & de la conduite des hommes n’est malheureusement que trop vrai : & en général cet ouvrage est plein de choses excellentes, aussi finement pensées qu’heureusement exprimées. Entre plusieurs recherches intéressantes dont il est agréablement mélangé, je trouve une note qui me paroît mériter un moment d’attention[16].

Elle contient deux passages, l’un de Tacite, l’autre de Suetone, par où il paroîtroit que ces sages payens (c’est ainsi qu’on les appelle) auroient pris la religion des Juifs, & celle des Egyptiens pour une même religion.

Je ne vois pas que cela s’ensuive absolument de ces passages. Pour que le sénat de Rome proscrivît à la fois le culte juif & le culte égyptien, en exilant ceux qui les professoient dans l’isle de Sardaigne, il n’étoit pas nécessaire que ce fût le même culte ; il suffisoit que l’un & l’autre fût opposé au culte romain, & par-là fût regardé comme également superstitieux : je ne crois pas qu’il faille attacher un autre sens à l’expression eâ superstitione. Il n’est gueres probable que durant le tems que ces religions étoient tolérées dans la capitale du monde, on ne se soit pas apperçu de leur énorme différence ; à moins que ces rites égyptiens, dont il est parlé, ne fussent du judaïsme mêlé avec la doctrine mystique des prêtres de l’Egypte : mais alors la remarque de M. Hume porteroit encore à faux ; car c’est l’idolâtrie égyptienne qu’il prétend avoir été confondue avec le culte des Juifs.

Il n’y eut jamais deux religions plus opposées. Tout le culte mosaïque paroît n’avoir été institué qu’à la dérision du culte égyptien, ou plutôt pour le faire détester. Le bœuf devant lequel l’Egypte fléchissoit les génoux ; les Juifs l’offroient en sacrifice : ils mangeoient le bélier ou l’agneau pascal à l’équinoxe du printems, le jour même que les Egyptiens le portoient en triomphe dans une solemnelle procession ; & ils le mangeoient pour se souvenir de la grâce que Dieu leur avait faite en les tirant de ce pays idolâtre. On sait que sous le second temple les Juifs ne se sont plus rendus coupables d’idolâtrie, & que depuis lors jusques à nos jours il n’en est pas resté la moindre trace parmi eux. C’étoit donc une sagesse bien étrange que celle de ces sages payens, qui confondoient le théïsme le plus pur avec la plus crasse & la plus brutale des superstitions. Mais Tacite en particulier savoit que les Juifs ne reconnoissoient qu’un seul Dieu, & ne l’adoroient qu’en esprit : il savoit qu’ils ne souffroient aucun simulacre dans leurs villes ; & encore moins dans leurs temples[17]. Il est : vrai que par un travers inconcevable le même Tacite, au même livre de ses histoires, dit que les Juifs ont placé la figure d’un âne dans leur sanctuaire, en reconnoissance de ce qu’une troupe de ces animaux les avoient conduits à des fontaines, lorsqu’errans avec Moyse dans les déserts ils risquoient de périr de soif.

Cela ne prouveroit pas à la vérité que Tacite ait taxé les Juifs d’avoir adoré cet animal, & encore moins qu’il ait confondu leur religion avec celle des Egyptiens. Cependant il faut avouer que les plus sages même d’entre les payens se sont fait d’étranges idées de la religion juive : c’est que n’étant pas en état de consulter les livres symboliques des Juifs ; ils n’en jugeoient que d’après les apparences & les démonstrations extérieures. Les uns les accusent d’adorer une tête d’âne ; d’autres voyant qu’ils s’abstiennent soigneusement de toucher les pourceaux, regardent cette horreur religieuse comme un hommage religieux : Plutarque est dans cette erreur ; & ce n’est pas la seule : la fête des tabernacles, & celle même du sabbat, il les prend, sans hésiter, pour les orgies de Bacchus.

Mais l’opinion la plus accréditée, c’étoit que les Juifs ne reconnoissoient d’autres dieux que le ciel & les nuages. Tout le monde sait ce vers de Juvenal : Nés d’un pere qui respecte le sabbat, ils n’adorent que les nuées & la divinité du ciel[18] ; c’est-à-dire, le ciel qu’ils croient être une divinité. Les premiers chrétiens encoururent le même reproche ; & l’on peut observer en général que c’étoit-là le lieu commun dont se servoient les idolâtres contre les théïstes. Ils ne concevoient pas que l’on pût adorer ce qui n’étoit pas matériel & sensible : & de-là ils tiroient la conclusion immédiate que l’adoration du théïste s’adressoit à l’étendue du ciel, ou bien aux amas de vapeurs qui nagent dans l’atmosphere : témoin ce persifflage d’Aristophane, lorsqu’il met cette fameuse priere dans la bouche de Socrate, Air immense, puissant monarque qui tiens la terre suspendue ! & toi brillant éther ! & vous nuées, vénérables, qui tonnez, & qui lancez la foudre[19] ! On voit par-là quelle foi méritent les écrivains profanes, lorsqu’ils traitent du culte des nations étrangeres, & sur-tout des nations théïstes.

M. Hume propose aussi une difficulté contre la théologie égyptienne, prise de la trop grande multiplication des dieux animaux, & en particulier des dieux chats. Il la résout fort plaisamment en disant que l’on n’adoroit que les divinités adultes, & qu’il étoit permis de noyer les petits dieux. J’ajouterai quelques observations à cette conjecture.

1. Les Egyptiens n’honoroient pas tous les animaux ; ceux qu’ils n’honoroient pas, ils les tuoient, & les mangeoient s’ils étoient mangeables. La chevre étoit l’animal sacré de Mendes ; & l’on y mangeoit la brebis : celle-ci étoit la divinité de Thebes, où l’on mangeoit la chevre.

2. Il étoit permis de trafiquer des animaux sacrés : & par conséquent il étoit permis de les transporter hors du pays, par où il étoit aisé d’empêcher qu’ils ne se multipliassent trop, & que leur abondance ne devînt nuisible aux hommes.

3. Il y eut des degrés dans le culte des animaux : les uns étoient plus, les autres moins respectés. Les Mendésiens, par exemple, faisoient plus de cas d’un bouc que d’une chevre ; les Coptes, au contraire, tomboient à genoux devint la chevre sauvage, tandis qu’ils en mangeoient le mâle.

4. Il paroît que l’animal spécialement honoré étoit toujours l’animal individuel qui avoit servi dans la pompe des fêtes, & que l’on conservoit dans un lieu honorable. C’est ainsi que le bœuf reçut les hommages divins à Memphis & à Héliopolis. On n’avoit pas la même déférence pour les autres individus de son espece : & il y a même des indices qui feroient voir qu’en certaines occasions on les a tués, mangés, immolés.

5. Outre que plusieurs de ces animaux s’entredétruisoient eux-mêmes, peut- être lorsqu’on célébroit la fête d’ut animal, étoit-il d’usage de lui sacrifier un certain nombre de ses ennemis, comme à la divinité du jour

6. Une marque claire que dans certaines conjonctures il étoit permis de se défaire de ses dieux, c’est que le vénérable Apis lui-même ne mourroit jamais de mort naturelle : on le noyoit, & l’on faisoit de grandes lamentations sur son décès. Il est assez vraisemblable que l’on n’aura pas gardé plus de ménagemens pour les chats. On pouvoit sans doute les tuer, pourvu que ce fût en cérémonie.

7. Il y avoit certains quadrupedes, devant lesquels toute l’Egypte se prosternoit ; & avouons franchement que les chats étoient de ce nombre : leur culte ne se bornoit pas à une ville ou à un canton ; il étoit universel. Cependant il y avoit quantité de moyens propres à prévenir les suites de leur excessive fécondité. On pouvoit exporter, comme nous avons déjà vu : on pouvoit séparer les mâles des femelles, & mettre un frein aux promenades nocturnes : on pouvoit, par un respect politique les encager dans un lieu particulier de la maison, & y rendre, en pleine liberté de conscience, ses très-humbles dévotions à cette espece de dieux pénates.

Le lecteur excusera ces digressions. Je passe tout d’un coup, à la conclusion de l’ouvrage de M. Hume, & je finis avec lui.

En voyant, d’un côté, l’unité de Dieu prouvée par les merveilles du monde physique : en considérant, de l’autre, les contrariétés qui regnent dans le monde moral, les vicissitudes de la vie humaine, tant d’ opinions opposées les unes aux autres, & peu d’accord avec elles-mêmes, enfin la conduite des hommes si contraire à leurs opinions ; M. Hume croit qu’il ne reste d’autre parti qu’à douter, & à se réfugier dans les régions obscures, mais tranquilles de la philosophie.

Je serai de son avis, aussi-tôt qu’il aura prouvé que le scepticisme est un état de repos : & que l’esprit humain, environné de ténebres, flottant dans le doute, l’incertitude peut goûter une solide paix, & jouir d’une tranquillité durable. Cela se pourroit peut-être lorsque le sujet est indifférent ; mais celui-ci nous intéresse de trop près pour le laisser ainsi à l’abandon, & pour ne pas desirer d’en être éclairci, il me semble donc qu’il y a quelque chose de mieux à faire.

Les œuvres de la nature m’annoncent une suprême intelligence : les petits détails de la vie humaine ne sauroient renverser cette grande vérité. Quand je ne verrois donc point de moyen de concilier les désordres apparens du monde moral avec l’ordre du monde physique ; je ne m’en prendrois qu’à la foiblesse de mes lumières. Je me dirois toujours : celui qui a formé ces grands globes qui roulent dans l’immensité, avec tout ce qu’ils renferment : celui qui a tracé leur route, & les y conduit avec tant de régularité, est encore celui qui dirige les événemens qui arrivent sur leurs surfaces : tandis que l’univers entier est son ouvrage ; croirois-je que ce petit coin de cet univers soit soustrait à sa domination ? Il y veille sans doute ; mais d’une maniere qui passe ma compréhension, & qui peut-être n’en est que plus sage. Je serai fortifié dans ces idées, si la saine philosophie me fait entrevoir que ces choses, qui au premier abord paroissent si discordantes, peuvent se concilier : & si je trouve une religion qui les concilie en effet, ce sera pour moi une des plus fortes preuves de la vérité de cette religion.


Fin du troisieme Volume.
  1. Δυώδεϰα θῦον ἐπὸνυμίας ἔλεγον πρῶτους Ἀιγυπτίους γομίσαι, ϰαὶ Ἕλληνας πυρα σφίων ἀναλαβεῖν ; βωμούς τε, ϰαὶ αγάλματα, ϰαὶ νηοὺς θεοῖσι ἀπωονεῖμαι σφέας πρῶτους, ϰαὶ ξώα ἐν λίθοισι ἐγγῦψαι

    Πρῶτοι μὲν ὦν ἀνθροπων, τῶν ἠμεῖς ἴδμεν, Ἀιγύπτιος λέγοντας θεῶντε ἐννόιην λαβεῖν, ϰαὶ ἱρὰ ἔισαθαι, ϰαὶ τεμένεα ϰαὶ πανεγύρεις ἀποδέξαι πρῶτοι δὲ ϰαὶ ὀνόματα ἱρὰ ἔγνωσαν, ϰαὶ λόγους ἰρούς ἰρούς ἒλεξαν &c. Lucian. de Syriâ deâ, conf. Diod. Sic, lib. I, cap. II.

  2. De consilii sententia fecere. Plin. Hist. Nat. lib. XXXVI. sec. II.
  3. Quoniam nec unus occupat gloriam, nec plures pariter nuncupari possunt. Ibidem.
  4. Opus omnibus picturæ & statuariæ artis præponendum. Ibid.
  5. V. Acta Erud. anni 1697, p. 144.
  6. Ἔδωκενδὲ καὶ τὸν ἥλιον, καὶ τὴν σελήνην, καὶ τὰ ἄστρα ἐις θρησκείαν ἂ ἐπόιησεν ὁ Θεὸς τῶς ἔθνεσιν, φησὶν ὁ νόμος ἕνα μὴ τέλεον ἄθεοι μενόμενοι, τελέως καὶ διαφθαρῶσιν. ὁι δὲ, κἂν τάυτη γενόμενοι τῇ ἰντολῇ ἀγνὼμονες, γλυπτοις προσεχηκότες ἀγὰλμασι, καὶ μὴ μετανοήτωσι, κρίνονται. &c. Stromat. lib. VI, c. 24.
  7. Restat, ut motus siderum sit voluntarius, & quæ qui videat, non indoctè solùm, verùm etiam impiè faciat, si deos esse neget. Cic. de Nat. Deorum, lib. II.
  8. Ne fortè eleves oculos tuos in cœlum, & videas solem, & lunam, atque stellas, cum universo exercitu cœlorum, & impellaris, & adores atque colas ea. Deut. c. IV.
  9. Φαίνοντάι μοι ὁι πρῶτοι τῶν ἀνθρώπων περὶ τὴν Ἑλλάδα τούτους μόνους θεοὺς ἡγεῖσθαι, ὥσπερ νῦν πολλοὶ τῶν βαρβαρων, Ἥλιον, ϰαὶ Σελήνην, ϰαὶ Γῆν, ϰαὶ Ἂστρα, ϰαὶ Ουρανον. Platon in Cratylo.
  10. Ἅτε οὖν ἀυτὰ ὁρῶντες πάντα αὲν ἰόντα δεόμῳ, ϰαὶ θέοντα, ἀπὸ τάυτες τῆς φύσεως σῆς τοῦ θεῖν, θεοὺς ἀυτοὺς ἐντονομάσας. Ibid.
  11. Herodot. in Clio.
  12. Hunc igitur Ennius, ut suprà dixi, nuncupat ita dicens :
    Aspice hoc sublime candens, quem invocant omnes, Jovem. &c. Cic. de Nat. Deor. lib. II.
  13. Plin. in Panegyrico.
  14. Fundus optimus maximus : optimum maximum tradere. Expressions usitées chez les Jurisconsultes.
  15. Concilium deorum.
  16. §. XII, n. (a).
  17. Judæi mense solâ, unumque numen intteigunt. Profanos qui Deûm imagines mortalibus materiis in species hominum effingunt. Summum illud, & æternum, neque mutabile, neque moriturum. Igitur nulla simulacra urbibus suis, nedum templis sunt. Non regibus hæc adulatio, non Cæsaribus honor. Hist. lib. V.
  18. Quidam sortiti mettuentem Sabbata patrem,
    Nil præter nubes & Cœli numen adorant.
    Sat. XIV.
  19. Ὧ δέσποτ' ἅναξ. ἀμέτρητ' ἀὴρ, ὃς ἔχεις τὴν γὴν μετέωρον. Δαμπρός τ' Ἀιθὴρ, σιμναῖτε θεαι, τέφελαι βροντησιχέραυτοι.
    Aristoph. Νέφελαι.