Histoire financière de la France/Chapitre III

CHAPITRE III.


Règnes de Philippe-le-bel, de Louis X et de Philippe 5


1286. - 1522.


SOMMAIRE.


Juifs, Lombards et maltôtes. - Emprunt forcé. - Décimes. - Altération des monnaies. - Subvention générale. - Soulèvement. - Syndics ou députés des communes admis pour la première fois dans une assemblée de trois ordres ou d’états-généraux en 1313. - Subvention pour l’armée de Flandres. - Marche suivie par la royauté pour ressaisir les prérogatives usurpées par les seigneurs. - Parlement sédentaire. - Etablissement des douanes. - Élévation des taxes. - Ligue formées par le clergé, la noblesse et les communes. - Invention des lettres de change. - Nouvelle altération des monnaies. - Symptômes d’une révolte générale. - Satisfactions accordées. - Réformateurs envoyés dans les provinces. - Assemblées d’états provinciaux. - Cahiers de doléances. - Règlements sur les monnaies. - Charte aux Normands. - Ressources obtenues par l’affranchissement des serfs. - Révocation par Philippe-le-Long des aliénations du domaine. - Assemblée des députés de langue d’Oc. - Première taxe sur le sel. - Organisation du trésor. - Malversations punies.


1286. - Nonobstant les lois somptuaires qu’il porta, Philippe-le-Bel, se livrant au goût du luxe dont les habitudes avaient été apportées de l’Orient, donna le spectacle de dépenses excessives, qui lui valurent le titre du plus dépensier de nos rois. Ce goût, et la guerre continuelle que ce prince eut à soutenir, d’abord contre le roi de Castille, puis avec l’Angleterre et les Flamands, le portèrent à se procurer par des expédients ruineux pour les peuples des ressources proportionnées à ses besoins. De cet abus d’un pouvoir qui n’était point encore consolidé devait naître et la résistance, et la nécessité de recourir à la bourgeoisie, qui déjà formait un corps dans l’état.

Père de trois fils et d’une fille, à la naissance et aux principales époques de la vie de ses enfants, Philippe usa par de fortes impositions du droit d’aide, que lui accordaient les coutumes féodales[1].

1291. ― Dans le XIII° siècle, l’écriture et la science des calculs n’étaient connues en France que des ecclésiastiques et de quelques commerçants. Les Italiens Lombards, qui avaient ces connaissances, se trouvaient en possession d’inventer et de percevoir les impôts, comme d’affermer les revenus de la couronne : ils s’enrichissaient rapidement, soit aux dépens du fisc, soit par les concussions de tous genres qu’ils exerçaient. Leurs maltotes[2] servirent de prétexte à des mesures violentes, mais productives. Tous furent arrêtés, puis soumis à de fortes taxes; et d’honnêtes marchands se trouvèrent enveloppés dans l’exécution. Peu d’années après (1295), ces mêmes Italiens obtinrent la liberté de commercer, à laquelle on ajouta l’exemption absolue de toutes « exactions, tailles, subventions, corvées, service militaire et autres charges, » moyennant un droit de denier, obole et pitte, par livre de vente ou d'opération de banque[3].

Les Juifs, émules et rivaux des Lombards, partageaient avec ces Italiens les spéculations sur les impôts; de plus, l’usure, qu’ils continuaient d’exercer, les avait rendus odieux à tous ceux qui se trouvaient dans la pénible nécessité d’acheter leurs services. Déjà plusieurs fois bannis et rappelés, ils revenaient toujours où les ramenaient des trafics lucratifs. Ils furent de nouveau chassés, et leurs biens confisqués. Les dépouilles de ceux qui partirent ou les sacrifices de ceux qui achetèrent la permission de rester procuraient de fortes sommes, que l'on appela bénéfice de restitution. Ce moyen de reprendre en masse dans les mains des exacteurs le produit de leurs rapines fut une des traditions les plus fidèlement observées par l’ancienne fiscalité[4].

1295. ― La Guienne continuait d'être le théâtre des hostilités avec l’Angleterre. On trouva les fonds que nécessitait cette guerre premièrement dans un emprunt forcé, dont l'université obtint l’exemption, ensuite dans une subvention ou imposition générale, fixée d’abord au centième; puis au cinquantième du revenu de tous les biens. Elle fut établie de l’avis d’une grande assemblée de prélats et de barons que le roi avait convoqués[5].

1297. ― Peu de temps après, et toujours à l'instigation du monarque anglais, l’empereur d'Allemagne et la Hollande formèrent à Cambrai, contre la France, une ligue à laquelle prit part le comte de Flandres, vassal de Philippe. Alors aux impôts existants succédèrent une demi-décime, puis plusieurs autres, tant simples que doubles, ’sur le peuple et sur le clergé. Boniface VIII, qui occupait alors la chaire pontificale, prétendait conserver l’usage introduit à l’occasion des guerres saintes de faire autoriser par les papes les subsides demandés à l’Église : il défendit aux ecclésiastiques de payer les impositions, sous peine d’excommunication encourue ipso facto. De son côté, le roi fit défense au clergé d’acquitter les annates et les autres redevances qui s’envoyaient à la cour de Rome; mais pour ce qui mettait en question les droits de la puissance royale dans le gouvernement du royaume, Philippe jugea prudent d’opposer aux prétentions du pape l’opinion de personnes choisies parmi les corps les plus considérables de l’état. Ayant donc convoqué des prélats, des barons, des membres des universités, chapitres et collèges, et des syndics ou procureurs des villes, l’assemblée déclara qu’elle ne reconnaissait d’autre supérieur au temporel que le roi. La levée de l'impôt fut continuée en conséquence de ce suffrage[6].

A la mort de Boniface, qui survint deux ans après, Philippe, s’étant assuré de la majorité des voix dans le conclave, fit de la continuation pendant cinq ans de l’impôt du dixième sur les biens de l’Église l’une des conditions se l’élection du pape Clément V; mais, afin que les décimes pussent être payées exactement et sans difficulté ni préjudice pour le clergé, une bulle régla le taux des monnaies à donner en paiement. Cette précaution inusitée était nécessaire à une époque où le monarque disputait aux seigneurs le droit « d’abaisser et amenuiser les monnoyes comme privilège especial du roy. » Mais les garanties obtenues par le clergé ne mirent pas les autres classes de la société à l’abri des spéculations monétaires de Philippe : l’altération ainsi que l’élévation ou la réduction alternative des espèces furent toujours l’une des Opérations les plus lucratives de son règne, et l’impôt le plus désastreux pour la nation. De ces variations fréquentes naissaient des difficultés multipliées pour le paiement des obligations, des cens, des rentes et des fermages, pour la vente des denrées et le prix des salaires[7].

1301. — Dans les provinces, les Lombards partageaient les spéculations du prince, que le peuple nommait hautement le faux-monnoyeur; et l’assurance répétée dans l'annonce des nouvelles émissions de monnaies qu’elles étaient « de cette même bonté que au temps du sainct roi Loys » devenait une formule qui ne trompait plus personne. A deux époques différentes, des lois somptuaires en apparence défendirent aux officiers royaux, aux ecclésiastiques et à tous autres, l’usage de l’argenterie; mais l’ordre de livrer aux monnaies les objets de même matière, à un prix arbitrairement fixé, trahissait le véritable motif de ces mesures spoliatrices, qui excitaient dans le royaume un mécontentement général, que des murmures annonçaient hautement[8].

1302. — La Flandre était soumise; ses habitants avaient donné à Philippe des témoignages d’une affection sincère, pendant un voyage qu’il fit dans leur pays. Bientôt, accablés par les impôts qu’exigea le gouverneur, tourmentés par les concussions odieuses que commettaient les maltôtiers auxquels on les avait livrés, ils se soulevèrent, et signalèrent leur révolte par le massacre des Français.

Obligé de créer une nouvelle armée pour venger celle qui avait été défaite à Courtray, le roi voulut, avant son départ, se prémunir contre les prétentions toujours subsistantes de Boniface VIII. et contre le mécontentement des peuples. Dans cette vue, Philippe-le-Bel fit assembler les trois états à Paris, et assista en personne à leur réunion. Le chancelier Pierre Flotte annonça d’abord les desseins que le roi avait de réprimer plusieurs abus, notamment les entreprises du pape sur le temporel du royaume. Philippe demanda lui-même que chaque corps formât sa résolution, et la déclarât publiquement par forme de conseil.

A la suite des délibérations, la noblesse exprima au roi l’intention où elle était de le servir de sa personne et de ses biens. Les ecclésiastiques demandèrent d’abord un délai pour délibérer, ce qui leur fut refusé; mais, pressés par les interpellations du roi, ils reconnurent qu’ils tenaient leurs biens de lui et de sa couronne; qu’ils devaient défendre sa personne, ses enfants, ses proches, et la liberté du royaume; qu'ils s'y étaient engagés par leurs serments en prenant possession des grands fiefs dont la plupart étaient revêtus, et que les autres y étaient engagés par fidélité. Le tiers-état s’expliqua par une requête, suppliant le roi de conserver la franchise du royaume[9].

Nonobstant l’assertion contraire de plusieurs historiens, il parait certain que cette assemblée ne fut pas consultée sur la question des subsides, ou, s’il en fut fait mention, que les procureurs des communes manifestèrent des dispositions peu conformes aux vues du roi. Cette opinion est fondée sur les dispositions que l’on adopta peu de temps après la tenue de l’assemblée, et sur la nature des moyens auxquels on eut recours.

1303.— Une délibération fut prise dans un conseil composé d’un petit nombre de Barons et de prélats, « pour ce que, porte le préambule, nous ne pouvions pas avoir à ce conseil ou cette délibération nos autres prélats et barons du royaume. » En considération des des charges onéreuses qui pèsent sur le peuple, dit le même acte, il a été décidé que les archevêques, évêques, abbés et autres prélats, doyens, chapitres, couvents, collèges, et toutes autres maisons de personnes d’église, religieux et, séculiers, exempts et non exempts, ducs, comtes, barons, dames, demoiselles et autres nobles de notre royaume, nous aident au leur. Voici en quoi consistait cette aide[10]:

Les nobles devaient fournir, pour une propriété de cinq cents livrées de terre, un gentilhomme monté, équippé et armé de toutes pièces; de cinq cents à mille livrées, deux gentilshommes, et un de plus pour chaque cinq cents livrées de terre en sus.

Les non-nobles étaient tenus d’armer et équiper six sergents de pied pour chaque cent feux.

L’aide devait être reçue sans préjudice, augmentation ni diminution des droits et privilèges de part et d’autres.

Parmi les personnes habituellement exemptes des charges publiques, les unes se refusèrent à fournir les hommes demandés; d’autres alléguaient la difficulté de trouver des individus propres au service militaire. Aussitôt un ordre du roi chargea les baillis d’exiger en remplacement des gens de guerre, une somme de cent livres pour cinq cents livrées de terre, et deux sols par jour sur les villes ou universités pour chaque soldat demandé[11].

1306. - Ces exigences, qui froissaient et confondaient toutes les classes, et une nouvelle réduction des monnaies, qui suivit de près, mirent le comble au mécontentement général. Il se manifesta d’abord parmi le peuple. Dans plusieurs provinces, les habitants des villes et des campagnes se révoltèrent; à Paris, à Orléans, à Rouen, ils mirent à mort les commis à la perception. A Paris, la multitude pilla et démolit la maison d'Étienne Barbette, maître de la monnaie, puis se porta au Temple, et insulta le roi, qui occupait ce palais. Ces mouvements menaçants furent punis par des exécutions nombreuses. Plus tard, à l’occasion d’une nouvelle expédition projetée contre les Flamands, plusieurs fois défaits, mais toujours en révolte, Philippe voulut imposer une autre taxe de six deniers pour livres des denrées vendues; mais la perception ne put en être faite. Éclairé enfin par cette résistance opiniâtre à sa volonté, le roi eut recours à un autre moyen pour vaincre la répugnance du peuple : ce fut de paraître l’appeler délibérer sur l’établissement des impôts[12]

Depuis le commencement de la troisième race, les barons et les prélats, réunis en assemblées de grand parlement, avaient seuls été consultés sur les moyens de pourvoir aux besoins de l’état; et deux siècles avaient consolidé l’existence des communes sans que la classe des bourgeois, devenue riche et puissante, eût obtenu aucune part dans des délibérations dont les résultats les intéressaient particulièrement. Récemment, à la vérité, des personnages qui n’étaient ni prélats ni nobles avaient assisté à deux assemblées où devaient se traiter des questions d’un grand intérêt pour l’état. Mais, premièrement, ils y étaient peut-être moins comme députés d’un tiers ordre que comme clercs, c'est-à-dire savants dans la jurisprudence du royaume, et dans le droit canon ; en second lieu, admettant qu’il ait été question d’impôts dans une de ces assemblées, ce n’était que d’une manière accidentelle et plutôt pour entendre la volonté du souverain que pour délibérer sur ses propositions. Il était juste cependant de faire concourir au vote des subsides publics ceux qui devaient en supporter la majeure partie; mais ce qui aurait dû être considéré comme un acte d’équité, et conseillé par une saine politique, ne fut donné qu’à la nécessité du moment.

1315.— Dans une assemblée tenue en présence du roi, où prirent séance, après les nobles et les prélats, les bourgeois et les syndics ou députés des communes, désignés sous le nom de tiers-état, Enguerrand de Marigny, surintendant des finances, exposa les besoins du royaume, exhortant les trois ordres à donner au roi les secours exigés par l’intérêt public. Étienne Barbette, prévôt des marchands, suivi de plusieurs bourgeois de Paris, promit de donner une aide suffisante, ou de suivre le roi en personne à la guerre. Les députés des autres communautés firent les mêmes offres. Après quoi, et sans autre délibération, l’assemblée fut dissoute ; et un édit ordonna la levée de six deniers pour livre de toutes les marchandises qui seraient vendues dans le royaume. La taxe fut perçue sans difficultés à Paris. Dans les provinces, elle excita des plaintes générales ; et plusieurs villes de Normandie et de Picardie s’opposèrent à son établissement. Il est permis de croire, d’après cette dernière circonstance, que toutes les villes n’envoyèrent pas de députés à l’assemblée, et que Philippe-le-Bel avait compté sur la facilité des bourgeois de Paris et sur leur exemple pour entraîner les provinces. Le laconisme des écrivains qui ont parlé de cette partie intéressante de notre histoire, et l’insuffisance des documents authentiques de l’époque laissent sans moyens de lever le doute qui existe à cet égard[13].

Quoi qu’il en soit sur ce point, il est constant que du besoin de pourvoir par un tribut public aux dépenses générales de la monarchie, et de l’opposition des peuples aux impositions arbitraires, est née depuis cinq siècles la réunion, connue plus tard sous le titre d’états-généraux, des trois ordres qui composaient la nation, en remplacement des anciennes assemblées de mars et de mai, et des grands parlements ou placites généraux qui leur avaient succédé. Cette institution, à ne la considérer que sous le rapport financier, pouvait dès lors, si elle eût été constituée d’une manière irrévocable et renfermée dans de justes limites, remplir le vide existant dans les lois de la monarchie En élevant l’édifice économique de la France sur les bases d’un droit public en matière d’impôt, elle eût assuré à la royauté les ressources pécuniaires indispensables à la dignité du trône et à la sûreté de l’état, en même temps qu’elle eût donné à la nation la certitude que ses intérêts ne seraient plus sacrifiés à des besoins factices ou à des prétentions exagérées. Mais ce qui devait devenir un jour une barrière salutaire et un appui pour les rois parut alors à leurs conseillers un obstacle redoutable aux progrès de la puissance souveraine qui n’était pas encore affermie sous le rapport des impôts, mais vers laquelle nos rois se dirigeaient par degrés, au moyen d’un système habilement suivi depuis le commencement de la troisième race.

On a vu, en effet, qu’à l'époque où Hugues Capet parvint au trône, et sous ses premiers successeurs, les barons disposaient seuls du droit de répartir et de lever dans leurs domaines les tailles qu’ils accordaient au roi, et qu’ils s’attribuaient même une partie de cette imposition. Depuis, les premiers actes de nos rois en matière d’impôts, même à l’occasion des guerres saintes, n’avaient été hasardés qu’avec réserve et avec les précautions nécessaires pour empêcher les vassaux de s’alarmer de l’exercice d’une nouvelle puissance : c'étaient moins des ordonnances émanées de l’autorité suprême qu’un traité fait avec des sujets redoutables. Mais déjà du temps de Saint-Louis la sagesse du prince avait fait décider que la taille n’était point un revenu ordinaire des terres féodales; et moins d’un demi-siècle après ; ce monarque, elle se payait au roi, hors de son domaine, par les habitants, des fiefs appartenant aux seigneurs, d’après le travail de commissaires royaux. D’un autre côté, les possessions ecclésiastiques étaient également soumises à l’impôt, chaque fois que des préparatifs de guerre offraient un motif de réclamer un subside; et l’opposition d’un pape aussi absolu que Boniface VIII aux levées de deniers sur l’Église n’avait eu pour résultat que de mieux établir le pouvoir : royal à cet égard.

Les rois qui avaient remporté cet avantage sur la noblesse et sur le corps non moins puissant du clergé ne virent sans doute dans la bourgeoisie et dans les communes, d’une existence encore si récente, qu’une classe de sujets dévoués et soumis en toutes choses à la volonté souveraine. Leurs ministres ont considéré l’admission du tiers ordre à la représentation nationale comme une concession faite à la nécessité du moment, et en même temps comme un moyen auquel il pouvait leur être avantageux de recourir dans les besoins extrêmes, mais qu’il serait gênant d’admettre comme condition indispensable de l’établissement des impôts; et, malgré la promesse que nous verrons faire par Louis X, tant pour lui que pour ses successeurs; malgré l’engagement pris par Philippe de Valois « de ne lever aulcuns deniers dans le royaume que de l'octroy des estatz, » les assemblées générales des trois ordres n’ont été que rarement consultées au sujet des impositions, ou elles ne le furent que dans des circonstances embarrassantes pour le gouvernement. Ce défaut d’une loi positive ou d’un usage constant relativement aux formes à observer pour l’établissement des impôts laissa irrésolue la question de savoir si le pouvoir législatif sur cet objet résiderait tout entier dans le roi, ou s'il serait partagé entre le monarque et la nation, représentée dans ses trois ordres. On verra plus tard par quels moyens la couronne parvint à s’attribuer ce pouvoir comme une prérogative qui lui appartenait. En attendant, l’indécision ou restait une question d'un aussi grand intérêt laissa encore l’état sans revenu assuré, parce que les peuples, qui supportaient déjà le fardeau permanent des dîmes ecclésiastiques, et d’une foule de droits ou de devoirs tant manuels que pécuniaires envers les seigneurs, ne se prêtaient qu’avec répugnance à l’établissement des taxes publiques, même temporaires, dont la nécessité ne leur était point démontrée, et qu’ils opposaient même la résistance à celles qui leur semblaient ou injustes ou trop onéreuses. Dans cet état de choses, les hommes qui dirigeaient les finances royales, commandés souvent par des circonstances impérieuses, furent longtemps réduits à user de manœuvres frauduleuses pour arracher des impositions que la royauté n’osait pas encore établir ou qu’elle n’avait pas la force d’exiger des sa seule autorité.

L'admission des communes, sous le nom de tiers-état, dans les assemblées publiques, avait été précédée depuis peu d’années d’un changement qui, en consacrant les parlouers du roy, ou parlements, au soin de rendre la justice, semblait devoir assurer exclusivement aux assemblées des trois ordres la délibération sur les grands intérêts de l’état. Par un édit qui nous est parvenu, Philippe-le-Bel ordonna que, pour le bien de ses sujets et expédition du service, il tiendrait, deux fois l'an, deux parlements à Paris, deux ' échiquiers à Rouen, des grand-jours à Troyes, et un parlement à Toulouse, tel qu’il se tenait précédemment. Ces chambres ou cours de parlements, revêtues d’ailleurs de hautes prérogatives, et composées, dans l’origine, de personnages éminents, ne représentaient donc plus dès lors les anciennes assemblées de la nation, que remplaçait réellement la convocation de trois ordres existants dans l’état[14].

Le règne de Philippe-le-Bel est encore remarquable par l’établissement, dans les ports et aux passages des frontières de terre, de gardes et de bureaux destinés à assurer l’exécution des édits concernant la sortie des marchandises, genre de commerce qui était alors connu sous le nom, de traite foraine. Cette institution était bien éloignée des combinaisons qui ont fait découvrir plus tard dans les douanes frontières un moyen d’encouragement et de protection pour toutes les industries nationales, en même temps qu’une nouvelle source de revenus pour l’état. Les douanes, organisées sous le règne de Philippe-le-Bel, portent, comme toutes les opérations bursales de l’époque, le sceau d’une aveugle fiscalité. Une ordonnance défendit de transporter hors du royaume des denrées et autres productions du sol, ainsi que des matières premières, et même des objets manufacturés. Ce que cette mesure présentait de désastreux pour le commerce d’exportation, alors très considérable en France, était atténué par la faculté que se réservait le roi d’accorder la permission de sortie, moyennant finance. La sortie des marchandises n’était donc défendue que pour faire acheter la permission de les enlever : car, à l’imitation des despotes de l’Orient, où les financiers étaient allés s’instruire, le gouvernement prétendait exercer par ses officiers le monopole du commerce[15].

1314. — Nonobstant l’existence d’une trêve que le roi avait conclue avec les Flamands, dans l’année qui suivit l’assemblée des trois ordres, on voulut doubler les taxes qu’ils avaient accordées, et assujettir à cette augmentation la noblesse et le clergé. Des remontrances que ces corps présentèrent étant demeurées sans effet, ils formèrent, pour la défense de leurs droits et de leur liberté, une ligue à laquelle prirent part des villes et des communautés. La Bourgogne en donna l’exemple, et, à sa sollicitation, les habitants de la Champagne, du Nivernais, due Beauvoisis et des contrées voisines, y souscrivirent, et se lièrent par la promesse mutuelle de s’entre-secourir contre les entreprises. de la couronne. Ces symptômes d’une révolte prochaine menaçaient le royaume des plus grands troubles, lorsque Philippe-le-Bel mourut après avoir annoncé la cessation de la subvention pour l’armée de Flandre. Ce prince, reconnaissant trop tard qu’il avait abusé des impôts, recommanda à son fils de les modérer, et de fabriquer de bonnes monnaies[16].

On ne connaît pas la quotité des subsides levés pendant le règne de Philippe-le-Bel : des écrivains pensent qu’il procura un revenu six fois plus élevé que celui dont avait disposé, un siècle auparavant, Philippe-Auguste. La connaissance des ressources du trésor, d’ailleurs, ne donnerait qu’une idée, bien imparfaite des charges supportées par la nation, puisque, à cette époque, et long-temps encore après, les sommes qui parvenaient à l’épargne n’étaient qu’une parcelle des concussions de tous genres qui pesaient sur les contribuables.

1315. — Quoi qu’il en soit, Louis X, fils et successeur de Philippe-le-Bel, se trouva dans la plus grande pénurie d’argent à son avènement au trône ; et ce fut inutilement qu’il s’irrita contre les ministres de son père, qui ne lui remettaient rien du produit « de tant d’impôts exigés, de tant d’altérations de monnaies. » Cependant le renouvellement des hostilités en Flandres nécessitait de prompts secours. Le roi, oubliant l’avis de Philippe, crut pouvoir les obtenir d’un nouvel affaiblissement des espèces ; mais cette opération, que des impôts accompagnaient, causa une révolte presque générale dans le royaume. On reconnut que la disposition des esprits voulait des concessions, et non des exigences. Enguerrand de Marigny, surintendant des finances, accusé de déprédations que semblaient justifier ses immenses richesses, fut immolé sans preuves à la haine des grands et du peuple. Le roi, à la requête des « nobles et autres gens du royaume, » supprima de nouveau, comme indûment perçue, la subvention imposée pour l’armée, déclarant que des « perceptions faites ne devait résulter aucun nouveau droit pour lui à l’avenir, ni aucun préjudice pour la nation[17]. »

La continuation des ligues entre les provinces n’était pas une occasion favorable pour la convocation des états généraux du royaume. Louis X forma des assemblées provinciales : en convoquant la noblesse et le peuple par sénéchaussée, et les fit solliciter de lui fournir des subsides extraordinaires, qu’il promettait de rembourser du revenu du domaine. Il demanda et obtint une décime du clergé, et prit les deniers mis en réserve pour une expédition projetée à la Terre-Sainte. Des réformateurs furent envoyés dans les provinces pour examiner la conduite des juges, et les prévaricateurs condamnés à de fortes amendes. Dans le même temps, le roi faisait vendre, ou plutôt aliéner à l'enchère, des offices de judicature, au mépris des sages défenses portées à cet égard par Saint-Louis, et oubliant sans doute qu’il ouvrait une nouvelle source aux abus qu’il attaquait, puisque, suivant la sentence de l’empereur Alexandre Sévère, sur le même sujet : « Celui qui achète doit vendre[18]. »

Les Lombards, Toscans, et autres Italiens, obtinrent la confirmation de leurs privilèges et des immunités d’impôts, moyennant l’élévation des droits sur leur commerce, auxquels ils ajoutèrent une taxe annuelle du vingtième de leur capital; et l’on n’oublia pas les Juifs « que la fiscalité du siècle se plaisait à regarder comme des éponges qu’elle pouvait presser arbitrairement. » Ils furent rappelés moyennant l’abandon au roi des deux tiers de leurs anciennes créances. Proscrits de nouveau après quelques années, la nécessité leur enseigna l'ingénieux moyen de tromper l’avidité du fisc. “Réfugiés en Lombardie, de là ils donnaient des lettres sur ceux à qui ils avaient confié leur fortune en quittant la France. Ces lettres furent acquittées. Ainsi, de l’oppression naquit l’utile invention des lettres de change, qui agrandit la sphère des spéculations commerciales de toutes les ressources du crédit, et donna aux commerçants de toutes les nations un moyen de mettre leur richesses à l’abri des atteintes du fisc[19].

1315. - A l'occasion des assemblées convoquées par Louis X, la province de Normandie, représentée par les députés du clergé, de la noblesse et du peuple[20], invoqua les droits et libertés dont elle avait joui du temps de Saint-Louis, et réclame contre les tailles, subventions et autres exactions qui lui avaient été imposées dans les derniers temps. Le roi, reconnaissant confirmant les privilèges de la province, déclara qu’à moins d'une urgente nécessité et d’une évidente utilité, lui, ni ses successeurs, ne pourraient exiger sur les personnes ou sur les biens de ce duché aucune imposition quelconque autre que les rentes, chevauchées ou servitudes légitimement dues à la couronne. Cette déclaration est connue sous le nom de Charte aux Normands[21].

Dans leurs cahiers de plaintes, les autres provinces demandèrent généralement, entre autres choses, qu’on fit de bonnes monnaies. Voici en quels termes s’exprimaient les états de Bourgogne : « Que le roi mette ses monnoies en l’état du poids et de l’aloi, en quoi elles étoient du temps de Monsieur Saint-Louis, et les y maintienne perpétuellement ; et valoit lors le marc d’argent cinquante-quatre sols monnoie.

Que le roi n’empêche le cours des monnoies faites en ses royaumes ou dehors. »

Pour satisfaire à ces demandes, et ramener l’ordre et le calme dans l’état, par le soulagement des peuples, le roi résolut de priver du droit de battre monnaie quelques prélats et bâtons qui n’avaient pas obéi aux ordonnances de Saint-Louis; mais la résistance que Louis X rencontra dans les parties intéressées le réduisit à se contenter de prescrire si ces seigneurs l'aloi, le poids et la marque qu’ils devaient observer dans leur fabrication. Le roi s’occupa ensuite des monnaies royales, et, après avoir pris l’avis des principaux habitants des-villes, qu’il avait fait venir à cet effet à Paris, il publia un règlement général pour toutes les espèces ayant cours dans le royaume[22].

Ces mesures, suffisantes pour calmer l’irritation des esprits, ne ramenaient pas l’aisance dans le trésor : elle lui vint d’une nouvelle source.

L’établissement des communes, et la naissance de la bourgeoisie qui en avait été la suite, n’avaient point encore conduit à l'affranchissement des campagnes : l'état de servage existait toujours pour le cultivateur; mais les rigueurs de la féodalité éprouvaient à son égard un adoucissement sensible au commencement au XIVe siècle. Le serf, bien que mainmortable et taillable, n'était plus du moins livré à la discrétion du seigneur. Des usages, dus aux progrès de la civilisation, qui développait des sentiments d’humanité, avaient réglé le temps, la forme de la perception et la quotité des tailles. « Le seigneur, dit un écrivain du temps, ne peut tailler ses hommes qu’une fois l’an, qui est à entendre du quint de leur meuble, et il ne leur succède que quand ils meurent sans hoirs procréés de leurs corps. » La politique des rois et les besoins du fisc hâtèrent une révolution qui préparait l’affranchissement des campagnes.

Déjà, en 1298, Philippe-le-Bel avait délivré des lettres portant l’affranchissement des serfs, dans le Languedoc, moyennant un cens qui devait être réglé proportionnellement aux facultés des affranchis. Louis X, et peu après son frère Philippe-le-Long, prononcèrent l’abolition de la servitude personnelle dans les domaines royaux, par une mesure générale dont les motifs et les conditions sont indiqués dans les monuments qui nous restent. « Comme selon la droite nature chacun doit naître franc…, nous, considérant que notre royaume est dit et nommé le royaume de France, et voulant que la chose en vérité soit accordante au nom, et que la condition des gens amende de nous…., avons ordonné….que, généralement partout notre royaume…, servitudes soient ramenées à franchises…, pour que les autres seigneurs qui ont hommes de corps prennent exemple à nous, etc.[23] »

Les instructions données aux commissaires du roi expliquent le véritable objet de cet acte d’humanité : « Pourroit estre que aucuns……. cherroit en desconnoissance de si grand bénéfice……. que il vaudroit mieux demeurer en chetiveté de servitude que venir à estat de franchise…. vous mandons…. que vous de telles personnes, pour l’ordre de notre présente guerre, considérée la quantité de leurs biens, et la condition de la servitude de chacun, vous en leviez si suffisamment et si grandement comme la condition et la richesse des personnes pourront bonnement souffrir et la nécessité de notre guerre le requiert. »

Beaucoup de serfs en effet ne voulurent pas profiter des lettres d’affranchissement dont le prix était exagéré. On les contraignit d’acheter la liberté en les privant de leur mobilier, seule espèce de biens qu’il leur fût permis de posséder. Ces moyens violents produisirent, dans la suite, d’heureux effets. Des seigneurs, à l’exemple des rois, vendirent les affranchissements; d’autres, plus désintéressés, les accordèrent gratuitement. Bientôt on vit des communautés, des villes, des contrées entières, affranchies. La servitude personnelle fut presque entièrement abolie; et, à la condition humiliante de serf fut généralement substituée celle de main mortable; condition pénible encore, mais moins dure que la première, en ce qu’elle retardait au moins jusqu’au décès de l’homme les effets de la servitude.

1316. - A son avènement, Philippe-le-Long trouva le trésor grevé de très fortes charges en rentes tant perpétuelles que viagères, et les terres et forêts du domaine royal envahies par les dons et les échanges que les gens en faveur et les financiers avaient surpris à la facilité de Philippe-le-Bel et de Louis X : l’extinction de la dette publique fut le premier objet de ses soins. Pour y parvenir il supprima des pensions, et il affecta au remboursement des rentes le produit des confiscations foncières et immobilières, statuant de plus qu’aucune rente ou pension ne pourrait être échangée contre des biens fonds, ni assise sur les terres du domaine. Révoquant ensuite les nombreuses dispositions faites par les rois ses prédécesseurs, il ordonna la réunion à la couronne de toutes les parties du domaine aliénée ou échangées depuis Saint-Louis; et, pour éviter les surprises qui pourraient lui être faites, il défendit qu’aucune demande en don à héritage lui fût adressée ailleurs qu’en présence de son grand conseil[24].

La mesure qui remettait la couronne en possession des biens qui en avaient été détachés était une juste conséquence du principe de l'inaliénabilité du domaine royal, principe rétabli par Philippe V, toujours invoqué dans la suite, mais qui n’empêcha pas que la faveur, l’adresse ou l’importunité, secondée par une administration vicieuse, ne réduisit à peu de chose l’immense patrimoine de nos rois.

1317. - On trouve à cette époque la trace certaine des différentes institutions qui distinguaient les provinces septentrionales de la France connues sous la dénomination de Langue d'Oyl, et les provinces méridionales, autrement Occitanie ou Langue d'Oc, lesquelles comprenaient tous les pays situés au-delà de la Dordogne. Philippe-le-Long, ayant fait assembler à Bourges les procureurs ou députés des bonnes villes et lieux notables du Languedoc, d’après les plaintes qui lui furent faites des atteintes portées par les officiers royaux aux privilèges de ces provinces, le roi confirma leurs habitants dans la jouissance des coutumes, libertés, franchises et juridictions qui avaient été maintenues par Saint-Louis[25].

Le sel jusque alors avait échappé aux atteintes de la fiscalité. Des seigneurs, à la vérité, soumettaient cette denrée à des taxes au passage ou à la vente dans leurs terres ; mais rien n’indique qu’elle eût été assujettie aucun droit au profit du trésor royal. Quelques historiens ont regardé Philippe-le-Bel comme le créateur de cet impôt; « mais c’est sans doute, dit un écrivain moderne, la singulière réputation de ce prince en finances qui porte à lui attribuer cette invention bursale. » On possède au contraire la preuve de l’établissement par Philippe V d’une gabelle de deux deniers par minot de sel ou huit sous par muid, en même temps que d’une imposition de quatre deniers pour livre des marchandises vendues. Ce prince avait mis ces taxes de sa propre autorité, en remplacement, selon quelques écrivains, d’une imposition générale du cinquième denier des biens qui excitait le mécontentement des trois ordres. Mais, en suite des représentations qui lui furent faites par l’assemblée des états-généraux où fut confirmée la Loi salique, qui exclut les femmes de la couronne(1318), le roi déclara que le droit de gabelle et la taxe de quatre deniers n’étaient que temporaires, et ne seraient point incorporés au domaine. Un peut, croire en effet que ces perceptions ne furent pas de longue durée, attendu que les hostilités qui existaient depuis vingt ans avec les Flamands se terminèrent par un traité dont l'une des conditions fut le paiement trente mille florins d’or pour arrérages de contributions dues à la France. Aux bienfaits de la paix se joignirent, pour la première fois depuis Saint-Louis, les heureux effets d’une sage économie, dont Philippe V donna l’exemple par des réformes dans les dépenses de sa maison et de celle de la reine, et par des règlements qui mirent un frein aux rapines que commettaient les officiers de justice et leurs suppôts. Mais la tentative d’établir l’égalité de poids, de mesures et de monnaies dans tout le royaume, échoua contre l’opposition des seigneurs et du clergé[26].

Le gouvernement de ce prince n’est pas moins remarquable par des ordonnances où l’on retrouve, avec l’empreinte du siècle, les principes d’ordre et d’économie publique sans lesquels il n’est pas de bonne administration. Leur adoption prouve que, si ces éléments de force et de richesse n'ont pas présidé depuis à la direction de nos finances, ils n’étaient pas ignorés. Mais la publication plusieurs fois répétée de ces règlements sous le même règne témoigne assez combien leur l’exécution rencontrait d'obstacles de la part des agents qui devaient s’y soumettre. La citation des principales dispositions prescrites par Philippe-le-Long peut être utile pour faire connaître les institutions et les ressources financières du temps[27].

Par ses ordonnances,

Le roi s’interdit la faculté d’accorder aucune grâce ni don en deniers ailleurs que dans un grand conseil, qui doit s’assembler une fois par mois.

Il ne doit exister qu’un seul trésor, où tous produits et recettes sont versés, à l’exception seulement des revenus ordinaires, qui doivent être reçus dans les sénéchaussées et bailliages.

Le produit des emprunts, s’il en est ordonné, ne peut-être remis qu’au trésor, et non ailleurs.

Chaque mois il est fait au roi, en grand conseil, un rapport sur l’état du trésor. La situation des finances lui est présentée une fois par an.

Les trésoriers comptent de leur gestion aux gens du roi tous les six mois, dans un compte unique, sans laisser aucun article à part.

Le chancelier compte aux gens du roi des émoluments de la chancellerie.

Les trésoriers ne délivrent aucuns deniers qu’en vertu d’un ordre qui leur est donné verbalement, et lorsqu’ils sont réunis, soit par le roi, soit par le souverain établi au-dessus d’eux, à l’exception des dépenses concernant les rentes anciennes et les droits ordinaires; mais ensuite ils reçoivent du roi ou du souverain des lettres ou cédules portant confirmation des ordres de paiement, afin qu’ils puissent rendre bon et loyal compte.

Les trésoriers ne doivent opérer aucune recette sans en faire enregistrement le jour même ou le lendemain, en indiquant la date de la recette, son origine, le nom de celui qui a versé, et les diverses espèces de monnaies reçues.

Ils sont tenus d’être constamment au trésor, et ne peuvent faire partie des conseillers de la chambre des comptes.

Toute opération de banque ou de change de monnaie doit être justifiée par une cédule des gens des comptes. Les clercs du trésor sont tenus de jurer sur les saintes évangiles, et sous peine de révocation, qu’ils n’écriront aucun article en recette ni en dépense si l’opération n’en a été faite les changeurs du trésor ou par les trésoriers.

Aucun clerc-receveur n’est admis au trésor s’il n’est du royaume.

Un clerc du trésor né dans le royaume est placé auprès des changeurs; il tient de sa main un contre-rôle des sommes entrées ou sorties, par nature d’espèces, et donne au souverain connaissance du résultat de ces opérations.

Tout commissaire chargé de l’exploit d’une imposition dans les provinces doit se présenter aux gens des comptes pour se libérer, et nul ne peut obtenir une nouvelle commission avant d’avoir rendu compte de la précédente.

Les domaines et les justices du roi, les droits de sceau, de greffe et de geôle, sont donnés à ferme en adjudication aux enchères, par les receveurs, et non par les baillis. On exclut de l’adjudication les personnes mal famées; et les adjudicataires sont tenus de fournir un cautionnement.

Tout bailli et sénéchal ne peut s’absenter du lieu où son office l’appelle sans un congé exprès du roi. Ils doivent venir compter une fois par année à Paris.

Il leur est défendu, ainsi qu’à tout receveur ou collecteur, de dépenser, prêter ou faire valoir l’argent du roi, et d’échanger les espèces reçues, sous peine de corps et bien.

Après l’acquittement des dépenses ordinaires concernant les fiefs, aumônes, pensions, ils doivent envoyer l’excédant des recettes au trésor secrètement, sans marquer le jour ni l'heure.

Tous officiers et commissaires chargés d’une partie quelconque de recouvrement jurent de ne faire connaître qu’au roi, aux gens de ses comptes et aux trésoriers, l’importance de leurs recettes[28].

D’autres dispositions attestent que l’administration ne négligeait aucuns des moyens connus pour assurer au trésor La rentrée des droits établis et prévenir les bénéfices exorbitants des fermiers.

La difficulté de connaître l’importance des ventes de marchandises faites par les Italiens privait l’état d’une partie des taxes auxquelles ils étaient soumis. On consentit des abonnements avec les détaillants. Pour les autres, un clerc du trésor eut le contrôle de leurs opérations à Paris. Ceux qui célaient des marchés étaient condamnés à une amende dont un quart appartenait aux dénonciateurs. Les taxes furent remises en ferme, moyennant onze mille livres tournois par an, sous la réserve toutefois que les produits excédant cette fixation appartiendraient au roi. Ainsi, au commencement du XIVe siècle, on trouve l’exemple de la ferme intéressée, qui fut bientôt abandonnée pour ne reparaître que près de cinq cents ans plus tard[29].

Après un règne trop court pour la France, une mort prématurée enleva un roi qui, par ses institutions et sa persévérance à les faire observer, ouvrait les voies de la prospérité publique au moyen de l’ordre et de l’économie dans les finances de l’état.


  1. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 1, 453 et 534.
  2. La taille, tant royale que seigneuriale, était l’impôt le plus habituel jusqu’à cette époque, et s’exprimait en latin, comme le prouvent plusieurs monuments du temps, par les mots tallia ou tolta. De là les perceptions indûment faites par les receveurs ou fermiers des impôts furent nommées male tolta, d’où sont venues les dénominations de maltôtes et de maltôtier, que, dans la suite, on appliqua aux taxes injustement établies, et à ceux qui les exigeaient.
  3. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 326 et 650.
  4. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 488.
  5. «Cum consilio baronum et prelatorum qui pro ista ordinatione facienda vocati et presentes fuerunt in generali convocatione.» (Ordonn. du Louvre, t. 12 p. 333 et suiv.) — Compilation chronologique de Blanchard, t. 1, p, 29.
  6. Hist. de France, par le comte de Boulainvilliers, t. 2 p. 256 et 272 - Mézerai. - Anquetil.
  7. Métrologie de Paucton, p. 674. - Traité des monnaies, par Abot de Basinghen.
  8. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 324, 325, 347, 428 et suiv., 451, 452, 458, 524, 525, etc. - Guy Coquille, ch. 183.
  9. Hist. de France, et Lettres sur les anciens parlements du royaume, par le comte de Boulainvilliers, t. 3, p. 263, etc. - Mezrai. - Anquetil. - Hist. du parlement.
  10. Ordon. du Louvre, t. 2, p. 382 et suiv., p, 408 et suiv.— Compilation chronologique de Blanchard, t. 1, p. 34, 35, 37.
  11. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 391.
  12. Œuvres de Pasquier, t. 1, p. 87, c. - Híst. de France, par le comte de Boulainvilliers, t. 2, p. 276.
  13. Le Guydon général des finances, p. 165. — Pasquier, t. 1, p. 87, C. — Histoire de France, par le comte de Boulainvilliers, t. 2, p. 290 et suiv. -Mézerai.
  14. Ordon. du Louvre, préface du t. 14, p. 32, art. 13. — Remontrances du parlement de Paris, du 13 mai 1615, au Mercure françois, t. 4, p. 55.
  15. Ordon. du Louvre, t. 14, p. 40 ; t. 16, p. xij et suiv. ; et Table, au mot Philippe VI, p. 908. — Compilation chronologique des ordonnances, par Blanchard, t. 1, p. 33, 38 et 50.
  16. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 580.
  17. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 580. - Traité des monnaies, par Abot de Bazinghen, t. 1, p. 114.
  18. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 602.
  19. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 582 et 595. - Encyclopédie, Dictionnaire des finances et de jurisprudence, art. Juifs.
  20. Les remontrances à, la suite desquelles je duché de Normandie obtint la reconnaissance de ses privilèges sont de deux époques. D’après la première, qui porte la date du mois de mars 1314, antérieurement à la mort de Philippe-le-Bel, l’assemblée de la province n’était composée que des « barons militaires et autres sujets nobles, et prélats. » Les secondes, qui sont datées de juillet 1315, sous le règne de Louis X, furent présentées par une assemblée où assistaient « des prélats et ecclésiastiques, des militaires et autres nobles et sujets, et des gens du peuple. » De cette distinction ou peut conclure avec l’historien Pasquier, dont nous avons adopté le sentiment, que ce fut seulement dans l’assemblée des états-généraux tenus à Paris en 1313 que le tiers ordre fut pour la première fois admis à émettre une opinion sur la question les impôts. L'introduction des gens du peuple ou tiers ordre dans les assemblées provinciales a dû être une conséquence prochaine de leur admission dans l’assemblée générale des trois états ; or si, comme le prétendent quelques historiens, les députés des communautés avaient été consultés sur les subsides à partir de l’année 1302, il est probable qu’ils auraient aussi pris part à la rédaction des remontrances présentées en 1314 à Philippe-le-Bel au nom de la province de Normandie, au lieu de concourir seulement à celles qui furent remises à Louis X, en 1315.
  21. Ordon. du Louvre, t. 1, p.551, p.589, art. 7, et 593, art. 22.
  22. Ordon. de Lagny-sur-Marne, aux environs de Noël 1315, et règlement du 15 janvier 1315.
  23. Ordon. du Louvre, t. 12, p. 335, et préface ; t. 1, p. 583.
  24. Ordon. du Louvre, t. 1. p. 626, 665 et suiv., et 670.
  25. Ordon. du Louvre, t. 8, p. 474.
  26. Le Guydon général des finances, p. 143, 165.-Ordonn. du Louvre, t. 1, p. 679.
  27. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 628 et suiv., 656, 671, 693, 712, 716, 735, 738.
  28. Long-temps encore après cette époque le plus profond mystère couvrait toutes les opérations du fisc. On sait, par des lettres de Charles VI, de 1407 et 1408, que, lorsque les rois ses prédécesseurs voulaient consulter les registres, comptes et écritures concernant les domaines et les revenus, ils se rendaient en personne à la cour des comptes « pour obvier aux dommages et inconvénients qui se pouvoient ensuivre de la révélation et portation foraine d’iceux escripts. » (Ordonnance du Louvre, t. 9, p. 243 et 418.)
  29. Ordon. du Louvre, t. 1, p. 550.