Histoire du prince Soly/I/8


CHAPITRE VIII.


Comment Prenany se sauva dans un désert effroyable, & de la rencontre heureuse qu’il y fit.


Il n’étoit pas tout à fait dix heures du matin, que toutes les Amazones étoient sur pied. On chercha encore Prenany par toute la forêt ; mais les peines que l’on se donna furent inutiles. Cela causoit autant de joie à Fêlée, que cela donnoit de chagrin à Solocule & à sa mère ; ce qui montre qu’il est bien difficile de contenter tout le monde.

Pendant cette recherche, Prenany avançoit toujours, tantôt triste de quitter la princesse, tantôt gai de ce que Solocule ne la verroit plus. Au point du jour, il avoit aperçu le sac qui pendoit à l’arçon de la selle ; il l’ouvrit, & trouva le gâteau que la princesse y avoit mis, & la bouteille de ratafia. Comme il avoit grand faim, il mangea une grande part de sa galette, & dans cette part il trouva la fève. Ah ! dit-il, je ne pouvois manquer d’être roi, puisque je devois manger ce gâteau-là tout seul ; mais il n’importe, cela marque toujours la bonne intention de la princesse. Il but de l’eau d’une fontaine qu’il rencontra, & un petit coup de ratafia pour se fortifier le cœur ; mais il n’eut pas le plaisir d’entendre crier le roi boit, car il n’avoit que son cheval pour toute compagnie.

Prenany n’étoit jamais sorti d’Amazonie, & ne connoissoit point le pays. Il s’engagea dans une solitude affreuse, dont il ne savoit plus par où sortir. Il voyagea ainsi deux jours & deux nuits dans un désert épouvantable ; il ne voyoit que des plaines d’un sable brûlant, qui s’étendoient à perte de vue. Cette vaste solitude n’étoit entrecoupée que par des rochers affreux, qui s’élevoient jusqu’aux nues, & d’où sortoient des torrens effroyables. Ces eaux, qui tomboient des montagnes avec rapidité, sembloient fuir avec autant de vîtesse un séjour si effrayant, & se précipitoient avec fureur dans les plus profonds abîmes.

Enfin le cheval de Prenany, outré de lassitude & mourant de faim, tomba ; & la bouteille de ratafia, où il y en avoit encore, fut cassée ; ce qui causa au prince un grand chagrin, Prenany, à force de coups, fit relever son cheval, qui le porta encore quelques temps ; mais le pauvre animal étant tombé une seconde fois, ne put venir à bout de se relever, malgré toute sa bonne volonté ; en sorte que Prenany fut obligé de prendre ce qui lui restoit de gâteau, & de continuer son chemin à pied.

Quand il eut marché quelque temps, il s’assit au pied d’un rocher pour se reposer. Il regardoit tristement le ciel sans penser à rien, tant il étoit accablé de son malheur, lorsqu’il se présenta devant lui un vieillard dont la maigreur & la figure auroient fait peur au prince dans un autre temps ; mais alors il étoit si triste, qu’il ne s’apercevoit de rien. Le vieillard s’arrêta quelques instans à considérer le jeune Prenany avec tous les signes de la plus grande joie, puis il lui dit, en s’approchant de lui : Que je suis heureux de vous rencontrer, & quel bonheur pour vous de m’avoir trouvé ici ! Sans cet événement, vous seriez sans doute mort de faim dans ce désert, dont vous ne connoissez pas les routes ; &, sans vous, j’y aurois bientôt péri de misère ; au lieu que je vais faire votre félicité, & vous allez faire ma gloire & mon bonheur.

Prenany demanda au vieillard qu’il lui expliquât plus clairement comment ils alloient être tous les deux si fortunés. Contentez-vous pour aujourd’hui, lui répondit le vieillard, de savoir que vous êtes, aussi bien que moi, assuré d’être heureux. Venez vous reposer dans ma grotte demain je vous conduirai dans ma patrie, où vous jouirez de la plus brillante fortune, & je vous instruirai en chemin de ce que vous voulez savoir.

Le vieillard conduisit Prenany dans un antre qu’il habitoit, & que le hasard avoit creusé dans un grand rocher. Après un léger repas, qui consista en quelques racines qu’avoit le vieillard, & le dernier morceau de galette qu’avoit le prince, il se couchèrent sur des herbes seches, & la lassitude les fit dormir d’un profond sommeil.

Le lendemain, dès que l’aurore commença à paroître, le vieillard éveilla le prince, qui, croyant être encore en Amazonie (car c’étoit la première fois qu’il s’étoit couché depuis qu’il en étoit sorti), se mit à pester contre le vieillard, & à lui dire mille injures, dans la pensée que c’étoit quelqu’un de ses camarades qui l’éveilloit par malice. Quand il se fut un peu frotté les yeux, il reconnut son erreur, & demanda pardon au vieillard de sa vivacité.

Le vieillard & Prenany se mirent aussi-tôt en chemin, & le dernier, en sortant de la grotte, se ressouvint avec regret de la bouteille au ratafia, dont ils auroient bien bu chacun un coup avant de commencer leur voyage. Prenany conta d’abord son histoire au vieillard, qui lui fit plusieurs questions, auxquelles le prince répondit de manière que le vieillard parut très-satisfait. Le jeune prince pria ensuite le vieillard de contenter à son tour sa curiosité, & de l’instruire, comme il lui avoit promis de le faire, de l’endroit où il le conduisoit, & du bonheur qu’il devoit espérer.

À cette demande, le vieillard leva les yeux au ciel, & jeta un profond soupir. Vous allez entendre, dit-il l’histoire la plus funeste dont on puisse faire le récit. Je suis sûr que vous frémirez vous-même des malheurs dont ma famille a été accablée. Jugez par-là de la peine que je souffrirai, en vous instruisant de mes infortunes. Mais enfin je vous l’ai promis, il faut bien vous satisfaire.