Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 26

◄  Chapitre 25 Chapitre 27   ►



CHAPITRE XXVI.

DE L’INTRODUCTION DES JÉSUITES EN FRANCE.

On sait assez que l’Espagnol Ignace de Loyola, s’étant déclaré le chevalier errant de la Vierge Marie, et ayant fait la veille des armes en son honneur, était venu apprendre un peu de latin à Paris à l’âge de trente-trois ans[1] ; que, n’ayant pu y réussir, il fit vœu avec quelques-uns de ses compagnons d’aller convertir les Turcs, quoiqu’il ne sût pas plus le turc que le latin. Enfin, n’ayant pu passer en Turquie, il se consacra, lui et les siens, à enseigner le catéchisme aux petits enfants, et à faire tout ce que voudrait le pape ; mais peu de gens savent pourquoi il nomma sa congrégation naissante la Société de Jésus.

Les historiens de sa vie rapportent que sur le grand chemin de Rome il fut ravi en extase, que le Père éternel lui apparut avec son fils chargé d’une longue croix, et se plaignant de ses douleurs ; le Père éternel recommanda Ignace à Jésus, et Jésus à Ignace. Dès ce jour il appela ses compagnons jésuites, ou Compagnie de Jésus. Il ne faut pas s’étonner qu’une compagnie à laquelle on a reproché tant de politique ait commencé par le ridicule : la prudence achève souvent les édifices fondés par le fanatisme.

Les disciples d’Ignace obtinrent de la protection en France. Guillaume Duprat, évêque de Clermont, fils du cardinal Duprat, leur donna dans Paris une maison qu’ils appelèrent le collége de Clermont, et leur légua trente-six mille écus par son testament.

Ils se mirent aussitôt à enseigner. L’université de Paris s’opposa à cette nouveauté, en 1554. L’évêque Eustache du Bellai, à qui le parlement renvoya les plaintes de l’université, déclara que l’institut était contraire aux lois et dangereux à l’État. Le cardinal de Lorraine, qui les protégeait, obtint, le 25 avril 1560, des lettres de François II au parlement de Paris, portant ordre d’enregistrer la bulle du pape et la patente du roi qui établissaient les jésuites. Le parlement, au lieu d’enregistrer les lettres, renvoya l’affaire à l’assemblée de l’Église gallicane. C’était précisément dans le temps du colloque de Poissy. Les prélats qui y étaient assemblés en grand nombre approuvèrent l’institut sous le nom de Société, et non d’ordre religieux, à condition qu’ils prendraient un autre nom que celui de jésuites.

L’université alors leur intenta procès au parlement, après avoir consulté le célèbre Charles Dumoulin. Pierre Versoris plaida pour eux ; le savant Étienne Pasquier, pour l’université (5 avril 1562). Le parlement rendit un arrêt par lequel, en se remettant à délibérer plus amplement sur leur institut, il leur permettait par provision d’enseigner la jeunesse[2].

Tel fut leur établissement, telle fut l’origine de toutes les querelles qu’ils essuyèrent et qu’ils suscitèrent depuis, et qui enfin les ont chassés du royaume.



  1. Voyez tome XII, page 340.
  2. Le président Hénault dit qu’ils n’ouvrirent leur collége qu’en 1574. Cette méprise est peu importante. (Note de Voltaire.)