Histoire du donjon de Loches/Chapitre X

Edmond Gautier
Impr. de A. Nuret (p. 131-143).

X

les guerres de religion et la ligue (1560-1588).



Ala suite de la conjuration d’Amboise, et pour avoir l’œil ouvert sur les démarches des protestants, la compagnie du maréchal de Termes (Paul de la Barthe) vint s’établir a Loches. Les lourdes charges occasionnées aux habitants par cette garnison, et les méfaits des gens de guerre, « oppressions, larcins et forcements » donnèrent lieu à trois enquêtes contenues en trente-six feuillets de grand papier !

Le château de Loches était presque redevenu, comme au temps des comtes d’Anjou et des guerres anglaises, une place frontière du côté du Poitou, quartier-général des calvinistes. Il était, ainsi que la ville, bien approvisionné en munitions, lorsque les troupes de Condé s’en emparèrent, le 2 juin 1562, sous la conduite d’Antoine d’Aure, plus connu sous le nom de comte de Grammont, capitaine des Gascons, de Robert de la Marck, duc de Bouillon, et de Symphorien de Durfort, seigneur de Duras, qui devait trouver la mort l’année suivante sous les murs d’Orléans.

Mais les calvinistes ne restèrent pas longtemps maîtres de la place, car le 30 juillet de la même année, la compagnie du connétable de Montmorency venait y prendre garnison avec 80 chevaux. Les armes de la ville avaient été portées au château, où commandait alors Mery Grelet ou Grasleul, seigneur de la Roche-Berteau près Ciran, capitaine des argoulets ou arquebusiers à cheval, sous l’autorité de Villars, beau-frère du connétable[1].

Pendant que le duc de Montpensier tenait la campagne aux environs de Loudun, sa compagnie fut souvent en garnison à Loches. Le seigneur de Talvoys était alors capitaine du château ; grâce à sa recommandation, les habitants purent obtenir quelques allègements des charges considérables qui pesaient sur eux.

C’était chose onéreuse, en effet, qu’une garnison, surtout en temps de guerre civile. Les lettres du roi et des généraux recommandaient bien aux soldats d’acheter ce qui leur était nécessaire en vivres et en munitions ; mais, mal payés eux-mêmes, ils trouvaient plus simple de vivre sur l’habitant, et d’emprunter de force les munitions qui manquaient. Une délibération municipale de 1564 nous montre un coin de ce tableau :

« Mandement à Pillet de faire assembler les eschevins de la ville et de nommer un marchand de cette ville de Loches, qui aura la charge de ladite munition, après que led. Chanteloup a remonstré qu’il a esté par deux fois excédé en sa personne par les gens d’armes, et que aujourd’huy il est encore menassé et tellement inthimidé, quil a esté contrainct laisser cette pars ; ce qui a esté certifié par la femme dudit Chantelou, présente, qui a offert rendre les arrhes… disant que son mari est sorti de cette ville en désespoir, et ne sait quel chemin il a prins, et que depuis son départ les gens d’armes ont toujours prins les munitions sans voulloir païer. »

Ajoutez à cela un froid rigoureux qui fit périr la plus grande partie des deux armées ; le verglas était si fort qu’il était impossible aux troupes de marcher ; 3,000 hommes périrent dans l’armée calviniste.

L’an mil cinq cens soixante-quatre,
La veille de la Saint-Thomas,
Le grand hyver vint nous combattre,
Tuant les vieux noyers à tas.
Cent ans a qu’on ne veid tel cas.
Il dura trois mois sans lascher,
Un mois outre Saint-Mathias,
Qui fit beaucoup de gens fascher.

Aussi tous les moyens étaient mis en œuvre, toutes les recommandations sollicitées pour obtenir, non seulement la décharge de toute la garnison, mais encore l’exemption de la monstre ou revue. On priait le capitaine du château, Talvois, de vouloir bien se rendre auprès du duc de Montpensier à cet effet. On présentait le vin de la ville au seigneur de Nevers, à son passage, espérant qu’il voudra bien donner une lettre de recommandation pour le même objet. On allait aussi trouver M. de Chavigny, lieutenant-général de Touraine pour le duc de Montpensier. Ces nombreuses démarches eurent un résultat satisfaisant. On obtint le renvoi de la garnison, mais les habitants durent contribuer à la garde du château.

M. de Chavigny[2] écrivait à M. de la Menardière, commandant de la place :

Monsieur de la Menardière, j’ay veu la lettre que vous m’avez escripte par le caporal Méry, comme vous vous plaignez de la garde de vostre chasteau, chose qui est bien considérable, et a quoy il est bien besoing de pourvoir. Toutesfoys, pour ce que les affaires deçza sont remises a la venüe du roy, pour en adviser, je suis d’advis que vous regardiez a vous accommoder avecques messieurs de la ville de Loches et Beaulieu, pour la garde de vostre chasteau. J’en ay parlé à leurs députez qui sont icy venus ; lesquels m’ont promis et sont contans de vous bailler tous les jours deux ou trois d’entre eulx habitans des dites villes et fors bourgs de Loches et Beaulieu, ausquelz vous commanderez pour le service du roy et seureté de ladite place, attendant la venüe du roy par deçà, esperant que sa majesté y pourvoyra, en sorte que nous n’en serons plus en ceste peine. A quoy je tiendray la main, comme en chose qui importe au bien de son service, et m’asseurant que vous y satisferez suyvant ce que dessus, je vays prier Dieu vous donner, monsieur de la Menardière, ce que désirez, me recommandant bien fort à vous.

De Champigny, le xviiie jour d’avril 1565. Ils m’ont promis que ceulx quils vous bailleront ne seront aultres que des catholiques.

Vre bon amy
       Chavigny.

A monsieur de la Menardière ayant la charge du chasteau de Loches, à Loches.


L’année suivante 1565 fut pour les habitants de Loches encore plus cruelle. À la suite de la guerre vint la peste. Les mesures les plus extrêmes furent prises. On fit clouer et cadenasser les portes des maisons où avaient lieu les décès. Les malades, transportés à l’Hôtel-Dieu, furent soignés par des gens spécialement désignés, dont plusieurs succombèrent au fléau. Pour comble de calamité, la cherté des grains, survenant au mois de juillet 1566 rendit plus affreuse encore la misère que l’hiver rigoureux de l’année précédente avait amenée. Le journal de Lestoile nous a conservé le souvenir de cette disette :

L’an mil cinq cens soixante et six,
De grain fut très grande cherté ;
Car, dans les halles de Paris,
Le six de juillet, achepté

Fut le froment vingt et deux livres ;
Avecques vingt-quatre blancs ;
Le seigle valut treize francs ;
Douze livres se vendit l’orge ;
Et, comme est escript dans les livres,
L’avoine dix livres vallut ;
Dont je vous jure, par saint George,
Qu’onques si mauvois temps ne fut.
Le meschant vin estoit bien cher,
Assez à bon compte la chair.

Les pauvres devinrent si nombreux qu’il fallut organiser des secours, la charité privée ne suffisait plus. Chacun dut prendre à sa charge, selon ses facultés, deux, trois, ou quatre pauvres ; on dressa la liste des nécessiteux ; ils étaient trois cents, non compris les pauvres honteux et les passants. On fit une visite générale de tous les greniers, y compris ceux du château, pour savoir quelle quantité de blé il y avait dans la ville. On prit enfin toutes les mesures nécessaires pour faire face à tous les dangers à la fois.

Vers le mois d’août le roi vint à Loches, accompagné du marquis de Villars. Nous ignorons si les échevins obtinrent à cette occasion quelque mesure propre à les aider. La guerre paraissait calmée, les calvinistes ayant obtenu par la paix d’Amboise la liberté de leur culte, plusieurs villes, et des garanties qui paraissaient sérieuses.

Mais cet état de paix relatif ne fut que momentané. Les protestants se voyaient retirer peu à peu, sous l’influence des Guise, les libertés qui leur avaient été accordées. En 1567, ils se soulevèrent de nouveau ; le château fut encore mis en état de défense, et l’on y porta les munitions de la ville, poudres, boulets, pelles et autres instruments ; on acheta un saloir et six fauconneaux. Le sieur de Méré fut appelé à l’armée, et laissa le commandement au sieur de Prie.

On fit un rôle des réformés. Il y en avait à Loches quelques-uns, et leur chef était Jehan Baret, docteur ès-lois, conseiller du roy, lieutenant-général et ordinaire du bailly de Touraine. L’ancien commandant, Prévôt de la Menardière, était capitaine à 30 livres par mois. Les troupes de la ville étaient commandées par le sieur de Quinemont, à 20 livres de paie, et le sieur de Mons, à 10 livres.

Au mois d’octobre, M. de Prie écrivait aux échevins :

Messieurs, je vous envoie une lettre que Monsieur de Montreul[3], vous escript, qu’il m’a envoyée ceste nuit, par laquelle vous verrez comme il me prie de m’aller mettre dans le chasteau de Loches, avec la compagnie de Monsieur de Villars, et le plus de mes voisins et amys que je pourray mener, ce que je me delibère fere. A ceste occasion j’envoye ce porteur devers vous pour regarder de fere les logys des gentilshommes que je meneray, et le mien. Je vous prie aussi de faire provision de foing, paille et avoyne, car il faudra qu’ils mènent des chevaux. Pour l’esperance que j’ay de vous voir bien tost, je ne vous feray plus longues lettres, sinon que je me recommande bien fort à vos bonnes grâces. Je prie Dieu, messieurs, vous donner en santé bonne vie et longue. De Montpepon, ce premier jour d’octobre 1567.

Vostre entierement bon amy,
E. de Prie[4].

La lettre de M. de Monterud était ainsi conçue :

Messieurs, vous avez entendu les assemblées qui se font contre l’obeissance du roy, qui est cause que j’ay escript à Monsieur de Prie pour s’en aller incontinent envrre ville et chasteau, et y assembler la compagnie de Monsieur le marquis de Villars, et là pourvoyr à tout ce qu’il verra estre requis pour le service du roy, et conservation de la ville et chasteau, en son obeissance ; auquel vous ne fauldrez d’obbeyr en tout ce qu’il vous commandera pour cest effect ; a quoy m’assurant ne vouldrez faillyr, ne vous feray ceste plus longue que pour prier le Créateur, Messieurs, vous tenir en sa sainte garde. A Tours, ce dernier jour de septembre 1567.

Votre bien bon amy,
J . du Monterud.[5]

Le même jour, les échevins répondaient à M. de Prie :

Monseigneur,

Nous avons reçues les lettres qu’il vous a pleu nous escripre, avec celles de Monsieur de Montreuil et sommes tres joyeulx de ce qu’il vous plaist nous visiter et secourir en ce temps de nécessité, et espérons vous recepvoir de tres bon cœur et vous obéir en ce qu’il plaira nous commander pour le service du roy.

Les circonstances, en effet, avaient pris tout à coup une gravité inquiétante. Les calvinistes s’étaient secrètement rassemblés, et en grand nombre ils marchaient sur Meaux et sur Paris. Le 3 novembre, M. de Prie partait pour l’armée et laissait le commandement du château à M. de Méré. Le 10 novembre, les protestants étaient battus à Saint-Denis non sans avoir fait éprouver de grandes pertes à l’armée catholique. Condé se repliait sur Montereau, et après avoir fait sa jonction avec 10,000 Allemands, revenait occuper les lignes de la Loire. Orléans et d’autres villes étaient envahies et pillées de nouveau. Ces alternatives de succès et de revers encourageaient les calvinistes, et dans presque toutes les villes, ils trouvaient des adhérents. À Loches, ils étaient assez nombreux. Le greffier du corps de ville, devenu suspect, se voit interdire l’entrée des assemblées, et le droit de faire partie des milices et de monter la garde. L’avocat du roi Hamelin prétexte une maladie, et refuse de requérir et de faire requérir pour lui aux assemblées de ville, parce que en réalité il soupçonne le président de l’assemblée d’être calviniste. Les délibérations municipales sont l’occasion de querelles et de discussions violentes où les « membres s’injurient les uns aux autres et se séparent sans rien conclure ». Les échevins eux-mêmes ne veulent plus y assister, et sommés par le président de comparaître, ils répondent à son envoyé : « Allez ! vos fiebvres quartènes ! » Enfin le corps de ville tout entier donne sa démission et le lieutenant civil Jean de Ceriziers fait rédiger par devant notaire une dénonciation contre Jean Baret, « pour cause de suspicion quil entend proposer au roy, nos seigneurs de son conseil privé et de sa cour de Parlement, en ce temps de guerres civiles qui sont contre le roy et son royaulme par ceux de la nouvelle religion prétendue réformée, de laquelle led. Baret est un des chefs de ce pays, comme il est tout commung et notoire, et que par les gouverneurs et lieutenants de roy tant en la ville de Tours, aud. Loches et chastelz que aultres villes de ce royaulme, les affaires publiques desdites villes et communitez et pour le service du roy leur ont été interdittes et deffendues, et mesmement, en ceste ville dudit Loches, tant aux premiers troubles que ès présans, ladicte interdiction luy a esté nommément faicte, comme il est congneu à chacun des officiers du roi et de ladicte ville et communité, etc. »

Pour augmenter la garde du château, M. de Chavigny avait encore envoyé 70 soldats. Enfin, le 5 décembre, M. de Monterud écrivait à M. de Méré pour lui annoncer l’arrivée des soldats du capitaine Marigny, auxquels les échevins devaient fournir le moyen de vivre en attendant l’argent nécessaire pour les solder (1567).

Par provisions datées de Saint-Maur-les-Fossés, le 22 septembre 1568, le roi donna la charge des ville et château de Loches à messire Jean de Menou, pour garder cette ville contre les réformés, avec pouvoir de lever et, assembler toute force de gens de guerre à cheval et à pied que bon lui semblerait et de faire en cette occasion tout ce qu’on pourrait attendre d’un bon chef de guerre. Le 22 mars 1569, Jean de Menou était nommé lieutenant de la compagnie de messire Claude de La Châtre, son beau-père, et, le mois suivant, il recevait du duc d’Anjou une commission pour lever une compagnie de 200 hommes de pied, afin de conserver en l’obéissance de Sa Majesté la ville et chastel de Loches, et d’ôter aux ennemis le moyen de faire aucune entreprise sur elle, avec pouvoir de commander ladite compagnie, aux honneurs, autorités et prérogatives affectés aux capitaines de pareil nombre de gens de guerre.

Le 29 août, le duc d’Anjou envoyait au seigneur de Menou des instructions et un plan pour fortifier la ville de Loches. Il y vint lui-même peu de temps après, pendant que son armée campait à la Selle-Saint-Avant. Puis il prit le chemin de Chinon pour marcher au-devant des protestants, qu’il rencontra et battit dans les plaines de Moncontour (8 octobre 1569). Loches était alors le centre des approvisionnements de l’armée catholique. 373,000 pains et 8,000 boisseaux d’avoine furent envoyés de cette ville sur Dissais, Chatelleraud, Sainte-Maure, l’Ile-Bouchard, Chinon, Loudun, etc. Une partie de ces vivres fut perdue, une autre volée. Pour faire face à cette fabrication considérable, des fours avaient été construits dans le couvent des Cordeliers et dans le château.

Grâce à la modération de son capitaine, Jean de Menou, Loches put éviter, en 1572, les horreurs de la Saint-Barthélemy. La compagnie du seigneur de Menou, forte de 2000 hommes, tenait garnison au château. Il eut pour successeur, en 1564, René de Voyer, seigneur de Paulny, qui reçut, le 12 avril de l’année suivante, l’ordre de faire mettre en liberté le sieur de Saint-Étienne, prisonnier de guerre dans le château. Nous ne savons si ce prisonnier était le seigneur de Saint-Étienne qui, assiégé dans sa maison par les troupes royalistes, après avoir vu ses tours ruinées par le canon et par la mine, réfugié dans une dernière retraite qui était sur le point d’être prise, consentit à se rendre sur la parole qui lui fut donnée que le duc de Nevers était là. Dès qu’il montra la tête, il reçut un coup de pistolet[6]. Peut-être ne mourut-il pas de sa blessure et fut-il enfermé au château de Loches.

En 1575, la garnison du château était de 800 hommes. L’année suivante, le duc d’Alençon, mécontent de la conduite du roi envers lui, se sauva de la cour et consentit à servir de chef aux mécontents. Les calvinistes profitèrent de cette circonstance pour le mettre à la tête de leur parti. Il s’était retiré depuis quelque temps à l’abbaye de Beaulieu, lorsque la reine Catherine vint le trouver, escortée de son escadron volant, et accompagnée du maréchal de Montmorency. (Avril 1576.) Auprès du prince, se tenaient Beauvais-la-Nocle et Bernières, députés du parti calviniste. Le duc d’Alençon obtint dans cette conférence le gouvernement de l’Anjou, du Berry et de la Touraine. C’est cependant l’année suivante qu’il fit prendre possession du château par Jacques de Saint-Julien, seigneur de Narbonne, son maître d’hôtel. Le 18 avril, celui-ci présenta ses lettres de cachet au corps de ville, qui lui prêta le serment d’obéissance. Puis, le 20, il procéda, en présence d’Antoine Anglerais, dit Chicot, porte-manteau du roi et lieutenant du marquis de Villars, à l’inventaire des munitions.

Cette opération terminée, il somma Chicot de lui remettre les clefs du château. Mais le malin Gascon lui répondit qu’il était le très humble serviteur de Monseigneur « auquel il veut bien obéir pourvu qu’on lui donne décharge suffisante dud. sieur et de Monsieur l’amiral qui l’a nommé son lieutenant audit chastel et soubz lequel il s’en est chargé ». M. de Narbonne prétendit que sa commission suffisait. Mais Chicot n’en voulut démordre.

Le ier mai, seulement, M. de Narbonne put obtenir la remise des clefs. Chicot partit avec ses soldats, et le commandement de la place fut donné au capitaine Durbois, lieutenant sous l’autorité de monseigneur de La Châtre, qui prit le titre de gouverneur de la ville de Loches et de Beaulieu, en remplacement de l’amiral de Villars.

On peut supposer d’après cela que l’influence calviniste dominait dans le pays. Cependant le duc d’Alençon, qui venait de prendre le titre de duc d’Anjou à l’avènement de son frère, ne tarda pas à abandonner ses alliés. D’année précédente, une lettre de Henry III avait été adressée aux habitants, pour leur annoncer l’arrivée du sieur de Chavigny, chargé de leur faire entendre certaines choses de sa part. Il s’agissait de la ligue. Deux députés furent envoyés à Tours pour s’aboucher avec le sieur de Chavigny ; mais celui-ci avait quitté la ville.


Le samedi 15 novembre 1578 le roi fit arrêter maître Jean Perrier, avocat et capitaine ancien de la rue Saint-Antoine, « grand massacreur de huguenots, et le fit mener au chasteau de Loches, sous prétexte de conspiration avec l’Hespagnol et ceux de Guise (récompense qui lui estoit bien deue pour ses services de la Saint-Barthélemy). » (Lestoile.)


Le château de Loches, malgré quelques tentatives peu sérieuses en 1579, continua d’appartenir au parti catholique. Cependant le gouverneur crut devoir, en 1582, faire couper les ponts de la ville par mesure de sûreté.

Les calvinistes avaient presque toujours l’œil ouvert sur Loches, à cause des approvisionnements considérables amassés depuis longtemps dans la ville « où tout était plein comme un œuf, depuis la cave jusques aux lattes, comme en un port assuré et en ung fort imprenable et invincible ». La garnison du château, composée de dix ou douze soldats, était commandée, pour M. d’Épernon, par le capitaine Montlouis, déjà vieux, mais faisant bonne garde. La ville n’avait qu’une milice bourgeoise, peu nombreuse, peu disciplinée et de peu de défense, parce que les principaux habitants étaient à la guerre ou avaient succombé aux maladies contagieuses. Le lieutenant-général de la justice, maire perpétuel, était Gilbert Seguin, sieur de Saint-Lactensin, homme de faible constitution, élevé par le ministre protestant d’Issoudun, gendre et successeur de ce même Jehan Baret, sieur de l’Étang, qui avait été accusé si violemment par le lieutenant civil de Ceriziers, d’être le chef des réformés du pays (1587).

Il ne paraît point, toutefois, que les tentatives de surprise aient réussi. Au contraire, on envoya à Loches, comme en une prison sûre, et sous la garde de Sallern, lieutenant du duc d’Épernon, Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf, après l’assassinat de son cousin Henry de Guise au château de Blois. Le duc d’Elbeuf n’habitait point la forteresse, mais le bâtiment occupé aujourd’hui par la sous-préfecture et qui servait alors de logis au gouverneur. Il y vécut longtemps avec sa fille, et leurs noms figurent assez souvent, en qualité de parrain et de marraine, sur les registres des baptêmes (1588).

Après la mort de Henry III, Loches s’empressa de reconnaître le roi de Navarre. Mais les ligueurs, considérant la place comme importante, essayèrent plusieurs fois de s’en emparer par surprise. En 1590, ils étaient maîtres des châteaux de Cloffy et de l’Étang. La forteresse de Loches gênait leurs communications avec le Poitou. Gaillard de Sallern les tenait en respect ; il leur prit même le château de la Guerche, pendant l’absence de Villequier, qui périt dans la Creuse en voulant y rentrer, et il leur fit lever deux fois le siège de la Roche-Pozay.

À partir de ce moment, le rôle politique et militaire du château de Loches est terminé. Mais il continua à servir de prison d’État et reçut encore des hôtes illustres. Nous avons peine à poursuivre cette triste nomenclature. Il le faut pourtant, puisque-là seulement nous trouvons les matériaux de notre histoire.

  1. Voir la liste des gouverneurs de Loches, au chapitre XII.
  2. François Le Roy seigneur de Chavigny et de la Baussonniere, créé comte de Clinchamp en 1565, capitaine de 50 hommes d’armes des ordonnances et de cent gentilshommes de la maison du roi, chevalier de ses ordres, lieutenant-général des provinces d’Anjou, de Touraine et du Maine, mourut aveugle le 18 février 1606, âgé de 87 ans.
  3. De Monterud. (Voir à la page suivante.)
  4. René de Prie, baron de Toucy, seigneur de Montpoupon, chevalier des ordres du roi, conseiller en son Conseil privé, capitaine de 50 hommes d’armes, lieutenant-général au pays et au duché de Touraine. Par sa modération et sa fermeté, il sut se concilier l’estime et le respect des deux partis, et put éviter à la Touraine les horreurs de la Saint-Barthélemy.
  5. Innocent Trippier, sieur de Monterud et de Plumartin, était capitaine d’Orléans lorsque les calvinistes, avec lesquels il avait des relations, s’emparèrent de cette ville ; il se jeta ensuite dans le parti catholique.
  6. Varilas, Hist. de Charles IX.