Histoire du donjon de Loches/Chapitre II

Edmond Gautier
Impr. de A. Nuret (p. 14-26).

II

les comtes d’anjou. — foulque iii nerra. — geoffroy martel. — foulque le réchin. — foulque v roi de jérusalem (1002-1109)


Malgré sa carrière si pleine d’agitation, Foulque Nerra dut faire à Loches de nombreux et longs séjours. Pendant son premier pèlerinage à Jérusalem qui dura un an (1002), ses terres avaient été ravagées par Landry de Chateaudun, malgré les efforts d’Archambault de Buzançais et de Sulpice, trésorier de Saint-Martin de Tours. Archambataut étant mort, Sulpice ne suffisait plus à contenir les ennemis du duc d’Anjou. Celui-ci, à peine de retour, s’empresse de prendre l’offensive, et c’est le commencement de la lutte qui va bientôt embraser la Touraine, le Blésois, l’Anjou et la Bretagne, et dans laquelle le château de Loches va jouer un rôle important.

Quelques années plus tard, triomphant de presque tous ses ennemis, rassuré du côté de Blois par la construction d’un nouveau donjon à Montrichard, Foulque remplace Sulpice de Buzançais devenu vieux, par un de ses plus fidèles amis, Lisoie, de Basougers prés la Flèche. Puis il part de nouveau pour la Terre Sainte (1011).

Lisoie était fils d’Hugue, filleul d’Hugue Capot, lequel étant devenu roi lui donna la seigneurie de Lavardin avec ses dépendances, et lui fit épouser Helpe, à laquelle Lavardin appartenait par droit d’hérédité. Au décès de celle-ci, Hugue épousa Odeline, fille de Raoul vicomte de Sainte-Suzanne, qui lui apporta en dot les seigneuries de Basougers et de Sainte-Christine, que Lisoie, leur fils, eut en partage.

Lisoie, en l’absence de Foulque, reçut le commandement du château de Loches ; il fit venir près de lui ses frères, et avec l’aide de Roger le Petit-Diable, seigneur de Montrésor, les troupes du comte d’Anjou firent de fréquentes excursions dans le Blésois jusqu’à Chaumont, dans le seul but, paraît-il, de ravager le territoire ennemi, « causa deprædendi ».

En 1012 un événement important se passait tout auprès de Loches. Il s’agissait de consacrer la nouvelle église fondée par Foulque à Beaulieu, et qui, détruite par un ouragan en 1007, peu de temps après sa construction, venait de sortir de ses ruines. Le cardinal Pierre, envoyé par le pape, était chargé de cette importante mission. Foulque dut évidemment assister a cette cérémonie, de même qu’il assistait à l’acte de fondation de 1007, ainsi que le prouve sa signature mise au bas de la charte, avec celles de son fils Geoffroy et de sa femme Hildegarde, de Lisoie de Basougers, de Geoffroy de Preuilly, et de plusieurs autres seigneurs. Entre autres libéralités il fit don à la nouvelle abbaye de son monnayage de Loches.

En 1025, à peine venait-il de s’emparer de la ville et du château de Saumur, que nous le trouvons devant Montbazon. Cette place, bâtie autrefois par lui sur les terres de l’abbaye de Cormery, était tombée au pouvoir d’Eude de Champagne, comte de Tours et de Blois. Effrayé de la prise de Saumur, Eude était venu aussitôt assiéger un fort élevé par Foulque aux portes mêmes de Tours, nommé Montboyau. Le comte d’Anjou, pour faire diversion, et dans l’espérance de rentrer dans son château, menace Montbazon. Eude lève aussitôt le siège de Montboyau et marche au-devant de Foulque ; mais celui-ci par une fuite simulée se retira sur Loches et vient camper dans la prairie sous les murs du Donjon, où son ennemi n’ose pas le poursuivre.

Bien que chargé d’années, Foulque ne sentait point se refroidir son ardeur belliqueuse. En 1039, après s’être emparé de Chinon, il reprend sur le comte de Blois son château de Montbazon, et peu de temps après il attaque celui de Saint-Aignan. Livré au comte d’Anjou par Arnaud de Breteuil ou de Brusteil (de Brustullio), Geoffroy de Donzy, seigneur de Saint-Aignan, est enfermé au château de Loches sous la garde de ceux qui l’avaient trahi, et qui l’étranglèrent dans sa prison pendant une absence de Foulque.

Enfin, sentant peut-être sa fin prochaine, affaibli par l’âge et par la maladie, comme s’il eût éprouvé le besoin de se recueillir à l’entrée de ce chemin où vient aboutir toute chose mortelle, Foulque fit venir son fils, et après lui avoir recommandé de faire tous ses efforts pour conserver ce qu’il avait acquis, plutôt que de tenter de nouvelles conquêtes, il le mit pour ainsi dire sous la tutelle de son fidèle Lisoie ; Lisoie était devenu l’ami du comte d’Anjou et occupait près de lui un rang élevé. Il avait abandonné la garde du château de Loches a un nommé Airard. D’après les conseils de ce dernier, Foulque conclut le mariage de Lisoie avec la fille de son vieux serviteur, Archambault de Buzançais, nommée Hersinde. Celle-ci apporta en dotà son mari la Tour de pierre d’Amboise, Verneuil et une autre terre nommée Maureacum[1], et une maison à Loches qu’elle possédait par droit héréditaire. Foulque donna aussi à son ami de grands biens et des châteaux sur les bords du Cher.

Puis il partit une dernière fois pour Jérusalem, et à son retour il mourut à Metz, le 21 juin 1040. Son corps fut rapporté à Beaulieu, et enseveli dans l’église qu’il avait fondée ; son tombeau, détruit plusieurs fois, a été retrouvé le 9 février 1870. Un cercueil de pierre, engagé sous un ancien pilier et recouvert d’un enduit solide, contenait les ossements du duc d’Anjou, dans un mélange de terre et de charbon. On a reconnu deux fémurs brisés, quelques fragments de vertèbres, les deux clavicules, l’axis, des phalangettes, les deux temporaux et la tête avec ses deux mâchoires garnies de toutes leurs dents ; les os du crâne étaient complètement soudés. Les dents jaunies avaient conservé leur émail, mais elles étaient un peu usées, surtout les incisives. Le reste des os tombait en poussière. On trouva dans le cercueil deux médailles, des anneaux, des grains de collier et divers autres objets[2]. On voit encore sur le mur l’ogive de la chapelle voûtée qui abritait ce tombeau. Il est a regretter qu’une inscription commémorative ne vienne pas rappeler aux visiteurs que là repose encore le plus célèbre des comtes d’Anjou.

Il eut pour successeur son fils Geoffroy II, surnommé Martel, qui fut, dit-on, nourri à Loches, par la femme d’un forgeron, d’où lui serait venu son surnom. Hildegarde, sa mère, aurait même fait bâtir à cette époque, vers 1010, une chapelle sur l’emplacement où s’éleva plus tard le clocher Saint-Antoine[3].

Geoffroy était le digne fils de Foulque Nerra : « præ omnibus generis sui animosior, dit la chronique des comtes d’Anjou, negocia sua omnia cum impetu peragebat. »

Il avait déjà, du vivant de son père, donné des preuves de cet esprit impétueux et bouillant. Vers 1032, à la suite de difficultés entre sa tante et son cousin Foulque comte de Vendôme, il s’était emparé des terres de ce dernier ; il avait, à peu près à la même époque, épousé Agnès, veuve de Guillaume IV comte de Poitou, et à la suite de cette union il s’était, malgré les efforts malheureux du comte de Poitiers Guillaume V, rendu maître de la Saintonge. Soit à cause de ce mariage, soit parce que Geoffroy ne voulait pas rendre à son cousin le Vendômois, de graves discussions s’élevèrent entre le père et le fils. Entre deux hommes de cette trempe une étincelle devait allumer la guerre. Foulque fut vainqueur, et mettant une selle sur le dos de son fils, il le fit marcher ainsi pendant plusieurs milles :

« Ah ! tu es donc vaincu, enfin ! lui dit-il, en le repoussant plusieurs fois du pied.

— Oui, répondit Geoffroy, vaincu, mais par toi seulement parce que tu es mon père. Pour tout autre je suis invincible ! »

Cette fière réponse désarma le farouche baron. Il embrassa son fils et lui rendit son affection. Geoffroy conserva tous les vieux capitaines de Foulque, et notamment Lisoie, qui garda près du fils le rang qu’il occupait et la confiance dont il avait joui près du père. La guerre recommença bientôt dans les mêmes conditions. Eude de Champagne avait été remplacé par son fils Thibault III. Après plusieurs années de dévastations de leurs territoires réciproques, les deux ennemis sentiront que la fin de la lutte était prochaine. Le vieux Foulque avait enlacé son puissant ennemi dans un réseau de places fortes, et le menaçait dans toutes les directions. Geoffroy devait recueillir le fruit de cette politique poursuivie patiemment pendant plus de quarante ans. Il vint assiéger Tours, et, pour éviter une surprise, il envoya Lisoie avec 200 chevaliers et 1,500 fantassins garder la route de Blois. Thibault passa le Cher près de Montrichard, où il prit un grand butin, et vint camper à Saint-Quentin près Bléré, avec l’intention sans doute de s’emparer de Loches, et de couper la retraite à son ennemi de ce côté. Geoffroy, sur le conseil de Lisoie, lève immédiatement le siège de Tours, se porte au-devant du comte de Blois qu’il rencontre près de Saint-Martin-le-Beau. Lisoie, venant d’Amboise avec cent enseignes, rejoint Geoffroy, et les deux armées réunies attaquent les Blésois qu’elles mettent en fuite ; de nombreux prisonniers tombent au pouvoir des vainqueurs. Dans le nombre se trouvait le comte de Blois lui-même, que Geoffroy fit enfermer au donjon de Loches (1042).

La lutte, cette fois, était terminée, et la conquête de la Touraine, qui avait été le rêve de Foulque et le but de toute sa vie, venait de s’accomplir par la main de son fils.

Geoffroy ne rendit à son prisonnier la liberté qu’en échange des villes de Tours, Chinon et Langeais, et de tout ce qu’il possédait encore en Touraine. Ce traité fut conclu probablement à Loches, en présence de vingt barons ayant châteaux, et quarante chevaliers, qui jurèrent avec le comte Thibault. Outre les places fortes qu’il cédait avec tout ce qu’elles contenaient, le comte de Blois s’interdisait de tenter quoi que ce fût, par lui ou par les siens, contre les places du comte d’Anjou, et il s’engageait à n’élever ou ne laisser élever aucun château à sept lieues des domaines de son vainqueur.

C’est sans doute dans ce moment de triomphe[4] que Geoffroy donna l’église Saint-Ours de Loches à l’abbaye de Beaulieu où son père avait reçu la sépulture. Dans cet acte figure le nom du prévôt Airard, que nous avons vu succéder à Lisoie dans le commandement du château, et celui d’un autre prévôt nommé Urbert. Ce dernier nous paraît appartenir plus particulièrement au chapitre de Loches, auquel Geoffroy, vers la même époque, fit aussi quelques donations (1043 ou 1044) ; il avait fait mettre dans l’église collégiale sa statue et celle de son père. Ces deux statues furent brisées à la Révolution et jetées dans un puits voisin.

Geoffroy, après avoir guerroyé contre le duc de Normandie et contre le comte de Poitou, mourut à Angers le 14 novembre 1060. Il fut enterré dans l’église Saint-Nicolas, qui avait été commencée par son père et terminée par lui. En lui finit la première maison des comtes d’Anjou. Il ne laissait point d’enfants, et sa succession échut à ses deux neveux, fils de sa sœur Ermengarde, femme de Geoffroy de Châteaulaudon, comte du Gâtinais.

Ces deux neveux étaient Geoffroy, surnommé le Barbu, et Foulque IV le Réchin. À son lit de mort Geoffroy Martel avait désigné le premier comme son successeur, laissant seulement à Foulque des domaines épars, qu’il devait tenir de son frère à charge de lui rendre hommage.

Le Réchin voyait avec envie la part qui avait été faite à son aîné ; à propos d’une querelle de moines la discorde se mit entre eux, et l’on en vint aux mains. Chacun eut ses partisans ; ce fut une lutte de ruse et de trahison. Dans une de ces entreprise déloyales, où le seigneur de Preuilly et plusieurs autres perdirent la vie (1062), Geoffroy se laissa prendre au piège ; et Foulque le fit enfermer au château de Loches[5]. Sa captivité dura trente ans, et lorsque les portes de sa prison s’ouvrirent enfin, le jeune homme était devenu un vieillard, et sa raison s’était éteinte.

Foulque s’empara de tous les pays qui composaient l’héritage de son frère, sur lesquels il régna sans partage.

De tels commencements présageaient un triste règne. Vaillant dans sa jeunesse, Foulque, arrivé à l’âge mûr, se livra à tous les excès. Suivant l’expression énergique d’un historien, « il avait dégénéré de la prouesse de ses ancêtres, il avait perdu jusqu’au vrai sens des mots et des choses, » et ne craignait pas de favoriser des bandes de voleurs avec lesquels il partageait le butin.

Il n’y avait plus de justice en Touraine et en Anjou. La misère était à son comble. Le concile d’Auvergne essayait en vain d’y remédier en imposant aux seigneurs les plus turbulents la trêve de Dieu ; Foulque Réchin fut un de ceux qui la jurèrent (1095), mais il ne l’observa guère.

Il tenait sa cour à Loches, vers 1100, lorsque, aux fêtes de Noël, Hugue de Chaumont vint l’y trouver à son retour de la croisade. Il y était sans doute encore en 1109, quand ce même seigneur, allié à son beau-frère Archambault de Bresis[6], dévasta les territoires de Montrésor et de Montrichard.

Il n’est pas sans intérêt d’entrer dans quelques détails sur ces luttes qui ensanglantèrent les environs de Loches. Leur origine remonte au temps de Foulque Nerra. Roger le Petit-Diable tenait pour le comte d’Anjou le château de Montrésor qui gardait la vallée de l’Indrois, et menaçait les terres des seigneurs de Blois et de Saint-Aignan. À la tête de la garnison de Loches il faisait de fréquentes incursions jusqu’à Chaumont. Son fils Bouchard lui succéda dans la possession de Montrésor, et, comme cela devait arriver, après avoir combattu pour son suzerain, il ne tarda pas à guerroyer pour son propre compte. Bouchard avait épousé une des filles de Lisoie Ier, nommée Euphémie ; une autre fille était mariée à Foulquier de Torrigny (Torrigneio). Lisoie avait en outre deux fils, Sulpice Ier et Lisoie II. Ses domaines s’étaient donc partagés entre ses quatre héritiers. Sulpice avait une partie d’Amboise, Foulquier de Torrigny possédait l’autre. Des sentiments de jalousie ne tardèrent pas à éclater entre les deux beaux-frères. Foulquier, par des excitations cachées, réussit à entraîner Bouchard dans ses intérêts. Mais de leur côté Sulpice et Lisoie firent cause commune, et la guerre éclata.

Foulque Réchin paraît avoir oublié les services autrefois rendus à son grand-oncle par Lisoie Ier. Il prit le parti de Bouchard, se jeta sur Amboise, s’empara de Sulpice et l’enferma au château d’Angers.

Lisoie II, quoique privé des secours de son frère, supporta seul le poids de la lutte avec avantage. Les deux adversaires ravageaient alternativement le pays, sans que Bouchard pût venir à bout de son ennemi ; enfin Foulque fit la paix avec Sulpice, et lui rendit ses domaines sauf la citadelle d’Amboise. La lutte continua avec acharnement entre Lisoie, Foulquier et Bouchard. Mais celui-ci, fatigué et accablé par la maladie, se fit moine et s’expatria, laissant ses domaines à son fils Albéric.

Albéric conclut la paix avec ses deux oncles. Sulpice mourut quelques années après laissant un fils, Hugues de Chaumont ; Lisoie se fit moine à Pontlevoy.

Cette paix fut de courte durée. Archambault de Bresis, que le comte Foulque avait dépouillé de son château, sollicita contre lui l’appui de Hugue de Chaumont ; Albéric, par la position du château de Montrésor, et peut-être aussi par les obligations du lien féodal, fut fatalement ramené dans la lutte, qui se poursuivit avec des fortunes diverses (1109). Foulque rendit à Archambault ses possessions qui avaient été toutes incendiées à l’exception de sa maison de la Motte. Mais Archambault voulait en outre se venger des seigneurs de Sainte-Maure et de la Haye, qui avaient pris parti contre lui ; il se joignit a Hugue de Chaumont et se préparait à marcher sur la Haye, quand Albéric, informé de leurs desseins, fit sa jonction avec le capitaine de Loches qui lui amena toutes ses troupes. L’armée de Hugue sortait de la plaine de Sublaines, traînant avec elle un butin considérable et de nombreux prisonniers, hommes et femmes ramassés le long de la route, lorsque Albéric se présenta pour lui barrer le passage. Hugue se débarrassa de son butin, rendit la liberté aux prisonniers, harangua ses soldats. Après une attaque assez vive, l’armée d’Albéric se débande et s’enfuit de tous côtés, laissant aux mains du vainqueur cent quinze prisonniers, parmi lesquels on comptait quinze chevaliers bannerets.

En 1118, c’est entre les deux alliés, Archambault et Hugue, que la guerre éclate à propos des rivalités de Gualterius et de Gislebert au siège pontifical de Tours. Archambault soutenait les droits de Gislebert, dont il avait épousé la sœur après la mort de sa première femme, sœur de Hugues. Il dévasta tout le pays jusqu’au Cher, excepté Bléré, mais un jour ayant envahi les terres de son ennemi après avoir traversé le Cher pendant la nuit, celui-ci le surprit à l’improviste, et après lui avoir fait de nombreux prisonniers il le rejeta jusqu’à l’Indrois. Archambault chercha un refuge au château de Loches.

Hugue de Chaumont mourut en Palestine, où il avait suivi Foulque V, élu roi de Jérusalem. Il laissa deux fils, Sulpice Ier et Hugue II, qui se disputèrent son héritage (1133). Geoffroy le Bel ayant pris parti pour Hugue, la Touraine fut encore dévastée par la guerre. Sulpice II brûla les possessions de Geoffroy, depuis Genillé jusqu’à Loches, mais il fut enfin forcé de se soumettre.


Mais il est temps de laisser de côté ces tristes épisodes, et de rechercher comment le château de Loches vint aux mains des rois d’Angleterre.

Geoffroy le Barbu était toujours prisonnier de son frère. Sa captivité était pour le Réchin d’une telle importance qu’il résista à toutes les prières et à toutes les menaces. Geoffroy avait encore des partisans : Ernault de Meung, seigneur du Domicilium d’Amboise, Hélie, comte du Mans, et plusieurs autres s’efforçaient de le délivrer avec l’aide d’Étienne de Blois, et du roi Philippe Ier. Pour rompre cette coalition, Foulque fait hommage a Étienne, engage son comté au roi de France, et lui cède Château-Landon, à condition qu’il ne le forcerait pas à mettre son frère en liberté.

Cette place ne fut pas le seul gage que le comte d’Anjou laissa au roi, comme nous allons le voir. Foulque avait été marié trois fois : d’abord à la fille de Lancelin de Beaugency, puis à Ermengarde de Bourbon, de laquelle il avait eu un fils nommé Geoffroy-Martel. Ayant découvert entre elle et lui quelque lien de parenté, il la renvoya avec son jeune fils pour épouser Bertrade, sœur d’Amaury de Montfort, « dans laquelle homme de bien ne trouva jamais rien digne de louange, à l’exception de sa beauté ». Philippe étant venu à Tours, fut séduit par les charmes de la comtesse, et mit à ses pieds son amour et la couronne de France. Bertrade était peu scrupuleuse ; Philippe était roi, de dix ans plus jeune que le Réchin, dont le portrait n’est pas séduisant ; elle n’hésita pas longtemps ; aux fêtes de la Pentecôte 1097, elle suivit le roi à Orléans, et l’épousa quelques jours après à Paris.

Cette union adultérine dura dix ans, et quatre enfants en naquirent. Philippe dut céder enfin devant l’excommunication et la mise en interdit de son royaume : il rendit au Comte d’Anjou sa femme (1105); peut-être même poussa-t-il les égards jusqu’à la reconduire ; si nous en croyons Orderic Vital, Bertrade eut l’adresse de réunir à la même table, dans son château d’Angers, ses deux maris, qu’elle servait elle-même ! (14 octobre 1106.)

Le Réchin, vieilli avant l’âge, abruti par la boisson, ne se sentit bientôt plus la main assez forte pour gouverner ses domaines ; il remit le pouvoir a son fils Geoffroy, qu’il avait eu de son mariage avec Ermengarde de Bourbon. Le premier acte du jeune prince fut de rendre la liberté à son vieil oncle. Celui-ci, dans un éclair de raison, lui transmit ses droits au comté d’Anjou : « Je vois, dit-il, que tu n’as pas dégénéré de la valeur de tes ancêtres ; je te donne donc ma terre, que ton père m’a enlevée injustement autrefois, et je veux que tu la possèdes désormais. » Affaibli par sa longue prison, il mourut à quelque temps de là.

Geoffroy ne tarda pas à le suivre dans la tombe. La comtesse Bertrade lui avait juré une haine implacable ; à force d’intrigues, elle réussit à le faire tuer au siège du château de Candé. Foulque est accusé par les historiens d’avoir prêté les mains à ce crime, en haine des nobles qualités du jeune prince et de l’amour que lui portaient les peuples d’Anjou tandis que, lui-même ne rencontrait autour de lui que la désaffection et le mépris (1107).

Le Rechin mourut lui-même peu de temps après (14 avril 1109). « Male incepit, pejus vixit, pessime vitam finivit, » telle est l’oraison funèbre que cette vie criminelle inspire à l’auteur des Gestes des Seigneurs d’Amboise.

Foulque V, fils de Bertrade, fut appelé a recueillir la succession du Rechin à défaut de Geoffroy. Nous ne connaissons pendant son règne rien qui puisse intéresser l’histoire du château de Loches, si ce n’est une guerre avec son voisin le seigneur de Preuilly. Il épousa, en 1110, la fille de Hélie, comte du Mans, et s’assura ainsi la possession de nouveaux domaines qui avaient été disputés a son père par Guillaume le Bâtard. À partir de ce moment toute l’ambition des princes angevins paraît s’être tournée du côté de la Normandie.

  1. On a traduit ce nom de Maureacum par Mauvières, Maray, Mouzay. Aucune de ces interprétations ne nous paraît satisfaisante, et nous aimons mieux nous en tenir au nom latin d’un domaine qui a peut-être disparu.
  2. Lire dans l’Histoire de Foulque Nerra, de M. de Salies, le procès-verbal des fouilles faites pour retrouver ce tombeau, et les conséquences si intéressantes qu’il a su en tirer pour l’histoire. Voir aussi le volume du Congrès archéologique de France, 1869, et les Mémoires de la Société archéologique de Touraine, même année. — La tête de Foulque a été photographiée.
  3. Geoffroy naquit à Loches le 12 avril 1005, d’après la chronique de Saint-Maixent, ou le 14 octobre 1006, selon celle de Saint-Aubin-d’Angers.
  4. « Dum igitur prosperitas nostris videtur blandire temporibus » (Préambule de la donation.)
  5. D’après la grande chronique de Tours, Geoffroy le Barbu fut enfermé au château de Chinon.
  6. Encore un mot que nous n’avons pas voulu traduire. Ce nom a signifié, au gré de chaque auteur, Bray, le Bridoré, Reignac, Brizay, etc. Ce n’est point ici le lieu de discuter les raisons qui nous porteraient à y voir Reignac ou une localité voisine. Nous conserverons le nom latin.