CHAPITRE III LA CAVERNE DES VOLEURS

Il y avait dans le temps à Paris, sur le bord de l’eau, un grand palais, haut élevé, qui avait des colonnes à chacun de ses étages, entre les fenêtres, et des sculptures et des frises, et tout ce qui fait un beau monument. À l’intérieur, ce n’était que belles salles avec des ors et des peintures, des escaliers de marbre, des portes avec des pentures sur chaque vantail, des statues, des meubles somptueux. Dans ce palais logeait le Conseil d’État et la Cour des Comptes du pays de France, et les conseillers y avaient accumulé beaucoup de papiers. Un jour, le feu prit dans ce palais, brûla tous les papiers, et il ne resta plus que des ruines.

Ces ruines, on les laissa, et le vent y jeta les graines de toute une végétation qui poussa peu à peu, mais avec une vigueur extraordinaire, brisant les pierres, soulevant l’asphalte, germant dans les moindres interstices. La terre végétale accumulée sur les débris, augmentée de la poussière des pierres incendiées s’effritant sous l’orage, suffisait pour que des mousses et des herbes recouvrissent le sol. Au bout de quelques années, on voyait dans ces ruines des platanes semés par le hasard qui avaient dix mètres de haut.

Les seules choses restées intactes étaient la grille de fer dont le palais était entouré, les étages du rez-de-chaussée et les caves.

Les individus auxquels le pauvre petit Pépé demandait aide et protection s’appuyaient contre la grille.

De voir un jeune garçon crier de le sauver en venant à eux les fit rire.

— Écoute, par ici, dirent-ils.

L’un d’eux demeura au coin de la grille et les autres tournèrent l’angle de la rue de Poitiers. Cette rue est bordée par ce palais d’un côté et de l’autre par une caserne, ce qui la rend déserte.

Près du coin, ils s’arrêtèrent.

— Es-tu là ? demandèrent-ils à une personne qui devait se trouver à l’intérieur des ruines.

Une forme de femme se montra au milieu des blocs de pierres écroulées et des branchages.

— Je suis là, dit cette femme.

Les hommes tirèrent du dessous de leur blouse ou de leurs habits des paquets qu’ils lui jetèrent.

— C’est tout, dit l’un. À demain : nous ne revenons pas ce soir.

— Bonne nuit, dit la femme.

L’un de ces hommes se mit à rire bruyamment.

— Tiens, prends encore ça, s’écria-t-il, pour t’aider.

Et saisissant le pauvre Pépé par le col de son vêtement déguenillé, il le passa par-dessus la grille et le laissa tomber de l’autre côté.

La femme qui avait ramassé les paquets ramassa aussi l’enfant, et elle s’enfonça dans les ruines tandis que les hommes retournaient dans l’intérieur de Paris.

Le pauvre Pépé avait été si étonné qu’il n’avait pas proféré une parole ; mais il n’était pas rassuré.

Après quelques pas derrière un pan de mur, il descendit, dans l’obscurité et traîné par la femme, un escalier qui con­duisait aux sous-sols.

Au bas de cet escalier, la femme prit une lanterne sourde qu’elle y avait déposée et ils enfilèrent une série de grands couloirs voûtés, puis tournèrent à droite.

— Est-ce toi, la fille ? demanda une voix.

— Oui, c’est moi, Marie ; n’aie pas peur, répondit la femme que Pépé suivait.

Une porte s’ouvrit et Pépé aperçut une lumière et la lueur rouge du feu. Marie et Pépé franchirent la porte, Marie la referma, et alors Pépé eut peur, bien peur.

Il lui parut que les femmes avec lesquelles il se trouvait étaient affreuses. Elles n’étaient cependant pas laides précisément, ni vieilles ; elles avaient un air que le pauvre Pépé ne pouvait guère définir, mais qui le faisait trembler.

Il sentait que ces femmes ne pouvaient être bonnes.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda la seconde des femmes, que l’on nommait Doxie, à celle qui amenait l’enfant.

— Ma foi, répondit Marie, je n’en sais rien. C’est Jambe-de-Cerf qui me l’a lancé en riant. Il a dit que l’enfant nous aiderait.

— Bon, dit Doxie. C’est jeune, et ça peut se dresser. Pour commencer, je vais lui faire gratter mes carottes. Mais voyons ce qu’ils ont rapporté, les amis.

Elles défirent les paquets que les hommes avaient lancé par-dessus la grille.

— Oh ! un énorme pâté de foie gras ! s’écria Doxie.

— Et deux belles volailles ! dit Marie.

— Ah ! ah ! fit Doxie, en voilà des saucisses ! Ils ont dévalisé un charcutier.

— Une pièce d’étoffe de soie bleue ! s’écria Marie. C’est pour moi, pour me faire une robe ! une superbe robe !

— Pourquoi pas pour moi ? demanda Doxie.

— Parce que je suis plus jeune que toi et que le bleu me va mieux, puisque je suis blonde. Toi, tu es brune. Tiens, tu peux prendre ce châle, si ça te fait plaisir.

— Oh ! un châle ! Quelle idée de décrocher ça. Un châle n’a plus de valeur.

— C’est toujours bon à prendre. Au clou, on en a encore dix francs.

Le « clou », c’était le Mont-de-Piété où on prête l’argent aux malheureux sur des gages qu’ils y apportent.

Pépé considé­rait ces deux femmes dénouant les paquets ou tirant les victuailles de jour­naux assez malpropres dont on les avait enveloppées. Elles portaient des robes neuves en étoffe de laine, de couleur sombre. Elles n’avaient rien sur la tête et étaient chaussées de pantoufles de feutre.

Quand elles eurent examiné ce qu’on leur avait jeté, la plus vieille des deux femmes, celle qui pouvait avoir trente ans et qui n’avait pas la robe bleue, dit à l’autre :

— Range ça.

— Aide-moi, dit à son tour Marie à l’enfant.

Elle lui mit plusieurs paquets sur les bras et passa dans une autre cave au milieu de laquelle il y avait de la paille et des matelas avec des couvertures.

— Ici, dit Marie, c’est la chambre à coucher.

Dans la cave suivante, Pépé remarqua un entassement de provisions et de marchandises de toute nature, empilées avec soin, en paquets ficelés d’avance et faciles à déménager. Une partie de cette cave était remplie de bouteilles de vin et de liqueurs.

— Hein, il y a de quoi boire ? fit Marie.

Elle revint dans la première cave, et Doxie dit à l’enfant :

— Gratte-moi ces carottes. Sais-tu faire ?

Pépé en avait assez vu racler à la mère Fougy.

— Je vais les gratter, dit-il.

— À la bonne heure ! dit Doxie. Jambe-de-Cerf avait raison, le petit nous aidera. Je lui ferai préparer ma cuisine.

Et elle posa une marmite sur le fourneau à pétrole dont elle se servait.

— Comment te nommes-tu ? demanda Doxie.

— Pépé, répondit l’enfant.

Les deux femmes éclatèrent de rire.

— En voilà un nom ! s’écrièrent-elles. Où as-tu pêché ce nom-là ? Où nos hommes t’ont-ils déniché ?

Pépé raconta ingénument son histoire.

Alors, dit Marie, tu es un enfant trouvé ? Tu es bien tombé avec nous.

— C’est peut-être l’enfant d’un de nos camarades, dit Doxie.

— Ma foi, dit Marie, pour l’avoir tatoué sur la main, il faut que ce soit quelque chose comme ça.

— Alors, demanda Doxie, il te battait, ton méchant Prus­sien ?

— Oh ! oui, dit Pépé, il était si méchant ! si méchant !

— Ici dit Doxie, nous ne te battrons pas, nous autres, si tu es sage et si tu ne cherches pas à te sauver.

— Me sauver ? interrogea Pépé.

— Oui : à sortir d’ici sans notre permission ou sans être avec nous. Prends garde ! Si tu cherchais à fuir ou si on te voyait dans les ruines, tu recevrais plus de coups que jamais le Prussien ne t’en a distribué.

Pépé, qui venait d’arriver dans ces caves, quoiqu’il ne se sentît pas entraîné par son bon petit cœur vers ces deux femmes, au contraire, répondit innocemment :

— Puisque vous m’avez sauvé du méchant Prussien, je ne veux pas vous quitter.

— Tu parles bien, dit Marie. Avec nous, du reste, tu man­geras tant que tu voudras et tu boiras du vin.

On lui donna de la soupe et on lui fit récurer la marmite.

Cependant, il entendait Marie dire à sa compagne :

— Pour qu’aucun de nos hommes ne soit rentré cette nuit, il faut qu’ils aient été retenus par une expédition.

— Pourvu qu’il ne leur arrive pas malheur !

Pépé s’attendait à sortir avec le jour ; mais la journée se passa autour de la lampe, avec la porte solidement verrouillée et les deux couvertures qui étaient fixées comme des portières derrière cette porte soigneusement tirées.

— Est-ce que vous restez toujours ainsi dans la cave ? demanda Pépé.

— Est-ce que tu ne t’y trouves pas bien ? Déjà ? dit Doxie. Prends garde de mériter des coups, Pépé !

L’enfant ne leva plus la langue ; mais habitué à l’air des champs, à l’air libre, sa petite poitrine s’oppressait dans cette atmosphère étouffante, pleine d’odeurs de provisions et des vapeurs du feu des lampes et du fourneau à pétrole.

On lui fit éplucher les légumes, laver les assiettes, essuyer les verres.

Le soir, il était bien fatigué.

Va te coucher, va, lui dit Marie. Tu es un gentil enfant ; tu dois avoir du sang des nôtres dans les veines ; je prendrai soin de ton avenir.

Pépé alla s’étendre sur un matelas, près de l’entrée de la seconde cave qui était masquée par une couverture.

Au milieu de la nuit, il fut réveillé par un grand bruit de voix.

Les hommes étaient arrivés dans la cave ; ils mangeaient, ils buvaient et racontaient leurs exploits.

Pépé eut peur de l’éclat de leurs cris et il fit mine de continuer à dormir.

Précisément, il entendit, en ce moment même, Jambe-de-Cerf qui disait :

— Marie, regarde donc si l’enfant dort ?

La femme souleva la couverture et vit Pépé immobile et les paupières closes.

— Il dort, dit-elle ; tu peux parler.

— C’est une fameuse expédition que celle que nous avons faite dans la nuit d’hier, dit Jambe-de-Cerf. Je t’en rapporte une belle montre et une belle chaîne en or ! C’est de la bonne fabrique. Et ce bracelet ?

— Il est pour moi ! s’écria Doxie.

— Attrape ! fit Jambe-de-Cerf, en le lui jetant.

— Raconte donc, dit Marie.

— M’y voilà, dit Jambe-de-Cerf On nous avait signalé une maison sise le long du Bois, à Neuilly. C’était Queue-de-Merle qui l’avait découverte.

— Parfaitement, dit Queue-de-Merle. J’ai du flair.

— Comme un autre, murmura un grand maigre qu’on appelait Des Pincettes à cause de l’extrême longueur de ses jambes.

— Plus que toi, en tout cas, dit Queue-de-Merle. Tu as manqué, l’autre jour, nous faire prendre par les sergos.

— C’est pas vrai !

Allons, la paix ! cria Jambe-de-Cerf. Laissez les mauvais souvenirs et les agents de police tranquilles.

Raconte donc ton histoire, dit Marie ; ils nous embêtent les autres.

Jambe-de-Cerf reprit :

— Queue-de-Merle nous avait indiqué une maison à Neuilly. Les propriétaires en étaient partis depuis deux jours pour aller assister aux derniers moments d’un parent ; leur départ avait été précipité, ils n’avaient rien emporté, rien serré. La maison restait sous la garde d’un domestique, mais ce domestique n’y demeurait pas la nuit. Il s’agissait d’opérer avec rapidité. Tandis que Des Pincettes faisait le guet, j’ai ouvert la porte avec des fausses clefs. Une fois dedans, nous avons trouvé des montres, de l’argenterie, quatre mille francs dans un tiroir, des bagues et cette broche. Queue-de-Merle a tenu à emporter cette petite pendule, je ne sais pourquoi…

— Pour savoir l’heure, dit Queue-de-Merle.

— Elle a failli nous perdre, dit Jambe-de-Cerf. Comme nous sortions de la maison, elle s’est mise à sonner. Il y avait deux sergos en face. Nous n’avons eu que le temps de filer, et plus vite que ça.

— Est-ce qu’elle n’est pas jolie, ma pendule ? demanda Queue-de-Merle. Voyons, Doxie, dis-le ?

— Il ne faut jamais commettre d’imprudence, dit Doxie sévèrement.

— Alors, voyons, en somme, dit Marie, qu’est-ce que nous avons volé ?

— Deux montres et trois chaînes, dit Jambe-de-Cerf ; ces quinze couverts en argent, cette louche, cette broche qui a des diamants et qui vaut au moins deux mille francs, ces trois bagues et quatre mille francs.

— Et ma pendule, dit Queue-de-Merle.

— Vous n’avez pas perdu votre nuit, mes enfants, dit Marie.

Le pauvre petit Pépé avait tout entendu. Il était atterré. Il était maintenant chez des voleurs. Ces deux femmes avec lesquelles il vivait étaient des femmes de voleurs, des voleuses !

Il trembla de tous ses membres à l’idée qu’il se trouvait avec de si mauvaises gens, et il regretta presque le méchant Prussien.

Aimée lui en avait raconté, de terribles histoires ! Elle ne se doutait pas, la grosse bonne fille, qui devait être bien inquiète sur son sort, que le pauvre petit Pépé était tombé dans une caverne de voleurs. Et si les gendarmes qui finissaient toujours, comme Aimée le lui avait affirmé, par s’emparer des voleurs, venaient tout à coup dans cette caverne, on le prendrait peut-être, lui aussi, pour un petit voleur ! Ce serait affreux !

Et dans les rêves qu’il faisait, couché sur son matelas, il voyait des gendarmes à pied, à cheval, arrivant de tous les côtés, la moustache hérissée, les mains étendues, les doigts crochus, prêts à le saisir, lui, le pauvre petit Pépé.

Il se réveillait, se croyant harponné par ces mains, haletant des gros yeux des gendarmes, pris pour un voleur, et reconnaissant que ce n’était qu’un rêve et qu’il était encore dans les caves de la Cour des Comptes, il se disait :

— Il faut que je me sauve.

Et la dizaine d’hommes qui composaient cette bande de gredins, venant se coucher, il ne remua pas, il fit mine de dormir profondément.

La journée suivante, personne ne sortit. Ils passèrent leur temps à manger et à boire.

— Et cet enfant, demanda Jambe-de-Cerf, vous aide-t-il ?

— Oh ! oui, répondit Doxie, il m’est très utile.

— Tu as de la chance d’être venu entre nos mains, dit Jambe-de-Cerf en s’adressant à Pépé, car tu aurais pu demander de te secourir à de mauvais garnements qui auraient abusé de ton enfance pour ne pas te nourrir ou te faire faire de rudes corvées. Ici, ce que tu as d’ouvrage n’est pas lourd, et c’est un travail qui convient à ton âge. Tu es avec des femmes qui sont la crème des femmes et je suis sûr qu’elles te gâtent. Tu manges et tu bois tant que tu veux. Les alouettes choient toutes rôties dans ton bec. Oui, tu peux te vanter d’avoir de la chance !

Pépé ne soufflait mot, mais il mangeait le moins possible et du bout des dents, depuis qu’il savait que ce qu’on lui donnait avait été volé et il put constater que la crème des femmes était capable d’aigrir.

Le soir, pour fêter leur vol, ces bandits débouchèrent plu­sieurs bouteilles de vins rouges, blancs et de champagne qu’ils avaient dérobées chez un épicier du boulevard Sébasto­pol. Ils se grisèrent ; les femmes aussi. Quand ils furent gris, ils commencèrent à se disputer, ils se dirent des gros mots et les deux femmes se prirent aux cheveux. C’était curieux de les voir ! Elles avaient empoigné leur chignon à pleine main et elles tiraient dessus tant qu’elles pouvaient. Au lieu de chercher à les séparer, les hommes, que ce combat amusait, leur criaient :

— Hue donc ! hue ! comme on fait aux chevaux, et kis ! kis ! comme on fait aux chiens.

Le pauvre petit Pépé, pour n’avoir pas couru assez vite chercher une bouteille, reçut un grand coup de pied qui l’envoya contre la muraille. Il se mit à pleurer, les hommes à rire,

Il fut délivré lorsque, avec tout le monde, il alla s’étendre sur son matelas.

Il s’endormit bientôt, mais en se promettant de se sauver.

— Je me suis tiré des mains du méchant Prussien, pensait-il ; je sortirai de cette caverne de voleurs.

En effet, le lendemain, il profita de ce que les deux femmes étaient occupées dans la cave du fond pour ouvrir la porte et fuir à toutes jambes.

Mais, hélas ! le pauvre petit ne connaissait pas les détours de l’immense sous-sol de ces ruines. Au lieu d’arriver à l’escalier et à la lumière du jour, il se perdit.

Tout était noir autour de lui ; l’obscurité commença à lui faire peur ; puis il eut la sensation qu’il ne retrouverait pas son chemin et ne reverrait pas la lumière.

— Eh bien, dit-il, en s’accroupissant dans un coin, je ne bougerai pas, je ne crierai pas. J’aime mieux mourir que de retourner avec ces voleurs.

Il aurait désiré y retourner qu’il n’eût pas plus retrouvé son chemin qu’il n’avait découvert celui qui menait à la sortie. Il était très étendu, le palais, c’était comme un labyrinthe. Mais les deux femmes le connaissaient.

Dès qu’elles s’étaient aperçues de la fuite de Pépé, elles avaient pris leur lanterne et tout d’abord avaient été jeter un coup d’œil au dehors.

— Il n’est pas possible qu’il ait franchi la grille tout seul, dit Marie, ni qu’il ait découvert les deux barreaux que nous déplaçons pour sortir.

— Il pourrait être caché dans la ruine. Explorons les caves, nous verrons après.

Leur lanterne à la main, elles se mirent à parcourir les galeries et, sachant s’y guider, elles ne furent pas longtemps sans découvrir le pauvre Pépé dans le coin où il s’était blotti et où il se faisait bien petit, pour qu’elles ne le vissent pas.

— Ah ! tu veux te sauver, toi ! fit Doxie.

— Oui, dit courageusement Pépé, je ne veux pas rester avec des voleurs.

— Attends un peu, fit Marie.

Elles le ramenèrent dans leur cave, fermèrent la porte, le mirent entièrement nu, et toutes deux, avec une sorte de rage, un bâton à la main, le frappèrent jusqu’à ce qu’il tombât sous les coups, le corps bleu et presque sanglant.

— Ah ! tu dis que nous sommes des voleurs ! s’écriait Marie. Ah ! tu nous le dis ! Voilà pour t’apprendre à nous respecter, petit moutard ! C’est toi qui es un voleur, entends-tu !

— Ce n’est pas vrai, je n’ai pas volé ! s’écriait Pépé, non, je n’ai pas volé !

À la suite de tous ces coups qui meurtrissaient son corps, le pauvre Pépé eut la fièvre et devint malade. On le laissa sur son matelas, dans une couverture. Jambe-de-Cerf, auquel les femmes racontèrent ce qui s’était passé, dit :

— Il faudra le laisser toujours simplement en chemise, afin qu’il ne songe pas à s’enfuir. Un enfant comme ça pourrait nous dénoncer. Il ne faut pas qu’il sorte, et au besoin…

L’horrible voleur fit le geste de tuer le pauvre petit Pépé.

L’enfant n’était pas capable de s’enfuir. Pendant deux mois il tremblota de fièvre et ses jambes avaient peine à porter son corps, qui maigrissait chaque jour davantage. L’automne était revenu, et, quoique la cave ne fût pas froide, le fourneau à pétrole ne la chauffait pas suffisamment. Le pauvre Pépé était si faible qu’on ne faisait plus attention à lui et que plusieurs fois les deux femmes sortirent avec les hommes sans s’inquiéter de le laisser seul. Il est vrai qu’elles avaient soin de fermer leur porte à laquelle Jambe-de-Cerf avait vissé une forte serrure.

Cependant, Pépé se répétait :

— Je voudrais me sauver. Il faut absolument que je me sauve.

Un soir que tout le monde était parti pour aller au bal, à Montmartre, il se dit :

— Je veux sortir.

Il prit un couteau, et, avec beaucoup de peine, en employant toutes ses forces, il parvint à dévisser la serrure, qu’il jeta à terre.

— J’ai la lanterne, cette fois, dit-il.

Il l’alluma, et, en chemise, car on lui avait retiré ses vêtements, il chercha son chemin à travers les caves et les couloirs et arriva à l’escalier.

— Pourvu que je ne rencontre aucun de ces vilains voleurs ! se répétait-il anxieusement,

Le froid le saisit dès la sortie. Il y avait longtemps qu’il n’avait respiré l’air extérieur. Son petit corps frissonnait ; mais il fut content, malgré qu’il grelottât, de revoir le ciel et les étoiles.

— Il y en a encore ! s’écria-t-il en battant des mains, oubliant que le bruit pouvait le trahir.

Il se faufila à travers les ruines, après avoir éteint et jeté au loin sa lanterne et il essaya de franchir la grille du côté de la Légion d’honneur. Il se cramponnait désespérément aux barreaux et, chaque fois, il glissait. Le froid paralysait ses pauvres membres.

— Oh ! faisait-il, est-ce que je vais être repris par les voleurs !

— Qu’est-ce que vous faites là ? fit une grosse voix.

Instinctivement, Pépé regarda derrière lui, croyant voir Doxie, ou Marie, ou Jambe-de-Cerf, ou Queue-de-Merle.

C’était un gardien de la paix qui faisait sa ronde en compagnie d’un camarade.

— Oh ! monsieur, monsieur, sortez-moi d’ici, fit Pépé d’un ton suppliant.

— Je le crois que je vais t’en sortir, dit l’agent, car tu ne devrais pas y être.

Il passa ses bras à travers les barreaux et enleva Pépé que son camarade cueillit par-dessus la grille.

Il est en chemise, ce petit ! s’écrièrent-ils. Il va mourir de froid.

Le premier agent l’enveloppa dans sa capote et le porta au poste, dans la rue de Lille.

— Comment se fait-il que tu sois ramassé, en chemise, dans les ruines de la Cour des Comptes ? demanda à Pépé, quand celui-ci se fut réchauffé près du poêle, le brigadier qui se trouvait dans le poste.

— Je me sauvais des voleurs, dit Pépé.

— Des voleurs !

À ce mot, tous les agents dressèrent l’oreille et ils formèrent cercle autour de l’enfant.

— Oui, des voleurs, dit Pépé avec force.

Et il raconta comment il s’était tiré des mains du méchant Prussien pour chercher asile parmi des hommes qui vivaient de leurs larcins.

— Eh ! mais !… Eh ! mais !… fit le brigadier. C’est très grave ce qu’il raconte, ce petit.

— Je m’étais souvent affirmé à moi-même qu’il pouvait y avoir des voleurs dans ces ruines, dit un agent.

— Je suppose que ce qu’il y a de mieux à faire, dit le brigadier, c’est d’aller de suite avec cet enfant chez le commissaire de police. Prenez une couverture, enveloppez-le dedans, et partons.