De l’automne 1659 jusqu’à l’automne 1660 au départ des vaisseaux du Canada.


Nous entrons dans une année que le Montréal doit marquer en lettres rouges dans son calendrier, pour les différentes pertes d’hommes qu’il a faites en plusieurs et différentes occasions ; il est vrai que si les belles actions doivent consoler en la mort des siens, le Montréal a tout sujet de l’être dans la perte qu’il a fait de tous les grands soldats qui ont péri cette année, parce qu’ils se sont tellement signalés et ont tellement épouvanté les ennemis en mourant à cause de la vigoureuse et extraordinaire défense qu’ils ont marqué en eux, que nous devons le salut du pays à la frayeur qu’ils ont imprimé en eux, répandant aussi généreusement leur sang qu’ils ont fait pour sa querelle, ce qui se peut pour eux glorieusement remarquer, surtout dans une action laquelle se passa le 20 ou le 27 de mai, au pied du Long Sault un peu au-dessus de cette Isle où 7 de nos Montréalistes étant en parti furent attaqués par 800 Iroquois, sans qu’aucun d’eux voulut jamais demander quartier, chacun pensant à vendre sa vie le plus cher qu’il le pourrait. Voyons le fait : Sur la fin d’avril Mr. d’Aulac garçon de cœur et de famille lequel avait eu quelques commandements dans les armées de France, voulant faire ici quelque coup de main et digne de son courage, tâcha de débaucher 15 où 16 Français afin de les mener en parti au dessus de cette Isle, ce qu’on n/avait point encore osé tenter ; il trouva de braves garçons qui lui promirent de le suivre si M. de Maison-Neufve le trouvait bon, Daulac proposa la chose et il eut son agrément, ensuite chacun se disposa à partir, ils firent un pacte de ne pas demander quartier et se jurèrent fidélité sur ce point ; outre cela, pour être plus fermes à l’égard de cette parole et être mieux en état d’affronter la mort, ils résolurent de mettre tous leur conscience en bon état, de se confesser et communier tous, et ensuite de tous faire leur testament, afin qu’il n’y eut rien qui les inquiéta pour le spirituel ou temporel et qui les empêcha de bien faire ; tout cela exécuté de point en point ils partirent ; Mr. le major avait bien envie de grossir le parti, Mr. Lemoine et Mr. de Belètre avait bien demandé la même chose, mais il voulait faire différer cette entreprise jusqu’après les semences qui se font ici en ce temps-là ; ils disaient que pour lors, ils auraient une quarantaine d’hommes ; mais Daulac et son nombre avait trop envie de voir l’ennemi pour attendre, au reste Daulac voyant que s’il différait, il n’aurait pas l’honneur du commandement, il poussa le plus qu’il put l’affaire et redoutant plus qu’il était bien aise de se pouvoir distinguer, pourvu que cela lui put servir à cause de quelque affaire qu’on disait lui être arrivé en France. Tellement que le voilà parti résolu à tout événement, il ne fut pas bien loin sans attendre une alarme dans un Islet tout vis-à-vis où nous perdîmes trois hommes, il revint avec son monde et poussa si vivement les Iroquois qu’il les eut pris en canot sans qu’ils abandonnèrent tout pour se jeter dans le bois et se sauver, s’il n’eut pas la consolation de les joindre, il eut celle d’avoir leurs dépouilles, entre autres un bon canot dont-il se servit pendant son voyage, qu’ils continuèrent aussitôt avec l’accroissement d’un des leurs, lequel eut honte d’avoir manqué à la parole qu’il avait donné, alors étant tous de compagnie ce nouveau venu à eux, ils dirent un adieu général qui fut le dernier à leurs amis, ensuite de quoi les voilà embarqués tout de nouveau, étant remplis de cœur mais étant peu nombreux peu habiles au canotage ce qui leur donna beaucoup de peines, même on a su par les hommes auxquels ils l’ont dit, qu’ils furent 8 jours arrêtés au bout de cette Isle par un petit rapide qui y est. Enfin le cœur les fit surmonter de ce que leur peu d’expérience ne leur avait pas acquis, si bien qu’ils arrivèrent au pied du Long Sault, où trouvant un petit fort sauvage, nullement flanqué entouré de méchants pieux qui ne valaient rien, commandé par un coteau voisin, ils se mirent dedans n’ayant pas mieux ; là bien moins placés que dans une des moindres maisons villageoises de France, Daulac attendoit les Troquois comme dans un passage infaillible au retour de leurs chasses, il ne fut pas longtemps seul en ce lieu, d’autant que Honontaha et Métiumgué, l’un Huron, l’autre Algonquin eurent un défi aux Trois-Rivières pour le courage et se donnèrent pour cela rendez-vous au Montréal, comme au lieu d’honneur, afin de voir en ce lieu où les combats sont fréquents, lequel aurait plus de bravoure ; ce défi fait, Métimnègue vint lui 4e de sa nation, et Honontaha lui quarantième de la sienne au Montréal. D’abord qu’ils furent ici, les Français dont le principal défaut est de trop parler lui dirent que nous avions des Français en guerre d’un tel côté ; eux jaloux de se voir prévenus et étonnés de la hardiesse de ce petit nombre, demandèrent un billet à Mr. de Maison-Neufve pour porter à Daulac, afin qu’il leur fit grâce de les recevoir dans son parti pour faire ensuite tous ensemble quelques grandes entreprises ; Mr. de Maisonneuve fit tout ce qu’il put pour les empêcher, car il aimait mieux moins de gens et tous braves, qu’une telle marchandise mêlée en plus grande abondance, il se rendit néanmoins en quelque façon à leur importunité ; mettant le Sieur Daulac par les lettres qu’il lui écrivit à son option de le recevoir sans l’y engager toutefois, l’assurant an surplus qu’il ne s’assura pas sur ses gens là, mais qu’il agit comme s’il n’y eut que les seuls Français ; Les sauvages l’ayant joint, ils demeurèrent tous ensemble dans le lieu que nous avons dit pour attendre les Iroquois où enfin après quelque temps nos Français qui allaient à la découverte, virent descendre deux canots ennemis, l’avis en ayant été donné, nos gens les attendirent au débarquement près duquel ils étaient partis, où ils ne manquèrent pas de venir, mettant à terre on fit sur eux une décharge, mais la précipitation fut cause que l’on ne les tua pas tous, quelques uns se sauvèrent au travers du bois et avertirent neuf cents de leurs guerriers qui étaient derrière et les avaient envoyés à la découverte ; d’abord ils leur dirent, “ Nous avons été défaits au petit fort au dessous, il y a des Français et des sauvages assemblés ; ” cela leur fit conclure que c’étaient des gens qui montaient au pays des Hurons, qu’ils en viendraient bientôt à bout ; pour cela, ils commencèrent à faire leur approche vers ce petit réduit qu’ils tentèrent d’emporter par plusieurs fois ; mais en vain, car ils furent toujours repoussés avec perte des leurs et à leur confusion ; ce qui leur faisait beaucoup de dépit c’est qu’ils voyaient devant eux les Français prendre les têtes de leurs camarades et en border le haut de leurs pieux ; mais ils avaient beau enrager, ils ne pouvaient se venger étant seuls ; c’est pourquoi ils députèrent un canot pour aller chercher 900 de leurs guerriers qui étaient aux Isles de Richelieu, et qui les attendaient, afin d’emporter tout d’un coup ce qu’il y avait de Français dans le Canada et de les abolir ainsi qu’ils en avaient juré la ruine, ne faisant aucun doute qu’ils auraient Québec et les Trois Rivières sans difficultés ; que pour le Montréal, encore qu’ils y fussent ordinairement mal reçus, ils tâcheroient cette fois là de l’avoir aussi bien que du à force de le harceler et de s’y opiniâtrer ; ce qu’ils disaient aurait été vrai apparemment, si nos 17 Français n’eussent détourné ce coup fatal par leur valeureuse mort, voyons comme le tout tourna dans la suite. Le canot qui était allé quérir du secours étant parti, le reste des ennemis se contenta de tenir le lieu bloqué hors de la portée du fusil et à l’abri des arbres ; de là, ils criaient aux Hurons qui mouraient de soif dans ce chétif trou aussi bien que nos gens, n’y ayant point d’eau ; qu’ils eussent à se rendre, qu’il y avait bon quartier, qu’aussi bien ils étaient morts s’ils ne le faisaient ; qu’il leur allait venir 500 hommes et que alors, ils les auraient bientôt pris. La langue de ces traîtres qui leur représentaient l’apparence du fruit de l’arbre de la vie les déçut aussi frauduleusement que le serpent trompa nos premiers parents, lorsqu’il leur fit manger ce fruit de mort qui leur coûta si cher. Enfin ces âmes lâches, au lieu de se sacrifier en vrais soldats de J. C., abandonnèrent nos 17 Français, les quatre Algonquins et Anontaha qui paya pour sa nation de sa personne, ils se rendirent tous aux ennemis, sautant qui d’un côté de l’autre, par dessus les méchantes palissades de ce trou où étaient nos pauvres relégués, ou bien sortant à la dérobée par la porte afin de s’y en aller. Jugez du crève cœur que cela fit à nos gens surtout au brave Anontaha qui, dit-on, manqua son neveu d’un coup de pistolet, le voulant tuer lorsqu’il le vit s’enfuir avec les 40 paignots qu’il avait amenés. Voyez après tout cela quel cœur avaient ces 22 personnes restées demeurant fermes et constants dans la résolution de se défendre jusqu’à la mort, sans être effrayés par cet abandon, ni par l’arrivée des 500 hommes dont le hurlement seul eut été capable de faire abandonner le parti à un plus grand nombre : ces nouveaux ennemis étant arrivés le cinquième jour,et faisant lors un gros de 800 hommes, ils commencèrent de donner de furie sur nos gens, mais jamais ils n’approchèrent de leur fort dans les différents assaults qu’ils lui livrèrent qu’ils ne s’en retirassent avec de grandes pertes ; ils passèrent encore trois journées après ce renfort à les attaquer d’heures en heures tantôt tous, tantôt une partie à la fois, outre cela, ils abattirent sur eux plusieurs arbres qui leur firent un grand désastre, mais pour cela, ils ne se rendirent point car ils étaient résolus de combattre jusqu’au dernier vivant, cela faisait croire aux ennemis que nous étions bien davantage que les lâches Hurons le leur avait dit. C’est pourquoi ils étaient souvent on délibération de quitter cette attaque qui leur contait si bon, mais enfin le huitième jour de ce siège arrivé, une partie des ennemis étant prête à abandonner l’antre lui dit que si les Français étaient si peu, ce serait une honte éternelle de s’être fait ainsi massacrer par si peu de gens sans s’en venger. Cette reflexion fut cause qu’ils interrogèrent tout de nouveau les traîtres Hurons qui les ayant assurés du peu que nous étions, ils se déterminèrent à ce coup là de tous périr au pied du fort où bien de l’emporter ; pour cela, ils jetèrent des bûchettes afin que ceux qui voudraient bien être les enfants perdus les ramassassent, ce qui est une cérémonie laquelle s’observe ordinairement parmi eux lorsqu’ils ont besoin de quelques braves pour aller dans un lieu fort périlleux, incontinent que les bûchettes furent jetées, ceux qui voulurent se faire voir les plus braves les levèrent et voilà qu’aussitôt ces gens s’avancèrent tête baissée vers le fort et tout ce qu’il y avait de monde les suivit ; alors ce qui nous restait de gens commença à tirer pêle-mêle de grands coups de fusils et gros coups de mousquetons, enfin l’ennemi gagna la palissade et occupa lui-même les meurtrières ; lors le perfide Lamouche qui s’était rendu aux Iroquois avec les autres Hurons cria dans son faux bourdon, avec lequel il aurait bien mérité voler jusqu’au gibet,à son illustre parent Anontaha, u qu’il se rendit aux ennemis qu’il aurait bon quartier.” À ces lâches paroles Anoutalui répondit ; " J’ai donné ma parole aux Français, je mourrai avec eux.” Dans ce même temps, les Iroquois faisaient tous leurs efforts pour passer par dessus nos palissades ou bien pour les arracher ; mais nous défendions notre terrain vigoureusement, que le fer et le sabre n’y étaient pas épargnés. Daulac dans cette extrémité chargea un gros mousqueton jusqu’à son embouchure, il lui fit une espèce de petite fusée afin de lui faire faire long feu et d’avoir le loisir de le jeter sur les Iroquois où il espérait qu’éclatant comme une grenade, fesait un grand effet, mais y ayant mis le feu et l’ayant jeté, en branche d’arbre le rabatit qui fit recevoir à nos gens ce que Daulac avait préparé à nos ennemis, lesquels en auraient été fort endommagés, mais enfin ce coup malheureux ayant tué et estropié plusieurs des nôtres, il nous affaiblit beaucoup et donna un grand empire à nos ennemis, lesquels ensuite firent brèche de toutes parts. Il est vrai que malgré cette désolation, chacun défendait son côté à coups d’épées et de pistolets comme s’il eut le cœur d’un lion. Mais il fallait périr, le brave d’Aulac fut enfin tué et le courage de nos gens demeura toujours dans la même résolution, tous enviaient plus tôt une aussi belle mort qu’ils ne l’appréhendaient, que si on arrachait un pieux dans un endroit, quelqu’un y sautait tout de suite le sabre et la hache à la main, tuant et massacrant ce qu’il y rencontrait jusqu’à ce qu’il y fut tué lui même. Ensuite nos gens étant quasi tous morts, on renversa la porte et on y entra à la foule ; alors le reste des nôtres, l’épée dans la main droite l’épée dans la main gauche, se mit à frapper de toutes parts avec une telle furie que l’ennemi perdit la pensée de faire des prisonniers, pour la nécessité qu’il se vit de tuer au plus vite ce petit nombre d’hommes qui en mourant les menaçat d’une générale destruction, s’ils ne se hâtaient de les assommer ce qu’ils firent par une grêle de coups de fusils laquelle fit tomber nos gens sur une multitude d’ennemis qu’ils avaient terrassés avant que de mourir ; après ces furieuses décharges sur si peu qui restaient, ces bourreaux voyant tout le monde à bas coururent incontinent sur les morts pour voir s’il n’y en avait pas quelques-uns qui ne fussent pas encore passées et qu’on put guérir afin de les rendre par après capables de leurs tortures, mais ils eurent beau regarder et fouiller ces corps, ils n’y purent jamais trouver qu’un seul qui était en état d’être traité et deux autres qui étaient sur le point de mourir, qu’ils jetèrent d’abord dans le feu, mais ils étaient si bas qu’ils n’eurent pas la satisfaction de les faire souffrir davantage ; quant à celui qui se pouvait rendre capable de souffrances, quant il fut assez bien pour assouvir leur cruauté ; on ne saurait dire les tourments qu’ils lui firent endurer, et on ne saurait exprimer non plus la patience admirable qu’il fit voir dans les tourments, ce qui forcenait de rage ces cruels qui ne pouvaient rien inventer d’assez barbare et inhumain dont ce glorieux mourant n’emporta le triomphe. Quand à Anontaha et aux 4 Algonquins ils méritent le même honneur que nos 17 Français, d’autant qu’ils combattirent comme eux, ils moururent comme eux et apparamment comme ils étaient chrétiens, ils se disposèrent comme eux à cette action ; ils allèrent dans le ciel de compagnie avec eux. Ce qu’on peut dire des Iroquois est que dans leur barbarie et cruauté, ils ont en cela de louable qu’ils firent une partie de la justice qui était due aux traîtres Hurons, parce qu’ils ne leur tinrent aucunement parole et en firent de furieuses grillades. On a appris ces choses de quelques Hurons qui se sauvèrent des mains de l’ennemi, la première nouvelle qu’on en eut fut par un de ces quarante Hurons, nommé Louis, bon chrétien et peu soldat, qui arriva ici le troisième juin tout effaré et dit que nos 17 Français étaient morts, mais qu’ils avaient tant tué et détruit de gens que les ennemis se servaient de leurs corps pour monter et passer par dessus les palissades du fort où ils étaient ; qu’au reste, les Iroquois étaient tant de monde qu’ils allaient prendre tout le pays. Ensuite il dit tout leur dessein à Mr. de Maison-Neufve comme ils l’avaient entendu de leur propre bouche. Mr. de Maison-Neufve profitant de cet avis mit son lieu en état de recevoir les ennemis aussitôt qu’ils viendraient ; il fit garder les meilleurs postes qu’il avait donné à Messieurs du Séminaire ; Mr. de Belestre pour aller commander dans leur maison de Ste. Marie à tout le monde qui y était, ce bâtiment étant le plus fort et le mieux en état de se défendre qu’il y eut. Après que Mr. notre Gouverneur eut ainsi sagement réglé et ordonné toutes choses, il envoya sans tarder les nouvelles qu’il avait aux Trois-Rivières et à Québec, partout on eut une telle frayeur lorsqu’on entendit ces choses, que même dans Québec on renferma tout le monde jusqu’aux religieuses dans le château et chez les Révérends Pères Jésuites. Mais enfin grâce à Dieu et au sang de nos chers Montréalistes qui méritent bien nos vœux et nos prières pour reconnaissance, les Iroquois ne parurent point et on n’en eut que la peur d’autant que après ce conflit, où ils eurent un si grand nombre de morts et de blessés, ils firent réflexion sur eux-mêmes se disant les uns aux autres : “ Si 17 Français nous ont traités de la sorte étant dans un si chétif endroit, comment serons-nous traités lorsqu’il faudra attaquer une bonne maison où plusieurs de tels gens se seront ramassés, il ne faut pas être assez fou pour y aller, ce serait pour nous faire tous périr ; retirons-nous Voilà comme on a su qu’ils se dirent après ce grand combat, qu’on peut dire avoir sauvé le pays qui sans cela était rafflé et perdu, suivant la créance commune, ce qui me fait dire que quand, l’établissement, du Montréal n’aurait eu que cet avantage d’avoir sauvé le pays en cette occasion et de lui avoir servi de victime publique en la personne de ces 17 enfants qui y ont perdu la vie, il doit à toute la postérité être tenu pour considérable, si jamais le Canada est quelque chose puisqu’il l’a ainsi sauvé dans cette occasion, sans compter les autres ; Mais passons outre et venons au premier juin qui fut celui auquel on fit ici les obsèques de feu Mr. d’Aillebout qui était venu ici l’an 1643 comme un des associés de la compagnie du Montréal pour y assister Mr. de Maison-Neufve, par toutes les belles lumières dont il était avantagé et dont il usa très-favorablement pour tout le pays, où il a eu l’honneur de plusieurs commandements comme celui du Montréal en 45 et 46 en l’absence de Mr. de Maisonneufve, et même celui de tout le pays pendant quatre années ; trois desquelles étaient par commission du roi et la quatrième après quelque intervalle, pour suppléer et remplir la place de Mr. d’Argenson lequel ne vint pas en ce pays-là, première année de la commission ; sa mort fut fort chrétienne comme avait été sa vie, nous n’avons rien qu’elle nous oblige de dire en particulier si ce n’est que nous avons oublié d’exprimer touchant sa personne lorsqu’il vint dans ce pays, qui est sa vocation pour le Montréal laquelle fut de la sorte. Deux ans durant, il fut pressé par des mouvements intérieurs à passer dans la Nouvelle-France, mais madame sa femme qui trouvait la proposition de ce trajet si éloignée de son esprit qu’elle ne pouvait en entendre la moindre parole sans le tenir pour extrêmement ridicule, surtout à cause qu’elle était toujours malade. Cependant le directeur de Mr. d’Aillebout ne rebutait point la pensée qu’il en avait, conduisait aussi madame sa femme et lui en parlait parfois, ce qui lui faisait beaucoup de peine, disant, que c’était une chose même à ne pas penser dans l’état où elle était, son Directeur lui dit que si Dieu le voulait, il la mettrait en état de le faire ; ce qu’il fit bientôt après, la guérissant lorsqu’elle croyait bientôt aller mourir, ce qui se fit si promptement et d’une manière si extraordinaire qu’elle et tous ses amis, ne doutèrent point que ce fut une faveur singulière du ciel ; mais après tout, elle n’avait pas envie de passer la mer sans qu’à la fin Dieu la changea par une réflexion qu’elle fit à ce propos, disant si mon mari y est appelé, j’y suis appelé aussi, parcequ’étant sa femme je le dois suivre. Cette pensée la fit aller trouver son mari et le père Marnard, le directeur de l’un et de l’autre ; cet homme, joyeux de voir le tout résolu aux désirs de Mr. d’Aillebout les fit voir an père Charles Lallemand qui ne jugeant pas à propos de les envoyer comme particuliers, leur procura l’union avec Messieurs du Montréal en la compagnie desquels ils furent reçus avec beaucoup de joie, et peu de temps après, ils partirent pour venir ici : à leur départ, ils entendirent la messe de Mr. Gauffre qui y devait venir évêque, fondant l’évêché de son propre bien, mais la mort l’a donné au ciel en privant ce lieu du bonheur de posséder un aussi grand homme. Je n’ai plus rien à remarquer sur cette année-ci, ce n’est la mort de Mr. de la Doversière qui décéda peu après avoir mis nos bonnes hospitalières sur la mer ; apparemment Dieu l’avait conservé jusqu’à ce temps là pour lui laisser les moyens de coopérer à cet ouvrage qu’autant qu’on peut juger naturellement, ne se fut jamais fait s’il eut été mort auparavant, étant vrai qu’on a jamais pensé à elles, que par son mouvement ; il est bien admirable de voir le principal auteur d’une telle entreprise être prêt à mourir, être accablé de maladie, condamné par les médecins à n’en pas relever et néanmoins être trois jours après en campagne lorsqu’il s’agit d’exécuter ces desseins et d’amener ces religieuses de la Flèche à La Rochelle comme nous vîmes l’an dernier, et après cette œuvre faite, de voir mourir cet homme incontinent, tout cela me paraît bien digne de remarque.