De l’automne 1660 jusqu’à l’automne 1661 au départ des vaisseaux du Canada.


Les Iroquois restèrent dans leur frayeur à cause du combat de Daulac jusque bien avant dans l’hiver, mais ayant repris leurs esprits avec le commencement de l’année 1661, ils nous vinrent donner de très-mauvaises étrennes, car dans le mois de janvier, février et mars, ils nous tuèrent ou prirent 18 hommes tout d’un coup, et en mars et tout d’un coup encore, et nous tuèrent 4 hommes et nous firent 6 prisonniers ; en février il n’y eut quasi de combat d’autant que nos gens ôtaient sans armes, mais en mars, le combat fut assez chaud ; il est vrai que les Iroquois qui étaient bien 260 avaient un tel avantage au commencement, à cause qu’ils étaient plus de vingt contre un, que nous pensâmes perdre tous ceux qui étaient au travail du côté attaqué, mais enfin la généreuse défense de nos gens avant donné le loisir aux antres de les aller secourir et de sauver ceux dont ils n’étaient pas encore les maîtres ce qu’ils avaient de plus fâcheux pour ceux qu’ils emmenaient, c’était que le nommé Beandouin l’un d’entre eux se voyant entouré par une multitude de ces barbares sans se pouvoir sauver, il chassât un des principaux capitaines de tous les Iroquois et le tua de son coup de fusil, ce qui menaçait tous les captifs de tourments très horribles, surtout à cause que ce capitaine avait le renom de ne pouvoir point mourir. Mais Dieu exauça les vœux de nos captifs et les délivra la plupart de leurs mains comme nous verrons dans la suite, au reste dans le secours que les Français donnèrent en cette occasion, un vieillard nommé Mr. Pierre Gadois, premier habitant de ce lieu, se fit fort remarquer et donna bon exemple à tout le monde, on dit que cet homme tout cassé qu’il était faisait le coup de fusil contre les Iroquois avec la même vigueur et activité que s’il n’eut que 25 ans, sans que qui que ce fut l’en put empêcher, ce que j’ai omis de remarquable en l’affaire du mois de février, c’est le courage de la femme de feu Mr. Daulac, laquelle voyant que nos gens se sauvaient tant qu’ils pouvaient à cause qu’ils n’avaient plus rien pour se défendre, hormis Mr. Lemoine qui avait un pistolet, chacun se fiant à ce que les ennemis ne venaient point en ce temps-là, et voyant qu’il n’y avait aucun homme chez elle pour les aller secourir, prit elle-même une charge de fusils sur ses épaules, et sans craindre une nuée d’Iroquois qu’elle voyait inonder de toutes parts jusqu’à sa maison ; elle courut au devant de nos français qui étaient poursuivis et surtout au devant de Mr. Lemoine qui avait quasi les ennemis sur les épaules et prêts à le saisir ; étant arrivée, elle lui remit ses armes, ce qui fortifia merveilleusement tous nos Français et retint les ennemis, il est vrai que si ces armes eussent été plus en état, on eut pu faire quelque chose davantage, mais toujours cette amazone méritait elle Lien des louanges d’avoir été si généreuse à secourir les siens et à leur donner un moyen pour attendre une plus grande résistance. On ne saurait exprimer les afflictions que causèrent ici les portes que nous finies en ces deux occasions vu ces bons et braves soldats qui y étaient enveloppés, mais Dieu qui n’afflige les corps que pour le plus grand besoin des âmes, se servait merveilleusement bien de toutes ces disgrâces et frayeur pour tenir ici un chacun dans son devoir à l’égard de l’éternité, le vice était alors quasi inconnu ici et la religion y fleurissait de toutes parts bien d’une autre manière qu’elle ne fait pas aujourd’hui dans le temps de la paix. Mais passons outre et venons au mois d’aout où il y eut plusieurs attaques, l’une desquelles entr’autres fut très-désavantageuse à ce lieu pour la perte qu’il y lit d’un bon prêtre qui y rendait très-utilement ses services depuis deux ans que le Séminaire de St. Sulpice l’y avait envoyé. Cet ecclésiastique nommé Mr. Lemaitre avait de forts beaux talents que pour l’amour de Dieu il était venu ensevelir dans ce lieu ici, bénéficiant de ce droit de sépulture que Mr. Ollier avait acquis à son séminaire dès l’année 1640 ; comme nous avons remarqué, notre Seigneur le fit jouir ici deux uns des doux entretiens de la sainte solitude, après lesquels il l’appela à lui du milieu de son désert, permettant que les Iroquois lui coupassent la tête le même jour où Hérode la fit trancher à ce célèbre habitant des déserts de la Judée, St. Jean Baptiste, ce qui arriva de la sorte. Mr. Lemaitre ayant dit la messe et entrant comme il est à présumer de sa piété et ainsi que la fête l’exigeait, dans les désirs de sacrifier sa tête pour J. C. comme son saint précurseur, il s’achemina vers le lieu de St. Gabriel, où étant entré dans un champ avec 14 ou 15 ouvriers lesquels y allaient tourner du blé mouillé, ces braves gens se mirent à travailler chacun de son côté et laissèrent leurs armes dispersées imprudemment en plusieurs endroits, tandis que Mr. Lemaitre auquel ils avaient dit qu’assurément il y avait des ennemis proches à cause de quelque chose qu’ils avaient remarqué, regardait de parts et d’autres dans les buissons afin de voir s’il n’y en avait pas quelques uns, or recherchant de la sorte, il s’avança sans y penser jusque dans une embuscade d’Iroquois, alors ces misérables, se voyant découverts, ils se levèrent tout d’un coup, firent leurs huées et voulurent courir sur nos gens, ce que ce bon père voyant, au lieu de prendre la fuite, il résolut à l’instant de les empêcher de joindre s’il pouvait nos Français avant qu’ils eussent le loisir de prendre leurs armes qui étaient de côté et d’autre, pour cela, il prit un coutelas avec lequel il se jeta entre nos gens et ces barbares et s’en couvrant comme d’un espadron, il cria à nos Français qu’ils prissent bon courage et se missent en état de garantir leur vie ; les Iroquois voyant ce prêtre leur boucher ce passage et leur faire obstacle au cruel dessein qu’ils avaient, de dépit, ils le tuèrent à coups de fusil, non pas qu’ils eussent aucune crainte d’en être blessé, parce qu’il ne se mettait pas en devoir d’en blesser aucun, mais parce qu’ils ne pouvaient pas l’approcher pour le prendre vivant et qu’il donnait du courage à nos Français pour se mettre en état de se défendre et de là se retirer en bon ordre vers la maison de St. Gabriel. Il est vrai qu’après l’avoir mis à mort ils eu eurent un sensible regret et que leur capitaine qui fut celui qui lit le coup en fut fort blâmé des siens, lesquels lui disaient qu’il avait fait un beau coup, qu’il avait tué celui qui les nourrissait lorsqu’ils venaient au Montréal ; ce qu’ils disaient avec raison parceque Mr. Lemaitre était économe de cette communauté et avait une singulière inclination de travailler au salut de ces aveugles dont il tâchait d’apprendre la langue ; c’est pourquoi il avait des entrailles de père pour eux et ne leur épargnait rien, mais enfin voilà comme ils le payèrent, salaire qui fut bien avantageux à son âme puisqu’il lui donna l’entière liberté. Ce bon prêtre étant mort, nos Français ayant eu le loisir de se mettre en état, se retirèrent en bon ordre, hormis un qui y perdit la vie de ce monde pour en avoir une meilleure en l’autre comme sa grande vertu l’a donné à présumer. On dit une chose bien extraordinaire de Mr. Lemaitre qui est que le sauvage qui a coupé sa tête l’ayant enveloppée dans son mouchoir, ce linge reçut tellement bien l’impression de son visage que l’image en était parfaitement gravée dessus et que voyant le mouchoir, on reconnaissait Mr. Lemaitre ; Lavigne, ancien habitant de ce lieu, homme des plus résolus, comme cette relation l’a remarqué et qui ne paraît pas chimérique, m’a dit avoir vu le mouchoir imprimé comme je viens de le dire, étant prisonnier chez les Iroquois, lorsque ces malheureux y vinrent après avoir fait ce méchant coup, et il assure que le capitaine de ce parti avant tiré le mouchoir de M. Lemaitre à son arrivée, il se mit à crier sur lui de la sorte, ayant reconnu ce visage, "Ah ! malheureux, tu as tué Daouandio (c’est le nom qu’ils lui donnaient), car je vois sa face sur son mouchoir !" Alors ces sauvages ressérèrent ce linge, sans que jamais depuis, ils l’aient voulu le montrer ni donner ni personne, pas même au Révd. P. Lemoine qui, sachant la chose, fit tout son possible pour l’avoir ; il est vrai que quand ces gens-là estiment quelque chose, il n’est pas aisé de l’obtenir ; je ne sais pas si c’est pour cela que cet homme était si réservé, ou bien si c’était pas la honte qu’il avait d’avoir fait ce méchant coup en tuant ce prêtre, car ce missionnaire était si aimé de cette nation qu’il en recevait des avanies publiques et qu’on ne le voulait pas regarder, et qui fit même que de la bonté qu’il en avait, il quitta, à ce qu’on dit, les cabanes pour n’y revenir de quelque temps ; quoiqu’il en soit de cette merveille, je vous en ai rapporté le fondement afin que vous en croyiez ce qu’il vous plaira ; je vous dirai qu’on m’a rapporté bien d’autres choses assez extraordinaires à l’égard de la même personne, dont une partie était comme les pronostiques de ce qu’il leur devait arriver un jour et l’autre, regardant l’état de ces choses présentes et celui dans lequel apparemment toutes les choses seront bientôt. Ce Monsieur a parlé dans sa vie avec assez d’ouverture de tout ceci à une religieuse et à quelques autres personnes, pour m’autoriser, si j’en voulais dire quelque chose, mais je laisse le tout entre les mains de celui qui est le maître des temps et des saisons et qui en réserve la connaissance ou bien la donne à qui bon lui semble. Finissons ce chapitre et ce qui regarde la guerre pour cette année, parlons des nouvelles que la France nous y donna, surtout disons un petit mot de Montréal, au sujet de M. l’abbé de Quélus qui y arriva environ le temps de la mort de M. Lemaitre ; aussi bien encore qu’il n’y ait paru cette fois que comme un éclair ; il y a trop de choses à en dire pour s’en taire tout à fait, je ne veux pas néanmoins pour cela en grossir par trop notre volume, parce que cela nous donnerait trop de peine et ne laisserait pas au lecteur la maîtrise d’exercer ses pensées ; ce qui étant, je me contenterai de dire que M. l’abbé de Quélus venant de Rome avait passé ici à l’italienne incognito, mais qu’on jugea qu’il ne devait pas se servir des maximes étrangères, qu’il était plus convenable à une personne de sa qualité et vertu de faire le trajet à la française ; c’est pourquoi on l’obligea de repasser la mer cette même année, afin de revenir par après au su de tout le monde, avec plus de splendeur, à la mode de l’ancienne France, comme il l’a fait depuis.