de l’automne 1645 jusqu’à l’automne 1646 au départ des navires du canada


Nous n’avons pas grandes nouvelles à donner au public jusqu’au printemps où les Iroquois vinrent ici faire une paix forcée afin de nous surprendre lorsque nous y penserions le moins et que nous serions le moins sur nos gardes, ce que nous verrons ci-après malheureusement arriver aux sauvages nos alliés, non pas aux Français qui ne marchaient jamais qu’armés et sur la défiance. Ils allaient toujours au travail et en revenaient tous ensemble ail temps marqué par le son de la cloche ; on profita beaucoup de cette paix forcée, parce que les Iroquois ne voyant pas un coup assuré, ils n’osaient pas se déclarer, ce qui donna loisir à M. d’Ailleboutz de parachever les fortifications du fort de ce lieu qu’il réduisit à quatre bastions réguliers, si bons que l’on en a pas encore vu de pareils en Canada ; il est vrai que l’injure des temps n’a pas permis à ces fortifications de durer jusqu’à aujourd’huy, mais la mémoire ne laisse pas d’en être récente auprès de plusieurs habitants ; c’est dommage que ce fort soit si proche du fleuve St. Laurent, d’autant qu’il lui est un ennemi fâcheux, lequel ne laisse pas sa demeure assurée, surtout un certain temps que des montagnes de glace le viennent menacer d’un soudain bouleversement ; ce qui fait que l’air soigne moins cet ancien Berceau du Montréal qui, d’ailleurs, serait fort agréable. L’été, suivant cette paix simulée, nous eûmes de bonne heure les navires à Québec, qui donnèrent incontinent la joie au Montréal de son chef M. de Maison-Neufve mais en attendant que nous voyons le peu de temps qu’il nous doit rester en Canada, parlons un peu d’un appelé M. Lemoine qui fut envoyé ici pour servir d’interprète à l’égard des Iroquois qu’on voyait toujours sans les bien entendre, à cause qu’on avait pas d’assez bons interprètes. Comme c’est le principal sujet qui émut M. de Montmagny à nous l’envoyer, nous verrons dans la suite de cette histoire combien sa venue nous fut avantageuse, non seulement pour le secours qu’on a tiré de sa langue, mais encore pour les bonnes actions qu’il a faites contre les ennemis auxquels il a plusieurs fois si bien fait voir son courage, qu’il a mérité ses lettres de noblesse pour les secours qu’il a rendus contre eux ; mais avant que de les marquer, il faut attendre les temps, et cependant comme celui-ci exige que nous touchions un second départ de M. de Maison-Neufve pour la France, parlons-en et disons qu’il fut causé par une lettre de M. de la Doversière qui lui manda dans un navire lequel partit après lui, qu’il revint incontinent, parce que son beau-frère avait été assassiné depuis son départ et que sa mère avait conçu un dessein ruineux pour des secondes noces, et que ces deux choses enveloppaient tant d’affaires qu’il fallait absolument qu’il remonta en mer. Voyant cette lettre qui l’obligeait une seconde fois à s’en aller, il n’osa aller au Montréal ; il fallut qu’il épargna le cœur de ses enfants, pour conserver le sien, il savait que les lettres qui porteraient ce fâcheux rabat-joie y donneraient assez de tristesse sans l’aller augmenter par sa présence. C’est pourquoi, quittant cette pensée, il alla cacher son chagrin au plus vite dans le fond d’un vaisseau, et envoya les lugubres messagers de son retour à son cher Montréal, qu’il consola le mieux qu’il put par l’espérance d’y revenir l’an suivant sans y manquer.