Depuis le départ des vaisseaux du Canada pour la France dans l’automne de l’année 1642 jusqu’à leur départ du même lieu pour la France dans l’automne de l’année 1643.


La providence ayant pourvu M. de Maison-Neufve de forts bons ouvriers et l’ayant tenu caché aux ennemis pendant les premiers temps, il faisait travailler avec une telle diligence qu’on s’étonnait tous les jours de ce qu’on voyait fait de nouveau. Enfin le 19 mars, jour de St. Joseph, patron général du pays, la charpente du principal bâtiment étant levée, on mit le canon dessus, afin d’honorer la fête au bruit de l’artillerie, ce qui se lit avec bien de la joie ; chacun espérant de voir par après bientôt tous les logements préparés, et en effet de jours en jours on quittait les méchantes cabanes que l’on avait faites pour entrer dans des maisons fort commodes que l’on achevait incessamment. Quant aux Iroquois, on en voyait aucun pendant ce temps là ; il est vrai qu’un petit parti des leurs nous découvrit à la fin, mais ce fut par un hasard et encore nous n’en sûmes rien ; ce qui arriva de la sorte, dix Algonquins ayant tué un Iroquois dans son pays, furent poursuivis de ses camarades jusqu’à la vue de ce fort où il les aperçut se sauver sans pour cela se faire connaître aux Français non plus qu’aux Algonquins ; ils se contentèrent de remarquer le lieu sans faire aucun bruit afin d’aller porter ces nouvelles chez eux ; c’est ce que leurs gens eux-mêmes nous ont appris depuis, car personne ne savait rien de cette poursuite, que si les Algonquins fuyaient fort vite, ils ne savaient pas pour cela qui étaient à leur poursuite ; c’est la frayeur qui leur donnait cette allure qui est fort ordinaire faux sauvages quand ils ont fait quelques coups, alors leur nombre suffit souvent pour les effrayer et faire fuir ; que si les Iroquois ne venaient pas ici, plusieurs sauvages y arrivaient de toutes parts ; ce lieu étant remarqué par eux pour l’asile commun contre les Iroquois, même il y en eut plusieurs qui y reçurent le St. Baptême, entre autres le célèbre et le plus fameux de tous les Algonquins nommé le Borgne de l’Isle ; mais passons vite et arrivons au mois de juin afin d’avoir les prémices du sang que le Montréal a versé pour la querelle commune du pays. Du commencement du mois dont nous parlons, les Durons en descendant de chez eux trouvèrent les Iroquois à trois lieues d’ici dans un endroit vulgairement Chine, là où ils suivirent ensemble comme ils eussent été les meilleurs amis du monde, ce qui donna un moyen facile aux Hurons de satisfaire leur inclination fort portée à la trahison ; cela se fit de la sorte : en causant familièrement ils leur dirent : “ Nous avons scût jusque dans notre pays que des Français se sont venus placer à cette île immédiatement au dessous de ce sault, allez les voir ; vous y pourrez faire quelque considérable coup et vous défaire d’une bonne partie, vu le nombre que vous êtes Après le conseil de ces perfides, quarante Iroquois des plus lestes vinrent surprendre six de nos boulines, tant charpentiers que scieurs de bois, sans qu’il y en eut aucuns qui s’échappa de leurs mains, tous furent tués ou bien faits prisonniers. Ces pauvres gens voulurent bien se défendre en cette occasion, mais leur valeur ne put prévaloir à un coup si imprévu ; ou ne put les secourir car la chose fut exécutée trop promptement et qu’étant un peu en avant dans le bois, le vent peu favorable empêcha d’entendre ce qui se passait, mais enfin ce monde ne revenant pas, on les alla chercher sur les Mieux, où on trouva le corps de ceux qui avaient été tues, lesquels firent juger de tout ce qui était survenu. Le lendemain on apprit les choses plus sûrement par les Humus, que les Iroquois traitèrent selon leur mérite, car ayant passé toute la nuit à insulter les Français que les Iroquois avaient emmenés prisonniers, le matin accablés de sommeil, ils s’endormirent profondément, proche de ces ennemis du genre humain dont ils furent presque tous taillés en pièces, parmi environ une trentaine qui reçurent ici un asile au lieu de la mort qui leur était bien due ; cette juste punition exécutée, ceux qui avaient été les bourreaux, embarquèrent les Castors de ces perfides, ils mirent ensuite nos Français dans les canots, ils traversèrent le fleuve et après voulant aller par terre, et couper dans les bois jusqu’à Chambly, ils furent contraints d’abandonner une partie de leurs Castors à cause de la pesanteur. Ayant donc abandonné ce qu’ils ne pouvaient porter et ayant coupé leurs canots à coup de hache afin de les rendre inutiles, comme ils font toujours dans de semblables occasions, ils allèrent droit au lieu que nous avons marqué, y étant arrivés, ils crurent que quatre ou cinq lieues de bois dépisteraient assez nos pauvres Français et qu’il n’était pas besoin de les garder désormais si étroitement, mais ils se trompèrent, car un d’eux s’échappa et se sauva si heureusement, qu’il revint droit aux canots qu’ils avaient laissés, où choisissant le meilleur, il remplit d’herbes les trous que l’on avait faits avec la hache, ensuite il y mit plusieurs robes de Castor et s’en vint ainsi équipé au Montréal tout au travers du fleuve, ce qui surprit agréablement M. de Maison-Neufve qui fut bien heureux que celui la fut du moins échappé des tourments Iroquois.

Cet homme raconta toute son infortune, après quoi il dit qu’il y avait bien du castor, dans le lieu où il avait pris celui qu’il avait amené dans son canot, qu’on le pouvait aller chercher sans crainte et qu’il serait perdu si on y allait pas ; M. de Maison-Neufve en l’entendant parler de la sorte, encore qu’il ne voulait rien pour lui, fut bien aise de donner ce butin à ces soldats, si bien qu’il l’envoya et le leur distribua sans en rien retenir ; c’est une chose admirable combien cet homme a toujours aimé ceux qu’il a commandés et combien il ne s’est pas considéré lui-même. Voilà à peu près comme les choses se sont passées cette année jusqu’à l’arrivée des vaisseaux de France, dont on eut ici les premières nouvelles par M. de Montmagny qui arriva au commencement de juillet, comblant tout le monde d’une joie bien singulière, tant pour les secours qui nous venaient de France, que pour les témoignages qu’il assura que le roi donnait de sa bienveillance à la compagnie de Montréal, pour laquelle il avait pris la peine de lui écrire, afin qu’il la favorisa en ses desseins, louant et approuvant les dépenses pour y construire un fort, — lui donnant le pouvoir de la munir de canons et autres choses nécessaires pour la guerre ; disant de plus que sa majesté pour une marque plus authentique de la sincérité de ses affections l’avait gratifié d’un beau navire de trois cent cinquante — qu’il s’appelait : « Le Notre-Dame » . On apprit encore de M. de Montmagny qu’on espérait de grands effets cette année là de la part de la compagnie du Montréal, laquelle avait fait de la dépense considérable ; ce qu’il ne pont dire qu’en général ; outre cela, il dit qu’un gentil-homme de Champagne nommé M. d’Aillebout venait ici avec sa sœur et la sœur de sa femme ; de plus, il apprit qu’on avait fait une fondation pour un hôpital au Montréal, mais que pour avoir le détail du tout, il fallait patienter jusqu’au mois de septembre que M. d’Aillebout arriva ; ce qu’il ne fit pas sans de grandes difficultés, car encore qu’il partit, il fallait l’aller quérir dans sa barque à cause des embûches, et lui n’osait non plus approcher pour le même sujet : il fallut que M. de Maison-Neufve y alla lui-même, encore eurent ils bien peur des ennemis en revenant, tant il est vrai que hors le seuil de sa porte on était pas en assurance. Pour lors M. d’Aillebout étant à terre et un peu rafraîchi, il commença à communiquer ses nouvelles, entre autres, il apprit que notre illustre associée faisait des merveilles, que pour être inconnue elle ne laissait pas de bien faire parler d’elles, — que cette année même elle avait fait une fondation de trois mille livres de rente pour un hôpital en ce lieu, — que outre cela, elle avait donné douze mille livres, tant pour le bâtir que pour le fournir de meubles, — de plus elle envoyait deux mille livres à Mlle Mance pour les employer à sa dévotion, qu’elle faisait secrètement ses libéralités entre les mains de la compagnie du Montréal sans dire son nom et sans qu’on pût savoir qui elle était. Il dit ensuite et fit voir par effets que chacun des associés avait taché de se saigner charitablement et généreusement pour la réussite de ce nouvel ouvrage qui était déjà le théâtre des guerres de ce pays ; que si ce lieu était affligé des incursions Iroquoises, à mesure aussi il était consolé de la conversion de plusieurs autres sauvages, qui se jettant ici comme dans un asile avaient recours au baptême afin de se préparer à la mort qui les attendait comme infaillible dans la multitude des sorties qu’ils étaient obligés de faire pour aller chercher des vivres. Il est bien vrai qu’ils y allaient le plus rarement qu’ils pouvaient, mais enfin, ils étaient trop pour qu’on pût subvenir entièrement à leur nourriture, c’est pourquoi il fallait souvent sortir. Dès le commencement de cette habitation, on avait bien semé quelque peu de pois et de blé d’inde et on continuait fort cette agriculture tous les ans, mais cela n’était rien à tant de gens, ils consommaient outre cela beaucoup de vivres qui venaient de la France, encore cela n’était-il pas suffisant ; il est difficile d’exprimer la tendresse que M. de Maison-Neufve avait pour ces pauvres malheureux, les libéralités qu’il leur fit, et combien le tout coûta à la compagnie pendant cette première année que les choses étaient si chères ; mais enfin sa piété ne se rebutait de rien. Au reste cette année nous avons un exemple fort rare de sa générosité, non point en la personne des sauvages, mais en celle de M. Pizeaux, lequel se trouvant attaqué de paralysie et ayant le cerveau débilité par la vieillesse, commença de témoigner qu’il était bien aise de revoir les choses dont il s’était démis afin d’aller en France chercher la guérison. Vous voyez, la demande était considérable, d’autant qu’il avait donné beaucoup, sans doute que cette demande eut surpris tout autre que M. de Maison-Neufve, voyez un peu comme il lui répondit : — « Monsieur lui dit-il, nous n’avons rien fait par l’intérêt, tout est encore à vous vous en pouvez être assuré, je vous baillerai ce qu’il vous faudra ici, et je vous adresserez à MM. de la Compagnie en France, lesquels reconnaîtront largement les biens que vous nous avez faits.” Ce qui fut promis fut généreusement exécuté, ici on lui tint compte généralement de tout, et en France MM. de la Compagnie le firent très bien soigner. Ils en eurent la même sollicitude que s’il dut être leur propre frère ; ils ne l’abandonnèrent point jusqu’au tombeau de quoi il avait bien besoin, car il avait alors septante sept ans où septante huit ans et avait passé cette longue vie dans les fatigues incroyables, tant à la Nouvelle-Espagne où il avait amasse son bien, qu’en la Nouvelle-France où il l’avait dépensé. — Que s’il a tant consommé de bien ici, il ne faut pas s’en étonner ; d’autant que faisant d’aussi grandes entreprises qu’il a faites, il n’y pouvait pas manquer, à cause que tout coûtait pour lors exorbitement et que l’on avait aucun secours du pays tant pour les vivres que pour se vêtir. La perte de M. de Pizeaux, ne fut pas l’unique perte de Montréal pour cette année là, car Mme  de la Pelletrie voyant que Mlle  Mance avait, alors un secours assez considérable de son sexe, elle descendit à Kébecq et l’enrichit de la perte que faisait ce lieu ci, étant privé d’une personne d’aussi grand mérite et d’aussi rare exemple qu’elle a toujours été partout.