Émile Méresse
Imp. Fernand Deligne & Cie (p. 1-7).

PREMIÈRE PARTIE



LE CATEAU AU MOYEN ÂGE




FONDATION

Sur les rives de la Selle, à vingt-trois kilomètres à l’est de Cambrai, s’élevaient au ixe siècle, les deux villages de Vendegies et de Péronne[1]. Celui de Vendegies, dont Péronne n’était probablement qu’une annexe, fut de bonne heure englobé dans les possessions de l’évêque de Cambrai[2], car nous les voyons citer dans les diplômes des rois de Lorraine et de France, Zwentibold et Charles le Simple[3]. Ces deux localités jouirent ainsi des privilèges de l’immunité qui avait été accordée par les empereurs aux possessions de l’église de Cambrai et qui les garantissait de toute attaque[4]. Malheureusement, il est probable que ce fut une faible sauvegarde contre les invasions des Normands et des Hongrois, car si les évêques Rothard[5] et Filbert défendirent vaillamment leur cité, ils ne purent protéger le pays environnant. De même, ces villages situés près de la forêt accordée à Rothard par Othon iii en 995[6] eurent beaucoup à souffrir des déprédations des voleurs[7].

Ce fut ce lieu que choisit l’évêque Erluin pour établir une forteresse. Profitant de la confiance que lui témoignait l’empereur Otton qu’il venait d’accompagner à Rome[8], s’appuyant sur la nécessité de rétablir la confiance dans ce pays, il obtint le droit d’établir un château pour empêcher les vols et assurer la liberté aux laboureurs. « Castellum… muniri ut hoc esset obstaculum latronibus, præsidiumque libertatis circum et circa rusticanis cultoribus »[9]. Comme nous le verrons plus loin, ce château devait également servir de refuge aux évêques et devait être un poin d’appui sérieux pour leur domination temporelle. Le 21 avril 1001, Otton accordait à l’évêque le droit d’établir un marché, des péages, de percevoir l’impôt et de battre monnaie, ainsi que le droit de ban[10]. Deux ans plus tard, Henri ii confirmait ces privilèges, la création d’une monnaie au Cateau[11] et y ajoutait le droit de nommer à tous les offices, faisant ainsi de l’évêque le chef absolu du Cateau. Tous ces droits étaient protégés par l’immunité[12]. Le don du comté de Cambrai par Henri ii devait en faire le seul maître après l’empereur[13].

Le Cateau, car c’est le nom que portera désormais la localité, était fondé[14]. La forteresse rendit les services pour lesquels elle avait été créée et les incursions des voleurs cessèrent[15]. Ici comme partout[16], les murailles du château attirèrent les paysans dont les habitations se groupèrent aux environs, mais pour attirer les étrangers, il fallait des avantages commerciaux. Le droit de marché, si important à cette époque[17], répondit à ce besoin. Tous ceux qui venaient y faire des achats et des ventes jouissaient des privilèges et des lois des Cambrésiens. Les pontificats de Gérard Ier, de Lietbert durent encore développer ce mouvement commercial[18]. En fait, nous trouvons dans les chartes des signes non équivoques de richesse chez des particuliers. En 1220, Baudouin, dit Doyen, et Mathilde, sa femme, peuvent vendre à l’abbaye de St-André une rente de vingt mencaudées de blé qu’ils perçoivent sur Basuel[19]. Un nommé Mathieu vend à l’abbaye la dîme du Cateau[20]. Jacques de Guide, bourgeois, fonde par testament, en l’église St-Martin, une chapelle en l’honneur de Notre-Dame[21].

Un autre moyen d’attirer les populations croyantes était d’animer en eux le sentiment religieux. La création de l’abbaye de St-André en 1021 par l’évêque Gérard de Florines, aidé de Herward bras de fer et de son propre frère Gilbert, abbé de Maroilles[22] allait répondre à ce besoin. 24 moines furent le noyau de cette communauté que dirigea Gilbert. Le 22 septembre 1025, la dédicace en eut lieu au milieu d’un grand concours de peuple attiré encore par la vue des châsses des environs[23]. La libéralité de l’empereur Henri permit bientôt du reste au monastère de lutter avec les abbayes des environs pour la richesse de ses reliques. Outre des objets qui auraient appartenu à la Vierge Marie, il lui donna une relique insigne du corps de St-André qui lui avait été donné par l’empereur de Constantinople[24]. L’évêque y ajouta les corps de St-Sarre[25] et de Ste-Maxellende dont la châsse du xiie siècle est une merveille d’orfèvrerie[26].

Enrichie par les libéralités de Gérard et de ses successeurs, par les dons des seigneurs du voisinage[27], l’abbaye devint puissante non seulement au dehors mais au Cateau même, où elle acquit entre autres choses la moitié du droit de banlieu[28], la dîme[29], ainsi que celle de Vendegies[30]. À l’ombre de ses murs se développa une vie artistique et littéraire intense dont les moines Renier[31] et l’auteur de la Chronique sont les plus illustres représentants. C’est à la Chronique de St-André, que nous devons de connaître l’histoire du Cateau dans ces périodes anciennes[32].

Il fallait mettre à l’abri ces populations paisibles. La clôture n’était formée que par des remparts en bois, l’évêque Gérard fit élever à grands frais une tour élevée. Pour en perpétuer la mémoire, il fit graver dans la pierre l’inscription suivante : Sanctæ Dei genitrici Mariæ, Gerardus episcopus, domum hanc ad tuitionem et refugium pauperum. Quam qui ad hoc servaverit, benedictionem, qui autem aliter fecerit æternam accipiet maledictionem[33]. Ce fut la tour Ste-Marie, dont la garde était confiée à un prévôt[34]. Fortifiée de nouveau par Gérard[35] et Nicolas[36], la place fut assez forte pour résister aux attaques de Gilles de Chin, l’un des plus célèbres chefs de cette époque[37].

Grâce à ces soins, la population du Cateau s’augmenta assez rapidement, puisque en 1133, un siècle et demi après sa fondation, elle comprenait déjà trois églises parmi lesquelles on cite celles de Notre-Dame et de St-Martin[38]. Rien ne peut mieux rendre compte de la situation de la cité que les paroles du chroniqueur de St-André : « Omne quoque rerum opulentia, nostra florerit ecclesia, ipsa quoque villa domibus amplis, opibusque largis dilatata, in pace habitaretur et lætitia »[39].

  1. Vendelzlias, Vendelgies-Péronnelle.
  2. Sur le développement de la puissance des évêques de Cambrai, voir Reinecke. Geschichte des Stadt Cambrai (Marburg, 1896, in-8o)
  3. 20 décembre 911. À la demande de l’évêque Étienne, Charles confirme les biens de l’évêché déjà énumérés par Zwentibold. Original aux archives de Lille, fonds de la cathédrale de Cambrai, carton i. Le Glay. Glossaire topographique de l’ancien Cambrésis (Cambrai, 1848, in-8o). Monumenta Germaniæ, Scriptores, vii, Gesta pontificum, Cameracensium, p. 424. Muhlbacher, Acta Imperii. no 2.012a.
  4. Accordée pour la première fois, dit l’auteur de la Geste, par Pépin le Bref, elle est renouvelée par Louis le Pieux (15 avril 816), Arnould de Carinthie (6 juin 894), etc. La plupart des originaux sont à Lille, archives départementales, fonds de la cathédrale. Tous sont reproduits dans les Monumenta Germaniæ, Diplomata, t. i et ii ou Stumpf. Die Kaiserurkunden des x, xi und xii Jahrhundert. (Inspruck, 1865, in-4o).
  5. M. G. (c’est ainsi que nous désignerons désormais Monumenta Germaniæ, Scriptores) vii, Gesta pontificum cameracensium, p. 422 et 424.
  6. 23 avril. M. G. Diplomata, t. ii, p. 576. Stumpf, no 1.037. Original à Lille, A. D., F. d. C. (c’est ainsi que nous désignerons archives départementales, fonds de la cathédrale de Cambrai). — Cette forêt s’étendait du mont Sauvlonir au confluent des deux Helpes.
  7. M. G., Gesta pontificum cameracensium vii, p. 450.
  8. Où il avait obtenu confirmation par Grégoire v des privilèges de l’Église. (Ib. 449).
  9. Ib. 450. De même que dans une charte de Conrad ii en 1033. (Mirœus et Foppens. Opera diplomatica, t. i, p. 56. Stumpf, 2.050). « Quod… Erluinus exstruxerat (favente tertio Othone, imperatore) in munimemtum contra omnes incursus malignorum inibi circumquaque exuberantium. »
  10. Original à Lille, A. D., F. d. C., M. G. Diplomata ii, p. 832. Stumpf 1.257.
  11. Il ne semble pas que les évêques aient usé de ce droit au Cateau même. Voir Robert. Numismatique de Cambrai (Paris, 1865, in-4o).
  12. Bohmer. No 36. Acta imperii selecta (Insprück, 1867, in-8o).
  13. 22 octobre 1007. Pour la bibliographie et l’authenticité de cet acte, voir Dubrulle. Cambrai à la fin du Moyen Âge (Lille, 1904, in-8o), p. 3.
  14. Castellum, novum Castellum, Castellum Beatæ Mariæ, Castellum Cameracesii. Péronne disparut assez rapidement. On en trouve cependant encore mention en 1257. (A. D., Fonds de Saint-André du Cateau, parchemin sans scel.). Vendegies devint un faubourg du Cateau.
  15. M. G. xiv. Chronicon S. Andreæ, p. 526.
  16. Pirenne, Villes, marchés et marchands au Moyen Âge, dans Revue historique. Mai-juin 1898.
  17. Ibid.
  18. M. G. S. vii. Gesta pontificum cameracensium, p. 240 et 249.
  19. A. D. Fonds de St-André du Cateau, parchemin scellé.
  20. Ibid., parchemin où restent les attaches du scel., 1.222.
  21. Ibid., original scellé.
  22. M. G. vii. Chronicon S. Andreæ. 529, 330.
  23. Celles de St-Géry, St-Aubert, St-Eucher, St-Saulve, Ste-Rainfroi, St-Ghislain.
  24. Ibid.
  25. Ibid. Nous ne savons à quelle époque fut donné celui de Ste-Maxellende.
  26. Bouly. Dictionnaire historique de Cambrai, des abbayes, etc., du Cambrésis (Paris-Cambrai, 1854, in-4o), p. 364, donne une description exacte de la fierte. Voir aussi Dehaisnes. Histoire de l’Art, p. 285.
  27. Voir la liste dans Dubrulle. Les archives de St-André du Cateau. Revue des bibliothèques et archives de Belgique. 1904.
  28. Charte de Conrad ii en 1033, déjà citée.
  29. Voir plus haut.
  30. A. D., Fonds de St-André du Cateau. Original sans scel. 1224. L’évêque Godefroy en est le donateur.
  31. Durieux. Miniature du moine Régnier, religieux de l’abbaye de St-André, dans les Mémoires de la Société d’Émulation de Cambrai, t. xxxii.
  32. Retrouvée par Bévenot au xviiie siècle, la dernière édition a été publiée par Bethmann, dans les Monumenta Germaniæ Scriptores, t. vii.
  33. M. G. vii. Chronicon S. Andreæ, p. 528.
  34. M. G. vii. Chronicon S. Andreæ, p. 550.
  35. De Smet. Gesta pontificum episcoporum cameracensium (Paris, 1880, in-8o), p. 192, « firmat et se episcopus castello novo firmius circumcluso lapidibus. »
  36. M. G. xiv. Gesta Nicolai, p. 230. vii Gesta abbreviata, p. 507.
  37. Voir plus loin.
  38. Le docteur Cloez (Étude historique sur le Cateau-Cambrésis avant et pendant la Révolution. Le Cateau, 1895, in-8o, p. 46), s’appuyant sur la Geste de Liétard, dit cinq églises. Il y a erreur. Le moine de St-André ne cite que les deux églises susnommées, le monastère et la maison épiscopale. Habitant le Cateau, présent aux événements, il devait être beaucoup mieux renseigné.
  39. M. G. vii. Chronicon de S. Andreæ, p. 550.