Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 5

CHAPITRE V.


Expéditions de M. de Champlain.


Pontgravé repassa en France, la même année 1608, mais Champlain demeura à Québec. Durant l’hiver, les Algonquins, les Montagnais et les Hurons recherchèrent son alliance, et au printemps de 1609, un parti de ces tribus ayant résolu de marcher contre les Iroquois, leurs ennemis communs, il se laissa persuader de les accompagner. Il s’embarqua sur le Saint-Laurent, avec ses alliés, et entra ensuite dans une rivière qui fut longtemps appellée Rivière des Iroquois, parce que ces Sauvages descendaient ordinairement par là pour faire leurs courses dans la colonie, et qui a porté ensuite les noms de Sorel et de Richelieu. Après avoir remonté cette rivière treize ou quatorze lieues, il arriva au pied d’un rapide (celui de Chambly). Ne pouvant le franchir avec sa chaloupe, il la renvoya à Québec, et suivit ses alliés, avec deux Français, qui ne voulurent pas l’abandonner. Le rapide passé, les Sauvages commencèrent à mettre un peu plus de précaution dans leur manière de naviguer et de prendre poste. On campait de bonne heure ; on abattait des arbres, dont on se faisait une espèce de retranchement, du côté de terre ; on avait soin de ranger les canots sur le bord de la rivière, afin de pouvoir s’embarquer promptement, en cas de surprise, et se dérober à l’ennemi, avant qu’il eût forcé le retranchement. Dès qu’on avait campé, des coureurs se répandaient à travers les plaines, et revenaient bientôt ; après quoi tout le monde n’endormait. Champlain leur ayant parlé du danger auquel ils s’exposaient, ils lui répondirent qu’après avoir travaillé tout le jour, il était nécessaire de se reposer pendant la nuit. Néanmoins, lorsqu’ils se crurent plus proches de l’ennemi, ils ne marchèrent plus que de nuit, et n’allumèrent plus de feu pendant le jour.

Les vallées qui séparent les montagnes qu’on apperçoit du milieu du grand lac auquel Champlain donna son nom, étaient alors peuplées d’Iroquois, et c’était là, et même au-delà, que nos guerriers avaient dessein de faire une irruption ; mais l’ennemi leur épargna une partie du chemin, car les deux partis se rencontrèrent sur le lac même. Ils gagnèrent le rivage, chacun de leur côté, et s’y retranchèrent. Alors les Algonquins envoyèrent demander aux Iroquois s’ils voulaient se battre à l’heure même ; mais ceux-ci répondirent que la nuit était trop avancée ; qu’on ne se verrait point, et qu’il valait mieux attendre le jour.

Le lendemain, dès que le jour eut paru, Champlain plaça ses deux Français et quelques Sauvages dans les bois, pour prendre les ennemis en flanc. Ceux-ci étaient au nombre de deux cents, tous gens d’élite et déterminés, qui croyaient avoir bon marché des Algonquins et des Hurons, qu’ils étaient dans l’habitude de battre, et qui n’avaient laissé voir d’abord qu’une partie de leurs forces. Les alliés fondaient leur principale espérance sur les armes à feu des Français, et ils recommandèrent à Champlain de tirer sur les chefs, qu’ils lui montrèrent. Les Algonquins et les Hurons sortirent les premiers de leurs retranchemens, et s’avancèrent deux cents pas au-devant des Iroquois. Quand ils furent en présence, ils s’arrêtèrent, se partagèrent en deux bandes, et laissèrent le milieu à M. de Champlain. Celui-ci, habillé à l’européenne, avec son arquebuse et ses autres armes, fut pour les Iroquois un spectacle nouveau et singulier : mais quand ils virent le premier coup de son arquebuse, il avait mis quatre balles, renverser morts deux de leurs chefs, et blesser dangereusement le troisième, leur frayeur fut égale à leur étonnement. Les alliés poussèrent de grands cris de joie, et firent une décharge générale de leurs flèches. Champlain allait recharger son arquebuse, quand les Français qui l’accompagnaient, ayant encore abattu quelques uns des ennemis, ceux-ci ne songèrent plus qu’à fuir. Poursuivis chaudement, ils eurent encore quelques hommes de tués, et on leur fit quelques prisonniers. Les alliés vainqueurs se rassasièrent des vivres que les Iroquois avaient abandonnés, sautèrent et dansèrent sur le champ de bataille, et reprirent la route de leur pays. Après avoir fait une huitaine de lieues, ils s’arrêtèrent pour mettre à mort un de leurs prisonniers. Les cruautés qu’ils exercèrent en cette occasion firent horreur à Champlain, qui demanda, comme une grâce, de pouvoir mettre fin au supplice du prisonnier, et lui cassa la tête d’un coup d’arquebuse. La nuit suivante, un Montagnais ayant rêvé qu’ils étaient poursuivis, la retraite devint une véritable fuite. Les Hurons retournèrent dans leur pays ; les Algonquins s’arrêtèrent à Québec, et les Montagnais se rendirent à Tadousac, M. de Champlain les suivit. Dès qu’ils apperçurent les cabanes de leurs villages, ils coupèrent de longs bâtons, y attachèrent les chevelures qu’ils avaient faites, et les portèrent comme en triomphe. À cette vue, les femmes accoururent, se jettèrent à la nage, et ayant joint les canots, elles prirent les chevelures des mains de leurs maris, et se les passèrent autour du cou.

Champlain étant remonté à Québec, il y fut joint par Pontgravé, et s’embarqua avec lui pour la France, laissant la colonie naissante sous les ordres de Pierre Chavin, homme brave et intelligent. Il fut bien reçu du roi, à qui il rendit compte de la situation où il avait laissé le Canada, que l’on commença alors à appeller Nouvelle-France. On lui confia encore deux vaisseaux, le printemps suivant, et il arriva à Tadousac, le 8 avril. Il en repartit le 28, après avoir assuré les Montagnais qu’il venait dégager la parole qu’il leur avait donnée, l’année précédente, de les accompagner encore à la guerre contre les Iroquois. Ces Sauvages n’attendaient, en effet, que son retour pour se remettre en campagne, et à peine fut-il arrivé à Québec, qu’ils s’y rendirent, au nombre de soixante guerriers. Les Algonquins se trouvèrent prêts aussi, et tous marchèrent vers la rivière de Sorel, d’autres Sauvages avaient promis de se rendre. Champlain les suivit de près, dans une barque ; mais il ne trouva pas le nombre de guerriers qu’on lui avait fait espérer, et il apprit, en même temps, qu’un parti de cent Iroquois n’était pas loin. Il n’y avait pas un moment à perdre pour le surprendre. Il fallut laisser la barque et se mettre dans des canots. Quatre Français suivirent Champlain : les autres restèrent à la garde de la barque. Les confédérés eurent à peine vogué une demi-heure, qu’ils sautèrent à terre, sans rien dire aux Français, et se mirent à courir à travers les bois, laissant leurs canots à l’abandon, et Champlain sans guide, au milieu de ces déserts. Bientôt pourtant, un Algonquin vint le prier de hâter sa marche, parce qu’on était aux prises avec les ennemis. Il doubla le pas, et ne tarda guère à entendre le bruit des combattans. Les alliés avaient attaqué les Iroquois dans leur retranchement, et avaient été repoussés avec perte. À la vue des Français, ils reprirent courage, et retournèrent avec eux à la charge. Le combat devint très vif : Champlain et un de ses hommes furent blessés légèrement. Cependant les armes à feu déconcertaient les Iroquois, lorsque les munitions commencèrent à manquer. Alors Champlain persuada aux alliés de donner l’assaut au retranchement : il se mit à leur tête, avec ses quatre Français, et malgré la vigoureuse défense des assiégés, ils parvinrent bientôt à faire une assez grande brêche. Cinq ou six autres Français arrivèrent, sur ces entrefaites. Ce renfort donna aux assaillans le moyen de s’éloigner pour respirer un peu, pendant que les nouveau-venus faisaient feu sur l’ennemi. Les Sauvages revinrent bientôt à l’assaut, et les Français se mirent sur les aîles, pour les soutenir. Les Iroquois ne purent résister à tant de coups redoublés : presque tous furent tués ou pris. Quelques uns ayant voulu courir du côté de la rivière, ils y furent culbutés, et s’y noyèrent. Lorsque l’affaire fut terminée, il arriva encore une troupe de Français, qui voulurent se consoler de n’avoir point eu de part à la victoire, en partageant le butin. Ils se saisirent des peaux de castor dont étaient couverts les Iroquois qu’ils voyaient étendus sur la place ; ce qui scandalisa beaucoup les Sauvages. Ces barbares, qui prenaient plaisir à tourmenter, de la manière la plus indigne, des ennemis qui n’étaient plus en état de se défendre, se piquaient d’un désintéressement qu’ils étaient surpris de ne pas rencontrer chez des hommes civilisés. Champlain engagea les Hurons à emmener un Français dans leur pays, afin qu’il y apprît leur langue, et emmena un des leurs en France.