Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 4

CHAPITRE IV.


Fondation de Port-Royal et de Québec.


Le Port Royal, sur la baie de Fundy, est un des plus sûrs et des plus beaux qu’il y ait au monde. Le seul défaut qu’il offre est la difficulté d’y entrer et d’en sortir, à cause des courans et de la marée. Le pays, dans les environs, est beau et fertile, et il n’est qu’à quelques lieues de l’embouchure de la rivière Saint-Jean. S’il allongeait un peu le trajet pour les vaisseaux venant de France, il les rapprochait aussi des Sauvages du continent acadien. M. de Poutrincourt, en s’associant avec M. de Monts, avait formé le dessein de s’établir en Amérique, avec sa famille : il lui demanda donc ce port, l’obtint, et repassa en France, laissant le sieur de Pontgravé chargé du soin de son établissement. Comme l’absence de M. de Poutrincourt fut longue, les habitans de Port-Royal crurent qu’il les avait abandonnés. Pontgravé fit tout ce qu’il put pour les rassurer ; mais à la fin, il fut contraint de s’embarquer avec eux pour retourner en France, ne laissant que deux hommes dans le fort, pour y garder les effets qu’on ne pouvait pas emporter. Mais il était à peine sorti de la baie, qu’il apprit l’arrivée de M. de Poutrincourt à Camceaux. Il rentra dans le Port Royal, où Poutrincourt était déjà arrivé, sans qu’ils se fussent rencontrés.

Ayant ramené l’abondance dans son établissement, M. de Poutrincourt ne songea plus qu’à le fortifier, et Pontgravé s’y livra tout entier. Il tenait ses gens continuellement occupés ; les travaux se faisaient avec joie, parce que les vivres ne manquaient pas, et que la fertilité du pays semblait répondre que la source de cette abondance ne tarirait point. Les colons jouissaient d’une bonne santé, et les Sauvages commençaient à s’apprivoiser. Un avocat de Paris, nommé Lescarbot, qui avait eu la curiosité de voir le Nouveau-Monde, contribua à mettre et à maintenir les choses dans cet heureux état. Il animait les uns, piquait les autres d’émulation, et ne s’épargnait lui-même en rien. Tous les jours, il inventait quelque chose de nouveau pour l’utilité publique, et jamais on ne comprit mieux, remarque Charlevoix, de quelle ressource peut être, dans un nouvel établissement, un esprit cultivé par l’étude, et que le zèle de l’état engage à se servir de ses talens et de ses connaissances. Lescarbot publia, en 1609, la relation de ce qui s’était passé sous ses yeux en Acadie, et en 1612, différentes pièces de vers, qu’il dédia au chancelier de Sylleri, en le priant de considérer que si elles étaient mal peignées et rustiquement vêtues, c’était parce qu’elles avaient été composées dans un pays inculte, sauvage, hérissé de forêts et habité de peuples vagabonds.

Cependant, les ennemis de M. de Monts étaient parvenus à lui faire ôter sa commission. Il eut néanmoins le crédit de se faire rétablir pour un an dans son privilège ; mais ce fut à condition qu’il ferait un établissement sur le fleuve Saint-Laurent. Ses associés equippèrent deux navires à Honfleur, et les confièrent à MM. Champlain et Pontgravé, qui furent chargés d’aller faire la traite à Tadousac, tandis que M. de Monts solliciterait une prorogation de son privilège. Il ne put l’obtenir ; ce qui ne l’empêcha pas d’envoyer encore, au printemps de 1608, des vaisseaux dans le Saint-Laurent. Mais s’appercevant que son nom, et la religion protestante, qu’il professait, nuisaient à ses associés, il se retira. En effet, dès que la compagnie ne l’eut plus à sa tête, le privilège lui fut rendu.

Cette même année, M. de Champlain, après avoir examiné soigneusement en quel endroit on pourrait fixer avec avantage l’établissement que la cour voulait qu’on fît sur le Saint-Laurent, s’arrêta sur la rive septentrionale de ce fleuve, à cent-vingt lieues de son embouchure, entre la petite rivière Saint-Charles, la même que Jacques Cartier avait appellée Sainte-Croix, et le Cap aux Diamans. Le village sauvage de Stadaconé était situé sur le cap même ; mais il paraît que l’endroit s’appellait, en langue algonquine, Quebeio ou Quelibec, qui veut dire rétrécissement ou fermeture ; d’où serait venu le nom de Québec. D’autres font dériver le nom de la capitale du Canada, des mots français, quel bec, ou suivant la prononciation populaire, queu bec ou que bec, prononcés, en arrivant à la vue du cap, par un des hommes qui accompagnaient Champlain. « Un beau bassin, dit l’auteur des Beautés de l’Histoire du Canada, où plusieurs flottes pourraient mouiller en sûreté ; des rivages bordés de rochers à pic, et parsemés de forêts ; deux promontoires pittoresques, (de Lévi et du Cap aux Diamans) ; une jolie île (d’Orléans) ; la belle cascade de la rivière Montmorency, tout justifiait le choix de Champlain, et concourt à donner à la capitale du Canada un aspect imposant et magnifique. » Il y arriva le 3 juillet 1608, y construisit quelques cabanes pour lui et les siens, et commença à y défricher des terres, qui se trouvèrent fertiles.