Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 21

CHAPITRE XXI.


Expédition contre les Iroquois. — Trêve avec ces Sauvages.


Le marquis de Denonville ayant assemblé l’armée qu’il voulait conduire contre les Iroquois, il la fit camper d’abord dans l’île de Sainte-Hélène, vis-à-vis de Montréal. M. de Champigny-Noroy, qui, l’année précédente, avait succédé à M. de Meules, dans l’intendance, s’y rendit, le 7 juin, avec le chevalier de Vaudreuil, qui était arrivé, depuis peu, dans la colonie, avec le titre de commandant des troupes. Cette armée, commandée par le marquis de Denonville en personne, était composée, de huit cent trente soldats, d’environ mille Canadiens, et de trois cents Sauvages. Elle se mit en route, le 11, sur deux cents bateaux et autant de canots d’écorce.

En arrivant à Catarocouy, le général français reçut une lettre du colonel Dunkan, écrite sur le ton que ce gouverneur avait coutume de prendre, lorsqu’il s’agissait des Iroquois ; c’est à dire, qu’il se plaignait hautement de ce que le gouverneur du Canada faisait la guerre à des peuples qui étaient sujets de sa majesté britannique. Il ajoutait que M. de la Barre n’avait pas cru devoir s’engager dans une pareille expédition, sans lui en avoir auparavant donné avis.

M. de Denonville lui fit réponse qu’ils étaient loin de compte, s’il regardait les Iroquois comme sujets du roi d’Angleterre, et que, quant à la démarche de son prédécesseur, il lui déclarait que ce n’était pas pour lui un exemple à suivre. Le gouverneur du Canada parlait avec d’autant plus d’assurance, dit le P. Charlevoix, qu’il croyait être en droit d’accuser de mauvaise foi celui de la Nouvelle York. Il venait d’apprendre que M. de la Durantaye avait rencontré, sur le lac Huron, soixante Anglais, escortés par des Tsonnonthouans, et conduits par un Français, avec des marchandises, pour faire la traite à Michillimakinac.[1] Le fait de ces traitans anglais était une contravention aux conventions faites entre les couronnes de France et d’Angleterre ; mais le colonel Dunkan pouvait l’ignorer, et conséquemment n’être pas coupable de mauvaise foi, non plus que d’infraction des traités.

De Catarocouy M. de Denonville se transporta à la rivière des Sables, en-deça de la baie des Tsonnonthouans. Par un heureux hazard, les Canadiens et les Sauvages que lui amenaient les commandans de l’Ouest, y arrivèrent en même temps. On se mit aussitôt à faire, sur le bord du lac, un peu au-dessus de la rivière, un retranchement de palissades. Ce tranchement, qu’on appella Fort des Sables, fut achevé en deux jours. Quatre cents hommes y furent laissés, sous le commandement de M. d’Orvilliers, pour assurer les derrières de l’armée.

Du fort des Sables, l’armée prit son chemin par les terres, et après avoir passé deux défilés très dangereux, elle arriva à un troisième, où elle fut vigoureusement attaquée par huit cents Iroquois. Deux cents de ces Sauvages, après avoir fait leur décharge, se détachèrent pour prendre l’armée française en queue, tandis que le reste continuait à la charger en tête. Le combat se soutint, quelque temps, avec vigueur des deux côtés ; mais à la fin, les Sauvages furent repoussés et prirent la fuite.

Il y eut, du côté des Français, cinq ou six hommes de tués, et une vingtaine de blessés. La perte des Iroquois fut de quarante-cinq hommes tués sur la place, et d’une soixantaine de blessés. Les corps des premiers furent mis en pièces, et mangés par les Outaouais, qui, comme le marquis de Denonville l’écrivait à M. de Seigneley, firent beaucoup mieux la guerre aux morts qu’ils ne l’avaient faite aux vivans.

Le lendemain du combat, l’armée alla camper dans un des quatre villages dont se composait le canton de Tsonnonthouan. Elle n’y trouva personne, et le brûla. Les Français pénétrèrent ensuite dans le pays, détruisirent toutes les cabanes, brûlèrent quatre cent mille minots de blé-d’inde, et tuèrent une immense quantité de pourceaux. L’humiliation des Tsonnonthouans fut à peu près le seul fruit de cette expédition. Ces Sauvages rentrèrent dans leur pays, aussitôt que les Français s’en furent retirés.

L’occasion de bâtir un fort à Niagara était trop belle pour que M. de Denonville la manquât. Le fort fut construit, et le chevalier de Troye y fut laissé, avec cent hommes, pour le garder. Les Sauvages alliés en témoignèrent beaucoup de joie ; mais bientôt, la maladie s’étant mise dans la garnison, qui périt toute entière avec son commandant, on attribua cet évènement à l’air du pays, et le fort fut abandonné.

L’expédition de M. Denonville avait si peu intimidé les Iroquois, qu’à peine il était de retour à Québec, que le fort de Chambly fut tout-à-coup investi par un gros parti d’Agniers. La résistance qu’ils y trouvèrent les obligea à décamper, dès le lendemain ; mais ils ne le firent qu’après avoir brûlé quelques habitations écartées, et fait plusieurs prisonniers.

Ce qui enhardissait surtout les Iroquois, c’était l’appui que leur donnait, ou que leur promettait le colonel Dunkan : en cette occasion, il fit déclarer au marquis de Denonville, qu’il ne devait espérer de paix avec les cinq cantons qu’à ces quatre conditions : 1.o qu’on ferait revenir de France les Iroquois qu’on y avait envoyés pour servir sur les galères ; 2.o qu’on obligerait les Iroquois chrétiens du Sault Saint-Louis, et ceux qui s’étaient établis au pied de la Montagne de Montréal, à retourner dans leur pays ; 3.o qu’on raserait les forts de Niagara et de Catarocouy ; 4.o qu’on restituerait aux Tsonnonthouans tout ce qui avait été enlevé de leurs villages.

Sans s’arrêter à cette déclaration, le gouverneur général entreprit de négocier directement avec les Iroquois ; et au moyen des missionnaires, il réussit à se faire envoyer des députés par les trois cantons d’Onnontagué, d’Onneyouth et de Goyogouin. Ces députés, qui avaient été suivis par 1200 guerriers jusqu’au lac Saint-François, parlèrent avec beaucoup d’arrogance, donnant à entendre, que ce serait par pure faveur qu’ils feraient la paix, aux conditions proposées par le gouverneur de la Nouvelle York. Après avoir exposé en termes extrêmement emphatiques, la situation avantageuse des Cantons, la faiblesse des Français, et la facilité qu’aurait sa nation à les exterminer, ou à les chasser du Canada, Haaskouaun, chef de la députation, ajouta : « Pour moi, j’ai toujours aimé les Français, et je viens d’en donner une preuve non équivoque ; car ayant appris que nos guerriers avaient formé le dessein de venir brûler vos forts, vos maisons et vos grains, afin d’avoir bon marché de vous, après vous avoir affamés, j’ai si bien sollicité en votre faveur, que j’ai obtenu la permission d’avertir Ononthio, qu’il pouvait éviter ce malheur, en acceptant la paix aux conditions que Corlar[2] lui a proposées. »

M. Denonville répondit à la députation iroquoise, qu’il consentirait volontiers à la paix, mais qu’il ne la donnerait qu’à ces conditions : 1.o que tous les alliés des Français y seraient compris ; 2.o que les cantons d’Agnier et de Tsonnonthouan lui enverraient aussi des députés ; 3.o que toute hostilité cesserait de part et d’autre ; 4.o qu’il pourrait, en toute liberté, ravitailler le fort de Catarocouy. Il consentait à la démolition du fort de Niagara, et il promettait de faire revenir prochainement de France les Iroquois qui y avaient été envoyés, et dont il avait même déjà sollicité le rappel. Ces conditions furent acceptées, et une trêve fut conclue, sur le champ. Les députés consentirent à laisser cinq d’entr’eux pour otages, afin d’assurer un convoi que l’on préparait pour Catarocouy[3] ; et l’on convint que s’il survenait quelque hostilité, de la part des alliés des Français, pendant la négociation pour la paix, elle ne ferait rien changer à ce qui venait d’être résolu.

  1. Les marchandises de ces Anglais furent confisquées et distribuées aux Sauvages, et ils furent eux-mêmes retenus prisonniers, ainsi que les Iroquois qui les escortaient. Quant au Français qui leur avait servi de guide, M. de Denonville le fit fusiller : châtiment sur lequel Lahontan s’écrie à l’injustice, par la raison qu’il y avait paix alors entre l’Angleterre et la France ; que Charlevoix approuve, en prétendant que ce Français combattait contre le service de son prince, et que, pour tenir un juste milieu, nous qualifierons de sévère et disproportionné à l’offense.
  2. C’est le nom qu’ils donnaient au gouverneur de la Nouvelle York, et généralement aux Anglais, ou à leurs descendans, établis en Amérique.
  3. Pendant que les députés Iroquois étaient à Montréal, les huit cents guerriers qu’ils avaient laissés au lac Saint-François, ayant remonté le fleuve, avaient investi le fort de Frontenac, tué tous les bestiaux qui paissaient aux environs, et brulé tous les foins, au moyen de flèches allumées.