Histoire du Canada (Garneau)/Tome II/Livre VIII/Chapitre II

Imprimerie N. Aubin (IIp. 449-491).

CHAPITRE II.




LOUISBOURG.



1744-1748.

Coalition en Europe contre Marie-Thérèse pour lui ôter l’empire (1740.) — Le maréchal de Belle-Isle y fait entrer la France. — L’Angleterre se déclare pour l’impératrice en 1744. — Hostilités en Amérique. — Ombrage que Louisbourg cause aux colonies américaines. — Théâtre de la guerre dans ce continent. — Les deux métropoles, trop engagées en Europe, laissent les colons à leurs propres forces. — Population du Cap-Breton ; fortifications et garnison de Louisbourg. — Expédition du commandant Duvivier à Canseau et vers Port-Royal. — Déprédations des corsaires. — Insurrection de la garnison de Louisbourg. — La Nouvelle-Angleterre, sur la proposition de M. Shirley, en profite pour attaquer cette forteresse. — Le Colonel Pepperrell s’embarque avec 4,000 hommes, et va y mettre le siége par terre tandis que le commodore Warren en bloque le port. — Le commandant français rend la place. — Joie générale dans les colonies anglaises ; sensation que fait cette conquête. — La population de Louisbourg est transportée en France. — Projet d’invasion du Canada qui se prépare à tenir tête à l’orage. — Escadre du duc d’Anville pour reprendre Louisbourg et attaquer les colonies anglaises (1746) ; elle est dispersée par une tempête. — Une partie atteint Chibouctou (Halifax) avec une épidémie à bord. — Mortalité effrayante parmi les soldats et les matelots. — Mort du duc d’Anville. — M. d’Estournelle qui lui succède se perce de son épée. — M. de la Jonquière persiste à attaquer Port-Royal ; une nouvelle tempête disperse les débris de la flotte. — Frayeur et armement des colonies américaines. — M. de Ramsay assiége Port-Royal. — Les Canadiens défont le colonel Noble au Grand-Pré, Mines. — Ils retournent dans leur pays. — Les frontières anglaises sont attaquées, les forts Massachusetts et Bridgman surpris et Saratoga brûlé ; fuite de la population. — Nouveaux armemens de la France ; elle perd les combats navals du Cap-Finistère et de Belle-Isle. — Marine anglaise et française. — Faute du cardinal Fleury d’avoir laissé dépérir la marine en France. — Le comte de la Galissonnière gouverneur du Canada. — Cessation des hostilités ; traité d’Aix-la-Chapelle (1748). — Suppression de l’insurrection des Miâmis. — Paix générale.


L’abaissement de la maison d’Autriche est un des grands actes de la politique de Richelieu. Quoiqu’il eût bien diminué sa puissance, il y en avait en France qui désiraient la faire tomber encore plus bas. Tel était le maréchal de Belle-Isle qui exerçait une grande influence sur la cour de Versailles, lors de l’avènement de Marie-Thérèse à la couronne de son père, l’empereur Charles VI. À peine cette femme illustre et si digne de l’être, eut-elle pris possession de son héritage, qu’une foule de prétendans, comme l’électeur de Saxe, l’électeur de Bavière, le roi d’Espagne, le roi de Prusse le grand Frédéric, le roi de Sardaigne, se levèrent pour réclamer à divers titres les immenses domaines de l’Autriche. Le maréchal de Belle-Isle entraîna la France, malgré l’opposition du premier ministre, le cardinal de Fleury, dans la coalition contre Marie-Thérèse pour soutenir les prétentions de l’électeur de Bavière, qui aurait été beaucoup plus formidable qu’elle s’il eût pu réussir à la dépouiller de ses vastes possessions. L’on sait quel cri de patriotisme et d’enthousiasme sortit du sein des états de la Hongrie lorsque cette princesse se présenta avec son fils dans les bras au milieu de leur auguste assemblée, et invoqua leur secours par ces paroles pleines de détresse : « Je viens remettre entre vos mains la fille et le fils de vos rois ». Mourons pour notre reine ! s’écrièrent les nobles Hongrois en élevant leurs épées vers le ciel.

L’Angleterre qui avait d’abord gardé la neutralité, ne tarda pas à se déclarer, lorsqu’elle vit la fermeté avec laquelle l’impératrice faisait tête à l’orage, et elle jeta son épée à côté de la sienne dans la balance. C’était commencer les hostilités contre la France, et allumer la guerre en Amérique, où les colonies anglaises brûlaient toujours du désir de s’emparer du Canada.

Ces colonies montraient déjà, comme nous l’avons dit ailleurs, une ambition qui aurait pu faire présager à un œil clairvoyant ce qu’elles voudraient être dans l’avenir ; une inquiétude républicaine mais qu’elles dissimulaient soigneusement, semblait les tourmenter aussi. Cela n’échappa pas tout-à-fait dans le temps à la sagacité de la Grande-Bretagne. Le parti puritain qui avait autrefois gouverné l’ancienne Angleterre avait transporté son esprit de domination dans la nouvelle. Le génie de ces colons semblait prendre de la grandeur lorsqu’ils considéraient les immenses et belles contrées qu’ils avaient en partage, et il n’est guère permis de douter après ce que nous avons déjà vu jusqu’à ce jour, que les États-Unis voudront remplir toute leur destinée.

En Canada, l’on s’attendait depuis longtemps à la guerre. Les forts avancés avaient été réparés et armés, les garnisons de St.-Frédéric et de Niagara augmentées et Québec mis autant que possible en état de défense. Des mesures furent prises également pour chasser tous les Anglais de l’Ohio, où ils commençaient à se montrer ; et M. Guillet avait été chargé de rassembler les Sauvages du Nord pour tenter une entreprise qui aurait eu sans doute du retentissement si elle eût pu réussir, mais que l’on ne pouvait guère se flatter d’accomplir, la conquête de la baie d’Hudson.

Du reste le fort de la guerre devait se porter sur le Cap-Breton et la péninsule acadienne. Le cardinal Fleury, qui détestait la guerre, laissa le Canada à ses propres forces. La Nouvelle-York, de son côté, redoutait plus les hostilités qu’elle ne les désirait. L’on se rappelle la visite du patron d’Albany, M. Ransallaer, en Canada et la proposition secrète qu’il fit au gouverneur d’une neutralité entre les deux pays. L’on ne devait donc pas s’attendre à une guerre bien vive sur le St.-Laurent et les lacs, du moins pour le présent. D’ailleurs le premier poste à prendre par les Canadiens sur cette frontière était celui d’Oswégo, et M. de Beauharnais n’osait pas le faire, d’abord parce que la colonie était trop faible et trop dépourvue de tout pour aller attaquer l’ennemi chez lui, et en second lieu, parcequ’il craignait l’opposition des Iroquois[1].

Cependant les difficultés entre les deux nations au sujet des frontières, avaient fait croire qu’à la première rupture elles se porteraient de grands coups en Amérique, et qu’un dénouement tel serait donné à la question des limites, qu’elle serait mise en repos pour longtemps. Néanmoins ni l’Angleterre ni la France, trop occupées probablement en Europe, ne songèrent à établir un champ de bataille dans le Nouveau-Monde. Ce furent les colons eux-mêmes qui se chargèrent de remplir cette portion du grand drame, et qui sans attendre d’ordres de l’Europe se mirent en mouvement.

Le Canada était peu garni de soldats ; il n’y en avait pas mille pour défendre tous les postes depuis le lac Erié jusqu’au golfe St.-Laurent ; mais Louisbourg, comme clef des possessions françaises du côté de la mer, avait une garnison de 7 à 8 cents hommes.

Ce boulevard devait protéger aussi la navigation et le commerce. Sa situation entre le golfe St.-Laurent, les bancs et l’île de Terreneuve et l’Acadie, était des plus favorables ayant la vue sur toutes ces terres et sur toutes ces mers. Les pieds baignés par les flots de l’Océan, il était ceint d’un rempart en pierre de 30 à 36 pieds de hauteur et d’un fossé de 80 pieds de large. Il était en outre défendu par deux bastions, deux demi-bastions, et trois batteries de six mortiers et percées d’embrasures pour 148 pièces de canons. Sur l’île à l’entrée du port, vis-à-vis de la tour de la Lanterne, on avait établi une batterie à fleur d’eau de 30 pièces de canon de 28, et au fond de la baie, en face de son entrée, à un gros quart de lieue de la ville, une autre, la batterie royale, de 30 canons : savoir 28 de 42 livres de balles et 2 de 18. Cette batterie commandait le fond de la baie, la ville et la mer. L’on communiquait de la ville à la campagne par la porte de l’Ouest, et un pont-levis défendu par une batterie circulaire de 16 canons de 24. L’on travaillait depuis vingt-cinq ans à ces ouvrages, qui étaient défectueux sous le rapport de la solidité, parceque le sable de la mer dont on était forcé de se servir, ne convenait nullement à la maçonnerie ; et Louisbourg passait pour la place la plus forte de l’Amérique ; on le disait imprenable quoique les fortifications n’en fussent pas achevées. Mais il en était de ces fortifications comme de bien d’autres dans ce continent, qui ont une grande réputation au loin ; mais qui perdent leur redoutable prestige dès qu’elles sont attaquées. Québec avait un grand nom et Montcalm n’osa pas attendre l’ennemi dans ses murs. D’ailleurs le gouverneur, le comte de Raymond, avait fait ouvrir le chemin de Miré qui conduisait au port de Toulouse dans une autre partie de l’île. Ce chemin, avantageux pour le commerce, avait, du côté de la campagne, affaibli la force naturelle de la place, protégée jusque là par les marais et les aspérités du sol ; mais cette voie en en rendant l’accès facile permettait d’approcher jusqu’au pied des murailles. À la faveur de sa renommée, cette forteresse servait de retraite assurée aux vaisseaux canadiens qui allaient aux Iles, et protégeait une nuée de corsaires qui s’abattaient sur le commerce des Américains et ruinaient leurs pêches dans les temps d’hostilités. Les colonies anglaises voyaient donc avec une espèce de terreur ces sombres murailles de Louisbourg dont les tours s’élevaient au-dessus des mers du Nord comme des géans menaçans.

La population du Cap-Breton était presque toute réunie à Louisbourg. Il n’y avait que quelques centaines d’habitans dispersés sur les côtes à de grandes distances les uns des autres. On en trouvait moins de 200 de cette ville à Toulouse, où un pareil nombre à peu près étaient concentrés et s’occupaient de culture, alimentaient la capitale de denrées, élevaient des animaux et construisaient des bateaux et des goélettes ; une centaine habitaient les îles rocheuses et arides de Madame, quelques autres s’étaient répandus sur la côte à l’Indienne, à la baie des Espagnols (Sidney), au port Dauphin ainsi qu’en plusieurs autres endroits de l’île.

Le gouvernement du Cap-Breton et de St.-Jean était entièrement modelé sur celui du Canada. Le commandant, comme celui de la Louisiane, était subordonné au gouverneur général de la Nouvelle-France résidant à Québec ; mais vu l’éloignement des lieux, ces agens secondaires étaient généralement indépendans de leur principal. Dans ces petites colonies, l’autorité et les fonctions de l’intendant étaient aussi déférées à un commissaire-ordonnateur, fonctionnaire qui a laissé après lui en Amérique une réputation peu enviable.

Au temps de la guerre de 1744 M. Duquesnel était gouverneur du Cap-Breton, et M. Bigot commissaire-ordonnateur. L’on connaît peu de chose sur le premier ; à peine son nom est-il parvenu jusqu’à nous. Le second faisait alors au Cap-Breton, loin de l’œil de ses maîtres, cet apprentissage d’opérations commerciales dont les suites ont été si fatales à toute la Nouvelle-France. On entretenait dans l’île 8 compagnies françaises de 70 hommes et 150 Suisses du régiment de Karrer, en tout 700 hommes quand les compagnies étaient complètes. On en détachait une compagnie pour l’île St.-Jean, une autre pour la batterie royale, et on faisait de petits détachemens pour garder plusieurs autres points de la côte ; le reste formait la garnison de Louisbourg. C’étaient là toutes les forces dont l’on pouvait disposer pour garder l’entrée de la vallée du St.-Laurent.

Les colonies anglaises n’étaient guère mieux pourvues de troupes que celles de la Nouvelle-France ; mais il n’y avait point de comparaison entre le chiffre de leurs habitans et le chiffre de ceux de ce dernier pays. Confiantes dans leurs forces, elles montraient moins d’empressement que les Français pour courir aux armes. Aussi ceux-ci avaient toujours l’avantage du premier coup, car ils savaient qu’ils devaient suppléer par la rapidité à ce qui leur manquait en force réelle.

L’on reçut à Louisbourg la nouvelle de la déclaration de la guerre plusieurs jours avant Boston. Les marchands armèrent sur le champ de nombreux corsaires, qui firent des conquêtes précieuses qui les enrichirent. Bigot possédait pour sa part plusieurs de ces vaisseaux, les uns tout seul, les autres en participation avec des particuliers. Le commerce américain fut désolé par ces courses et fit des pertes considérables.

Le gouverneur, M. Duquesnel, qui connaissait l’état de l’Acadie, que l’Angleterre abandonnait, comme avait fait la France, à elle-même, résolut d’en profiter. Il n’y avait que 80 hommes de garnison à Annapolis, et les fortifications étaient tellement tombées en ruines que les bestiaux montaient pour paître par les fossés sur les remparts écroulés. Le commandant Duvivier fut chargé de former un détachement de 8 à 900 hommes tant soldats que miliciens, de s’embarquer sur quelques petits bâtimens qui furent mis à sa disposition, et de tomber sur l’Acadie.

Le premier poste qu’il attaqua fut Canseau, situé à l’extrémité sud du détroit de ce nom. Il s’en rendit maître après avoir fait prisonniers les habitans et la garnison composée de 4 compagnies incomplètes de troupes, et le brûla. De là il se mit en marche, mais avec lenteur, pour Annapolis avec une soixantaine de soldats et 700 miliciens et Sauvages. Rendu aux Mines il s’arrêta subitement sans que l’on sût trop pourquoi, puis ensuite il se retira vers le Canada après avoir fait sommer inutilement Annapolis de se rendre. Cet officier a été blâmé de n’avoir pas marché avec rapidité sur cette ville pour l’attaquer tandis qu’elle était encore dans sa première surprise. Les principales familles s’étaient déjà enfuies à Boston avec leurs effets les plus précieux, et il paraît que dans le premier moment, elle n’aurait pu résister à un assaut. Il y aurait trouvé le P. Laloutre qui l’investissait avec 300 Indiens du Cap de Sable et de St.-Jean, accourus pour l’aider à faire cette conquête. Mais ce délai ayant donné le temps aux assiégés de recevoir des renforts, les Sauvages furent obligés de se retirer.

Cependant les corsaires, après avoir désolé la marine marchande anglaise, infestaient maintenant les côtes de Terreneuve, incommodaient les petites colonies qui y étaient dispersées, et menaçaient même Plaisance malgré ses fortifications et ses troupes. La nouvelle de l’irruption des Français en Acadie et des déprédations de leurs corsaires à Terreneuve arriva presqu’en même temps à Boston que celle de la rupture de la paix. Toutes les colonies furent dans l’alarme pour leurs frontières. Elles levèrent immédiatement des troupes pour garder leurs postes avancés du côté du Canada ou en augmenter les garnisons ; et le Massachusetts fit à lui seul élever une chaîne de forts de la rivière Connecticut aux limites de la Nouvelle-York. Mais tandis qu’elles s’empressaient de prendre les mesures de sûreté que semblait commander la première attitude de leurs ennemis, il se passait à Louisbourg, dans le sein même du boulevard des Français, un événement qui les tranquillisa d’abord un peu, et qui ensuite leur donna probablement l’idée de venir attaquer cette forteresse. Cet événement qui aurait été grave dans tout autre temps, et qui l’était doublement dans les circonstances actuelles, est l’insurrection de la garnison qui éclata dans les derniers jours d’octobre 1744.

Cette garnison, faute d’ouvriers, était chargée de l’achèvement des fortifications. Dans les derniers temps, il paraît qu’on négligeait de payer le surplus de solde que ces travaux valaient aux soldats. Ils se plaignirent d’abord ; ils murmurèrent ensuite, sans qu’on en fît aucun cas. Alors ils résolurent de se faire justice à eux-mêmes, et ils éclatèrent en révolte ouverte.

La compagnie Suisse donna le signal. Ils s’élirent des officiers, s’emparèrent des casernes, établirent des corps-de-gardes, posèrent des sentinelles aux magasins du roi et chez le commissaire-ordonnateur Bigot, auquel ils demandèrent la caisse militaire sans oser la prendre néanmoins, et ils firent des plaintes très vives contre leurs officiers qu’ils accusaient de leur retenir une partie de leur salaire, de leurs habillemens et de leur subsistance. Ce fonctionnaire les fit satisfaire de suite sur une partie de ces points, et tout l’hiver il employa la même tactique quand les insurgés devenaient trop menaçans. Depuis plus de six mois la garnison était ainsi en pleine rébellion lorsque l’ennemi se présenta devant la place.

Le bruit de ce qui se passait à Louisbourg s’était, comme on doit le supposer, répandu rapidement jusque dans la Nouvelle-Angleterre. Le gouverneur du Massachusetts, M. Shirley, crut que l’on ne devait pas perdre, une si belle occasion d’attaquer un poste qui portait tant de préjudice, causait des craintes sérieuses et d’où venaient de sortir encore les troupes qui avaient brûlé Canseau, et les corsaires qui faisaient tous les jours essuyer de grandes pertes à leur commerce. Il écrivit dans l’automne à Londres pour proposer au gouvernement d’attaquer Louisbourg dès le petit printemps et avant qu’il eût reçu des secours, ou du moins de seconder les colons qui se chargeraient eux-mêmes de l’entreprise. Il représenta au ministère que ce poste était, en temps guerre, un repaire de pirates qui désolaient les pêcheries et interrompaient le commerce ; que la Nouvelle-Ecosse serait toujours en danger tant que cette forteresse appartiendrait aux Français, et que si cette province tombait entre leurs mains l’on aurait six ou huit mille ennemis de plus à combattre ; que pour toutes ces raisons il était de la plus haute importance de prendre Louisbourg. Il ajouta qu’en prenant ce boulevard l’on porterait un coup mortel aux pêcheries françaises, que le Cap-Breton était, comme on le savait, la clef du Canada et protégeait la pêche de la morue qui employait par an plus de 500 petits vaisseaux de Bayonne, de St.-Jean-de-Luz, du Havre-de-Grace et d’autres villes ; que c’était une école de matelots, et que cette pêche jointe à celle pour la production des huiles, faisait travailler dix mille hommes et circuler dix-millions. Dans le mois de janvier 1745 sans attendre de réponse de Londres, M. Shirley informa les membres de la législature qu’il avait une communication à leur faire, mais qu’il exigeait auparavant le secret sous le sceau du serment. Après avoir pris cette précaution, il leur transmit par message la proposition d’attaquer Louisbourg. Elle étonna les membres de la législature, et l’entreprise parut si hasardeuse qu’elle fut d’abord rejetée. Mais Shirley ne se découragea pas. Ayant gagné quelques uns de ces membres, la mesure fut reprise et après de longues discussions passa à la majorité d’une voix. Immédiatement Shirley écrivit à toutes les colonies du Nord pour leur demander de l’aide en hommes et en argent, et pour les engager à mettre un embargo sur leurs ports afin que rien ne pût transpirer du projet. Une partie seulement de ces colonies répondit à son appel. Mais en peu de temps on eut levé et équipé plus de 4,000 hommes, qui s’embarquèrent sous les ordres d’un négociant nommé Pepperrell, et firent voile pour le Cap-Breton où ils furent arrêtés trois semaines par les glaces qui entouraient l’île. Le commodore Warren envoyé d’Angleterre avec quatre vaisseaux de guerre pour bloquer Louisbourg du côté de la mer, les rallia à Canseau et contribua puissamment au succès de l’entreprise.

L’armée débarqua au Chapeau-Rouge, et marcha de suite sur la place à laquelle elle annonça son arrivée devant les murailles par de grands cris. Profitant de la première surprise, le colonel Vaughan alla incendier dans la nuit même, de l’autre côté de la baie, les magasins du roi remplis de boissons et d’objets de marine. L’officier qui commandait la batterie royale près de là, soupçonnant quelque trahison, l’abandonna et se retira sur le champ dans la ville, premier effet de la méfiance qu’avait dû faire naître dans les officiers l’état de révolte de leurs troupes. La garnison était alors composée d’environ 600 soldats et de 800 habitans qui s’étaient armés à la hâte.

À la première alarme le général Duchambon, commandant, fit rassembler les troupes et les harangua ; il en appela à leurs sentimens, et leur représenta que l’arrivée des ennemis leur offrait une occasion favorable de faire oublier le passé et de montrer qu’ils étaient encore bons Français. Ces paroles ranimèrent leur patriotisme, et ces gens qui n’étaient qu’outrés contre les injustices de leurs supérieurs, reconnurent leur faute et rentrèrent aussitôt dans le devoir, sacrifiant leur ressentiment au bien de la patrie. Malheureusement les officiers refusèrent toujours de croire à la sincérité de leurs dispositions, et cette méfiance avait déjà eu et eut encore les plus funestes résultats comme on va le voir tout à l’heure.

Quoique l’ennemi eût débarqué et se fût approché de la ville sans opposition, à la faveur de la surprise, son succès n’aurait été rien moins qu’assuré si le général français eût fondu sur lui pendant qu’il formait son camp et qu’il commençait à ouvrir ses tranchées. En effet de simples milices, rassemblées avec précipitation, commandées par des marchands n’ayant aucun principe militaire, auraient été déconcertées par des attaques régulières et vigoureuses ; elles n’auraient pu résister à la bayonnette ; un premier échec les aurait découragées. Mais on s’obstina à croire que la garnison ne demandait à faire des sorties que pour déserter ; et ses propres chefs la tinrent comme prisonnière jusqu’à ce qu’une si mauvaise défense eût réduit la ville à capituler le 16 juin, après avoir perdu 200 hommes. L’île entière suivit le sort de Louisbourg son unique boulevard, et la garnison et les habitans au nombre de 2,000 furent transportés à Brest où l’on fut étonné un jour de voir débarquer tout-à-coup une colonie entière de Français que des vaisseaux anglais laissèrent sur le rivage. Warren qui fermait l’entrée du port avec sa flotte venait de prendre un vaisseau de 64 canons portant 560 hommes qui étaient envoyés pour relever la garnison. Si ce renfort eût pu y pénétrer, Louisbourg était sauvé. Les Américains qui savent allier le flegme avec la ruse, laissèrent flotter encore plusieurs jours le drapeau blanc sur les remparts ; et par ce moyen plusieurs vaisseaux français richement chargés, trompés par ce signe, vinrent se jeter au milieu des ennemis.

Le succès de l’expédition de Louisbourg, qui n’avait coûté presqu’aucune perte, surprit en Amérique et en Europe, et en effet il devait surprendre. Pour ceux qui ignoraient ce qui s’était passé dans la garnison française, comment croire que le plan de réduire une forteresse régulière « formé par un avocat, exécuté par un marchand à la tête d’un corps d’artisans et de laboureurs », eût pu réussir ; et pourtant c’est ce qui venait d’avoir lieu. L’orgueil européen en fut blessé, et « quoique cette conquête mît la Grande-Bretagne en état d’acheter la paix, elle excita sa jalousie contre les colonies qui l’avaient faite »[2]. Nous verrons dans la prochaine guerre que les exploits des Canadiens excitèrent de même l’envie des Français et jusqu’à celle du général Montcalm, et que cette faiblesse contribua chez ce commandant à le dégoûter d’une lutte au succès de laquelle il fit la faute grave de ne pas croire dès le commencement, et celle encore plus grande de répandre cette idée parmi les troupes.

Tandis que les vainqueurs se félicitaient, et attribuaient eux-mêmes dans leur étonnement le succès qu’ils venaient de remporter au secours d’une providence dont la main avait paru manifestement dans tout le cours de l’entreprise, la nouvelle de la prise de Louisbourg parvint en France et tempéra la joie qu’y causaient la célèbre victoire de Fontenoy et la conquête de l’Italie autrichienne. À Londres la perte de cette bataille et le débarquement du prétendant, le prince Edouard, en Écosse ne permirent guère non plus d’exalter la conquête américaine. En Canada la sensation fut profonde, car l’on croyait que l’attaque de Louisbourg n’était que le prélude à celle de Québec. M. de Beauharnais ne resta pas en conséquence oisif. Il présida à Montréal une assemblée de six cents Indiens de diverses nations, parmi lesquels il y avait des Iroquois, et qui montrèrent tous les meilleures dispositions pour la France. Il fit descendre à Québec une partie des milices et des Sauvages, et activa l’achèvement des fortifications de la ville auxquelles on travaillait déjà depuis si longtemps. L’enceinte fut refaite en maçonnerie.

En même temps ce gouverneur écrivait en France pour presser le ministère de reprendre Louisbourg et l’Acadie, leur assurant que 2,500 hommes suffiraient pour faire la conquête de cette dernière province. Il fallait à tout prix se remparer de ces deux possessions ; c’était le passage du golfe qui était interrompu, « les Anglais, observait-il dans une dépêche, tiennent toujours la même conduite, ils veulent occuper tous les passages et ils les occupent en effet ». Pour la défense du Canada, écrivait encore M. de Beauharnais, envoyez-moi des munitions et des armes, je compte sur la valeur des Canadiens et des Sauvages. En effet la prise de Louisbourg par les milices de la Nouvelle-Angleterre avait piqué l’amour-propre des premiers qui brûlaient de se mesurer avec les Américains.

Mais là où la conquête anglaise fit l’impression la plus pénible, ce fut dans la Nouvelle-Ecosse même, parmi les populations acadiennes abandonnées des Français et regardées avec défiance par les Anglais. Le pressentiment du malheur qui devait leur arriver plus tard les inquiétait déjà. Ils venaient de voir la population du Cap-Breton déportée toute entière en France. Ils craignaient une plus grande infortune, celle d’être enlevés et dispersés en différens exils. Ils firent demander au gouverneur à Québec si on n’aurait pas de terres à leur donner en Canada ; et celui-ci fut réduit à éluder cette question d’un peuple qui méritait à un si haut degré la bienveillance de la France.

Les vives instances de M. de Beauharnais ne restèrent pas cependant sans effet. Le gouvernement résolut de mettre sans retard ses recommandations à exécution ; et M. de Maurepas dirigea les préparatifs d’un armement comme la France n’en avait pas encore mis sur pied pour l’Amérique. Le secret de sa destination fut caché avec le plus grand soin. Le duc d’Anville, homme de mer dans le courage et l’habileté duquel on avait la plus grande confiance, fut choisi pour le commander. Il était de la maison de la Rochefoucault, et il savait allier à la bravoure cette politesse et cette douceur de mœurs que les Français seuls conservent dans la rudesse attachée au service maritime (Voltaire). Bigot, dont le nom devait être associé à tous les malheurs des Français dans ce continent, fut nommé intendant de la flotte, par son protecteur le ministre de la marine. Jamais entreprise n’avait été combinée avec tant de sagesse et de prudence ; tous les événemens possibles semblaient avoir été prévus. La flotte consistait en 11 vaisseaux de ligne et 30 autres plus petits bâtimens et transports, portant 3,000 hommes de débarquement sous les ordres de M. de Pommeril, maréchal de camp, et qui devaient être renforcés par 600 Canadiens et autant de Sauvages. Les Canadiens s’embarquèrent à Québec dans les premiers jours de juin.[3]

Il n’y avait rien en Amérique de capable de résister à cette force. Le duc d’Anville avait ordre de reprendre et demanteler Louisbourg, d’enlever Annapolis et d’y laisser garnison ; de détruire Boston, de ravager les côtes de la Nouvelle-Angleterre, et enfin d’aller inquiéter les colonies à sucre britanniques dans le golfe mexicain. Le succès n’aurait pas été douteux sans une fatalité qui s’attachait à toutes les entreprises françaises, même à celles qui semblaient les mieux combinées pour amener un résultat définitif. Lorsqu’elles étaient au-dessus des efforts des hommes, elles venaient périr sous les coups des élémens. Le tableau de la fin de cette expédition présente les traits les plus sombres et les plus tragiques de l’histoire. Chibouctou (Halifax) en Acadie est le lieu où la flotte avait rendez-vous. La traversée calculée à six semaines fut de plus de cent jours. Mais enfin on était à la vue du port et chacun commençait à se livrer à ses espérances et à oublier les fatigues d’une longue traversée, lorsqu’une tempête furieuse surprend les vaisseaux et les disperse ; une partie est obligée de relâcher dans les Antilles, une autre en France ; quelques transports périssent sur l’île de Sable et le reste, battu par les vents durant dix jours, ne peut pénétrer qu’avec peine au port qu’il avait été si près de toucher avant la tempête, et où il entre maintenant avec une épidémie qui vient d’éclater avec une violence extrême à bord, causée par le long séjour de compactes agrégations d’hommes dans les entreponts. L’on se hâta de débarquer les malades et d’établir des hôpitaux à terre. Les vivres avaient été entièrement consommées, et il fallut en envoyer chercher à de grandes distances. M. de Conflans qui avait été détaché de la flotte avec trois vaisseaux de ligne et une frégate pour convoyer des bâtimens marchands qui s’en allaient aux Îles, et qui avait ordre de rallier M. d’Anville à la hauteur des côtes de l’Acadie, ne s’y trouva point. Cet officier du reste peu habile avait suivi ses instructions ; mais après avoir croisé quelque temps dans les eaux de la péninsule, ne voyant point arriver le duc d’Anville, il avait pris le parti de retourner en France. De sorte que déjà avant d’avoir vu l’ennemi, l’expédition avait perdu une grande partie de ses forces. Mais la maladie était encore plus funeste pour elle que les élémens. La mort emportait les soldats et les matelots par centaines, par milliers. Peut-on rien imaginer de plus lugubre que cette flotte enchaînée à la plage par la peste que ces soldats et ces équipages encombrant d’immenses baraques érigées à la hâte sur des côtes incultes, inhabitées et silencieuses comme des tombeaux, en face de l’immense océan qui gémissait à leurs pieds et qui les séparait de leur patrie vers laquelle ils tournaient en vain leurs regards expirans. Un sombre désespoir s’était emparé de tout le monde. La contagion se communiqua aux fidèles Abénaquis qui étaient venus pour joindre leurs armes à celles des Français, et en fit périr le tiers. Ce fléau remplit d’effroi les ennemis eux-mêmes, qui se tinrent au loin dans un moment où ils auraient pu anéantir sans effort l’expédition française. L’amiral Townshend regardait avec terreur du Cap-Breton où il était avec son escadre, les ravages qui désolaient ses malheureux adversaires.

Cependant les lettres interceptées annonçant l’arrivée d’une flotte anglaise, avait nécessité la tenue d’un conseil de guerre, où les opinions furent partagées sur ce qu’il y avait à faire. Le duc d’Anville dont le caractère altier se révoltait sous le poids d’aussi grands malheurs, mourut presque subitement. M. d’Estournelle qui le remplaça dans le commandement, convoqua un nouveau conseil et proposa d’abandonner l’entreprise et de retourner en France. Cette proposition fut repoussée surtout par M. de la Jonquière, troisième en grade sur la flotte. Le nouveau commandant tomba alors dans une agitation extrême, la fièvre s’empara de lui, et dans son délire il se perça de son épée. Ces scènes tragiques ne rappellent-elles pas les désastres de la retraite des Grecs après la prise de Troie.

L’on était rendu au 22 octobre et il y avait 42 jours que l’on était à Chibouctou, pendant lesquels il était mort 1,100 hommes et 2,400 depuis le départ de l’escadre de France. Sur 200 malades qui furent mis alors sur un navire un seul survécut et débarqua en France malgré les plus grands soins dont ils furent tous entourés ! Cependant rien ne pouvait abattre la détermination des officiers français ; malgré tous ces désastres, et quoiqu’il ne restât plus que quatre vaisseaux de guerre, on résolut encore d’aller assiéger Port-Royal ou Annapolis. On remit à la voile ; mais une nouvelle tempête éclata sur ce débris de la flotte devant le Cap de Sable, et l’obligea de faire route pour la France. M. de Maurepas, en apprenant tant d’infortunes, fit cette simple et noble réponse : « Quand les élémens commandent, ils peuvent bien diminuer la gloire des chefs ; mais ils ne diminuent ni leurs travaux ni leur mérite. »

Nous avons dit que 600 Canadiens et autant de Sauvages devaient se joindre aux troupes que portait la flotte du duc d’Anville ; et que les premiers étaient partis de Québec sur 7 bâtimens pour l’Acadie. Ce renfort, commandé par M. de Ramsay, débarqua à Beaubassin dans la baie de Fondy, et fut très bien accueilli par les habitans qu’il avait mission d’empêcher de communiquer avec Port-Royal. Toute la population acadienne flottait entre l’espérance et la crainte. Elle disait que si les projets des Français ne réussissaient pas, elle serait perdue, parce qu’elle avait refusé de prendre les armes pour ses maîtres. Aussi reçut-elle la nouvelle de l’arrivée du duc d’Anville avec de grandes démonstrations de joie, car elle se croyait sauvée, joie funeste qu’elle devait pleurer en larmes de sang dans un cruel exil et dans une dispersion plus cruelle encore ! M. de Ramsay, après avoir attendu longtemps en vain l’expédition française aux Mines, se disposait à revenir en Canada, sur les ordres de M. de Beauharnais, pour s’opposer aux projets que les grands préparatifs des ennemis annonçaient contre cette province, et il s’était déjà mis en route lorsqu’il fut rattrapé par un envoyé du duc d’Anville, qui le fit revenir sur ses pas avec 400 Canadiens ; et bientôt après il s’approcha avec ce petit corps de Port-Royal qu’il bloqua par terre quoique la garnison y fût de 6 à 700 hommes, en attendant la flotte qui portait les troupes auxquelles il devait se joindre pour faire la conquête de l’Acadie. Nous avons vu pourquoi elle ne vint pas.

Cependant le détachement de M. de Ramsay en Acadie et l’arrivée du duc d’Anville à Chibouctou, éloignèrent la guerre des frontières du Canada, qui avait été sérieusement menacé. La prise de Louis-bourg avait rempli les habitans de la Nouvelle-Angleterre d’une humeur toute martiale ; ils ne tarissaient pas sur leur conquête comme des soldats encore peu accoutumés à la victoire. Tandis que les esprits étaient pleins d’enthousiasme, M. Shirley proposa d’exécuter le vaste projet qu’il avait conçu déjà depuis longtemps, et qui n’était rien moins que de chasser les Français de toute l’Amérique continentale. Ce projet n’était pas aussi difficile qu’il le paraissait au premier abord, vu la supériorité du nombre des Anglais sur mer et sur terre dans ce continent. Ce gouverneur après s’être consulté avec le chevalier Peter Warren et le général Pepperrell qui venait de recevoir les honneurs de la chevalerie pour son exploit à Louisbourg, en écrivit au ministère. Malgré les graves préoccupations de celui-ci causées par la présence du Prétendant au milieu de la Grande-Bretagne, le duc de New-Castle, secrétaire d’état, adressa une circulaire à tous les gouverneurs des colonies américaines pour leur enjoindre de lever autant d’hommes qu’il serait possible et de les tenir prêts à marcher au premier ordre. Le plan du cabinet de St.-James, c’était toujours l’ancien projet d’attaquer le Canada par terre et par mer simultanément. Le vice-amiral Warren devait faire voile d’Europe avec un corps de troupes commandé par le général St.-Clair, prendre en passant à Louisbourg les milices de la Nouvelle-Angleterre et aller mettre le siège devant Québec. Les levées de la Nouvelle-York et des autres colonies devaient se rassembler à Albany et marcher sur le fort St.-Frédéric et Montréal. Les colonies devaient fournir 5,000 hommes, et elles en votèrent plus de 8,000 tant leur ardeur était grande ; mais ni flotte ni armée ne vinrent d’Angleterre, et l’on se vit forcé d’ajourner une entreprise qui était devenue depuis longtemps une pensée fixe chez nos voisins. Cependant pour ne pas perdre entièrement le fruit des dépenses qu’ils avaient faites, ils voulurent enlever le fort St.-Frédéric, sur le lac Champlain, et M. Clinton, gouverneur de la Nouvelle-York, avait réussir à engager les cinq cantons à prendre les armes, lorsque l’on apprît que M. de Ramsay était à Beaubassin, et que les Acadiens, travaillés par ses intrigues, menaçaient de se soulever. Aussitôt l’expédition de St.-Frédéric fut abandonnée, et les troupes furent dirigées vers l’Acadie pour couvrir Annapolis, dont la reddition aurait entraîné la perte de la province.

Mais à peine ces troupes étaient-elles en route qu’une nouvelle d’une nature infiniment plus grave se répandit comme un éclair dans toutes les possessions anglaises et y sema l’alarme et la consternation. C’était celle de l’apparition de la flotte du duc d’Anville sur les côtes de l’Acadie ; elle fut connue à Boston le 20 septembre. Le peuple, qui dans son triomphe croyait déjà tenir tout le Canada, passa subitement de l’exaltation à l’épouvante ; car l’armement des Français paraissait trop formidable pour avoir seulement Louisbourg et l’Acadie pour objet, et l’on devina facilement contre qui allaient être dirigés ses coups, et que les assaillans allaient devenir les assaillis. En peu de jours 6,400 hommes de milices accoururent de l’intérieur du pays au secours de Boston, et 6,000 autres devaient se tenir prêts dans le Connecticut à y marcher au premier ordre. Le gouverneur fut investi de pouvoirs illimités pour fortifier le havre de cette ville et renforcer les ouvrages de la citadelle, dont l’on fit une des plus fortes que les Anglais possédassent sur le bord de la mer en Amérique. La plus grande activité régnait partout pour repousser l’invasion ; mais, comme l’on a vu, il n’était pas besoin de tant de préparatifs ni de tant d’efforts. « Les exemples d’une protection aussi remarquable sont rares, s’écrie un puritain dans sa reconnaissance. Si l’ennemi eût réussi dans son projet, il est impossible de dire jusqu’à quel point les colonies américaines eussent été dévastées, à quel état de misère elles eussent été réduites.

Lorsque l’homme est l’instrument dont le ciel se sert pour détourner une calamité publique, on doit encore y voir la main du Dieu ; mais ici ce n’est pas au pouvoir humain qu’on doit d’y avoir échappé. Si les philosophes attribuent cet événement extraordinaire à un hasard aveugle, à une nécessité fatale, les chrétiens l’attribueront certainement à la volonté d’un Dieu tout puissant. »

Pendant ce temps-là M. de Ramsay, qui était toujours à Annapolis, où il avait fait une centaine de prisonniers, reprit, à la nouvelle de la seconde dispersion de la flotte française, le chemin de Beaubassin afin d’y établir ses quartiers d’hiver, la saison étant trop avancée pour retourner en Canada la même année. M. Shirley, inquiet de le voir si proche de la capitale acadienne, y envoya un nouveau corps de troupes du Massachusetts, pour renforcer la garnison qui avait déjà été augmentée de trois compagnies de volontaires. Le gouverneur d’Annapolis, M. Mascarène, demandait 1000 hommes pour déloger les Français ; mais une partie seulement, environ 500, sous les ordres du colonel Noble, avait pu lui être fournie et avait été prendre position au Grand-Pré dans les Mines, à quelque distance de Beaubassin où était M. de Ramsay. Les deux corps se trouvaient en présence l’un de l’autre, mais séparés par la baie de Fondy. Au milieu de l’hiver les officiers canadiens proposèrent à leur commandant, qui ne put les refuser, d’aller surprendre le colonel Noble dans ses quartiers. À cet effet il mit 300 Canadiens et Sauvages sous les ordres de M. Coulon. Pour atteindre l’ennemi il fallait faire le tour du fond de la baie, ce qui portait la distance à parcourir au milieu des neiges et des bois à près de soixante lieues. Le détachement se mit en marche en raquettes, et arriva exténué de fatigue devant les cantonnemens anglais dans le mois de février 1747. Le 11 au matin, après avoir pris un moment de repos, il tomba avec une extrême vigueur sur l’ennemi, qui, surpris d’abord, fit ensuite la plus grande résistance. Le feu se prolongea jusqu’à 3 heures de l’après midi avec vivacité. Le colonel Noble fut tué et plus du tiers de ses hommes mis hors de combat, le reste, ne pouvant fuir à cause de la profondeur de la neige, s’était réfugié au nombre de 300 dans une grande maison fortifiée où il obtint, par sa belle défense, une capitulation honorable. Cet exploit fit un grand bruit à Boston, et on le regarda en Angleterre comme un des plus hardis que l’on pût entreprendre, et dont le résultat était de nature à abattre un peu l’orgueil des vainqueurs de Louisbourg.[4]

Les Canadiens cependant, manquant de vivres, ne purent pousser plus loin leur avantage, et ils furent même obligés de rentrer dans leur pays dès que la saison le permit, comme ils avaient projeté de le faire l’automne précédent.

L’échec du Grand-Pré n’était pas le seul qu’éprouvaient nos voisins depuis le commencement des hostilités. Leurs frontières étaient continuellement dévastées par les bandes qui s’y succédaient l’une à l’autre avec une prodigieuse activité depuis l’automne de 1745, et quelquefois il y en avait plusieurs en même temps sur pied. Mais au loin l’éclat de la conquête du Cap-Breton avait jeté dans l’ombre toutes ces petites expéditions, qui à la longue devaient harasser cependant beaucoup l’ennemi. On en comptait jusqu’à 27 depuis le commencement de la guerre, c’est-à-dire depuis trois ans. Le fort Massachusetts situé à cinq lieues au-dessus de celui de St.-Frédéric, avait été enlevé par capitulation par M. Rigaud de Vaudreuil à la tête de 700 Canadiens et Sauvages, qui avaient ensuite ravagé 15 lieues de pays et répandu la terreur dans la Nouvelle-Angleterre. M. de la Corne de St.-Luc avait attaqué le fort Clinton et complètement défait un détachement ennemi qu’il avait précipité à coups de hache dans une rivière. Saratoga avait été pris et la population massacrée. Le fort Bridgeman, attaqué par M. de Léry, était aussi tombé en son pouvoir. Les frontières de Boston à Albany n’étaient plus tenables, les forts avancés furent évacués et la population alla chercher une retraite dans l’intérieur des villes[5] ; n’osant elle-même faire ce genre de guerre, elle ne put réussir qu’à engager quelques Agniers à faire des irruptions insignifiantes dans le gouvernement de Montréal. Tel était l’état des choses en Amérique.

À Paris le ministère français ne fut pas découragé par les désastres de la flotte du duc d’Anville ; et malgré l’immense infériorité numérique de la marine française comparée à la marine de la Grande-Bretagne, il résolut non seulement de reprendre l’expédition que les élémens et le fléau d’une contagion avaient interrompu d’une manière si funeste l’année précédente, mais encore d’envoyer un armement dans les Indes pour soutenir les succès que M. de la Bourdonnaie venait d’y remporter, en battant l’amiral Peyton et en enlevant Madras sur la côte du Coromandel. En conséquence deux escadres furent équipées à Brest et à Rochefort ; celle du Canada, la plus considérable des deux, fut mise sous les ordres de l’amiral de la Jonquière, qui s’était opposé l’année précédente au retour des débris de la flotte du duc d’Anville avant d’avoir pris Port-Royal, et sur qui était retombé le commandement après la mort de M. d’Estournelle ; celle des Indes eut pour commandant M. de St.-George. Les deux escadres réunies formaient six vaisseaux de haut bord, six frégates et quatre navires armés en flûte par la compagnie des Indes ; elles convoyaient une trentaine de bâtimens chargés de troupes, de provisions et de marchandises ; elles devaient aller quelque temps de conserve.

L’Angleterre n’avait pas eu plus tôt connaissance du dessein des Français, qu’elle avait résolu de le faire échouer ; et à cet effet elle avait chargé les amiraux Anson et Warren avec dix-sept vaisseaux d’intercepter les deux escadres françaises et de les détruire s’il était possible. Ils partirent de Portsmouth et les rencontrèrent le 3 mai à la hauteur du Cap-Finistère en Espagne. Aussitôt M. de la Jonquière ordonna aux vaisseaux de ligne de ralentir leur marche et de se ranger en bataille, et aux convois de forcer de voile vers leur destination sous la protection des frégates. Ainsi les Français osèrent opposer leurs six vaisseaux aux dix-sept des Anglais ; ils ne pouvaient guère espérer de vaincre, ils voulaient seulement gagner du temps en arrêtant l’ennemi.

Le combat s’engagea et continua avec un acharnement égal. Anson et Warren manœuvraient pour envelopper leur ennemi, et la Jonquière pour les déjouer ; mais à la fin il ne put empêcher ses vaisseaux d’être cernés ; et, accablés sous le nombre, ils furent obligés l’un après l’autre d’amener leur pavillon. La perte des Français fut de 700 hommes. Ce fut une affaire où les vaincus s’illustrèrent autant que les vainqueurs. Anson envoya immédiatement à la poursuite des convois une partie de ses forces qui enlevèrent neuf voiles. L’on conduisit à Londres 22 charriots chargés de l’or, de l’argent et des effets pris sur la flotte, dont la défaite priva la Nouvelle-France d’un puissant secours. Le marquis de la Jonquière avait montré beaucoup de talent dans le combat. Le capitaine du vaisseau anglais le Windsor s’exprimait ainsi dans sa lettre sur cette bataille : Je n’ai jamais vu une meilleure conduite que celle du commandant français, et pour dire la vérité, tous les officiers de cette nation ont montré un grand courage ; aucun d’eux ne s’est rendu que quand il leur a été absolument impossible de manœuvrer. En effet, jamais à aucune époque la marine française n’eut des officiers plus braves ; ils faisaient partout des prodiges de valeur qui étaient souvent couronnés de succès ; et lorsqu’ils succombaient c’était sous le nombre.

Aussi un historien anglais fait-il la remarque que dans cette guerre l’Angleterre dut plus ses victoires maritimes au nombre de ses vaisseaux qu’à son courage.

Il semblait, dit Voltaire, que les Anglais dussent faire de plus grandes entreprises maritimes. Ils avaient alors six vaisseaux de 100 pièces de canons, treize de 90, quinze de 80, vingt-six de 70, trente-trois de 60. Il y en avait trente-sept de 50 à 54 ; et au-dessous de cette forme, depuis les frégates de 40 canons jusqu’aux moindres, on en comptait jusqu’à 115. Ils avaient encore quatorze galiotes à bombes, et six brûlots. C’était en tout deux cent soixante-et-trois vaisseaux de guerre, indépendamment des corsaires et des vaisseaux de transport. Cette marine avait le fond de quarante mille matelots. Jamais aucune nation n’avait eu de pareilles forces. Tous ces vaisseaux ne pouvaient être armés à la fois, il s’en fallait beaucoup. Le nombre des soldats était trop disproportionné ; mais enfin en 1746 et 1747, les Anglais avaient à la fois une flotte dans les mers d’Ecosse et d’Irlande, une à Spithead, une aux Indes orientales, une vers la Jamaïque, une à Antigua, et ils en armaient de nouvelles selon le besoin.

Il fallut que la France résistât pendant toute la guerre, n’ayant en tout qu’environ trente-cinq vaisseaux de roi à opposer à cette puissance formidable. Il devenait plus difficile de jour en jour de soutenir les colonies. Si on ne leur envoyait pas de gros convois, elles demeuraient sans secours à la merci des flottes anglaises. Si les convois partaient ou de France ou des Îles, ils couraient risque étant escortés d’être pris avec leurs escortes.

Après la bataille sous le Cap-Finistère, il ne restait plus aux Français sur l’Atlantique que sept vaisseaux de guerre. Ils furent donnés à M. de l’Estanduère pour escorter les flottes marchandes aux Îsles de l’Amérique, et furent rencontrés près de Belle-Îsle par l’amiral Hawke qui avait 14 vaisseaux. Le combat, comme au Cap-Finistère, fut long et sanglant, mais les guerriers français étaient réduits par un gouvernement caduc et imprévoyant à ne plus combattre que pour l’honneur. Deux vaisseaux seulement sortirent de cette nouvelle lutte et rentrèrent à Brest comme des monceaux flottans de ruines, le Tonnant et l’Intrépide ; mais un convoi de 250 voiles avait été sauvé. Le premier était monté par l’amiral lui-même ; le second, par un Canadien le comte de Vaudreuil. Ce combat est célèbre dans les annales de la marine française pour la résistance qu’offrit le Tonnant, attaqué quelque temps par la ligne entière des Anglais : fatigués de leurs efforts, ceux-ci le considérant comme une proie qui ne pouvait les fuir, le laissent respirer un moment ; mais trompés dans leur attente, ils recommencent un combat aussi inutile que le premier. Il parvient à leur échapper remorqué par l’Intrépide qui avait soutenu une pareille lutte, qui était venu partager ses dangers, et qui eut également part à sa gloire (Anquetil). L’amiral anglais fut accusé devant une cour martiale pour n’en avoir pas fait la conquête. Dans ces temps-là, la Grande-Bretagne, piquée de l’audace de ses ennemis, faisait passer ses amiraux par les armes s’ils montraient la moindre faiblesse.

La France ne resta plus alors qu’avec deux vaisseaux de guerre. « L’on reconnut dans toute son étendue la faute du cardinal de Fleuri d’avoir négligé la marine, indispensable pour les peuples qui veulent avoir des colonies. Cette faute était difficile à réparer. Elle était, comme l’événement l’a prouvé, irréparable pour la France. La marine est un art et un grand art, qui demande une longue expérience ». L’Angleterre le savait et elle ne donna pas le temps à son ancienne rivale de rétablir la sienne, elle attaqua le reste de ses possessions continentales de l’Amérique et s’en empara. La perte du Canada est imputable à cette erreur, qui priva la mère-patrie des moyens de secourir cette colonie quand elle eut besoin de son aide.

Le marquis de la Jonquière devait relever M. de Beauharnais dans le gouvernement de la Nouvelle-France ; sa commission était datée de 1746, et il avait ordre après la campagne du duc d’Anville, de se rendre à Québec. Fait prisonnier à la bataille du Cap-Finistère, il eut pour remplaçant, durant sa captivité, le comte de la Galissonnière ; et en 1748 le roi donna pour successeur à M. Hocquart, intendant, M. Bigot, l’ancien commissaire-ordonnateur de Louisbourg, étendant en même temps sa juridiction sur toute la Nouvelle-France et sur toute la Louisiane.

Cependant si la France était malheureuse sur mer, elle obtenait de grands triomphes sur le continent de l’Europe. Les victoires du maréchal de Saxe, qui venait encore de gagner la fameuse bataille de Laufeld sur le duc de Cumberland (1747), avaient enfin déterminé les alliés à faire la paix, désirée vivement par tous les peuples las de cette sanglante lutte. Dès le milieu de l’été (1747) le duc de New-Castle avait envoyé aux colonies anglaises les ordres du roi de licencier toutes leurs troupes, levées d’abord pour envahir le Canada, retenues ensuite pour s’opposer à l’invasion du duc d’Anville, et enfin renvoyées dans leurs cantons respectifs par la cessation des hostilités. En Canada néanmoins on ne croyait pas devoir sitôt poser les armes ; et l’annonce de l’envoi d’un armement considérable sous le commandement de M. de la Jonquière, faisait croire que l’issue de la guerre était encore éloignée. L’on s’attendait même que l’ennemi allait renouveler cette année son projet d’invasion, et les habitans des côtes avaient reçu ordre, par précaution, de se retirer à son approche, et ceux de l’île d’Orléans d’évacuer cette île. En même temps, sur le bruit qui s’était répandu que le fort St.-Frédéric allait être attaqué, on avait levé plusieurs centaines d’hommes pour le secourir. Du reste les partis qui allaient en guerre se succédaient de manière à ce qu’il y en eût toujours sur les terres des ennemis. Mais sur la fin de l’été les nouvelles apportées d’Europe par le comte de la Galissonnière, qui arriva en septembre pour prendre les rênes de l’administration, et le désarmement des colonies américaines ne laissèrent guère de doute que la paix était prochaine. Elle fut en effet signée à Aix-la-Chapelle en 1748. Le marquis de St.-Sévérin, l’un des plénipotentiaires français, avait déclaré qu’il venait accomplir les paroles de son maître, « qui voulait faire la paix non en marchand mais en roi », paroles qui, dans la bouche de Louis XV, renfermaient moins de grandeur que d’imprévoyance et de légèreté. Il ne fit rien pour lui et fit tout pour ses alliés. Il laissa avec une indifférence regrettable la question des frontières entre les colonies des deux nations en Amérique sans solution, se contentant de stipuler qu’elle serait réglée par des commissaires. On avait fait une faute de ne pas préciser celles de l’Acadie en 1712 et 1713, on en fit une encore bien plus grande en 1748, en abandonnant cette question aux chances d’un litige dangereux, car les Anglais ne faisaient que gagner à cette temporisation. La destruction de la marine française dans la guerre qui venait de finir, augmentait leurs espérances, et leur désir de les voir se réaliser, c’est-à-dire de se voir bientôt maîtres de toute l’Amérique septentrionale. Aussi le traité d’Aix-la-Chapelle, l’un des plus déplorables, dit un auteur, que la diplomatie française ait jamais acceptés, n’inspira aucune confiance et ne procura qu’une paix armée. Le Cap-Breton fut rendu à la France en retour de Madras, pris aux Indes par M. de la Bourdonnaie, et des conquêtes des Français dans les pays bas. Ainsi tout se trouva placé en Amérique sur le même pied qu’avant la guerre, excepté que Louis XV n’avait plus de marine pour y protéger ses possessions.

En même temps que l’on recevait d’Europe la nouvelle de la suspension des hostilités entre les puissances belligérantes, laquelle s’étendait aux deux mondes, l’on apprenait aussi des grands lacs le rétablissement de la tranquillité qui avait été momentanément troublée par une conspiration des Miâmis.

Pendant longtemps les Sauvages accueillirent les Européens comme des amis et des protecteurs ; ils recherchaient leur alliance avec empressement pour obtenir le puissant secours de leurs bras contre leurs ennemis. Mais le prodigieux développement de ces étrangers leur inspira ensuite des soupçons et même de l’épouvante. Dès lors ils cherchèrent à s’isoler, à garder la neutralité, ou même à les détruire s’il était possible. Depuis quelques années il se disaient tout bas « la peau rouge ne doit pas se détruire entre elle, laissons faire la peau blanche l’une contre l’autre[6]. » Cependant il y en avait parmi eux de plus impatiens, de plus vifs les uns que les autres. Les Miâmis étaient de ce nombre ; ils formèrent en 1747 le complot de détruire tous les habitans du Détroit. L’on remarquait en même temps une agitation sourde dans toutes les nations des lacs, au point qu’il devint nécessaire de renforcer la garnison de Michilimackinac. Les Miâmis devaient courir aux armes une des fêtes de la Pentecôte. Heureusement une vieille femme fort attachée aux Français vint découvrir toute la trame au commandant du Détroit M. de Longueuil, qui prit immédiatement des mesures pour la faire avorter ; elles suffirent pour en imposer aux barbares. Il ne fut tué que quelques Français isolés. L’on prit le fort des Miâmis dont ils avaient eux-mêmes brûlé une partie avant de fuir, et le secours qui arriva peu après du bas St.-Laurent, acheva de les intimider. Ils n’osèrent plus remuer et la Nouvelle-France se trouva ainsi en paix sur toutes ses frontières.

  1. Documens de Paris.
  2. American Annals.
  3. Documens de Paris.
  4. Gazette de Londres. Documens de Paris. Chalmers Annals. Affaires du Canada.
  5. Documens de Paris.
  6. Documens de Paris.