Histoire du Canada (Garneau)/Tome II/Livre VII/Appendice B

Imprimerie N. Aubin (IIp. 562-566).

(B)

P. 372. Ordonnance de M. Dupuy, intendant, portant défense aux membres du conseil supérieur, aux juges, greffiers et autres officiers de la justice, de s’absenter du service du roi, et d’obtempérer aux lettres de cachet du gouverneur, sous peine d’interdiction.

Claude Thomas Dupuy, chevalier, conseiller du roy en ses conseils d’état et privé, maître des requêtes ordinaire de son hôtel, intendant de justice, police et finances en toute la Nouvelle-France, isles et terres adjacentes en dépendantes.

Le sieur Gaillard et le sieur d’Artigny, conseillers au conseil supérieur de Québec, nous ayant apporté aujourd’huy neuf heures du matin, chacun un papier qui leur a été adressé par Monsieur le Mis. de Beauharnois, étant gouverneur général de présent à Montréal, lequel papier ils ont reçu de la main du sieur Le Verrier, lieutenant de roy commandant à Québec en l’absence du gouverneur général, nous l’avons fait transcrire de mot à mot en notre présente ordonnance ainsi qu’il en suit :

DE PAR LE ROY.

Charles Mis. de Beauharnois, chevalier de l’ordre militaire de St.-Louis, gouverneur et lieutenant général pour le roy en toute la Nouvelle-France. Il est ordonné au sieur Gaillard, conseiller au conseil supérieur de Québec, d’en partir aussitost notre présent ordre reçu pour se rendre à Beaupré, où il demeurera jusqu’à nouvel ordre, sous peine de désobéissance ; et au sieur d’Artigny de se retirer à Beaumont. Fait à Montréal ce XIIJ may mil sept cent vingt-huit.

(Signé) Beauharnois,

Et plus bas par Monseigneur,

(Signé) Demonceaux,

Et à costé est le cachept des armes de mon dit sieur Beauharnois.

Ces deux écrits, partis d’une autorité tout à fait illégitime et impuissante au fait de ce qui y est ordonné, ne doivent être considérez par tout bon sujet du roy, que comme une nouvelle entreprise de monsieur le Mis. de Beauharnois contre le service et l’autorité de Sa Majesté, et une suite de l’ordre que mon dit sieur de Beauharnois apporta luy même au conseil le huit mars dernier, par lequel, affectant le ton de souverain, il prétendit interdire le conseil supérieur, casser ses arrests, et imposer silence au procureur général du roy ; prétentions aussi téméraires qu’elles ont paru nouvelles à toute la colonie. Mais comme le conseil en a porté ses plaintes au roy en conséquence et conformément à la déclaration qu’en fit le conseil supérieur à mon dit sieur de Beauharnois en personne, par son arrest du même jour, huit mars, prononcé en la présence de mon dit sieur de Beauharnois, le conseil suppliant Sa Majesté qu’il luy plaise, en vengeant l’insulte faite à son conseil supérieur, assurer sa propre autorité contre les efforts que l’on fait icy journellement pour soulever les peuples et les dégager de l’obéissance à la justice, cette nouvelle tentative ne sera regardée que comme une vengeance sur les officiers de ce conseil supérieur, et un déplaisir du peu de succès que le gouverneur général a eu de son ordonnance du huit, dont il a desjà donné assés d’autres marques de ressentiment, mais qu’on a osé porter contre le roy même, telle qu’est la publication qu’on a fait faire de la dite ordonnance à la teste des troupes, avec des cris de vive le Roy et Beauharnois, la rébellion de la garnison du trente mars, déchirant avec les épées les arrests du conseil supérieur et les ordonnances de Sa Majesté, le bris des prisons royalles et l’enlèvement des prisonniers du neuf avril suivant, et en dernier lieu l’azile ouvert le six de ce présent mois au château St.-Louis, logement du gouverneur, à tous les décrétés par justice et prisonniers échappés des prisons de Sa Majesté ; pendant que contre les ordonnances de la guerre on tient cruellement et ignominieusement en prison des officiers des troupes, en leur imputant pour toute faute d’avoir désapprouvé des procédés aussi odieux.

Et comme en répandant de toutes parts dans la colonie, jusques dans les mains des ouvriers, des copies de ses provisions, quoy qu’elles fussent suffisamment connues et registrées au conseil supérieur, pour exercer l’autorité et les pouvoirs que le roy luy a donnés ainsi que l’ont fait ses prédécesseurs, sans une pareille communication au peuple, laquelle n’est faite aujourd’huy que pour surprendre le peuple, et sans excéder de la part des précédens gouverneurs les bornes de leurs pouvoirs, monsieur le marquis de Beauharnois entend tirer les droits qu’il veut exercer sur les membres du conseil et autres officiers de la justice, de ce qu’il est dit dans ses provisions de gouverneur qu’il a le commandement sur tous les états de la colonie, dans l’énumération desquels états sont compris les conseillers du conseil supérieur et les ecclésiastiques ; et attendu que pour ce qui nous regarde, il a plû au roy, par les provisions dont il nous a honoré, d’ordonner pareillement aux officiers du conseil supérieur, à tous les justiciers, autres officiers et sujets du roy, de nous entendre et de nous obéir, il est d’autant plus indubitable que cela nous donne sur les conseillers du conseil supérieur et sur tous les autres sujets du roy, un pouvoir au moins absolument égal à celuy que pourrait prétendre mon dit sieur marquis de Beauharnois ; que par le règlement de 1684 : signé Louis et plus bas, Colbert, donné sur quelques prétentions du gouverneur général, il a été réglé et ordonné par le roy que les gouverneurs généraux n’avaient aucune direction sur les officiers de la justice, ainsi qu’il a été encore décidé depuis par nombre de règlemens et ordres du roy aussi formels que ce premier, et que par un arrest du conseil d’état du roy rendu en faveur de Mr. Talon, lors intendant en Canada, le roy veut et ordonne que tout ce que l’intendant ordonnera soit exécuté par provision nonobstant toute opposition, appellation et empêchement quelconque ; et que par nos provisions particulières conformes à cet arrest, le roy s’en est encore expliqué en ces termes : Nous vous donnons le pouvoir et faculté de juger souverainement seul en matière civile et de tout ordonner ainsi que vous verrez être juste et à propos pour notre service, validant vos jugemens, règlemens et ordonnances comme s’ils étaient émanés de nos cours supérieures, comme aussi de vous trouver aux conseils de guerre, ouïr les plaintes qui vous seront faites par nos peuples des dits pays, par les gens de guerre et tous autres sur tous excès, torts, et violences, leur rendre bonne et briève justice, informer de toutes entreprises pratiques et menées faites contre notre service, procéder contre les coupables de tous crimes de quelque qualité et condition qu’ils soient, leur faire et parfaire leur procès jusqu’à jugement définitif et exécution d’icelui inclusivement.

Et ce qui fait que la préférence et l’exécution provisionnelle deüe à ce que nous ordonnerons à l’occasion des sieurs Gaillard et d’Artigny et autres magistrats, juges et de justice, y est aujourd’hui plus nécessaire que jamais, c’est qu’il s’agist du service instant de sa majesté, et de l’exercice de la justice deüe à son peuple, qui ne peut être retardée ny suspendüe que par le roy même, et qui le seroit totalement, n’y ayant plus au conseil que les sieurs Gaillard et d’Artigny avec les sieurs Hazeur, Guillemin, le sieur de Lotbinière étant obligé de s’abstenir dans les affaires criminelles, et même pour le présent dans les affaires ecclésiastiques, où il s’agiroit de ses droits avec le chapitre, le sieur Lanouillier étant allé à Montréal pour les affaires du roy, les sieurs Macart et St.-Simon n’y venant plus que rarement à cause de leur grand âge, et les autres, qui ne sont pas icy desnommez, ayant volontairement ou par terreur abandonné leur compagnie pour suivre le party de monsieur le Mis. de Beauharnois, ce qui n’est nullement permis, les compagnies ne devant pas se diviser au préjudice du roy, à qui chacun doit son service en sa compagnie, jusqu’à ce qu’il ait remis ses provisions, ou qu’elles luy soient ôtées par le roy même, et ce qui réduisant le conseil à cinq personnes seulement nous compris, et à moins si aucune de ces cinq personnes cessoit de s’y trouver, ôteroit tout moyen de rendre la justice au peuple, et de veiller aux droits et à l’autorité du roy, qui est le point où l’on vouloit atteindre, et l’extrémité où depuis près de deux ans on a travaillé à réduire tout le corps de la justice dans la Nouvelle-France, et en particulier le conseil supérieur, au grand préjudice du roy et de son peuple, et d’autant plus encore qu’il est à propos d’avertir le peuple que les pouvoirs que Mr. le gouverneur général peut avoir par ses provisions sur les conseillers du conseil supérieur, sur les ecclésiastiques et sur les autres états de la colonie qui n’ont point de rapport à l’ordre militaire, ne sont que des pouvoirs relatifs à la commission quand il agist dans l’étendüe de son district, n’ayant pas plus celuy d’exiler un conseiller, de l’empêcher de rendre la justice, et un juge inférieur, d’exercer ses fonctions, qu’il en auroit d’envoyer un prêtre au séminaire, d’empêcher un prêtre de dire la messe et de confesser ; mais que comme il pourroit bien empêcher qu’on ne sonnât l’Angelus à midy, où que l’on sonnât la cloche des Recollets à minuit, s’il entendoit dire qu’au son de cette cloche il y eût quelque signal donné par l’ennemy, il pourroit bien encore commander à un conseiller ou à un juge quelque chose pour la deffense de la ville en cas d’attaque ou autre occasion pressante et de non exercice particulier, ou autres exemples de cette nature.

Veu les dits deux ordres de mon dit sieur le Mis. de Beauharnois, l’un envoyé au sieur Gaillard et l’autre au sieur d’Artigny, sans que nous sçachions s’il n’en a point encore été envoyé de pareil à quelqu’autre des conseillers du conseil supérieur, Nous, en vertu du pouvoir à nous donné, et en conséquence de la qualité dont le roy nous a honoré de premier président du conseil supérieur, seul en droit d’assembler et de convoquer le dit conseil, et ayant seul en cette qualité la police tant intérieure qu’extérieure de la compagnie, Ordonnons au sieur Gaillard et au sieur d’Artigny et à tous autres conseillers au conseil supérieur, de la part du roy et sous peine d’être réputé désobéissant aux ordres de Sa majesté, et au serment par eux prêté au roy en son conseil, de ne se point départir de son service pour quelque prétexte et par quelque ordre que ce soit, leur ordonnons de rester à Québec, et leur faisons deffense d’en désemparer jusqu’à ce qu’il ait plu à sa majesté ordonner de la satisfaction qu’il voudra bien accorder au conseil supérieur, tant de l’insulte qui luy a desjà été faite, que de celle qu’il vient encore de recevoir en la personne de ses conseillers ; Ordonnons pareillement à tous juges tant des justices royalles que des seigneurs, à tous greffiers du conseil supérieur et autres, à tous huissiers et autres officiers de la justice, de se conformer à la présente ordonnance, et leur enjoignons de l’observer sous peine de désobéissance au roy et d’interdiction de leurs charges et offices. Mandons, etc. Fait en notre hôtel à Québec le vingt neuf may mil sept cent vingt huit.

Dupuy.
Le Sceau          Par Monseigneur
Hiché,

Signifié de l’ordre de monseigneur l’Intendant, à monsieur Boisseau, greffier de la prévosté de cette ville ; et en parlant à sa personne par moy huissier au conseil supérieur, ce jourd’huy quatre juin mil sept cent vingt huit.

Chetinau de Rousel.