Histoire des relations du Japon avec l’Europe aux XVIe et XVIIe siècles/Partie 1/Chapitre I.

CHAPITRE I

PROPAGANDE DE FRANÇOIS XAVIER




Comme nous l’avons indiqué dans notre préface, le but de cet ouvrage est uniquement de faire connaître la politique extérieure du Japon au xvie et au xviie siècles. Mais il importe de nous arrêter d’abord un moment sur un personnage dont le rôle fut considérable dans notre pays, nous avons nommé François Xavier, qui le premier vint y prêcher le christianisme, l’une des principales causes de la question qui doit nous occuper.

François Xavier, de la Compagnie de Jésus, nommé par le pape nonce apostolique, reçut de lui des pouvoirs très amples pour étendre et maintenir la foi dans tous les pays d’Orient[1]. Jean III, roi de Portugal, le chargea également de visiter les forteresses portugaises qui se trouvaient aux Indes, « d’observer si Dieu y était bien servi, d’étudier quels moyens seraient les plus efficaces pour faire prédominer le christianisme dans les nouvelles conquêtes », et de le renseigner fréquemment sur cet objet en écrivant non seulement à ses ministres, mais directement à lui-même. Muni de ces instructions, François Xavier partit le 7 avril 1541 avec deux compagnons[2], sous la conduite de Dom Martin Alphonse de Sosa, vice-roi des Indes et arriva à Goa le 6 mai 1542.

Il se mit immédiatement à l’œuvre, mais voyant qu’il n’obtenait aux Indes aucun résultat sérieux, il décida bientôt de partir pour le Japon.

« Dans ces pays (Maluco, Malacca, Baçaim, Socotora), écrivit-il[3], les Portugais ne sont maîtres que sur la mer et sur les côtes ; ailleurs, ils ne possèdent que les localités où ils vivent. Quant aux indigènes païens, ils ont horreur du christianisme et le labeur du moment est de protéger contre eux ceux qui se sont faits chrétiens. Sans doute, beaucoup se convertiraient si les néophytes étaient bien traités par les Portugais ; mais les voyant méprisés, on ne veut pas se joindre à eux. Aussi ne voyant moi-même aucune nécessité à mon séjour dans l’Inde, et sûr de trouver, au Japon, des peuples avides de s’instruire, et libres jusqu’à ce jour de toute accointance avec les juifs et les mahométans, j’ai résolu de me rendre chez eux au plus tôt, et j’ai grande espérance que nos travaux y porteront des fruits sérieux et durables. Paul, un des trois Japonais venus avec moi, l’an passé, de Malacca, vous écrit une longue lettre. En huit mois, il a appris à lire, écrire et parler le portugais ; il fait maintenant, et non sans utilité, des exercices. Il dit des merveilles de son pays. »

Encouragé par Paul, Xavier quitta Goa en avril 1549 avec le Père Côme de Torrez et le Frère Jean Fernandez ainsi qu’avec trois Japonais chrétiens. Il arriva à Malacca le 31 mai. « Dès l’arrivée on nous donna, écrivit-il[4], force nouvelles du Japon, venues par lettres de marchands portugais qui s’y trouvaient. Ils me faisaient savoir qu’un grand seigneur de ces îles désirait être chrétien et que, par un ambassadeur envoyé au gouverneur de l’Inde, il lui demandait des Pères qui allassent enseigner notre loi »[5].

Le 24 juin, François Xavier s’embarquait avec ses deux compagnons, les trois Japonais et quelques chrétiens qui devaient lui servir de catéchistes.

Le 15 août suivant, ils abordaient à Kagoshima. Xavier se prépara aussitôt à la prédication de l’évangile ; il visita, au préalable, l’administrateur civil de cette ville, alla saluer le seigneur de Satsouma et parcourut, avec Paul de Saint-Foi qui lui servait d’interprète, tous les monastères de bonzes. Il se lia d’amitié avec le vieux Ningit, supérieur des bonzes et

composa pour la femme du seigneur de Satsouma un Exposé de la foi des chrétiens que Paul traduisit en japonais et, toujours avec ce dernier, travailla à la rédaction de la Platica[6]. Les loisirs qui pouvaient leur rester étaient employés par Xavier, Côme de Torrez et Jean Fernandez à l′étude de la langue japonaise.

Dès le premier entretien[7] qu’il eut avec Xavier, le seigneur de Satsouma lui recommanda de garder soigneusement les écrits et les livres qui contenaient la doctrine du christianisme, « car si votre loi est véritable, disait-il, les démons se déchaîneront contre elle, et vous devez tout craindre de leur rage ». Il accorda ensuite la permission que lui demandait le Père, de prêcher la foi chrétienne dans les terres de son obéissance et il fit même, quelques jours après, expédier des lettres patentes en vertu desquelles tous ses sujets pouvaient se faire chrétiens quand il leur plairait.

Xavier reçut donc tout d’abord un fort bon accueil de la part du seigneur du pays qui désirait entrer en relations avec les Portugais et attirer leurs vaisseaux dans le but de faire du commerce avec eux. Mais quand les bonzes se soulevèrent contre les premiers chrétiens et pressèrent le seigneur d’interdire la prédication de cette religion nouvelle, Xavier comprit qu’il n’y avait rien à faire pour le moment à Kagoshima et résolut de partir à Hirado où venait d’arriver un navire portugais. Ce fut ce navire qui emporta les lettres de Xavier du 5 novembre et qui, sa tournée commerciale achevée, arriva à Malacca le 2 avril 1550[8].

Ses œuvres à Kagoshima, Xavier les résume lui-même ainsi dans une lettre de 1551 : « Nous avons passé une année et plus[9] à Satsouma et nous y avons fait quelques chrétiens. S’il ne s’en fit pas davantage, ce fut à cause de la crainte qu’avait le seigneur du pays, parce que les bonzes, voyant l′accroissement que prenait notre sainte Foi, se tournèrent contre le seigneur et lui dirent que, s’il nous laissait ainsi marcher et consentait à ce qu’on se fit chrétien, les Camis et Fotoques, indignés contre lui, le puniraient gravement et lui feraient perdre sa seigneurie[10]. Enfin ils procédèrent de telle sorte auprès de lui qu’il porta un décret par lequel défense était faite, sous peine de mort, à qui que ce soit de devenir chrétien. Ne pouvant donc plus faire de fruit en ce pays, nous partîmes pour un autre. Ce ne fut pas sans beaucoup de larmes de nos chrétiens, à l′heure des adieux, car ils nous aiment grandement. Ils nous remerciaient beaucoup de la peine que nous avions prise à leur enseigner le chemin du salut. Avec eux resta pour les instruire Paul de Sainte-Foi, notre compagnon et notre compatriote. »

Ce qui est certain, c’est que Xavier et ses compagnons travaillèrent énergiquement tant qu’ils purent rester dans la ville de Kagoshima. « À Cangoxima, dît le Père Frois[11], où ils jetèrent les premières semences de la foi, ils eurent beaucoup à souffrir, faute surtout de pouvoir se faire entendre. Le Frère Juan Fernandez avait cependant appris quelque chose de la langue, sur le chemin de Malacca au Japon, en parlant avec les Japonais. La plus grande partie du jour, ils l’employaient à se mettre, comme ils pouvaient, en communication avec les habitants et la nuit ils donnaient beaucoup de temps à la prière et à l′étude de la langue. Le Père Maître François et le Frère Juan Fernandez, dès qu’ils surent quelque peu de la langue (algua cousinha), dépensèrent le jour, avec Paul, à répondre à des questions et à résoudre des difficultés. »

Au mois d’août 1550, un navire portugais qui ne venait pas directement de l’Inde[12] et qui n’y devait pas retourner de suite, aborda à Hirado, pour charger des marchandises. Ce fut ce vaisseau que Xavier et ses compagnons y trouvèrent au commencement d’octobre de la même année.

En apprenant que les navires portugais, qui prenaient terre ordinairement à Kagoshima, avaient continué leur route jusqu’à Hirado, le seigneur de Satsouma fut fort mécontent, ses États se trouvant privés de pouvoir trafiquer avec eux et son ennemi, le seigneur de Hirado devant par contre en tirer seul tout l’avantage. Aussi la bienveillance que, par intérêt, il avait tout d’abord témoignée à Xavier se refroidit-elle subitement et défendit-il à ses sujets, pour être agréable aux bonzes, d’embrasser la religion chrétienne sous peine de mort.

C’est sur ces entrefaites qu’au commencement de septembre 1550[13], Xavier quitta Kagoshima avec Côme de Torrez et Jean Fernandez.

En arrivant à Hirado, le seigneur lui donna plein pouvoir de prêcher le christianisme dans ses États. Dès les premiers jours, les succès dépassèrent son attente. « Le seigneur de Firando, écrivit-il[14], nous reçut avec beaucoup d’affection et de bonne grâce et, en peu de jours, il se fit là une centaine de chrétiens, grâce à ce que leur prêchait le Frère Jean Fernandez, qui savait déjà médiocrement parler et au livre qu’il leur lisait, traduit en langue japonaise. » Xavier, encouragé par le succès qu’il venait d’obtenir avec l’appui du seigneur de Hirado, pensa que s’il pouvait avoir la protection de l’empereur, il arriverait sans doute à convertir des masses entières[15]. Il laissa donc à Hirado le Père de Torrez et accompagné de Jean Fernandez et de deux chrétiens, dont l’un était ce Bernard qui, le premier, avait reçu le baptême à Kagoshima, il se mit en route pour Kioto à la fin d’octobre 1550. Il gagna par mer Hakato, puis Shimonoseki et se dirigea vers Yamagoutchi. Le seigneur de cette ville fit venir Xavier et Fernandez et les interrogea devant toute sa cour, leur demandant d’où ils venaient et ce qu’ils voulaient. Xavier répondit qu’ils étaient européens et venaient pour prêcher la loi divine. « Expliquez-moi, répliqua le prince, cette loi que vous appelez divine. » Alors Xavier commença par lire une partie du livre qu’il avait composé en japonais et qui traitait de la création du monde, de l’immortalité de l’âme, de la fin dernière de l’homme, du péché d’Adam, de l’éternité des peines et des fruits de la rédemption. Il expliqua ce qui avait besoin d’éclaircissement et parla en tout plus d’une heure. Le seigneur l’écouta sans l’interrompre, n’approuva ni ne désapprouva la doctrine qu’on venait de lui exposer, mais ce silence tint lieu d’autorisation, et Xavier continua à prêcher publiquement dans cette ville pendant un mois, après quoi il poursuivit son voyage vers Kioto, toujours accompagné de Fernandez, Mathieu et Bernard.

Dans sa lettre de 1551, Xavier résume les œuvres accomplies de décembre 1550 à mars 1551. « Nous demeurâmes bien des jours dans cette ville (Ayamangoutchi), prêchant par les rues et les maisons, sans faire que bien peu de fruits, ce que voyant nous résolûmes d’aller à Miaco qui est la ville principale et la plus grande de tout le Japon… Arrivés à Miaco, nous y passâmes quelques jours, faisant des démarches pour parler au Roi et lui demander permission de prêcher la loi de Dieu dans son royaume, mais nous n’y pûmes réussir, et ne trouvant dans ce peuple aucune disposition pour ouïr la prédication de l’évangile, soit à cause des guerres, soit pour d’autres obstacles, nous revînmes en cette ville (Ayamangoutchi). »

Complétons ce récit en nous inspirant des œuvres des Jésuites. Arrivé à Kioto avec ses trois compagnons, en février 1551, Xavier essaya d’avoir une audience du shogoun[16] et une autre de l’empereur[17], mais ne put y réussir. Il ne put même pas obtenir d’être reçu par le pontife de la religion japonaise[18]. Il essaya de prêcher sur les places publiques, mais les Japonais ne l’écoutèrent pas. N’obtenant aucun résultat, il quitta Kioto, passa à Hirado et revint à Yamagoutchi. « Revenus à Ayamangoutchi, écrivit-il[19], nous avons remis au Roi les lettres amicales et les présents du vice-roi de l’Inde et de révoque de Goa. Le roi, fort satisfait des présents et des lettres, nous a offert, en retour, une grosse somme d’argent : nous la lui avons renvoyée et lui avons fait dire que le plus agréable don qui pût venir de sa main aux deux étrangers serait de leur permettre de prêcher la loi de Dieu dans ses États et de permettre à ses sujets de l’embrasser, rien ne pouvant autant nous plaire. Le Roi a très bien accueilli notre requête : il a fait afficher en plusieurs endroits de la ville un décret portant qu’il agréait que la loi de Dieu fût prêchée dans ses États et que ceux qui voudraient l’embrasser le pussent faire librement. Il nous a, de plus, donné un monastère inoccupé. »

La relation de l’Annaliste de Macao ajoute aux lettres de Xavier quelques intéressants détails[20] :

« Le duc permit à François, de vive voix, le jour même de l’offrande des présents, d’annoncer l’Évangile et, deux mois après, il fit délivrer un premier acte de cette autorisation, renfermé dans l’acte de la donation du terrain. La pièce, littéralement traduite du japonais, est ainsi conçue :

« Nous, duc du royaume de Souo, par ce décret par nous signé, concédons le sol du monastère Daïdoji, de cette ville de Yamagoutchi, du royaume de Souo au Père qui, à présent, est Supérieur, pour y bâtir un monastère et temple où les religieux venus de l’Extrême-Occident au Japon prêchent et expliquent leur loi, cela nous étant demandé par ledit Supérieur.

Donné la 21e année de l’ère Temboun, le 28e jour de la 8e lune. »

Quant à l’autorisation générale de prêcher l’Évangile, le duc la fit écrire sur des affiches qui furent placardées dans les rues et sur les places et autres lieux publics de la ville. Ces articles disaient en substance : « Je suis content et donne autorisation que, dans cette ville de Yamagoutchi et dans tous mes royaumes et seigneuries, se puisse enseigner et prêcher la loi de Deos et que librement ceux qui le voudront faire la puissent embrasser. Défense est faite à tous mes vassaux, sous de graves peines, d’empêcher ni molester aucun des Pères qui prêcheront la loi de Deos. »

En ce qui concerne ce récit de l’Annaliste de Macao, nous avons à relever une contradiction de date. Il soutient, en effet, que l’acte d’autorisation fut délivré par le prince deux mois après l’arrivée de Xavier qui se trouvait à Yamagoutchi à la fin de mars 1551, et d’un autre côté la pièce porte comme date : 28e jour du 8e mois de la 21e année de Temboun, ce qui correspond au 16 septembre 1552. Si cette date était fausse ou si l’acte en question n’était qu’un renouvellement d’un autre acte fait antérieurement, on pourrait s’expliquer cette variante. Mais malheureusement cette date coïncide exactement avec celle du document japonais dont voici la traduction littérale :

« Pour ce qui est du Daïdoji (monastère de la grande voie) situé à Agata de Yamagoutchi, département de Yoshiki, province de Souo, je le donne aux bonzes venus dans ce pays des régions occidentales afin qu’ils puissent, selon leurs désirs, en faire un monastère qui leur serve à développer la loi de Bouddha.

« Le 28e jour du 8e mois de la 21e année de Temboun.

« Signé : Souo-no-Souké.
Cachet. »


Xavier arriva à Yamagoutchi au mois de mars 1551 et partit pour Boungo en septembre de la même année. Quelques jours après son départ éclata une révolution et le seigneur Oh-Outchi Yoshitaka se suicida. Soué Haroutaka, chef de la révolte, envoya donc un représentant à Boungo pour demander à Otomo Yoshishighé de permettre à son jeune frère Yoshinaga d’accepter la succession de la famille Oh-Outchi et de régner à Yamagoutchi, proposition qui, après bien des hésitations, fut acceptée. L’acte d’autorisation émane donc bien du règne de Yoshinaga et dès lors il nous faut conclure qu’il ne fut remis aux Pères qu’un an après le départ de Xavier de Yamagoutchi et par conséquent que Xavier n’eut qu’une autorisation verbale de la donation du monastère[21].

Dans une lettre de 1552, Xavier nous dit qu’il ne resta pas longtemps à Yamagoutchi : « Tandis que j’étais à Ayamangoutchi, avec Cosme de Torrès et Juan Fernandez, le roi de Bungo, qui est des plus puissants du Japon, me pria par lettre d’aller à lui[22] ; un vaisseau portugais avait abordé à un de ses ports et, à cette occasion, il désirait me faire certaines communications. Aussitôt et pour savoir quelles seraient les dispositions de ce roi à l’égard de la foi chrétienne et pour voir les Portugais, je me rendis à Bungo, laissant à Ayamangoutchi Cosme de Torrès et Juan Fernandez. Le Roi me reçut très bien et j’eus grande joie de m’entretenir avec les Portugais. »

Au sujet du départ de Yamagoutchi, nous trouvons encore de précieux renseignements dans Bouhours[23] : « Xavier songeait depuis peu à s’en retourner aux Indes, pour choisir lui-même des ouvriers tels qu’en demandait le Japon et son dessein était d’y revenir par la Chine, dont la conversion lui tenait déjà fort au cœur. Car en traitant tous les jours avec les marchands chinois qui étaient à Yamagoutchi, il avait compris qu’une nation si polie et si sensée deviendrait aisément chrétienne et d’ailleurs on lui faisait espérer que, dès que la Chine serait convertie, le Japon se convertirait.

« Cependant un navire portugais, commandé par Édouard de Gama, arriva au royaume de Bungo et on eut nouvelle à Yamagoutchi que ce navire qui venait des Indes en devait reprendre le chemin dans un mois ou deux. Xavier, pour savoir au vrai ce qui en était, envoya Mathieu sur les lieux : c’était l’un de ces Japonais chrétiens qui raccompagnaient ; il le chargea d’une lettre adressée au capitaine et aux marchands du vaisseau. Xavier les priait de lui mander qui ils étaient, d’où ils venaient et s’ils partiraient bientôt ; il leur disait ensuite qu’étant obligé de repasser dans les Indes, il les irait joindre, au cas qu’ils s’en retournassent ; enfin il les conjurait de donner un peu moins de temps aux affaires de leur négoce pour songera celles de leur salut et leur déclarait que toutes les soies de la Chine, quelque profit qu’elles leur apportassent, ne valaient pas le moindre gain spirituel qu’ils pouvaient faire en examinant leur conscience tous les jours.

« Le navire était au port de Hizen, à une lieue de Founaï, capitale de la province de Bungo. Les Portugais furent ravis d’apprendre des nouvelles du Père Xavier : ils lui mandèrent des leurs et l’avertirent que, dans un mois au plus tard, ils feraient voile vers la Chine où ils avaient laissé trois vaisseaux chargés pour les Indes, qui partiraient au mois de janvier.

« Mathieu revint en cinq jours et, outre qu’il apporta au Père François des lettres du capitaine et des principaux marchands, il lui en rendit de Goa, par lesquelles les Pères du collège de Saint-Paul lui écrivaient que sa présence était absolument nécessaire pour le règlement des affaires de la Compagnie.

« Xavier donc, sans perdre de temps, après avoir recommandé les chrétiens au Père Cosme de Torrès et au Frère Juan Femandez qu’il laissa à Yamagoutchi, se mit en chemin vers la mi-septembre 1551. »

Yoshishighé, instruit par les Portugais de l’arrivée de Xavier, lui écrivit une lettre ainsi conçue[24] : « Père bonze de Chemachicogin (c’est ainsi qu’ils appellent le Portugal), que votre heureuse arrivée dans mes États soit aussi agréable à votre Dieu que le lui sont les louanges dont les Saints l’honorent. Quansyonasama, mon domestique, que j’ai envoyé au port de Figen, m’a dit que vous y étiez arrivé de Yamagoutchi et toute ma cour vous dira combien j’en ai eu de joie. Comme Dieu ne m’a pas fait digne de vous commander, je vous supplie instamment de venir, avant le lever du soleil, frapper à la porte de mon palais où je vous attendrai avec impatience et permettez-moi de vous demander cette faveur, sans que ma demande vous soit importune. Cependant prosterné par terre, je prie à genoux votre Dieu que je confesse être le Dieu de tous les dieux, le souverain des plus grands et des meilleurs qui vivent au Ciel, je le prie, dis-je, de faire entendre aux superbes de ce siècle combien cette vie sainte et pauvre lui est agréable, afin que les enfants de notre chair ne soient pas trompés par les fausses promesses du monde. Mandez-moi des nouvelles de votre santé pour me faire bien dormir la nuit, jusqu’à ce que les coqs m’éveillent en m’annonçant votre venue »[25].

Il y avait plus de quarante jours que Xavier était à Founaï quand les marchands portugais s’apprêtèrent à faire voile vers la Chine. Avant de partir, il se rendit avec les marchands pour prendre congé du prince. Ne pouvant retenir Xavier, Yoshishighé délégua, pour partir avec lui, un ambassadeur chargé de faire un traité d’amitié avec les Portugais à Goa[26]. Xavier emmena cet ambassadeur dans l′Inde avec les deux japonais, Bernard (de Satsouma) et Mathieu (de Yamagoutchi) qu’il se proposait de conduire à Rome.

François Xavier resta donc deux ans et quatre mois au Japon, qu’il quitta le 20 novembre 1551. Il ne réussit que très imparfaitement dans sa prédication, d’abord à cause de l’opposition qu’il ne cessa de rencontrer de la part des bonzes et ensuite parce qu’il vint dans ce pays à une époque de guerres civiles. Il est toujours difficile d’implanter une religion nouvelle, mais il est presque impossible de l’implanter dans un moment de trouble, où les gens sont plus occupés qu’en temps ordinaire. Notons cependant dès maintenant que cet état de choses, qui fut un grave obstacle à François Xavier, contribua par la suite au développement de la religion chrétienne ; ainsi que nous le verrons au chapitre suivant. Nous devons dire enfin qu’à l’époque où vint François Xavier, la liberté de conscience n’existait que dans une mesure très relative. Après son départ, il resta peu de chrétiens au Japon, sauf dans la province de Boungo, mais le germe du christianisme y était implanté et devait faciliter la tâche à ses successeurs.

Le christianisme devait être l’une des principales causes de la question sociale de cette époque au Japon : c’est pourquoi nous avons cru indispensable de rappeler ici les origines de cette religion et les œuvres de son auteur. Nous allons à présent entrer dans le vif de la question.



  1. Le pape le recommandait en même temps à David, empereur d’Ethiopie, ainsi qu’à tous les princes qui possédaient les îles de la mer ou de la terre ferme, depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’au delà du Gange.
  2. Le P. Paul de Camerin, Italien, et François Mansilla, Portugais, qui n’était pas ordonné.
  3. Lettre à saint Ignace, datée de Cochin, 14 janvier 1549.
  4. Lettre de François Xavier, datée de Malacca, 22 juin 1549. Elle était destinée aux Pères de Rome et c′est Simon Rodriguez qui devait la leur transmettre, après l′avoir lue.
  5. Paul, né à Kagoshima, vécut dans cette ville et s’y maria. Quand il fut chrétien, il reçut au baptême le nom de Paul de Sainte-Foi, mais il est communément désigné par les historiens sous le nom de Angero. Son véritable nom était Yajiro et il prit celui de Anseï quand, en signe de renoncement au monde, il se fut coupé les cheveux et la barbe. Voici l′explication qu′il donne lui-même de sa fuite du Japon : « Étant dans mon pays du Japon et encore infidèle, il m’arriva de tuer, pour certains motifs, un homme… Je m’enfuis, de nuit, pour n’être point pris, et j’allai trouver un Portugais, appelé Georges Alvarez, capitaine de vaisseau, qui m’accueil- lit et me traita bien, se proposant de m’emmener et de me remettre au Père Maître François, de qui il était grand ami. À ce qu′il me raconta de la vie et des œuvres de Maître François, il me vint un grand désir de le voir. Cheminant donc, nous arrivâmes à Malacca et comme, durant la traversée, Georges Alvarez m′avait appris ce que c’est que d’être chrétien, je me sentais déjà quelque peu disposé à accepter le baptême et, ce désir allant croissant de jour en jour, je me serais vite fait chrétien, dès cette première venue à Malacca, si le vicaire de cette ville m’eût baptisé. Il me demanda qui j’étais et dans quelle condition je vivais. Je lui rendis compte et lui dis que j’étais marié et que j’avais à retourner à ma maison ! Sur quoi, il me refusa le baptême, disant que je ne pouvais revenir à ma condition de marié avec une femme païenne. Quand donc arriva la mousson pour le Japon, je m’embarquai sur un vaisseau qui allait en Chine. Parvenu là, je profiterais, le temps favorable venu, d’un vaisseau qui irait au Japon.

    « Partis de Chine, voie du Japon, nous n’étions guère qu’à vingt lieues de la côte de mon pays et nous la voyions quand nous fûmes assaillis d′une violente tempête… Me trouvant ainsi ramené en Chine, je rencontrais le Portugais Alonzo Vaz qui, le premier, m’avait encouragé, dans mon pays, à venir à Malacca… Le conseil me parut bon. En arrivant à Malacca, j’y rencontrai d’abord Georges Alvarez qui s’empressa de me conduire au Père Maître François… Le Père bientôt m’ordonna de me rendre au collège de Saint-Paul. Étant dans ce collège et m’y instruisant dans la foi, je reçus le baptême au mois de mai de ladite année (1548) le jour de la Pentecôte, dans la cathédrale et par les mains du seigneur évêque, et le même jour fut aussi baptisé un mien serviteur que j′avais amené du Japon. Il est ici, comme moi. » (Lettre de Paul de Sainte-Foi à saint Ignace, datée de Goa le 29 novembre 1545).

    Deux domestiques qui accompagnaient Angero furent baptisés ; l′un reçut le nom de Jean, l′autre celui d′Antoine.

    « Un habitant de Cangoxima, nommé Angeroo, dit Charlevoix (Histoire du Japon, nouvelle édition, 1754, t. II, p. 20), âgé de trente-cinq ans, riche et d’extraction noble, ayant pratiqué pendant quelques jours ces étrangers (Antoine Mota, François Zeimoto et Antoine Pexota), les goûta fort et ils apprirent de lui que le souvenir des dérèglements de sa jeunesse lui causaient de violents et continuels remords de conscience ; que, pour les apaiser, il s’était retiré dans une maison de bonzes, se flattant que les entretiens et les bons avis de ces ministres des dieux pourraient mettre fin à ses inquiétudes, mais que ce remède, bien loin de guérir son mal, l’avait empiré et qu’il croissait de jour en jour.

    « Ceux à qui il s’ouvrait de la sorte firent apparemment tout ce qu’ils purent pour le soulager, mais ils le quittèrent sans y avoir réussi.

    « Deux ans après (1544), un autre marchand portugais, nommé Alvare Vaz étant allé trafiquer à Cangoxima, Angeroo lui communiqua aussi ses peines intérieures ; Vaz, qui connaissait le P. François-Xavier et qui avait conçu une grande idée de sa sainteté et de son pouvoir auprès de Dieu, voulut engager le gentilhomme japonais à l’aller trouver. Angeroo se sentit d’abord extrêmement pressé de faire ce que lui disait le marchand portugais, mais considérant qu’il lui fallait abandonner pour longtemps sa famille et s’exposer sur mer, il ne pouvait se résoudre, lorsqu′ayant malheureusement tué un homme dans une rencontre, la crainte de tomber entre les mains de la justice l′obligea de s’embarquer sur le premier navire qui fit voile vers Malacca. »
  6. « Ce traité du Bienheureux Père François fut le premier catéchisme du Japon et l′on s’en servit jusqu′à l’arrivée du Père Belchior Nunez qui en fit paraître un plus complet : on appela Nijugo cagio, à cause de ses vingt-cinq chapitres ou instructions. Celui-ci dura jusqu’à la venue du Père Cabrai, en 1570. Nous avions alors des frères japonais ou d’autres séculiers fort instruits des doctrines des sectes ; on fit donc, avec leur aide, un catéchisme de la doctrine chrétienne, accompagné de la réfutation des principales erreurs des sectes japonaises. C’est le livre dont on se sert aujourd’hui. » (Jos.-Mar-Cross. — Saint François Xavier. Paris, 1900, t. II, p. 52).
  7. Le 29 septembre 1549.
  8. « Dans sa brièveté, dit Cross, le récit de François est, sur ce point, très lumineux ; il n’y manque qu′une ligne, où François aurait dit : — J’allai à Firando, une première fois, au commencement de novembre 1549, mais le Père Frois nous apprend que le saint fit ce voyage. » [Le travail du Père Louis Frois est encore inédit. Le manuscrit 25/14 de la bibliothèque d’Ajuda, qui contient l′œuvre du Père Frois, est un petit registre sur papier du Japon, de 423 folios, intitulé : Primera parte da Historia de Japan, 1549-1578. Au verso du folio 423, on lit : « Cette première partie de l′histoire du Japon s’est achevée le 30 décembre 1586. »]
  9. Le calcul de Xavier n′est certainement pas exact. Il ne passa, en effet, que six mois à Kagoshima, ou plus exactement cinq mois, si l′on déduit le temps de son premier séjour à Hirado.
  10. Les envoyés des bonzes parlèrent au nom de toutes les sectes et dirent au prince : « Seigneur, nous venons au nom d’Amida et de toutes les divinités qu’on adore dans cet empire vous demander si vous êtes résolu d’abolir entièrement leur culte et de vous rendre vous-même adorateur d’un Dieu crucifié dont les ministres sont trois misérables qui ne trouvant pas de quoi vivre aux Indes, en sont venus chercher au Japon. Le soin de nos personnes tous les jours exposées à la rage d’une populace que ces enchanteurs ont séduite, n’est pas ce qui nous fait parler : mais pouvons-nous voir sans douleur les temples abandonnés, les autels sans parfums et les dieux immortels déshonorés ? Aucun de nous. Seigneur, n’a pu encore se persuader que vous ayez quitté la religion de nos pères et qu’il vous soit seulement venu à l′esprit que la Chine et le Japon, les deux nations les plus éclairées de l′univers, aient été l’espace de tant de siècles dans l′erreur sur la chose du monde en quoi il est moins excusable d’errer. Mais si vous leur avez sur cela rendu justice, permettez-nous de vous le dire, vous n’en êtes que plus coupable ; vous adorez nos dieux et vous favorisez une doctrine qui les dégrade ; vous reconnaissez qu’ils ont des foudres en mains et vous protégez les impies qui lèvent contre eux l’étendard de la rébellion. Eh ! que diront les autres rois, que diront nos empereurs quand ils sauront que de votre propre autorité vous avez introduit dans cet empire une religion qui en sappe tous les fondements ? Mais, que n’entreprendront pas contre vous les zélés sectateurs des camis et des fotoques et, assistés du concours du ciel, que n’exécuteront-ils pas ? Attendez-vous, seigneur, à voir tous vos voisins entrer à main armée dans vos États et à y porter partout la désolation. Attendez-vous à voir tous ceux de vos sujets qui n’ont pas encore fléchi le genou devant le Dieu des Chrétiens, se joindre à vos ennemis, persuadés qu’ils doivent encore plus de fidélité aux dieux tutélaires de la patrie qu’à vous, mortel et homme comme eux. Tout est permis dans ces rencontres et si les rois n’ont de pouvoir que ce qu’ils en ont reçu des dieux immortels, du moment qu’ils refusent à ces êtres souverains les hommages qui leur sont dus, ils se dépouillent eux-mêmes de tout ce qui les distinguait du reste des hommes. Songez donc, Prince, à profiter de cet avis, que le ciel vous donne par notre bouche ; ne nous obligez pas à fermer nos temples, à nous retirer avec nos dieux ; car alors n’y ayant plus rien dans le Saxuma, qui fût capable d’arrêter la colère divine, nous ne répondrions pas de ce qui pourrait en arriver. » Mais le roi se voyait dans des circonstances où il crut pouvoir accorder son intérêt avec son autorité, en temporisant ; il ne parut pas être choqué du discours des bonzes, mais il ne leur fit point une réponse favorable ; ce qui l’obligea d’en user ainsi, c’est qu’on attendait de jour en jour des navires portugais. (Charlevoix, op. cit., t. II, p. 42 et suiv.).
  11. Le Père Frois, op. cit., dans sa préface adressée au Père général Aquaviva, laisse bien entrevoir la valeur de ses récits : « Je suis, dit-il, dans la Compagnie, depuis quarante ans. J′y entrai, en effet, avant que le Père Maître François ne vint au Japon. J’ai eu dans les mains, pendant quatorze ou quinze ans, les lettres qui allaient de ce pays à Rome ; je suis au Japon depuis vingt-quatre ans (1563) et j’ai eu grande communication avec tous les Pères et Frères qui vinrent ici les premiers. »
  12. « Les biographes de François, pour n’avoir pas assez considéré ce fait, ont mêlé, ce nous semble, à leurs récits, plus d’une inexactitude. Ils supposent tous, en effet, que François et ses compagnons ne s’éloignèrent de Gangoxima pour aller à Firando, qu’au mois de septembre 1550 ; qu’ils s’y rendirent sur la nouvelle de l’arrivée à Firando d’un vaisseau portugais et qu’ils trouvèrent, en effet, le vaisseau dans le port.

    « L’hypothèse d’un seul vaisseau portugais abordant à Firando, du mois de septembre 1549 au mois de septembre 1550, ne justifie pas assez les préoccupations commerciales et les dispositions moins bienveillantes du duc de Saxuma ; deux arrivages, au contraire, sur un même point, étranger à ses États, purent éveiller à son âme de fâcheuses impressions. » (Cross, op. cit., t. II, pp. 54, 89).

  13. Nous trouvons la date du départ de Xavier dans Charlevoix, Histoire du Japon, t. II, p. 47 et dans de Bouhours, Vie de Saint-François-Xavier, Paris 1826, t. II, p. 23. Malgré l’opinion de la plupart des auteurs, M. Satow en soutient une autre : « Xavier, dit-il, quitte Kagoshima vers le commencement de juillet 1550 pour se rendre à Hirado. » Il ajoute : « Bartoli (liv. III, ch. XIII) fait partir Xavier de Kagoshima au commencement de septembre, mais cette date est difficile à concilier avec celle que Xavier lui-même nous donne dans sa lettre du 20 novembre 1550. Entre le départ de Kagoshima et la date de la lettre il passa à Hirado dix jours, le même temps à Yamaguchi, il fit un voyage à Kioto qui dura deux mois et en deux autres mois il fit cinq cents chrétiens. En accordant une quinzaine de jours pour les deux voyages de Kagoshima à Hirado et de Hirado à Yamaguchi, c’est donc un espace de cinq mois qui se serait écoulé depuis le départ de Xavier de Kagoshima. Or, Torrez dit dans une de ses lettres que Xavier dépensa près d’une année à Kagoshima (Annum ferme) ». (Ernest Satow. — The church at Yamaguchi from 1550 to 1586, dans : Transactions of the Asiatic society of Japan, vol. VIII, p. 133 et suiv.).
  14. Lettre de François Xavier de 1551.
  15. François Xavier avait toujours eu l’intention de se rendre à Kioto pour tâcher d’avoir une entrevue avec l’em- pereur. « Maître François désirait voir le Roi principal du Japon et se rendre pour cela à Miaco où ce Roi des soixante-six royaumes du Japon faisait sa résidence. Le roi de Saxuma, à qui il dit son dessein, lui répondit : « Il y a trop de guerres en ce moment pour faire ce voyage et ce n’est pas le temps de la mousson. Le temps venu, je vous procurerai une embarcation pour aller à Miaco. » Cette promesse ne s’exécuta pas. (Cross, op. cit., t. II, p. 50).
  16. Shogoun Ashikaga Yoshitérou.
  17. Empereur Gonara.
  18. Le chef pontife de la religion japonaise résidait au Mont Hiyeï, près de Kioto. L’Annaliste de Macao, d’après la dénomination de M. Cross, dit : « Désirant travailler plus utilement, François résolut d’aller à Miyaco, où il espérait obte nir du roi du Japon (Dayri) et de l’Université de Fiyenoyama, alors très florissante, permission de prêcher l’Évangile. Cette université approuve ou réprouve, au gré du roi, les sectes on doctrines nouvelles. »
  19. Lettre de François Xavier de 1551.
  20. Cross, op. cit., tome II, p. 139.
  21. Voici la version latine de l’acte : « Dux Regni de Zuo, Regni Nangati, Regni Bugen, Regni Bungi, Regni Iuami, Regni Bungi, Regni Bichiyi, concessit Day i. magnum elogie i. aditum cœli patribus Occidentis qui venerunt ad declarandum legem faciendi sanctos iuxta ipsorum voluntatem ad finem vsq. mundi, is est locus positus intra Amangutium magnam urbem, cum previlegiis ut nemo possit occidi nec apprehendi in illo. Atque ut sit testatum meis successione. Regni de Teybum, anno 21 ipsius octavi mensis vigesimo octavo die. » La suscription est la suivante : Dux Daidigni boyat : Forma sigilli. Il est à remarquer que le seigneur de Yamagoutchi considère, dans son autorisation, Xavier et ses compagnons comme des religieux bonzes et leur religion comme une secte du bouddhisme.
  22. Le seigneur de Boungo, Otomo Yoshishighé, connaissait déjà, par le bruit public, la science et la sainteté de Xavier. Il le savait en grand crédit auprès du gouvernement de l’Inde et il désirait pour les intérêts du commerce, entrer en relations amicales avec le Portugal. Pour ces raisons, il écrivit lui-même à Xavier une lettre qui est ainsi conçue : « Ce que j’ai ouï dire de vous dans ces derniers temps m’a donné grand désir de vous voir et de m’entretenir avec vous personnellement ; mais, jusqu’à présent, occasion ne s’était pas offerte à moi de contenter mon désir. Or, voici que je suis informé par les Portugais que Votre Révérence se détermine à venir en ce mien royaume, chose qui me fait grand plaisir, et je suis tout à l’émotion que me cause l’espérance de votre prochaine arrivée. Ce que j’aurais encore à dire, je le réserve pour le jour de notre entrevue. Le duc de Boungo. Signé : Yoshishighé. » (Cross, op. cit., t. II, p. 152).
  23. Bouhours, op. cit., t. II, pp. 58 et suiv.
  24. Bouhours, op. cit., t. II, p. 64.
  25. Nous donnons ici quelques renseignements sur l’église à Yamagoutchi. On a vu déjà qu’une révolte de Soué Haroukata avait eu lieu en septembre 1551 et que Yoshitaka s’était suicidé. Otomo Yoshinaga, qui lui succéda, sembla favorable au christianisme. Mais, en 1554, Mori Motonari entra en lutte contre Haroukata pour venger son ancien maître Yoshitaka et il s’ensuivit la défaite de Haroukata et de Yoshinaga. Le Père Côme de Torrez dut s’enfuir et Motonari, le maître incontesté de la province, ne s’occupa en aucune façon des chrétiens, de sorte que ceux-ci restèrent privés de religieux et ne purent que très imparfaitement exercer leur religion. Une lettre du Père Francesco Carrion ajoute : « Il existait deux églises chrétiennes : l’une dans la ville même de Yamaguchi, l’autre dans les environs. Elles possédaient environ 500 adeptes, qui furent privés de prêtres pendant une période de vingt-quatre à vingt-cinq ans, sauf pendant le passage dans cette ville du Père Cabrai, qui eut lieu il y a cinq ans passés, et qui ne resta parmi eux que pendant quelques jours seulement, les confessant, les exhortant à la persévérance et baptisant un grand nombre de nouveaux convertis. Les premiers convertis furent baptisés par François Xavier ; d’autres par Torrès. Depuis la mort du jeune frère du roi de Bungo, les tyrans (Motonari et ses deux fils) qui gouvernèrent la province, n’autorisèrent aucun missionnaire à y résider, ce qui n’empêcha les chrétiens de rester fidèles à leur religion et d’en voir le nombre augmenter, chacun d’eux ayant initié leurs enfants dans la même croyance. » (Lettera Annuela del P. Francesco Carrion, 1579, p. 77).
  26. À la suite des entretiens qu’il eut avec François Xavier pendant la traversée, cet ambassadeur embrassa la religion chrétienne et Xavier lui donna le nom de Lorenzo Pereira.