Histoire des fantômes et des démons/Les Fourches patibulaires

LES FOURCHES PATIBULAIRES.

Deux paysans, allant au marché de Beaumont-le-Vicomte dans le Maine, partirent au clair de la lune, deux heures avant le jour ; ils avaient été devancés, par un pauvre cloutier des environs, qui suivait les marchés, pour débiter ses clous et ses fers de cheval, qu’il portait sur son dos, dans une besace. Étant en chemin, et n’entendant ni ne voyant personne, devant ni derrière lui, il jugea qu’il était parti de trop bonne heure, et fut saisi de frayeur, en songeant qu’il lui fallait passer tout proche des fourches patibulaires, où il y avait alors un grand nombre de pendus… Il s’écarta donc un peu du chemin ; et se couchant sur un petit tertre de gazon, derrière une haie, en attendant quelque compagnon, il s’y endormit.

Peu de temps après, les deux paysans passèrent. Ils allaient au petit pas, et ne disaient mot. Quand ils furent près du gibet, l’un des deux, nommé Mathurin, dit à l’autre, qu’il fallait compter les pendus ; et Thomas, son camarade, y consentit. Ils avancèrent jusqu’au milieu des piliers, pour faire leur compte, et virent un mort fort sec, qui était tombé de sa potence. Mathurin dit qu’il fallait le relever, et l’appuyer tout droit contre un des piliers ; ce qu’ils firent facilement, avec un bâton qu’ils trouvèrent là.

Après avoir compté quatorze pendus, sans celui qu’ils avaient relevé, ils continuèrent leur chemin. Ils n’avaient pas fait vingt pas ; que Mathurin dit en riant à Thomas, qu’il fallait appeler ce mort, pour voir s’il voudrait venir avec eux ; et tous deux se mirent à crier bien fort : — Hola ! ho ? veux-tu venir avec nous ? Le cloutier, qui ne dormait pas trop profondément, se leva de suite, et leur répondit, en criant aussi de toutes ses forces : — J’y vais ! j’y vais ! Attendez-moi. En même temps il se mit à les suivre.

Les deux paysans, croyant que c’était effectivement le pendu, qui leur répondait, commencèrent à courir de toutes leurs jambes ; et le cloutier, qui courait aussi, en criant toujours, attendez-moi ! redoubla leur frayeur, en agitant ses clous et ses fers, qu’ils prirent pour les chaînes du revenant… Le tremblement les ayant saisis, ils tombèrent, le nez contre terre. Le cloutier les rejoignit, et les trouva presque morts de peur… Il les fit revenir, et parvint à les rassurer, en ajoutant qu’ils l’avaient bien fait courir. Les deux champions le reconnurent pour un de leurs voisins, et continuèrent avec lui leur chemin, jusqu’à Beaumont, moitié riant, moitié frissonnant encore de leur aventure.