Histoire des fantômes et des démons/L’Esprit cité en justice

L’ESPRIT CITÉ EN JUSTICE.

En 1761, un fermier de Southams, dans le comté de Warwick, en Angleterre, fut assassiné en revenant chez lui. Le lendemain, un voisin vint trouver la femme de ce fermier, et lui demanda si son mari était rentré, le soir précédent ; elle répondit que non, et qu’elle en était dans de grandes inquiétudes. Vos inquiétudes, répliqua cet homme, ne peuvent égaler les miennes ; car, comme j’étais couché cette nuit, sans être encore endormi, votre mari m’est apparu, couvert de blessures, et m’a dit qu’il avait été assassiné par son ami John, et que son cadavre avait été jeté dans une marnière.

La fermière alarmée fit des perquisitions ; on découvrit la marnière, et l’on y trouva le corps, blessé aux endroits que cet homme avait désignés. Celui que le revenant avait accusé fut saisi et mis entre les mains des juges, comme violemment soupçonné de meurtre. Son procès fut instruit à Warwick ; et les jurés l’auraient condamné, aussi témérairement que le juge de paix l’avait arrêté, si lord Raymond, le principal juge, n’avait suspendu l’arrêt.

« Messieurs, dit-il aux jurés, je crois que vous donnez plus de poids au témoignage d’un revenant qu’il n’en mérite. Quelque cas qu’on fasse de ces sortes d’histoires, nous n’avons aucun droit de suivre nos inclinations particulières sur ce point. Nous formons un tribunal de justice, et nous devons nous régler sur la loi ; or je ne connais aucune loi existante, qui admette le témoignage d’un revenant ; et quand il y en aurait une qui l’admettrait, le revenant ne paraît pas pour faire sa déposition. Huissiers, ajouta-t-il, appelez le revenant ; (ce que l’huissier par trois fois, sans que le revenant est à la barre est, suivant le témoignage de gens irréprochables, d’une réputation sans tache ; et il n’a point paru, dans le cours des informations, qu’il y ait eu aucune espèce de querelle, entre lui et le mort. Je le crois absolument innocent ; et, comme il n’y a aucune preuve contre lui, ni directe, ni indirecte, il doit être renvoyé. Mais, par plusieurs circonstances qui m’ont frappé dans le procès, je soupçonne fortement la personne qui a vu le revenant, d’être le meurtrier, auquel cas il n’est pas difficile de concevoir qu’il ait pu désigner la place des blessures, la marnière et le reste, sans aucun secours surnaturel : en conséquence de ces soupçons, je me crois en droit de le faire arrêter, jusqu’à ce que l’on fasse de plus amples informations.

Cet homme fut effectivement arrêté ; on fit des perquisitions dans sa maison ; on trouva les preuves de son crime, qu’il avoua lui-même à la fin ; et il fut exécuté aux assises suivantes.