Histoire des Vampires/II/Chapitre VII

CHAPITRE VII.

Des Vampires moraves, etc. — Histoire d’une Femme Vampire. — Histoire du fameux Vampire de Blow. — Histoire du Vampire Pierre Plogojowits.

Voici encore quelques histoires de Vampires qui sont antérieures au 18e siècle. M. de Vassimont, envoyé en Moravie par le duc de Lorraine, Léopold Ier, assurait, dit D. Calmet, que ces sortes de spectres apparaissaient fréquemment et depuis fort long-temps chez les Moraves, et qu’il était assez ordinaire dans ce pays-là de voir des hommes, morts depuis quelques semaines, se présenter dans les compagnies, se mettre à table sans rien dire avec les gens de leur connaissance, et faire un signe de tête à quelqu’un des assistans, lequel mourait infailliblement quelques jours après.

Un vieux curé confirma ce fait à M. de Vassimont, et lui en cita même plusieurs exemples qui s’étaient, disait-il, passés sous ses yeux. Les évêques et les prêtres du pays avaient consulté Rome sur ces matières embarrassantes ; mais le saint siége ne fit point de réponse, parce qu’il regardait tout cela comme des visions ridicules.

Dès-lors on s’avisa de déterrer les corps de ceux qui revenaient ainsi, de les brûler ou de les consumer en quelqu’autre manière ; et ce fut par ce moyen qu’on se délivra de ces Vampires, qui devinrent de jour en jour moins fréquens.

Toutefois ces apparitions donnèrent lieu à un petit ouvrage composé par Ferdinand de Schertz, et imprimé à Olmutz en 1706 sous le titre de Magia posthuma.

L’auteur raconte qu’en un certain village une femme étant morte munie de tous ses sacremens, fut enterrée dans le cimetière à la manière ordinaire. On voit que ce n’était pas une excommuniée. Quatre jours après son décès les habitans du village entendirent un grand bruit, et virent un spectre qui paraissait, tantôt sous la forme d’un chien, tantôt sous celle d’un homme, non à une personne seulement, mais à plusieurs. Ce spectre serrait la gorge de ceux à qui il s’adressait, leur comprimait l’estomac jusqu’à les suffoquer, leur brisait presque tout le corps, et les réduisait à une faiblesse extrême ; en sorte qu’on les voyait pâles, maigres et exténués. Les animaux même n’étaient pas à l’abri de sa malice ; il attachait les vaches l’une à l’autre par la queue, fatiguait les chevaux, et tourmentait tellement le bétail de toute sorte, qu’on n’entendait partout que mugissemens et cris de douleur. Ces calamités durèrent plusieurs mois : on ne s’en délivra qu’en brûlant le corps de la femme Vampire.

L’auteur de la Magia posthuma raconte une autre anecdote plus singulière encore. Un pâtre du village de Blow, près la ville de Kadam en Bohême, apparut quelque temps après sa mort avec les symptômes qui annoncent le Vampirisme. Ce spectre appelait par leur nom certaines personnes, qui ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Il tourmentait ses anciens voisins, et causait tant d’effroi que les paysans de Blow déterrèrent son corps, et le fichèrent en terre avec un pieu qu’ils lui passèrent à travers le cœur.

Ce spectre, qui parlait quoiqu’il fût mort, et qui du moins n’aurait plus dû le faire dans une situation pareille, se moquait néanmoins de ceux qui lui faisaient souffrir ce traitement. « Vous avez bonne grâce, leur disait-il en ouvrant sa grande bouche de Vampire, de me donner ainsi un bâton pour me défendre contre les chiens ! » On ne fit pas attention à ce qu’il put dire, et on le laissa.

La nuit suivante il brisa son pieu, se releva, épouvanta plusieurs personnes, et en suffoqua plus qu’il n’avait fait jusqu’alors. On le livra alors au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors de la ville et l’y brûler. Le cadavre remuait les pieds et les mains, roulait des yeux ardens, et hurlait comme un furieux.

Lorsqu’on le perça de nouveau avec des pieux, il jeta de grands cris, et rendit du sang très-vermeil ; mais quand on l’eut bien brûlé il ne se montra plus.

On en usait de même dans le 17e siècle, et sans doute avant, contre les revenans de ce genre ; et, dans plusieurs endroits, quand on les tirait de terre on les trouvait pareillement frais et vermeils, les membres souples et maniables, sans vers et sans pourriture, mais non sans une très-grande puanteur.

L’auteur que nous avons cité plus haut assure que de son temps on voyait souvent des Vampires dans les montagnes de Silésie et de Moravie. Ils apparaissaient en plein jour comme au milieu de la nuit ; et l’on apercevait les choses qui leur avaient appartenu se remuer, et changer de place sans que personne parût les toucher. Le seul remède contre ces apparitions était de couper la tête et de brûler le corps du Vampire.

Michel Raufft, dont nous avons déjà parlé, raconte qu’un paysan nommé Pierre Plogojowits, enterré depuis environ dix semaines dans le village de Kisilova en Hongrie, apparut la nuit à quelques paysans endormis, et leur serra tellement la gorge qu’ils en moururent au bout de vingt-quatre heures. Il périt ainsi neuf personnes tant vieilles que jeunes dans l’espace de huit jours.

La veuve de Plogojowits déclara même que le spectre de son mari lui était venu demander ses souliers, parce qu’il était obligé de courir nu-pieds, ce qui effraya tellement cette femme qu’elle quitta le village de Kisilova pour se retirer ailleurs.

Ces circonstances déterminèrent les habitans du village à déterrer le corps de Plogojowits, et à le brûler pour se délivrer de ses infestations. Ils s’adressèrent à l’officier de l’empereur, qui commandait dans le territoire de Gradisch en Hongrie, et au curé du même lieu, pour obtenir la permission d’exhumer le corps de Pierre Plogojowits. L’officier et le curé refusèrent d’abord cette permission ; mais les paysans déclarèrent que, si on ne voulait pas déterrer et brûler ce Vampire, ils seraient obligés d’abandonner le village, et de se retirer où ils pourraient.

L’officier de l’empereur[1], voyant que les menaces et les représentations ne pouvaient arrêter ces pauvres gens, se transporta au village de Kisilova, et fit exhumer le corps de Pierre Plogojowits.

Ils trouvèrent que son corps n’exhalait aucune mauvaise odeur ; qu’il était entier et comme vivant, à l’exception du bout du nez qui paraissait un peu flétri ; que ses cheveux et sa barbe avaient poussé, et qu’à la place de ses ongles, qui étaient tombés, il lui en était venu de nouveaux ; que sous sa première peau, qui était comme morte et blanchâtre, il en paraissait une nouvelle, saine et de couleur naturelle. Ses pieds et ses mains étaient aussi entiers qu’on les pourrait souhaiter dans un homme bien vivant.

Ils crurent remarquer aussi dans sa bouche du sang tout frais, que sans doute il avait sucé tout récemment aux personnes qu’il venait de faire mourir.

L’officier de l’empereur et le curé ayant soigneusement examiné toutes ces choses, et les paysans en ayant conçu une nouvelle indignation contre le Vampire, ils coururent aussitôt chercher un pieu bien pointu qu’ils lui enfoncèrent dans la poitrine, d’où il sortit quantité de sang frais et vermeil, de même que par le nez et par la bouche, et par d’autres parties que la décence ne permet pas de nommer : ils mirent ensuite le corps sur un bûcher, et l’ayant réduit en cendres, le village fut désormais tranquille.

  1. C’est ce même officier qui a écrit la relation de cette aventure.