Histoire des Trois Royaumes/VII, I
CHAPITRE PREMIER
[ Règne de Hiao-Hien-Ty. Année 201 de J.-C. ] Cependant Youen-Chao était en pleine déroute ; Tsao-Tsao rassembla ses troupes et les fit marcher successivement, de sorte que les habitants du Ky-Tchéou, instruits de ce nouvel état de chose, perdirent courage ; et les garnisons entières se rendaient au vainqueur qui accueillit tout le monde avec bonté. Suivi de huit cents cavaliers, vêtu d’une simple tunique et coiffé d’un bonnet de bachelier, Youen-Chao arriva sur le revers septentrional des montagnes, près de Ly-Yang. Le général de première classe, Tsiang-Y-Kiu, étant sorti du camp pour le recevoir, il lui raconta tous ses malheurs et tous ses chagrins[1]. Bientôt les soldats de l’armée dispersée, avertis par une proclamation du commandant de la présence de leur chef, se groupèrent autour de lui comme un essaim d’abeilles. A la tête de ces nouvelles forces, Youen-Chao résolut de retourner dans sa ville même de Ky-Tchéou.
Le lendemain soir, l’armée campait à Hwang-Chan ; durant la nuit, l’air retentit des gémissements de ces soldats ; ils pleuraient tous un frère aîné mort dans le combat, un jeune frère perdu, leurs compagnons abandonnés, leurs parents séparés d’eux : tous, ils se frappaient la poitrine et disaient avec des sanglots : « Si on eût écouté les avis de Tien-Fong[2], nous n’aurions point à déplorer ce désastre ! » Et Youen-Chao lui-même s’écriait : « Je n’ai point suivi les conseils de ce mandarin ; mes armées sont détruites, j’ai perdu mes généraux !... Oserais-je reparaître devant lui ? »
Le lendemain, comme il continuait sa route, Fong-Ky s’étant porté avec sa division à sa rencontre, il s’accusa devant ce général de s’être attiré tant de malheurs pour avoir refusé de prêter l’oreille aux observations de Tien-Fong. « Ah ! répondit Fong-Ky, quand ce mandarin, du fond de son cachot, a appris la défaite de votre seigneurie, il a battu des mains. Il a dit en riant : « C’est parce qu’on a rejeté mes conseils ! »
« Le misérable, s’écria Youen-Chao, transporté de colère, il ose rire de moi, et bien, je ferai tomber sa tête. — Il a dit encore a ses geoliers, continua Fong-Ky, si Youen me demande d’autres conseils, je me garderai de les lui donner ! »
Or, voici ce qui s’était passé : Fong-Ky, étant dans la prison, le mandarin chargé de la surveillance des détenus lui avait dit : « Vous voila comblé d’honneurs et d’avancements ; réjouissez-vous ! — Et pourquoi ? — Parce que Youen-Chao revient avec son armée complétement battue, et assurément il songera a vous témoigner la plus grande estime. — Ma mort est certaine, dit Tien-Fong, pour toute réponse. — Mais quand chacun se réjouit pour vous, dit le chef des prisons, vous vous regardez comme mort ! — Le général Youen-Chao, sous une apparence de générosité, cache un cœur envieux, reprit le mandarin ; il ne me tiendra aucun compte de mes avis fidèles et prudents ; victorieux, il m’eût dans sa joie rendu la liberté ; vaincu, il aura honte, et je n’espère plus vivre ! »
Le chef des prisons ne pouvait ajouter foi à cette prévision, mais un officier vint apporter un glaive et demander la tête du prisonnier. Tout épouvanté, le gardien du cachot donna à boire et à manger à Tien-Fong, qui lui dit : « Je sais que je vais mourir ; je vous en prie, donnez-moi un couteau bien tranchant. » Les geoliers ne purent lui refuser cette demande ; ils étaient si émus que tous ils fondaient en larmes. « La vie d’un héros dépend du ciel et de la terre, dit Tien-Fong ; servir un maître sans le connaître à fond, c’est une imprudence ; prendre la parole pour donner des avis, sans prévoir les haines et les soupçons qu’on fera naître, c’est un manque de sagacité ! Je reçois la mort aujourd’hui !... Y a-t-il là de quoi m’affliger ? » Il se frappa lui-même dans sa prison et y mourut, emportant les regrets de tous ses amis[3].
De retour à Ky-Tchéou, dévoré de chagrin, l’esprit troublé, Youen-Chao ne pouvait plus conduire les affaires de son gouvernement. Sa femme, Liéou-Ssé, l’exhortait à se choisir un successeur, qui pût réunir dans ses mains l’autorité sur les troupes et sur le peuple[4]. Or, Youen-Chao avait trois fils, Youen-Tan (son surnom Hien-Ssé) qui gardait Tsing-Tchéou ; Youen-Hy (son surnom Hien-Hi) qui gardait Yéou-Tchéou, et Youen-Chang (son surnom Hien-Fou), que lui avait donné sa seconde femme Liéou-Ssé. Enfin, un de ses neveux, Kao-Kan, fils de sa sœur aînée, tenait sous sa surveillance le Ping-Tchéou.
Doué de force et de beauté, Youen-Chang était le favori de son père ; Liéou-Ssé, sa mère, ne cessait de vanter devant son époux les talents supérieurs de ce jeune fils qu’il gardait toujours près de lui. Après la déroute de Kouan-Tou, Youen-Tan était retourné dans son canton de Tsing, pour lever des troupes. Youen-Hy et son cousin Kao-Kan étaient absents tous les deux ; Liéou-Ssé engageait donc Youen-Chao à choisir pour successeur ce troisième fils, Chang, et à lui donner le commandement de toute l’armée. Dès avant cette époque, Chen-Pey et Fong-Ky étaient les lieutenants de Youen-Chang, comme Sun-Ping et Kouo-Tou étaient ceux de Youen-Tan. Ces quatre généraux voyaient leur maître dans celui qu’ils servaient, et il en résultait une discorde éternelle. Ce fut eux que Youen-Chao consulta tous les quatre, en leur faisant part de son dessein : « Ma vie touche à sa fin, leur dit-il ; je veux choisir celui qui me succédera dans la principauté indépendante au nord du fleuve Jaune ; naturellement cruel, enclin à répandre le sang, mon fils aîné, Tan, malgré la sagacité de son esprit, trahira en toute occasion la fougue et la violence de son caractère ; mais mon second fils Hy, est, par son ignorance, incapable de prendre la direction des affaires ; le troisième, au contraire, Chang a tout l’extérieur d’un héros accompli, il honore les sages et les lettrés ; c’est lui que j’ai choisi pour mon successeur, quel est votre avis ? »
« Prince, répondit Kouo-Tou, j’ai encore présents à l’esprit les conseils que vous donnait Tsou-Chéou ; il disait : Si dix mille hommes courent après un lièvre, et qu’un seul d’entre eux prenne la bête, les plus ardents cesseront la chasse ; c’est une vérité reconnue. Youen-Tan est l’aîné, et voici qu’il occupe un poste loin de vous ; le choix que vous faites sera une source abondante de querelles. Dans tous les temps, quand un prince a placé sur le trône un jeune fils au préjudice de l’aîné, les familles régnantes ont été ébranlées : éliminer les enfants des femmes de premier rang en faveur de ceux des femmes de second ordre, cela a toujours bouleversé l’Empire. Aujourd’hui nos armées sont affaiblies et celles de Tsao menacent nos frontières ; si vous armez vos deux fils l’un contre l’autre, voilà le vrai moyen de faire naître de grands troubles. Prince, il faut songer à résister à l’ennemi bien plutôt qu’a diviser les membres de votre famille. »
Youen-Chao hésitait à prendre un parti, quand on vint lui annoncer que Youen-Hy arrivait à son secours avec soixante mille hommes, levés dans le Yéou-Tchéou ; Kao-Kan en amenait cinquante mille, réunis dans le Ping-Tchéou ; Youen-Tan en avait recrutés autant dans le pays de Tsing. Rassemblant les forces de son chef-lieu de Ky-Tchéou, Youen-Chao plein de joie (interrompit cette importante affaire) pour marcher à la rencontre du premier ministre, qui lui-même avait rangé ses troupes en bataille en haut du fleuve. Les gens de la contrée venaient au-devant de l’armée impériale avec des paniers pleins de vivres et des cruches pleines de vin. Dans la foule, Tsao-Tsao remarqua un vieillard à barbe blanche, qui vint se prosterner devant lui ; il le fit entrer dans sa tente, lui montra un siége et le vieillard répondit aux questions que le premier ministre lui adressait sur son âge : « J’ai près de cent ans ! — Et pourquoi paraissez-vous si joyeux quand mes troupes viennent jeter l’effroi et le désordre dans votre pays ! »
« Du temps de l’Empereur Hiouan-Ty, reprit le vieillard, une étoile de couleur jaune parut hors des deux royaumes de Song et de Tsou[5]. Un très habile astrologue de ce pays de Liéou-Tong, Yn-Koué vint me dire au milieu de la nuit : L’étoile jaune a paru dans le ciel, et puisqu’elle brille maintenant, dans cinquante années un saint homme se lèvera dans le pays de Liang-Pey ; personne ne pourra lui résister ; il ne trouvera plus d’ennemi dans tout l’Empire. Or, voilà que les cinquante ans sont révolus ; Youen-Chao a accablé le peuple d’impôts trop pesants, aussi le peuple le hait. Votre excellence, à la tête d’une armée de soldats humains et fidèles, console le peuple et punit les méchants ; dans le combat de Kouan-Tou, votre excellence a détruit l’innombrable armée de Chao ; tout cela se rapporte au temps fixé par l’astrologue ; la nation va enfin jouir du repos attendu ! »
« Bon vieillard, répondit Tsao en souriant, comment serais-je le héros qu’annoncent vos paroles ! » — Puis il lui donna des vivres, du vin, des étoffes précieuses, et fit savoir dans les trois corps d’armée, que quiconque tuerait les animaux domestiques[6], serait puni comme s’il eût tué un homme. Aussitôt Tsao put voir, avec une secrète joie, que tout le peuple s’empressait de se soumettre à lui.
Cependant la nouvelle arriva que Youen-Chao, à la tête de deux à trois cents mille hommes levés dans ses quatre districts, campait à Tsang-Ting ; le premier ministre lui-même alla, avec sa division, camper le premier devant l’ennemi. Le lendemain, Youen-Chao lui envoya demander le combat, par une lettre sur la marge de laquelle celui-ci fixa l’attaque au même jour ; dès que l’émissaire fut retourné avec cette réponse, les deux armées battirent le tambour ; chacun ceignit sa cuirasse, monta à cheval ; les bataillons se déployèrent. Entouré de ses généraux, Tsao-Tsao sortit hors des lignes, et provoqua son adversaire par des reproches injurieux ; de son côté, Youen-Chao parut accompagné de ses trois fils, de son neveu et de tous les mandarins civils et militaires de sa principauté, disposés autour de lui sur deux rangs.
« Tu n’as plus de ressources, tes forces sont anéanties, cria le premier ministre, et tu ne veux pas te soumettre ! Tu attends donc que mon glaive soit sur ton cou, et tu te repentiras alors, mais il sera trop tard ! — Qui veut commencer l’attaque, » dit Youen-Chao avec colère, en se tournant vers ses capitaines ?... Son fils bien aimé, Chang, était devant lui ; déployant la valeur indomptable d’un héros, il brandit son double cimeterre, s’élance au galop, et caracole à droite et à gauche entre les deux armées.
« Quel est cet homme », demanda le premier ministre en le montrant du doigt ? et ceux qui le connaissaient répondirent : « C’est Youen-Chang, le troisième fils de Youen-Chao. » La réponse n’était pas achevée, qu’un général brandissant sa lance, se précipitait au-devant de Chang. Tsao regarde ; c’est un lieutenant de Su-Hwang, c’est Ssé-Ouan qui, après une courte lutte, oblige son adversaire à fuir devant lui. Mais Youen-Chang tend son arc, pose le trait sur la corde, se retourne et lance par derrière une flèche qui traverse l’œil gauche de Ssé-Ouan ; celui-ci tombe de cheval et meurt.
Dès qu’il a vu la victoire remportée par son fils, Youen-Chao fait un geste d’appel avec son fouet, toute l’armée entoure son chef et la mêlée devient générale ; depuis midi jusqu’au soir, on se porte, de part et d’autre, des coups terribles ; enfin, la nuit sépare les combattants ; la retraite sonne[7], et des deux côtés les troupes reviennent à leur camp.
Là, Tsao consulte ses généraux ; il leur demande un moyen d’écraser son adversaire, de remporter une victoire décisive. Tching-Yu proposa un plan que le généralissime adopta[8] ; pour venir à bout de Youen-Chao, il fallait d’abord que Tsao reculât jusqu’a la rivière, puis disposât ses embuscades. L’ennemi ne manquerait pas de poursuivre la division en retraite, et il serait détruit. Voici ce qui fut fait : Les deux ailes se composaient chacune de cinq divisions, commandées par Héou-Tun, Tchang-Liéao, Ly-Tien, Yo-Tsin, Héou-Youen, pour la gauche ; par Tsao-Hong, Tchang-Ho, Su-Hwang, Yu-Kin, Kao-Lan, pour la droite ; l’avant-garde de la division du milieu avait pour chef Hu-Tchu. Le lendemain, Tsao fit avancer ces divisions au nombre de dix, et les plaça en embuscade à droite et à gauche ; lui-même, au milieu de la nuit, avait détaché l’avant-garde pour simuler une attaque sur le camp ennemi. A la vue de cette démonstration, les cinq corps d’armée de Youen-Chao s’étaient mis en mouvement, et Hu-Tchu reculant avec les siens, attirait les soldats ennemis sur ses traces. Les cris de la mêlée retentissaient sans cesse ; au point du jour, les fuyards se trouvaient rendus sur les bords du fleuve ; et comme il n’y avait pas à reculer davantage, Tsao s’écria à haute voix : « Me voila, soldats, pourquoi ne pas combattre à outrance ! »
Aussitôt ses troupes font volte-face, et opposent une résistance vigoureuse ; Hu-Tchu vole sur son cheval et s’élance en avant, faisant sauter les têtes des chefs qu’il rencontre. L’armée ennemie est en désordre ; elle veut reculer à son tour, mais Tsao se jette sur ses derrières ; au milieu de la route qu’elle suit, de grands cris viennent de retentir ; deux des divisions embusquées[9] la prennent en flanc, et en font un horrible carnage. Youen-Chao, ses trois fils et son neveu se dégagent a force de courage, et laissent derrière eux une longue trace de sang. Arrivés à la distance d’un mille, deux autres divisions tombant sur les troupes en déroute, les déciment encore ; les cadavres encombrent la plaine, le sang coule a grands flots. Plus loin deux autres les arrêtent de nouveau dans leur marche ; le combat devient acharné, mais Youen-Chao découragé, éperdu, après cette défaite va, avec ses fils, se jeter dans son camp. Aussitôt il ordonne à ses trois corps d’armée de prendre quelque nourriture ; mais au moment où les soldats vont réparer leurs forces, Tchang-Liéao et Tchang-Ho se précipitent à droite et à gauche sur les retranchements qu’ils enfoncent. Youen-Chao n’a que le temps de monter à cheval et de fuir dans la direction de Tsang-Ting. Les hommes et les chevaux tombaient de fatigue et de besoin ; un peu de repos et de nourriture devenait indispensable, mais l’armée de Tsao-Tsao était là qui harcelait les vaincus.
Abandonnant le soin de sa vie, Youen-Chao fuit droit devant lui ; deux autres divisions se présentent qui lui barrent le chemin ; ce sont celles de Tsao-Hong et de Héou-Tun. Youen-Chao ne sait plus par où passer : « Si je ne combats pas jusqu’au dernier soupir, s’écria-t-il, me voila prisonnier !.... » Et le glaive en main, se frayant une route, il sort de ce cercle fatal. Son fils Youen-Hy et son neveu Kao-Kan, étaient percés de flèches ; à la faveur de la nuit, il se retire en fuyant à dix milles de là ; dix mille hommes à peine l’avaient suivi dans sa fuite. Et encore la moitié de cette petite armée se dispersa-t-elle, tandis que le reste mourait sous les coups de l’ennemi.
Youen-Chao ( à cette vue) presse ses trois fils sur son cœur ; il pousse des sanglots et tombe évanoui ; les gens de sa suite s’empressent de le relever, mais il rejette le sang par la bouche en grande abondance. « Hélas, s’écrie-t-il, voila plus de dix grandes batailles que je livre, mais je n’ai jamais éprouvé des désastres comparables à ceux de Kouan-Tou et de Tsang-Ting ! Le ciel a décrété ma ruine... Tsao-Tsao ne manquera pas de nous poursuivre ; allez, (mes enfants), chacun dans votre district lever des troupes, et jurez de rester unis pour résister à cet usurpateur..., à ce brigand... — Dans le canton de Tsing-Tchéou, répondit Youen-Tan, les soldats et les vivres abondent ; je vous demande à y retourner pour y préparer une nouvelle armée ! » Youen-Chao le pressa de partir et d’aller tout disposer en avant ; il lui adjoignit même comme lieutenants, les deux généraux (qui s’attachaient à sa fortune)[10]. La crainte de voir Tsao envahir ses provinces l’agitait à tel point, qu’il fit retourner aussi Kao-Kan à Ping-Tchéou, et Youen-Hy à Yéou-Tchéou. Chacun d’eux devait rassembler des hommes et des chevaux dans sa localité, et préparer ainsi les moyens de défense. Quant à Youen-Chao, lui-même, il revint à sa capitale (Ky-Tchéou) en compagnie de son jeune fils, Youen-Chang. Occupé à rétablir sa santé, il laissa à celui-ci ainsi qu’à ses deux généraux[11], le soin d’organiser les troupes ; de grands approvisionnements de vivres et de fourrages furent accumulés dans la ville, car on s’y attendait à voir paraître l’armée victorieuse.
Après la victoire décisive remportée a Tsang-Ting, le premier ministre avait distribué des récompenses à ses trois corps d’armée. Des espions envoyés à Ky-Tchéou, pour savoir ce qui s’y passait, rapportèrent que Youen-Chao était malade et qu’il gardait le lit ; (ils ajoutaient) que le plus jeune fils de ce dernier, aidé des deux généraux déjà cités, mettaient la place en état de défense, tandis que les deux autres et leur cousin Kao-Kan, étaient retournés chacun dans leurs districts, tous bien résolus à tenir tête aux armées impériales. « Sans plus tarder, dirent les généraux du premier ministre, prenons l’offensive. — Je n’attaquerai pas cette ville de Ky-Tchéou, répondit celui-ci ; elle est bien approvisionnée et j’y vois un général (Chen-Pey) fertile en stratagèmes. Voici la saison où les récoltes mûrissent dans les champs, (par conséquent, un temps peu favorable à la guerre) ; sans acquérir aucun mérite, nous ruinerions la subsistance du peuple. Attendons l’automne, il ne sera pas trop tard pour agir. — Respecter les intérêts du peuple, répondirent les officiers, c’est retarder le succès des grandes entreprises ! »
Tsao-Tsao ajouta : « Le peuple est la racine de l’état ; si la racine est forte, l’arbre prospère ; si on détruit le peuple et qu’on prenne des villes désertes, quel avantage retire-t-on ? » Cependant, il y avait encore une certaine irrésolution dans son camp, lorsque la nouvelle suivante y fut apportée : Hiuen-Té[12], maître du Jou-Nan, se trouvait à la tête d’une armée respectable, que lui fournissaient les généraux Liéou-Py et Kong-Tou. Averti du départ du premier ministre avec ses troupes, et de la campagne entreprise par lui dans les provinces du nord, il avait ordonné à Liéou-Py de garder le Jou-Nan, et profité lui-même de l’occasion favorable pour se porter sur la capitale. Presque au même instant, arriva une lettre de Sun-Yéou (resté dans la capitale en qualité de gouverneur), qui confirmait ces détails. La-dessus, Tsao-Tsao laissant sur le bord du fleuve (son parent) Tsao-Hong avec une division, pour simuler des forces plus imposantes (et masquer sa retraite), partit avec tout le reste de son armée, pressé d’aller attaquer Hiuen-Té dans le Jou-Nan même.
- ↑ C’est-à-dire les événements que nous avons racontés dans le chapitre précédent ; le Ky-Tchéou est la province occupée par Youen-Chao, et dont le chef-lieu est la ville du même nom.
- ↑ Voir plus haut, page 197.
- ↑ Dans la suite, dit l’édition in-18, on a écrit sur lui les vers que voici :
« Hier, Tsou-Chéou a péri au milieu de l’armée ;
» Aujourd’hui Tien-Fong se donne la mort dans sa prison.
» Au nord du fleuve Ho, le nouvel Empire voit s’écrouler le faite de sa puissance ;
» Comment Youen-Chao n’aurait-il pas à pleurer la ruine de sa propre famille ? »
- ↑ C’est-à-dire à nommer l’héritier de ce trône, de ce royaume rétabli à la faveur des guerres civiles, afin que l’autorité princière se conservât entre les mains de ce successeur.
- ↑ Le royaume de Song est celui que fonda Liéou-Hiuen-Té, et qu’il légua à ses successeurs ; on appelle cette dynastie Han-Postérieurs. Le royaume de Tsou est celui que Sun-Tsé légua à ses frères. Le royaume dans lequel régna la famille de Tsao, s’appela royaume de Wey.
- ↑ Littéralement : un coq ou un chien. L’édition in-18 ajoute en note : Il y a des temps où les hommes sont méprisés comme des coqs et des chiens ; il y a des temps où l’on estime les coqs et les chiens autant que les hommes. Tout cela dépend des circonstances.
- ↑ Littéralement : on frappa le lo ; c’est un instrument de musique militaire, un grand bassin de cuivre sur lequel, disent les écrivains qui ont traité de la stratégie, on doit frapper pour donner l’ordre de la retraite.
- ↑ C’est, dit le texte, celui qu’on nomme : placer des troupes en embuscade sur dix faces. Voici ce que l’édition in-18 ajoute en note : Ce fut le stratagème qu’employa Han-Sin pour vaincre Hiang-Yu. S’adosser à la rivière pour déployer ses troupes, ce fut le stratagème qu’employa Han-Sin pour vaincre Tchin-Yu. (Voir sur ces événements l’Histoire générale de la Chine, vol. II, pages 460 à 484).
- ↑ A gauche celle de Héou-Youen, à droite celle de Kao-Lan ; ainsi de suite, dans l’ordre où ils ont été cités plus haut, mais en sens inverse.
- ↑ Sin-Ping et Kouo-Tou, comme on l’a vu plus haut.
- ↑ Chen-Pey et Fong-Ky, confidents de Youen-Chang.
- ↑ Voir plus haut, page 262.