Traduction par Théodore Pavie.
Duprat (2p. 117-135).


CHAPITRE PREMIER.


Suite du complot contre Tsao-Tsao.


I.


[Règne de Hiao-Hien-Ty. Année 499 de J.-C] « Quelles sont, demanda Tong-Tching, les personnes que vous voulez faire entrer dans le complot ? — D’abord, répliqua Ma-Teng, il y a le vice-roi de Yu-Tcheou, Hïuen-Té ; pourquoi ne pas l’appeler ? — Oui, il est parent des Han, oncle de Sa Majesté, mais Tsao et lui sont unis comme les doigts de la main[1] ; dans une affaire de ce genre, pouvons-nous compter sur lui ? — J’en ai la preuve ; au fond de son cœur, Hiuen-Té désire la mort du ministre. Dans cette partie de chasse d’hier, quand (l’arrogant) Tsao se tenait debout devant l’Empereur au moment où l’on criait : Vive Sa Majesté ! Hiuen-Té a retenu le bras de son compagnon d’armes[2] qui voulait le frapper. Ce n’était pas qu’il n’eût une pareille intention lui-même, mais il redoutait les partisans du ministre qui l’entouraient en grand nombre ; il craignait que le coup ne fût manqué. Seigneur, si vous faites un appel à ce personnage, certainement il y répondra ! »

Leur complice Ou-Tsé-Lan fut d’avis qu’une entreprise si grave ne pouvait être abordée légèrement, et qu’il fallait se réunir un autre jour pour délibérer de nouveau : là-dessus la petite assemblée se sépara. La nuit suivante, Tong-Tching cacha dans sa robe l'ordre écrit par l’Empereur, et se rendit chez Hiuen-Té ; les portiers avertirent leur maître, qui se hâta d’accourir au-devant de son hôte, en lui demandant quelle affaire l’amenait a pareille heure. « Seigneur, ajouta-t-il, daignez entrer et vous asseoir un instant dans mon humble demeure ! — Si je viens au milieu des ténèbres et non au grand jour, ce qui eut été mieux, répondit Tong-Tching, c’est que j’ai craint, par une semblable démarche, d’éveiller les soupçons de Tsao....... »

Hiuen-Té exprima combien il était honoré de sa visite, et fit servir du vin ainsi qu’un léger souper ; Tong-Tching dit : « Avant-hier, à cette partie de chasse, votre frère adoptif, Yun-Tchang, a voulu tuer Tsao, et vous l’avez, par un signe d’yeux, par un mouvement de tête, empêché de porter le coup ; expliquez-moi quelles étaient vos intentions ? — Mais, seigneur, reprit Hiuen-Té, étourdi par cette question, comment avez-vous su ?.... — Les autres assistants n’ont pas remarqué cette scène muette, répondit Tong-Tching ; moi seul, qui étais à vos côtés, général, j’ai pu voir ces mouvements dont je vous parle [3]. » Poussé à bout [4], Hiuen-Té avoua que son compagnon d’armes n’avait pu se décider à laisser impunie l’arrogance du ministre. A ces mots Tong-Tching cacha son visage dans ses mains en sanglotant, et comme Hiuen-Té l’interrogeait sur la cause de sa douleur : « Hélas ! répliqua-t-il, si Sa Majesté comptait quelques serviteurs aussi dévoués que l’est votre frère adoptif, la dynastie recouvrerait la sécurité qui lui manque ! »

Craignant que son hôte ne fut envoyé par Tsao pour sonder ses intentions, Hiuen-Té voulut changer de langage. « Son excellence le premier ministre gouverne l’Empire, reprit-il ; quel péril menace la dynastie ? » A son tour, Tong-Tching se leva, portant sur son visage les traces de la consternation : « Quoi, s’écria-t-il, vous, parent des Han, de l’Empereur, vous n’osez soutenir la vérité quand je vous parle à cœur ouvert ! — C’est que je craignais d’être dupe d’une ruse, répondit Hiuen-Té ; voilà pourquoi je dissimulais ! » Aussitôt Tong-Tching tira du fond de sa manche l’ordre impérial et le présenta à Hiuen-Té, avec la liste sur laquelle les autres conjurés s’étaient inscrits. Celui-ci n’avait pu vaincre son émotion, en lisant l'ordre impérial (écrit avec du sang) [5] ; à la vue de cette liste où figuraient déjà les six personnages éminents engagés dans le complot, il s’écria : « Quand il y a des hommes dévoués à secourir la dynastie, moi, Liéou-Pey-Hiuen, je ne me dévouerais pas aussi comme le chien et le cheval se dévouent à leur maître ! »

Tong-Tching le salua en s’inclinant, et il s’écria de nouveau : « Puisque un pareil édit tracé par l’Empereur m’ordonne de marcher, dix mille morts ne m’arrêteraient pas ! — Veuillez ajouter à cette liste votre illustre nom, » dit Tong-Tching ; et il signa tout au long : Liéou~Pey [6], général du second corps d’armée, Tong-Tching replia le morceau de gaze. « Il nous manque encore les noms de trois hommes fidèles à la dynastie, reprit-il ; ce nombre de dix une fois atteint, nous tenterons de détruire les tyrans qui oppriment l’Empire ! »

« Une si importante affaire, dit Hiuen-Té, demande à être conduite avec précaution ; par une trop grande précipitation, nous pourrions trahir nos projets ! » Et ils délibérèrent jusqu’à la cinquième veille, heure à laquelle Tong-Tching se retira. Cependant Hiuen-Té, pour se mettre (à tout hasard) à l’abri des pièges que Tsao pouvait lui tendre, se fixa tout à fait derrière ses appartements intérieurs, dans son jardin qu’il s’occupa à cultiver ; il l’arrosait lui-même, si bien que Yun-Tchang lui dit : « Frère aîné, vous ne prenez plus dégoût à tirer de l’arc, ni à monter à cheval [7], comme il conviendrait à un héros qui songe à l’Empire ; vous vous livrez à des occupations dignes d’un homme vulgaire ! »

« Ce qui m’occupe, vous l’ignorez, » reprit Hiuen-Té ! Son frère d’armes se mit à étudier le Tchun-Tsiéou de Kong-Fou-Tsé ; seulement il sortait quelquefois pour tirer de l’arc à cheval. Un jour que Tchang-Fey et lui se trouvaient absents, Hiuen-Té arrosait son potager, lorsque Hu-Tchu et Tchang-Liéou [8], suivis d’une dizaine de soldats entrèrent brusquement dans le jardin, en lui disant que son excellence Tsao-Tsao le mandait au plus vite en son hôtel. Que lui voulait le ministre qui l’appelait comme pour une affaire urgente : les officiers l’ignoraient ; son excellence les avait envoyés vers lui, ils n’en savaient pas davantage.

Hiuen-Té les suivit donc jusqu’à l’hôtel de Tsao, qui d’un visage sévère lui cria : « Vous nous faites-là de belles affaires ! » À ces mots Hiuen-Té avait changé de couleur ; Tsao lui prit la main, l’emmena dans le bosquet derrière l’hôtel, et lui dit : « Seigneur Hiuen, vous vous donnez bien du mal pour apprendre à jardiner ! » Cette question ramena le calme dans son esprit : « Je n’ai rien à faire, répondit-il ; c’est une façon d’occuper mes loisirs ! — Ah ! reprit Tsao, regardant en l’air avec un grand éclat de rire, l’an dernier, quand j’allais combattre le rebelle Tchang-Siéou, l’eau manqua sur la route et l’armée mourait de soif. J’eus recours à un stratagème ; là-bas, devant vous, m’écriai-je, il y a un bois de pruniers ; et je faisais signe avec mon fouet ; à ces mots, les soldats sentirent l’eau leur venir à la bouche, et leur soif se calma. La vue de ces prunes si vertes me rappelle forcément cette aventure ; je veux en célébrer le souvenir ; voilà pourquoi j’ai fait préparer du vin chaud et appeler mon jeune frère [9], afin de lui donner une légère collation dans ma petite galerie > et de le traiter comme il convient de recevoir un ami intime ! »

Tout à fait rassuré, Hiuen-Té suivit le ministre au lieu où le repas était servi. Déjà les coupes se trouvaient rangées, des prunes mûres brillaient sur les assiettes, le vin bouillait ; les deux convives assis l’un en face de l’autre, libres de toute contrainte, mangèrent bien et burent mieux encore. Tout à coup cependant, les nuages s’amoncelèrent, la pluie tomba par torrents, et les serviteurs qui se tenaient derrière les conviés montrèrent du doigt le firmament, en assurant qu’ils y voyaient un dragon suspendu entre le ciel et la terre. Tsao se pencha sur la balustrade pour regarder ainsi que son hôte, puis il dit : « Jeune frère, connaissez-vous les transformations du dragon ? — Non, » répliqua Hiuen-Té.

« Les voici : le dragon se grandit et se raccourcit à volonté ; il peut monter dans les airs ou se rendre invisible. Quand il est grand [10], il fait voler au ciel le brouillard et la pluie ; il mêle les eaux du fleuve Kiang et de l’Océan. Quand il est peut, il rentre sa tête, replie ses griffes, et se cache sous un brin d’herbe. Quand il s’élève dans les airs, il vole majestueusement dans tout l’espace ; quand il se dérobe aux regards, il se retire au plus profond des ondes. Le dragon, c’est le principe Yang. Selon les saisons il se transforme ; maintenant nous sommes au cœur du printemps, et c’est l’époque où il se manifeste (où de poisson qu’il était devenu, il reprend sa véritable forme) ; les héros sont pareils à lui ! Quand le dragon s’élève, il monte jusqu’au neuvième ciel ; l’homme supérieur qui arrive à son but, qui trouve son heure, parcourt en maître tout l’Empire. Vous, Hiuen-Té, qui depuis longtemps avez rempli des emplois aux. quatre coins de l’Empire, vous devez, sans aucun doute, avoir rencontré ce héros qui est le premier de sou siècle. Dites, quel est-il ? — Avec des yeux de chair [11] (que n’illumine point un esprit supérieur), Liéou-Hiuen-Té pourrait-il avoir distingué ce héros et Je faire connaître, reprit celui-ci ? — Mettez de côté cette modestie, répliqua Tsao ; au fond de votre cœur, j’en suis convaincu, vous avez une opinion arrêtée sur ce point,— C’est vous qui dans votre bonté m’avez accordé un grade à la cour ; en vérité, je ne connais point encore les héros, les sages qui se trouvent.... — Au moins vous savez les noms, si vous ne connaissez pas les personnes ! Je vous en prie, causons de ce qui se passe dons notre siècle. »

« Dans le Hoay-Nan, reprit Hiuen-Té, il y a Youen-Chu, qui possède une belle année, d’abondantes provisions ; on peut l’appeler un héros ! — Ah ! ah ! s’écria Tsao en riant ; c'est un vieux os pourri dans une bière ! Un de ces jours, soyez-en sur, j’en viendrai à bout. — Au nord du fleuve Ho, il y a Youeu-Chao ; dans sa famille, depuis quatre siècles, se trouvent réunies les trois grandes dignités de l’Empire [12] ; parmi les anciens mandarins il compte beaucoup de clients. Pareil à un tigre, il tient sous sa dépendance le Ky-Tchéou ; il a à son service un grand nombre d’hommes capables ; on pourrait lui appliquer cette dénomination de héros.... »

« Non, interrompit Tsao avec un sourire ; ce Youen-Chao est une statue imposante d’aspect, mais vide à l’intérieur ; il aime former des projets et ne s’arrête à aucun. Dans les grandes occasions, il ne sait pas se risquer, et pour un petit avantage il aventure follement sa vie ; c’est la un homme qui peut à peine causer quelque inquiétude, et non un héros [13] ! »

« Il y a un brave sans rival dans les Neuf-Districts, Liéou-KingChing ; peut-être mérite-t-il d’être appelé.... — Ce Liéou-Piao est un buveur, un voluptueux, mais non un héros ! »

« Sun-Pé-Fou [14] commande les provinces situées à l’est du Kiang ; il est brave, héroïque même. — C’est un blanc-bec, un enfant qui vit de la gloire de son père, et rien de plus ! »

« Et Liéou-Tchang qui est maître du Y-Tchéou ?....... — Ce n’est pas un héros, assurément, mais un pauvre chien qui garde une porte ! — Tchang-Siéou, Tchang-Lou, Han-Souy et tant d’autres, que sont-ils à vos yeux ? »

Frappant dans ses mains, Tsao répliqua avec le sourire de mépris (qui avait accompagné chacune de ses réponses) : « Ce sont des hommes de rien, qui ne valent pas la peine d’être comptés ! — Cependant, après tous ceux-là, je ne trouve plus personne à citer ! »

« Le véritable héros, reprit Tsao, est celui qui nourrit en son cœur de grandes pensées, qui cache en son esprit de sages plans de conduite, qui est capable de tout entreprendre et de tout mener à fin [15]. Tel est celui qu’on peut appeler un héros ! — Et quel homme réunit ces perfections ? » demanda Hiuen-Té.

Tsao montrant du doigt son hôte, répondit : « Le héros de notre siècle, c’est vous, seigneur, vous.... et moi, à l’exclusion de tout autre ! » Comme il achevait ces paroles, la foudre retentit avec un bruit terrible ; une pluie abondante se mit à tomber, et Hiuen-Té laissa échapper les bâtonnets qu’il tenait à la main. — « Pourquoi laissez-vous cheoir les bâtonnets, demanda Tsao surpris ? — Le saint homme a dit : Quand le tonnerre se fait entendre, quand le vent souffle, c’est un signe qu’il se prépare de grands changements. Voilà la cause de ce mouvement de frayeur qui vous a surpris. — Le tonnerre, c’est la voix du ciel et de la terre ! Quelle frayeur doit-il inspirer ? »

« Depuis mon enfance, répondit Hiuen-Té, j’ai peur de la foudre ; c’est un sentiment que je ne puis vaincre ! » Tsao répliqua par un froid sourire, et jugea Hiuen-Té comme un homme incapable de former des entreprises hardies ! — Tout rusé, tout habile qu’il était, il venait d’être vaincu par son rival [16].

Quand la pluie d’orage eut cessé, on vit entrer brusquement deux hommes armés de leurs glaives : c’étaient les frères adoptifs de Hiuen-Té (Yun-Tchang et Tchang-Fèy). Ayant su, au retour de leur partie de tir à cheval, que Hiuen-Té avait été emmené par deux généraux du premier ministre, ils s’étaient précipitamment dirigés vers l’hôtel de ce dernier. Ils venaient d’apprendre que leur frère était dans le jardin, derrière le palais ; ils le croyaient en péril, et voila pourquoi ils avaient pénétré sans se faire annoncer, jusqu’auprès de lui. Quand ils virent Hiuen-Té paisiblement assis à table avec Tsao, ils s’arrêtèrent le sabre en main. — « Que voulez-vous ici, leur demanda Tsao ? — Nous avons appris, répondit Yun-Tchang, que votre excellence avait invité notre frère à un repas, et nous sommes venus tout [17] exprès pour jouer dû sabre, et animer le festin par cet exercice ! »

« Ce n’est point ici un festin comme on en célèbre aux portes de la capitale, répliqua dédaigneusement Tsao-Tsao, qui avait deviné leur pensée ; nous n’avons donc pas besoin de jongleurs [18] ! » Cette réponse fit sourire Hiuen-Té ; Tsao versa une pleine coupe de vin à chacun des deux guerriers qui l’acceptèrent avec politesse ; et le repas se termina aussitôt.

Quand, après avoir pris congé de son hôte, Hiuen-Té fut rentré dans sa demeure, Yun-Tchang lui dit combien ils avaient été inquiets de le savoir emmené chez le ministre. Hiuen-Té raconta à ses deux frères d’armes la petite scène des bâtonnets ; mais ils n’en comprirent pas le sens, et il le leur expliqua ainsi : « En m’occupant à jardiner et en affectant d’avoir peur de la foudre, j’ai eu la même pensée. Tsao est un homme artificieux et perfide ; je suis sûr que ses espions me surveillent nuit et jour. Si je suis resté dans mon jardin à planter des légumes, c’était afin qu’il me crût tout à fait oisif ; si j’ai laissé tomber les bâtonnets, ça été parce qu’il venait de m’appeler en face un homme héroïque. Je n’ai rien répondu, mais la foudre ayant grondé au même instant, j’ai donné cette marque de frayeur, en disant que je craignais le tonnerre ; Tsao, je l’espère, me regardera comme un enfant timide, et ne songera pas à me nuire ! » — À cette explication, Yun-Tchang témoigna combien il admirait les vues élevées de son frère aîné, qui avait si habilement détourné les soupçons du premier ministre.

Le lendemain, Tsao invita de nouveau Hiuen-Té ; pendant le repas, des courriers annoncèrent le retour de Man-Tchong, qui avait été envoyé vers le pays occupé par Youen-Chao, pour en apprécier la situation. Tsao voulut qu’on fit entrer le mandarin : « Je vous ai chargé d’aller au nord du fleuve Ho, lui dit-il ; donnez-moi des nouvelles de ce qui se passe dans ces contrées. — Il n’y a rien de changé de ce côté, répondit Man-Tchong, si ce n’est que Kong-Sun-Tsan [19] a été détruit par Youen-Chao. » Et comme Hiuen-Té désirait connaître les détails de cet événement, il reprit : « Kong-Sun-Tsan, battu par Youen-Chao, s’était replié sur la ville de Ky-Tchéou ; sur les murs de terre à deux étages, il s’était construit une tour haute de cent pieds [20], et trois cents mille boisseaux de grains s’y trouvaient rassemblés ; il avait donc tout préparé pour se bien défendre. Malheureusement, dans une sortie, ses soldats furent entourés par les assiégeants ; le reste de l’armée demanda à voler à leur secours, et Kong-Sun-Tsan s’y refusa en disant que si l’on en agissait ainsi, les troupes a l’avenir, comptant sur un pareil appui, ne se battraient plus avec courage. Il résulta de là que ses soldats se soumirent pour la plupart à Youen-Chao ; Kong-Sun-Tsan voyant ses forces diminuées, voulut demander du secours à Tchang-Yen. Un feu allumé par celui-ci devait être le signal d’une attaque qu’il ferait du dehors contre les assiégeants, et à laquelle on répondrait du dedans par une sortie. L’envoyé chargé de porter cette lettre fut pris par les gens de Youen-Chao, qui s’empressa d’allumer le feu ; Kong-Sun-Tsan s’étant élancé hors des murs, les soldats embusqués à dessein se levèrent de toutes parts ; celui-ci, après avoir perdu la moitié de son monde, fut forcé de se retirer de nouveau dans la ville. Youen-Chao fit creuser un chemin souterrain, qui conduisit ses soldats au pied même de cette tour où se tenait Kong-Sun-Tsan. Le malheureux, ne sachant par où fuir, a commencé par égorger sa femme et ses enfants, puis il s’est pendu. Ses troupes ont passé à l’ennemi ; le jeune frère de Youen-Chao, Youen-Chu, établi dans le Hoay-Nan, s’y conduit avec hauteur et arrogance ; il s’aliène à la fois le peuple et l’armée ; tout le monde veut abandonner son parti. Ce que voyant, il s’est démis de son titre d’Empereur [21] en faveur de Youen-Chao. Celui-ci a envoyé chercher le sceau impérial ; il se décide à fonder son Empire au nord du fleuve Ho. Déjà Youen-Chu en personne s’avance pour le recevoir ; son intention est de quitter le Hoay-Nan et de soumettre la rive septentrionale du fleuve. Si ces deux frères se prêtent un mutuel secours, il sera difficile de les combattre avec avantage ; donc, son excellence ferait bien de profiter des instants qui restent encore pour les attaquer. »

À ces mots, Hiuen-Té se leva : « Si Youen-Cbu se jette dans les bras de son frère aîné, s’écria-t-il, certainement ils envahiront bientôt le Su-Tchéou [22] ; prêtez-moi une armée, que j’aille barrer la route à Youen-Chu, et je viendrai à bout de cet ennemi ! — Demain, répondit Tsao avec joie, je vous présenterai a l’Empereur, et j’obtiendrai que’ vous puissiez partir ! »

Le lendemain, l’audience fut accordée. Tsao fit tenir prêts cinquante mille hommes, commandés par Tchu-LingetLou-Tchao, et les mit à la disposition de Hiuen-Té, en le nommant inspecteur général des provinces à soumettre, pour qu’il marchât contre Youen-Chu. Quand Hiuen-Té prit congé de l’Empereur, Sa Majesté le reconduisit en pleurant jusqu’aux portes du palais ; Tong-Tching l’accompagna jusqu’à la distance d’une lieue hors des murs, et au moment de se séparer, Hiuen-Té lui dit : « Oncle maternel de l’Empereur, prenez patience ! Dans cette expédition, je vous le jure, mes sentiments ne changeront pas ; envoyez-moi des courriers pour me tenir au fait de ce qui se passera ! — Seigneur, reprit Tong-Tching, ne perdez point de vue le projet que nous avons formé ; ne vous montrez point ingrat envers l’Empereur ! » Et ils se séparèrent.

Quand Hiuen-Té fut en route, ses deux compagnons d’armes lui demandèrent pourquoi il avait mis tant d’empressement à entreprendre cette expédition : « C’est que, répondit-il, j’étais comme le poisson dans la nasse, comme l’oiseau dans le filet ; c’est pour moi une occasion de faire comme le poisson qui retourne a la haute mer, comme l’oiseau qui s’élève de nouveau vers le ciel bleu ! J’échappe à la nasse et au filet ; Tsao et moi nous avons bien les mêmes sujets d’inquiétude, mais nos désirs, nos espérances ne sont pas les mêmes. Ce qui lui causerait de la joie, ce serait de nous voir périr misérablement ! »

Les chefs de cette expédition, Tchu-Ling, Lou-Tchao, et les deux frères d’armes de Hiuen-Té, conduisaient leurs soldats à pas rapides, sous les ordres de ce dernier. Pendant ce temps (le conseiller intime du premier ministre), Kouo-Kia, qui était allé rassembler des vivres et recueillir de l’argent, ayant appris au retour le départ de Hiuen-Té, accourut auprès de son maître et lui demanda quelle intention il avait eue en chargeant cet homme dangereux d’une pareille mission ? « J’ai voulu qu’il combattit Youen-Chu, répliqua Tsao ! — Seigneur, dit Tching-Yu (l’un des conseillers), quand jadis Hiuen-Té a reçu le gouvernement de l’autre province de Yu-Tchéou, j’ai donné à votre excellence des avis qu’elle n’a pas écoutés ; aujourd’hui vous lui prêtez des troupes.... C’est lancer le dragon dans la mer, le tigre dans la montagne ! Quand vous voudrez vous faire obéir de lui, y parviendrez-vous ? — Ce Liéou-Hiuen-Té est un homme supérieur, ajouta Kouo-Kia ; il a pour lui l’amour des peuples ; ses deux frères adoptifs sont des héros capables de résister à une armée ! Plus j’y songe, plus je vois en Hiuen-Té un personnage qui ne se laissera pas longtemps commander ; il nourrit des projets dont on ne peut sonder la profondeur ! Les anciens disaient : Le moment où l’on lâche son ennemi [23] prépare des regrets pour des siècles ! Vous lui confiez des troupes ; autant vaudrait donner des ailes à un tigre ! Seigneur, réfléchissez-y bien. »

« Je l’ai vu oisif, cultivant son jardin, dit Tsao ; plus tard, j’ai reconnu au coup de tonnerre qui l’a fait trembler, que ce n’était point là un homme capable de former de grandes entreprises ; quelles alarmes me causerait-il ? — Par ces paisibles occupations, reprit Tching-Yu, il endormait les soupçons de votre excellence ! Par cette faiblesse simulée, il masquait le fond de son caractère. Comment votre excellence, dont le regard perçant illumine la terre, a-t-elle pu se laisser éblouir par les ruses de Hiuen-Té ! »

« Ah ! s’écria Tsao en frappant du pied, j’ai été dupe de son astuce ! Qui veut courir sans relâche sur ses traces et me le prendre ! — Moi, répondit un officier qui s’avança fièrement, donnezmoi cinq cents cavaliers, et je vous l’amène ici, pieds et poings liés, lui et ses deux formidables amis ! »

Celui qui s’offrait pour accomplir ces grandes choses, c’était Hu-Tchu, commandant militaire de Hou-Pé ; le premier ministre s’empressa de mettre sous ses ordres les cinq cents hommes et il partit.


II.[24]


Cependant Yun-Tchang et Tchang-Fey marchaient toujours ; des qu’ils aperçurent la poussière soulevée derrière eux : « Frère, dirent-ils à Hiuen-Té, voilà certainement des troupes que Tsao envoie à notre poursuite ! » Ils dressèrent leur camp, et Hu-Tchu s’étant approché, Hiuen-Té lui demanda ce qu’il voulait.

« Son excellence, répondit le général, m’envoie tout exprès pour vous dire, qu’ayant à traiter en votre compagnie une importante affaire, il vous prie de retourner à la capitale. — Une fois qu’un chef d’armée est hors de la province où réside l’Empereur, dit Hiuen-Té, il n’écoute plus même les ordres de Sa Majesté[25], a plus forte raison, ce qu’un ministre peut avoir à lui dire ! Allez de ma part porter cette réponse à son excellence : Les deux conseillers Tching-Yu et Kouo-Kia, m’ont bien des fois demandé en présent de l’or et des étoffes précieuses, et parce que j’ai refusé de les satisfaire, ils m’ont calomnié auprès de leur maître ; voila pourquoi maintenant son excellence vous a lancé sur mes traces. Vous avez ordre de mettre la main sur moi, et moi, si je n’étais aussi humain que probe, je vous ferais hacher en pièces ! Mais non ; Tsao m’a comblé de bienfaits dont le souvenir ne s’est pas effacé de mon cœur. Allez donc vite, allez porter à son excellence des paroles de paix ! »

À côté de lui, ses deux frères d’armes se tenaient debout, le sabre au poing, fixant sur Hu-Tchu des regards menaçants, ce qui décida ce dernier à retourner vers son maître ; il lui répéta même toutes les paroles de Hiuen-Té. Aussitôt appelant ses deux conseillers, Tsao les accabla de reproches, de ce que la cupidité seule leur avait inspiré des paroles de calomnie ; mais frappant la terre de leurs fronts, ils s’écrièrent : « Votre excellence se laisse séduire par les ruses de cet homme ! — J’en avais envoyé un, répliqua Tsao en souriant ; si j’en envoie d’autres à la poursuite de Hiuen-Té, nous deviendrons ennemis irréconciliables. Quant à vous, je vous pardonne, mais cessez de m’inspirer ainsi des soupçons ! » Les deux courtisans se retirèrent ; au fond, Tsao ne savait trop s’il devait ajouter foi à leurs paroles [26].

De son côté, quand il vit Hiuen-Té sorti de la capitale, l’autre conjuré, Ma-Teng, rappelé par des affaires importantes sur les frontières de l’ouest, retourna dans sa province de Sy-Liang.

Hiuen-Té arrivait à Su-Tchéou ; le commandant du lieu, TchéTchéou vint le recevoir avec honneur et le traita solennellement ; les anciens conseillers et mandarins, Sun-Kien, My-Tcho [27] et les autres se portèrent aussi à sa rencontre par respect, puis il alla dans son hôtel revoir sa famille (qu’il y avait laissée).

Cependant, il apprit par ses espions que Youen-Chu s’abandonnait a tous les excès d’un fol orgueil ; les généraux Louy-Pou et Tchin-Lan [28] s’étaient jetés dans les monts Tsong-Chan ; les forces de l’ambitieux partisan diminuaient de telle sorte, qu’il avait écrit à son frère aîné Youen-Chao une lettre ainsi conçue, en lui cédant le titre d’Empereur [29] :

« Il y a longtemps que l’Empire échappe à la dynastie des Han. Le souverain n’est qu’un faible enfant ; le gouvernement est abandonné à la fantaisie des mandarins. Les hommes supérieurs s’attaquent et se partagent les provinces ; ainsi au dé» clin de la dynastie des Tchéou, la Chine se divisait en sept royaumes. À la fin, l’Empire appartiendra au plus puissant. C’est à la famille des Youen que le ciel réserve maintenant la souveraineté ; des signes merveilleux l’ont fait connaître. Aujourd’hui, mon frère aîné règne en maître sur quatre provinces ; il a sous sa dépendance un peuple innombrable ; aucun de ses rivaux ne l’égale en puissance ; aucun d’eux ne peut lui être comparé pour les qualités et la capacité. La politique de Tsao consiste a soutenir un faible prince, à étayer un trône qui chancelle, à faire passer entre les mains des héritiers de la dynastie, le sceptre qu’ils tiennent de leurs pères ; pourra-t-il sauver ce qui a déjà péri ! Voila que vous avez le titre d’Empereur ; montez vite sur le trône, fondez une dynastie impérissable ! L’occasion est bonne, profitez-en ; le sceau de jade, le sceau héréditaire des Empereurs, je vous le cède et vous l’offre ! »

Youen-Chao avait l’ardent désir d’usurper le titre de souverain ; aussi envoya-t-il prier son jeune frère de venir. Celui-ci se mit en chemin avec ses troupes (son ancien cortège d’Empereur), son harem, son char et le reste, en se dirigeant vers Su-Tchéou. Informé de l’approche de cet ennemi, Hiuen-Té marcha à sa rencontre accompagné de ses cinquante mille hommes ; il ne tarda pas à atteindre Ky-Ling, chef de l’avant-garde, que (le fougueux) Tchang-Fey aborda avec de grands cris, et après une lutte assez longue, renversa mort aux pieds de son cheval. Ce premier corps d’armée se dispersa, et Youen-Chu vint en personne présenter la bataille avec sa division. Les troupes de Hiuen-Té étaient séparées en trois corps ; à sa gauche il avait les deux généraux Tchu-Ling et Lou-Tchao [30], à sa droite ses deux frères d’armes. Lui-même il prit les devants à la tête du principal corps d’armée, et apostropha le chef ennemi : « Rebelle qui tournes le dos a la justice, un ordre de l’Empereur m’enjoint de te châtier ; viens, les mains liées, faire ta soumission ? Viens t’humilier devant le premier ministre, si tu veux éviter le châtiment de tes crimes ! — Petit marchand de nattes, vil faiseur de pantoufles [31], répliqua Youen-Chu d’un ton injurieux, oses-tu bien me manquer de respect »

À ces mots il s’élance ; Hiuen-Té recule à dessein, de manière a l’exposer à la double attaque des deux autres corps d’année. Youen-Chu, complètement défait, rallie à peine mille soldats et veut battre en retraite vers la ville de Tchéou-Tchun. Mais cette ville était au pouvoir des brigands (qui maintenaient leur indépendance à la faveur des guerres civiles). Forcé de se replier sur Kiang-Ting, d’abandonner son argent et ses vivres entre les mains de Louy-Pou et de Tchin-Lan (que nous avons vus plus haut retirés dans les monts Tchong-Chan), il se trouva réduit à trente boisseaux de blé. Il distribua ces faibles ressources aux soldats ; les habitants qui n’avaient rien à manger, mouraient de faim par centaines. Youen-Chu, ennuyé de manger de mauvais riz enveloppé de sa pellicule, ne pouvait plus l’avaler ; il demanda à son cuisinier de lui donner de l’eau de miel. « Où en prendrais-je, répondit le cuisinier ? il n’y a ici que de l’eau de sang ! »

À ces mots Youen-Chu s’appuya sur son lit, poussa un grand cri et tomba à terre en rejetant par la bouche une pinte de sang.... Il était mort [32].

Ceci arriva au sixième mois de la quatrième année Kien-Ngan (199 de J.-C).

Le fils du frère aîné de Youen-Chu, Youen-Yn, ayant placé son corps dans un cercueil, l’emporta vers Lou-Kiang, où il emmena toute sa famille. Ce neveu fut tué lui-même par un certain Su-Kiéou ; celui-ci porta à la capitale le sceau des Empereurs et le remit à Tsao-Tsao qui, très content d’avoir recouvré ce joyau précieux, nomma l’assassin commandant militaire de Kao-Ling.

Hiuen-Té, instruit de la mort de Youen-Chu, écrivit à l’Empereur pour l’en informer ; de son côté, Tsao rappela ses deux généraux Tchu-Ling et Lou-Tchao. Quand ils parurent en sa présence, et annoncèrent que Hiuen-Té gardait les troupes qu’on lui avait confiées, le ministre indigné voulut les faire décapiter tous les deux : « Seigneur, lui dit le conseiller Sun-Yo, c’est Hiuen-Té qui a le commandement des troupes ; ces deux généraux pouvaient-ils ramener leurs soldats avec eux ? » Tsao se contenu de les chasser avec des paroles de reproches ; Sun-Yo reprit : « Écrivez au gouverneur de Su-Tchéou, qu'il tâche de vous débarrasser de Hiuen-Té par trahison ! » Le conseil plut à Tsao ; il dépêcha vers le gouverneur un exprès chargé de lui transmettre ses ordres ; aussitôt Tché-Tchéou (le gouverneur) en conféra avec Tchin-Teng [33] : « Rien n’est plus facile, répondit celui-ci ; placez des soldats en embuscade hors des murs, allez au-devant de Hiuen-Té quand il rentrera dans la ville, et dès qu’il approchera du lieu où le piège sera tendu, frappez-le. Moi, je ferai assaillir à coups de flèches, du haut des remparts, les soldats qui le suivent, et la grande affaire sera accomplie ! »

À l’instant même, le traître fit prier Hiuen-Té d’entrer dans la ville ; mais déjà Tchin-Teng était allé tout dévoiler à son père Tching-Kouey : « Hiuen-Té est plein d’humanité, répondit Kouey ; courez le prévenir du danger qui le menace », et Teng obéit à son père ; les deux frères d’armes du héros furent avertis de ce qu’ils avaient à faire.Tchang-Fey (toujours impétueux) voulait voler en avant et combattre ; Youen-Tchang l’arrêta : « Il y a des troupes embusquées hors de la ville, certainement nous serons repoussés. D’un autre côté, si Hiuen-Té sait ce qui se passe, il ne voudra ni entrer dans la ville, ni tuer le traître ; je sais un moyen...., le voici : La nuit venue, habillons-nous comme des soldats de Tsao ; arrivés dans la ville, nous prierons Tché-Tchéou de sortir avec nous, et à l’instant nous regorgerons. — Mais s’il ne se montre pas hors des murs......, que ferons-nous, dit Tchang-Fey ? — Dans ce cas, ayons recours à un autre stratagème ! » Ils armèrent leurs soldats comme ceux du premier ministre, et cette même nuit, a la troisième veille, ils vinrent crier qu’on leur ouvrît les portes. — « Qui va là, » demanda-t-on du haut des murs ? — Ils répondirent : « Soldats de Tchang-Wen-Youen, lieutenant de Tsao ! » On courut avertir le gouverneur, qui à son tour alla trouver Tchin-Teng et lui dit : « Si je ne vais pas au-devant d’eux, je crains que son excellence ne doute de mon zèle à remplir ses ordres ; si je sors des murs, n’ai-je point à redouter un piège ? »

Il monta donc sur les remparts et répondit : « Au milieu de l’obscurité, il est difficile de se bien reconnaître ; quand il fera jour, j’irai au-devant de vous. — Nous craignons que Hiuen-Té ne reçoive des avis secrets, répondirent d’en bas les soldats déguisés ; hâtez-vous de nous ouvrir les portes ! »

À la cinquième veille. Tché-Tchéou se revêtit de sa cuirasse, s’arma d’un couteau à forte lame, et sortit de la ville avec un millier d’hommes. Arrivé sur le pont-levis, il rangea ses troupes des deux côtés, demandant à haute voix : « Le général TchangWen-Youen, envoyé par son excellence, où est-il ? » A ces mots Yun-Tchang poussa son cheval en avant et répondit d’une voix tonnante : « Brigand, oses-tu bien nourrir le dessein d’assassiner Hiuen-Té ? » La lutte ne dura pas longtemps ; incapable de résister à un pareil adversaire, Tché-Tchéou tourna bride en se dirigeant vers le pont. Du haut des murs, Tchin-Teng l’accable d’une grêle de traits [34] ; en vain fait-il le tour de la place, fuyant toujours ; Yun-Tchang le poursuit, l’atteint et l’abat d’un coup de sabre ; puis il lui coupe la tête et la montre du haut des murailles en criant : « C’était un traître ; je l’ai tué ! Grâce et pardon à tous les habitants ; la vie sauve à ceux de ses soldats qui passeront dans nos rangs ! »

Tous les soldats jetant bas leurs cuirasses, abandonnant leurs lances et leurs sabres, se prosternèrent ; Yun-Tchang aussitôt rassura le peuple, puis il alla au-devant de Hiuen-Té, tenant en main la tête sanglante. Quand il lui eut raconté les événements qui venaient de se passer, le héros ne put calmer ses inquiétudes : « Si Tsao vient en personne, s’écria-t-il, nous sommes perdus ! — Je courrai à sa rencontre avec Tchang-Fey, répondit Yun-Tchang, et nous l’arrêterons ! »

Hiuen-Té n’approuvait point cette mesure violente. Quand il entra dans la ville, tous les vieillards vinrent se prosterner sur son passage ; mais une fois arrivé dans son hôtel, il demanda (avec une certaine inquiétude) où était Tchang-Fey. (Le guerrier fougueux) avait déjà égorgé toute la famille du traître Tché-Tchéou ! « Cet homme était un ami intime de Tsao, dit Hiuen-Té ; Tsao va venir à la tête d’une armée nous demander compte de sa mort, et comment lui résisterons-nous ? — Je le sais, répliqua Tchin-Teng, je connais un moyen de le forcer à la retraite ! »


  1. Il y a en chinois : dents et ongles ; image analogue que les dictionnaires n’expliquent pas, et que la version mandchou n’interprète jamais.
  2. Voir plus haut, page 104.
  3. Une note de l’édition in-18 fait cette observation qui est juste : Ma-Teng l’avait vu aussi, mais il feint d’avoir été seul à surprendre ce mouvement.
  4. Cette phrase a été biffée au pinceau et à l’encre rouge, par un lettré qui a écrit en marge les mots maô-meï, qui équivalent à peu près à cette exclamation : grossière ignorance ! En mandchou, il y a palamtehapi, dont le sens est le même. Il nous est impossible de deviner d’où vient cette boutade du lettré, à propos d’une phrase qui parait à sa place, et que l’édition in-18 a reproduite ; peut-être trouve-t-il, en chinois rusé, que Hiuen-Té découvre trop franchement ses intentions. Au reste ce livre tout entier appartient à un autre exemplaire que le reste de l’ouvrage ; beaucoup de fautes y ont été corrigées à l’encre rouge, surtout à l’occasion des noms propres mal figurés dans l’orthographe de la partie tartare.
  5. Voir plus haut, page 107.
  6. On sait que c’est là le nom de famille de Hiuen-Té.
  7. Il vaut peut-être mieux entendre, à cause de ce qui suit : « Tirer de l’arc à cheval. » Le sixième précepte de l’Empereur Yong-Tcheng aux gens de guerre, recommande aux généraux de se rendre habiles à l’exercice de l’arc, tant à pied qu’à cheval. Mémoires sur les Chinois, vol. VII, page 31.
  8. Deux officiers de Tsao-Tsao.
  9. On a va plus haut qu’ils avaient échangé le nom de frère, en signe d’une amitié difficile à établir et surtout à rendre durable.
  10. Voir vol. Ier, page 311, la note qui a rapport au dragon. On devine où Tsao en veut venir avec ce long discours. Sur le principe Yang, ou principe subtil, opposé à Yn, le principe plus grossier ; voir les Mémoires sur les Chinois, vol. II, page 29.
  11. Le texte mandchou dit simplement : Liéau-Pey 'mentouhoun ; Liéou-Pey qui n'a pas de talent.
  12. Voir l’explication de ce mot san-kong, les trois grandes dignités, à la note de la page 301, vol. Ier.
  13. Dans ce long dialogue, l’auteur passe en revue les principaux personnages de son histoire, afin de les remettre dans l’esprit du lecteur et de le tenir en haleine.
  14. Il emploie ici les deux noms ensemble : Liéou, surnommé King-Ching ; Sun, surnommé Pé-Fou. Ce sont Liéou-Piao et Sun-Tsé. — Nous avons supprimé l’éternelle phrase chinoise : Tsao-Tsao éclatant de rire, répondit...
  15. Ce que le chinois exprime par une image emphatique et de mauvais goût : Avaler et vomir le ciel et la terre. Le texte mandchou dit simplement : Qui émettrait la pensée d’attaquer le ciel et la terre.
  16. Si Hiuen-Té laissa tomber ses bâtonnets, ce ne fut point par frayeur, comme on le verra, mais pour provoquer le jugement que Tsao porta sur lui. A ce propos, l’édition in-18 dit : Comme Hiuen-Té trompa Tsao-Tsao ; aussi plus tard a-t-on écrit les vers que voici :

    « Contraint d’entrer dans la caverne du tigre qui l'y appelait, il sut aussitôt ? se faire petit ;
    » Par des paroles qui eussent trahi on esprit supérieur, il eut éveillé les soupçons du monstre mangeur d’hommes.
    » Saisissant le prétexte avec habileté, il se couvrit du voile de la peur, au bruit du tonnerre qui se faisait entendre.
    » Il se plia ans circonstances et se soumit aux vicissitudes, sincère (dans ses intentions) comme un génie immortel. »
  17. Voir sur les intermèdes, auxquels il est fait allusion ici, le tome VII de la Description de la Chine, page 378. Dans l’Inde, l’exercice du sabre fait encore partie des fêtes religieuses et particulières. Des bateleurs, par exemple, tiennent dans chaque main un sabre bien aiguisé dont ils se placent la pointe sur les yeux, et pirouettent ainsi jusqu’à perdre haleine.
  18. Il y a dans le texte la porte dite 'Hong-Men ; c’était le nom d’une porte de la capitale, de celle où l’on faisait les exécutions. Le texte dit aussi : Qu’avons-nous besoin de Hiang-Tchoang et de Hiang-Pé ; ce sont deux personnages célèbres par leur adresse dans le maniement du sabre.
  19. Voir vol. Ier, livre III, chap. Ier, et plus haut, page 62.
  20. Elle se nommait la tour Y-King-Léou ; mots que l’interprète mandchou déclare ne devoir pas être traduits. C’est plutôt un pavillon du genre de ceux que l’on élève sur les portes des villes.
  21. Voir plus haut, page 3.
  22. C’était la province dont Hiuen-Té venait d’être nommé gouverneur.
  23. Ou plus exactement : « L’imprudence d’un jour que l’on commet en lâchant son ennemi, fait naître des chagrins de dix mille siècles. »
  24. Vol. II, livre V, chap. II, page 19 du texte chinois-mandchou.
  25. L’édition in-18 dit que Hu-Tchu, voyant les troupes de Hiuen-Té rangées en bon ordre, et prêtes à résister, mit pied à terre et aborda poliment ce dernier. À propos de ce qui est exprimé ici sur l’indépendance des généraux en campagne, une fois arrivés hors des limites de la province où l’Empereur gouverne en personne, on peut consulter la note de la page 316, vol. Ier. Il y a ici seulement : Quand un général est sorti, c’est-à-dire quand il est devenu un général du dehors.
  26. Voir plus haut, page 128.
  27. A propos du départ de Hiuen-Té, l’édition in-18 cite les vers suivants :

    « Il disposa hommes et chevaux, puis partit au plus rite,
    » Le cœur rempli des ordres de Sa Majesté qu’il portait dans sa ceinture. ,
    » Brisant par un mouvement brusque la cage de for, ainsi s’enfuient le tigre et le léopard ; ,
    » Ainsi marchent tout I coup le crocodile on le dragon, après avoir rompu leurs chaînes d’acier. »
  28. Voir plus haut, page 34, à la note.
  29. Qu’il avait usurpé lui-même ; voir chapitre III, livre IV.
  30. Les deux généraux que Tsao lui avait prêtés.
  31. On se rappelle la première profession de Hiuen-Té. Voir vol. Ier, page 9.
  32. Voir l’abrégé de ces événements, historiques quant au fond, le vol. IV, pages 33, 24 et 25 de l’Histoire générale de la Chine. On y lit, page 25 : « Lorsque Youen-Chu arriva à Kiang-Ting, le cœur accablé de chagrin, il se jeta sur un Ut, et ressentant toute l’amertume du triste état où il était réduit, il se mit à se lamenter. Il pleura avec une telle violence, qu’il se rompit une veine et mourut après avoir vomi le sang à gros bouillons. » A la suite de ce récit, vient celui de la conspiration que notre texte a racontée dans les chapitres précédents.— L’édition in-18 a résumé, dans les huit vers qui suivent, la mort de Youen-Chu :

    « Vers la fin de la dynastie des Han, des guerriers se levèrent aux quatre coins de l’Empire ;
    » Vainement Youen-Chu poussa l’orgueil jusqu’à l’extravagance,
    » Vainement, parce que depuis des générations, le titre de ministre passait dans la famille,
    » Voulut-il prendre le nom qui n’appartient qu’à l’Empereur, et ce faire maître souverain.
    » Par la force et par le mensonge, il fit arriver en ses mains le sceau héréditaire.
    » Dans son délire hautain, il osa dire que des pronostics surnaturels l’appelaient au trône.
    » Tourmenté par la soif, il demanda une boisson rafraîchissante sans pouvoir l’obtenir.
    » Il ne put faire autre chose que se coucher sur son lit ; pois il vernit le sang et mourut. »
  33. Voir plus haut le rôle que jouèrent ce mandarin et son fils dans les derniers événements qui signalèrent la vie de Liu-Pou ; on dirait que l’écrivain les place à dessein auprès des hommes mal intentionnés, pour tourner contre eux leurs propres ruses.
  34. Qu’il avait promis de diriger contre les troupes de Hiuen-Té.