Histoire des Trois Royaumes/I, IV
CHAPITRE IV.
I.
Année 190 de J.-C. — Tchin-Liéou-Wang-Hié (son petit nom Pé-Ho), connu dans l’histoire sous le nom de l’empereur Hien-Ty, avait neuf ans quand il monta sur le trône ; il était le second fils de Ling-Ty. Tong-Tcho, qui venait de déposer son frère pour le mettre à sa place, dut être premier ministre et régent ; il s’agenouillait simplement devant le prince sans le saluer par les titres d’usage, il entrait au palais sans montrer aucun empressement d’approcher du trône, et paraissait à l’audience le sabre en main. Les grandes charges et les grades militaires[2], il les distribua à ses partisans.
Hien-Ty donna aux années de son règne le nom de Tsou-Ping (de la tranquillité qui renaît) ; la première de cette série répond à la septième du cycle.
Captive avec son fils et la princesse Tang-Heou, la veuve de Ling-Ty, Ho-Heou passait les jours et les nuits dans les larmes au fond du palais Yong-Ngan (de l’éternel repos) ; on la laissait manquer de vêtements et de nourriture. De son côté, le petit empereur déchu ne pouvait sécher ses pleurs. Un jour ayant vu un couple d’hirondelles entrer dans sa triste demeure, il composa les vers suivants :
« Les hirondelles volent gaiement ; la rivière Lo coule en liberté ; les hommes qui passent se réjouissent à l’aspect du printemps !
« Je promène mes regards au loin ; partout je vois des nuages transparents ! Telle était autrefois ma tranquille destinée !
« Quel homme loyal et sincère aura au fond de son cœur de la pitié pour moi ! »
Des femmes du harem, chargées par Tong-Tcho d’espionner et de surveiller les captifs, lui rapportèrent à l’instant les paroles du jeune prince, et lui mirent sous les yeux une copie de ces lignes ; le régent résolut aussitôt de faire périr l’illustre prisonnier. Ces vers étaient pour lui comme une menace lointaine ; le motif paraissait suffisant pour en finir avec Liéou-Pien. Cette cruelle mission fut confiée à Ly-Jou, qui prit avec lui dix hommes armés.
L’enfant était dans l’étage supérieur du palais à gémir avec sa mère. Les femmes annoncèrent Ly-Jou ; à ce nom le jeune prince trembla. L’assassin lui présenta une coupe en disant : « Le printemps est l’époque où tout germe dans la nature ; ce vin vous est envoyé par Tong-Tcho pour fêter l’anniversaire de votre naissance ! — Pourquoi venir me tourmenter ainsi ? répondit le captif en pleurant. — Buvez sans crainte ce vin destiné à célébrer un jour si heureux, reprit Ly-Jou. — S’il en est ainsi, interrompit vivement la mère du prince, buvez le premier !
— Vous ne voulez boire ni l’un ni l’autre, eh bien, choisissez, s’écria Ly-Jou avec colère ! » Et il avait fait avancer les assassins qui tenaient des poignards et des cordons de soie blanche.
L’épouse du prince implorait à genoux le meurtrier : — « Laissez-moi plutôt vider cette coupe pour lui, disait-elle ; Tong-Tcho voudrait-il sans pitié faire périr la mère et le fils ! — Quoi ! répondit Ly-Jou, avec dureté, une femme comme vous mourir à la place d’un empereur ! » Et prenant la coupe, il la présenta de nouveau à Ho-Heou en disant : — « Buvez la première. »
À ces mots, la princesse se frappa le sein avec désespoir :
« C’est Ho-Tsin, s’écria-t-elle, c’est mon frère, c’est ce stupide brigand qui a montré le chemin de la capitale au premier ministre Tong-Tcho ! c’est lui qui a attiré sur ma tête de si cruels malheurs ! » Une fois encore Ly-Jou pressa le prince détrôné d’avaler le poison. « Au moins, disait l’enfant, permettez que ma mère ne partage pas mon sort ! » Et dans cette douloureuse extrémité, il répéta les vers suivants :
« Le ciel nous conduit dans des voies changeantes, devais-je espérer un bonheur stable ! J’ai quitté les dix mille chars (la cour et son luxe) pour m’en aller en exil garder les frontières ; c’est un de mes sujets qui m’a réduit à cette extrémité ; mais la vie est courte ! devant la mort qui s’approche, vainement on verse des larmes ! »
Et tenant le petit empereur serré dans ses bras, la princesse Tang-Heou répondit à ses vers par ceux-ci :
« Si le ciel souverain s’affaisse, la terre reine aussi doit s’écrouler ; moi, femme d’un empereur, dois-je lui survivre ! La vie et la mort, ces deux voies opposées, nous auraient séparés, si nous les eussions suivies jusqu’au bout ; mais, dans la solitude où je devais marcher, mon cœur se fût consumé de tristesse. »
L’impératrice Ho-Heou et le jeune souverain pleuraient dans les bras l’un de l’autre. « Le régent attend que je lui rende compte de ma mission, interrompit Ly-Jou ; à quoi bon ces retards ? de qui espérez-vous des secours ? — Le tyran en veut au fils et à la mère, répondit Ho-Heou transportée de colère ; le ciel auguste pourrait-il lui prêter son appui ! Et montrant du doigt le meurtrier, elle ajouta : — Et vous qui vous associez à ses crimes pour partager sa fortune, vous périrez aussi avec tous les vôtres ! »
Hors de lui, Ly-Jou saisit l’impératrice, et dans sa rage, il la lança en bas du pavillon. Le petit empereur s’accrochait aux habits de l’assassin, et la jeune princesse Tang-Heou se jetait entre eux deux.
« Étranglez la femme, criait Ly-Jou aux soldats ; faites avaler le poison à l’enfant ! » Et il alla porter la nouvelle attendue à Tong-Tcho, qui fit enterrer ses victimes hors de la ville. Depuis lors, le régent entrait chaque nuit dans le palais réservé ; il couchait dans la chambre impériale, et toutes les femmes de la cour, suivantes ou princesses, furent victimes de sa brutalité.
Un jour il emmena ses troupes jusqu’à Yang-Tching, et comme c’était l’époque où les jeunes garçons et les jeunes filles du village vont, au deuxième mois, offrir des sacrifices pour la prospérité des récoltes, il les fit tous cerner et massacrer par ses soldats ; beaucoup de femmes et bien des objets précieux furent enlevés. Mille et mille chariots revinrent chargés de ces riches dépouilles ; on suspendit à l’entour les têtes des gens égorgés, et dans les villes où il passait, Tong-Tcho faisait dire qu’il revenait d’une expédition brillante contre des rebelles. Aux portes de chacune de ces villes, il brûlait quelques-unes des têtes, et distribuait le butin, ainsi que les femmes, aux officiers de sa suite.
Un officier de cavalerie légère nommé Ou-Fou (son surnom Té-Yu) voyant que Tong-Tcho était le fléau de la Chine, osa seul, tandis que les mandarins dévoraient tous leur chagrin en silence, se rendre au palais armé d’un petit poignard, caché sous sa cuirasse, que recouvraient ses vêtements de cérémonie. Mais au moment où, arrivé au bas du pavillon, il allait porter le coup, Tong-Tcho, doué d’une force peu commune, saisit son adversaire à deux mains ; Liu-Pou, qui survint à temps, se rendit maître de l’officier et le renversa.
« Qui t’a appris à te révolter contre moi ! demanda Tong-Tcho. Et Ou-Fou répondit à haute voix sans baisser les yeux : — Tu n’es pas mon prince, je ne suis pas ton sujet ! en quoi me suis-je révolté ? tu bouleverses l’empire, tu disposes du trône à ton gré ; tes crimes s’élèvent jusqu’au ciel ; ce jour devait être celui où je périrais ; j’étais venu pour châtier un infâme tyran. Plût à Dieu qu’un char roulant sur ton corps t’eût brisé en morceaux sur le chemin qui mène à la cour et que l’empire fut délivré de toi !
— Emmenez-le, qu’il soit coupé en pièces, s’écria Tong-Tcho plein de rage, et l’officier expira en vomissant des injures contre le régent. Depuis lors, celui-ci ne sortait plus sans être accompagné d’une escorte de soldats munis de cuirasses, qui marchaient devant et derrière sa personne pour la protéger.
Mais nous avons laissé Youen-Chao, son rival, retiré dans la province de Pou-Hay ; quand il vit le premier ministre maître absolu du pouvoir, il fit parvenir secrètement au général de l’infanterie Wang-Yun la lettre suivante :
« Le pervers Tong-Tcho a détrôné le prince légitime au mépris des lois divines ; les hommes incapables de se contenir plus longtemps parlent enfin. L’anarchie a pénétré dans le palais impérial, les esprits d’en haut ne favorisent plus l’empire. Et vous, cependant, vous restez en repos, comme si vous ne deviez vos services à personne ; est-ce ainsi qu’un fidèle mandarin épuise son zèle pour s’acquitter envers l’État ? Aujourd’hui j’ai levé une armée pour purger entièrement la cour des Han des pervers qui la souillent. Je n’ai point osé encore faire avancer les soldats. Vous, songez que vous avez vécu de la libéralité des empereurs, et profitez de l’occasion que je vous offre de leur en témoigner votre reconnaissance.
« Si je reçois de vous un courrier, je m’empresserai d’obéir à vos ordres. On ne peut pas tout dire dans une lettre. Je vous en prie, réfléchissez bien à ces choses ! »
Quand il eut lu cette lettre, Wang-Yun chercha, mais sans le trouver encore, le moyen d’entrer dans les vues de Youen-Chao. Un jour cependant il rencontra dans le jardin du palais un certain nombre d’anciens mandarins employés par les Han ; ils y étaient par hasard assemblés. Yun les prie poliment à un petit souper chez lui, ce même soir, afin de célébrer l’anniversaire de sa naissance ; il les presse de ne pas refuser son invitation, et tous, ils promettent de s’y rendre. Or, le repas était préparé dans la salle du fond, les flambeaux brillaient et les conviés arrivent. Avec une secrète joie, Yun reconnaît en eux autant de serviteurs de la famille impériale. Quand on a bu largement l’amphitryon lève la coupe ; mais un torrent de larmes inonde son visage.
« Noble seigneur, disent les conviés, à pareille fête il ne convient pas de montrer tant de douleur. — Hélas ! répond Yun, ce n’est point aujourd’hui l’anniversaire du pauvre vieillard ! il a voulu, sous ce prétexte, réunir autour de lui tant de nobles hôtes, sans exciter les soupçons du tyran. S’il pleure, c’est sur l’empire des Han ! La puissance de Tong-Tcho est désormais semblable aux monts Taï-Chan ; nuit et jour notre vie est menacée ! Hélas ! je songe qu’autrefois l’aïeul des Han, Kao-Tsou, tira son glaive pour trancher en deux le serpent blanc ; il leva des soldats fidèles à leur prince ; et ses descendants ont régné durant quatre siècles. Qui aurait cru qu’un jour ils périraient de la main de Tong-Tcho, et que nous, nous mourrions sans avoir servi l’empire ! »
Les mandarins fidèles baissaient les yeux et fondaient tous en larmes ; lorsque l’un d’eux frappant dans ses mains et partant d’un grand éclat de rire, s’écria : « Du matin au soir, du soir au matin, les grands ne font que pleurer dans le palais ; dites-moi, toutes ces larmes feront-elles mourir Tong-Tcho ? » Celui qui parlait ainsi, c’était le commandant de cavalerie, Tsao-Tsao, que nous avons déjà rencontré dans cette histoire. « Et vous, reprit Wang-Yun d’un ton de reproche, vous qui avez depuis quatre générations vécu des appointements et des titres accordés par les Han, voulez-vous, dans votre ingratitude, faire cause commune avec les pervers ? Eh bien, allez nous dénoncer, et même, après notre mort, nous serons sous la forme d’esprits les serviteurs des Han !
— Ce qui me fait rire, répondit Tsao, c’est tout simplement de voir que sur tant de loyaux mandarins, il n’y en a pas un qui trouve le moyen de se défaire de Tong-Tcho ; sans être plus habile qu’un autre, moi, j’ai déjà un plan arrêté ; c’est de couper la tête du tyran et de la suspendre aux portes de la capitale, afin de réjouir l’empire par la mort de ce monstre. — Tsao, s’écria Wang-Yun en se levant de table, vos vues sont nobles ! mais comment vous y prendrez-vous pour rétablir ainsi les Han sur leur trône ébranlé ? »
II.[3]
— « Écoutez, dit Tsao (car ils étaient sortis de la salle du festin) : ces jours derniers je suis allé offrir mes services à Tong-Tcho, et voilà quelle était au fond ma pensée : me défaire de lui ! Aujourd’hui, il m’affectionne beaucoup, et s’il a quelque affaire à traiter, il me fait venir pour s’entendre avec moi. Eh bien, vous, général, vous avez un sabre magnifique, prêtez-le-moi, et je jure d’accomplir mon projet, dussé-je souffrir mille morts.
— « Quel bonheur pour la dynastie, si telle est votre résolution ! » reprit Wang-Yun. Et Tsao fait serment d’assassiner le premier ministre ; il reçoit des mains du général ce sabre magnifique à la lame acérée, longue d’un pied, orné à sa poignée de sept pierres précieuses, le suspend à sa ceinture, et quand les convives se sont retirés depuis plusieurs heures, cette même nuit, au matin, il s’en va tenter l’entreprise.
Arrivé aux portes du palais, Tsao demande le premier ministre ; on lui répond que Son Excellence s’est retirée dans son cabinet depuis longtemps ; alors, pénétrant jusque dans la chambre, le héros trouve Tong-Tcho couché sur son lit ; à ses côtés se tient son affidé Liu-Pou. « Pourquoi venez-vous si tard ? dit le premier ministre. — Mon cheval est malade, répondit Tsao ; je n’ai pu arriver plus vite, — J’en ai amené d’excellents du pays de Sy-Liang, dit Tong-Tcho, et mon fils adoptif Liu-Pou ira vous en choisir un dont je vous fais le cadeau. » Là-dessus, Liu-Pou sortit pour aller chercher le cheval.
« Tyran, tu vas mourir ! » se dit Tsao-Tsao ; et il allait porter le coup ; mais Tong-Tcho est robuste, il serait téméraire de frapper. Cependant, comme, grâce à sa corpulence, il était déjà las de rester assis pendant cette visite, le premier ministre s’allonge de nouveau sur son lit en tournant le dos à Tsao. « Brigand ! se dit alors le fidèle mandarin, ta dernière heure est venue ! » D’une main rapide il saisit le sabre précieux… mais Tong-Tcho a regardé en dessous, il a vu, à travers ses habits de soie, le glaive sortir du fourreau, et se tournant avec vivacité vers Tsao — « Que faites-vous ! » lui cria-t-il.
L’arrivée de Liu-Pou, qui amenait le cheval, les interrompit tous les deux ; le sabre était tiré déjà ; Tsao le présente par la poignée en l’offrant au ministre. « C’est une arme précieuse que je vous donne en témoignage de reconnaissance, » dit-il en s’agenouillant auprès du lit. Tong-Tcho trouva en effet le sabre admirable et le remit entre les mains de Liu-Pou ; puis, après avoir reçu aussi le fourreau de Tsao lui-même, il le conduisit près du cheval attaché à la porte. Le mandarin témoigna au premier ministre toute sa reconnaissance d’un si beau présent, auquel celui-ci daigna joindre la selle et la bride ; il sauta sur le cheval, et sortit du palais au galop, en se dirigeant par la Porte de l’est.
« Tsao m’avait tout l’air d’être venu pour vous assassiner, fit observer Liu-Pou ; son projet s’est trahi, et il vous a fait cadeau de l’arme… — Je m’en suis douté, » reprit Tong-Tcho. Et ils s’exposaient mutuellement leurs soupçons, quand Ly-Jou entra. Son avis à lui fut qu’il fallait mettre quelqu’un sur les traces de Tsao. « Il n’a pas de famille dans la capitale, dit-il, mais il doit loger quelque part : envoyez-le chercher ; s’il arrive sans hésiter, c’est qu’il n’avait d’autre dessein que de vous offrir ce glaive précieux ; mais s’il balance, s’il s’excuse de ne pas répondre à votre appel, la chose est claire, il faut l’arrêter et lui donner la question. »
Cinq gardiens des prisons furent mis à la poursuite de Tsao-Tsao ; mais, sans s’arrêter dans la capitale, il avait déjà franchi la Porte de l’est au galop sur un cheval jaune, en répondant aux sentinelles qu’il était chargé par le ministre d’une mission pressante. « Le brigand méditait un crime, et il a pris la fuite ! dit Ly-Jou. — Quoi ! s’écria Tong-Tcho furieux ; quand je mettais en lui toute ma confiance, le traître en voulait à ma vie ! Écrivez partout qu’on l’arrête ; faites répandre au loin son signalement ; mille pièces d’or et une principauté de dix mille familles à qui mettra la main sur ce brigand ! — S’il a des complices, son arrestation les fera connaître, » reprit Ly-Jou.
Cependant Tsao-Tsao fuyait au plus vite ; mais quand il voulut traverser la ville de Tchong-Méou (district de Tsiao-Kiun), les gardes l’arrêtèrent à la porte. En vain prit-il un faux nom ; son costume, ses traits se rapportaient trop bien au signalement ; les soldats n’hésitèrent pas à reconnaître en lui l’homme qu’ils avaient ordre de saisir, et ils le conduisirent près du commandant du district. Celui-ci reconnut le prisonnier (quoiqu’il cherchât à se faire passer pour un marchand) ; il l’avait vu dans un voyage fait à Lo-Yang dans le but d’y solliciter sa nomination. « Je vous reconnais, rendez le cheval que vous avez volé, » dit le mandarin, et il ajouta d’une voix plus dure : « C’est en vain que vous cherchez à me tromper ! En prison !… Demain j’irai à la capitale réclamer la principauté que j’ai gagnée ; elle sera pour moi, et je partagerai avec ces soldats les mille pièces d’or. » En attendant il fit distribuer à ceux qui avaient arrêté Tsao, du vin et de la viande.
Le soir, le mandarin, accompagné de ses deux assesseurs, alla tirer Tsao de sa prison et l’emmena dans ses appartements pour l’interroger : « Le bruit court que le premier ministre vous traite avec de grands égards, lui dit-il ; qui donc a pu vous mettre dans le mauvais pas où vous vous trouvez ? — L’hirondelle et le moineau ne peuvent connaître les pensées de l’aigle, répondit Tsao ; vous m’avez arrêté, allez chercher votre récompense, et ne me faites pas d’autres questions… — Et vous, ne me méprisez pas trop, répliqua le petit mandarin, car moi aussi j’ai des pensées qui s’élèvent bien haut ! mais que peut-on faire tant qu’on n’a pas trouvé le véritable maître qu’il faut servir ?
— « Écoutez, reprit Tsao, je descends de Tsao-San, qui fut ministre ; pendant quatre cents ans mes aïeux ont reçu des Han de gros appointements ; si je ne leur témoignais pas ma reconnaissance, en quoi différerais-je des quadrupèdes et des oiseaux qui reçoivent leur nourriture sans s’attacher à la main qui les nourrit ? Si j’ai servi Tong-Tcho, c’était dans l’espoir de délivrer la dynastie des maux qui pèsent sur elle ; je n’ai pu réussir, mais c’est le ciel qui l’a voulu…
— « Et quelle serait votre intention, maintenant ? — Retourner dans mon pays, et de là répandre aux quatre coins de l’Empire une proclamation qui engageât les grands à lever des troupes pour marcher contre le tyran ; est-ce que cette fois le Ciel ne me secondera pas ? »
À ces mots le petit mandarin délie les cordes qui entourent Tsao, le fait asseoir, lui verse du vin et s’écrie, après s’être incliné deux fois devant lui : « Vous avez des sentiments de loyauté et de justice ! j’abandonne mon poste pour vous suivre. — Vos noms ? demanda Tsao. — Tchin-Kong (mon surnom, Kong-Tay) ; ma mère, ma femme et mes enfants sont aussi dans le Tong-Kiun, je suis prêt à m’attacher à vos pas. Allez changer d’habits, prenez un autre cheval, et nous délibérerons sur la grande affaire qui nous occupe ; au milieu de la nuit mes dispositions seront entièrement prises. »
Et tous les deux, bien armés, bien montés, ils se mettent en campagne, faisant route vers leur patrie. Le troisième jour ils arrivent à Tching-Kao ; la nuit venait ; Tsao montre avec son fouet un hameau caché sous les forêts où vivait, disait-il, un certain Liu-Pa-Ché, frère adoptif de son père ; là il saurait des nouvelles de ce dernier, et il fut résolu qu’ils iraient demander l’hospitalité à cet ancien ami. Celui-ci, fort étonné de voir Tsao qu’il savait avoir été mis hors la loi, lui apprend que l’accusation portée contre lui a obligé son vieux père à fuir du village de Tchin-Liéou.
À son tour, Tsao raconte à son parent comment, sans le mandarin Tchin-Kong, il eût été mis en pièces. Liu-Pa-Ché salue celui-ci et le remercie du service rendu non seulement à Tsao, mais à toute la famille, qui eût péri avec lui ; puis il pria les fugitifs de vouloir bien s’arrêter une nuit sous son humble toit. « Malheureusement, leur dit-il, je n’ai pas chez moi de bon vin, permettez que j’en aille acheter au village, afin de vous traiter de mon mieux. » Le voilà qui s’éloigne, monté sur son âne ; mais bientôt Tsao entend repasser un couteau sur une meule. « Cet homme n’est pas mon parent[4], dit-il au mandarin Tchin-Kong ; son départ me laisse quelque doute ; mettons-nous aux aguets… » Tous les deux, à pas de loup, ils se glissent derrière la cabane ; des voix disaient : « Lions-le d’abord, nous l’égorgerons ensuite. — Si nous ne frappons pas les premiers, nous sommes perdus, fit Tsao-Tsao ! » Et, se précipitant le sabre en main, ils massacrent les huit personnes présentes, sans distinction d’âge ni de sexe ; mais en entrant dans la cuisine, que voient-ils ? un porc lié et prêt à être égorgé par le couteau.
« Vos soupçons vous ont fait tuer huit personnes innocentes ! dit Tchin-Kong… — À cheval, vite à cheval, » répliqua Tsao, et à peine avaient-ils fait un demi-mille, qu’ils aperçurent Liu-Pa-Ché trottant sur son âne avec deux cruches de vin pendues à la selle, et une charge de fruits à la main. « Mon sage neveu, cria-t-il à Tsao, pourquoi partir si vite ! — On veut nous arrêter, reprit celui-ci, et nous n’osons nous reposer ici plus longtemps. — Et moi qui ai fait tuer un animal de ma basse-cour pour ranimer vos forces par un bon repas ! dit Liu-Pa-Ché ; de grâce, restez au moins jusqu’au souper. »
Sans porter ses regards en arrière, Tsao marchait droit devant lui, à la rencontre de son hôte ; à quelques pas de là, il tire son glaive, et se détourne en disant à celui-ci : « Mon oncle, qui vient là ? » — Liu-Pa-Ché se détourne à son tour, et d’un coup de sabre Tsao le fait rouler aux pieds de son âne !… — « La première fois, s’écria Tchin-Kong, vous avez commis un meurtre par erreur ; mais maintenant qui vous a poussé à tuer un parent ? — Rendu chez lui, dit Tsao, il eût vu les siens égorgés, et l’affaire aurait eu des suites ; dans quels malheurs eussions-nous été enveloppés ! — Et vous l’avez tué exprès, de propos délibéré ; c’est le comble de l’iniquité ! » Tsao répliqua froidement : « J’aime mieux être ingrat envers les hommes de l’Empire que de leur apprendre à me tourner le dos. » Tchin ne répondit rien ; Tsao venait d’énoncer là une pensée qui le déshonorait dans toutes les générations futures ! Le soir, les deux fugitifs cherchèrent un gîte. Tsao s’endormit le premier, et Tchin, qui soignait les chevaux, se dit à lui-même : « J’avais pris ce Tsao pour un homme de bien, j’ai quitté mon poste pour le suivre, et je vois en lui la ruse du renard jointe à la cruauté du loup. Je l’abandonne à l’instant, car dans la suite, j’aurais à me repentir d’une pareille compagnie. »
III.[5]
Déjà même il tenait son sabre en main pour assassiner son compagnon ; mais il pensa qu’après l’avoir suivi au nom de la fidélité due au prince, le tuer serait commettre une déloyauté envers le souverain lui-même ; il valait mieux l’abandonner ! Remettant le sabre dans le fourreau, Tchin monta à cheval ; avant l’aurore il était arrivé à Tong-Kiun.
Ne trouvant plus à son réveil le petit mandarin près de lui, Tsao se rappela qu’à l’occasion de ce meurtre inutile, il avait prononcé des paroles capables de le faire prendre plutôt pour un bandit que pour un honnête homme ; comprenant que son compagnon l’avait abandonné, il ne voulut pas s’arrêter davantage. Cette même nuit, il se dirigea donc vers Tchin-Liéou, pour se concerter avec son père, dont il venait d’avoir des nouvelles. Il voulait vendre tout son bien pour en employer l’argent à lever des troupes, mais son père lui objecta que cette fortune ainsi sacrifiée eût été bien insuffisante.
Dans ce même temps, Tsao-Tsao entendit parler d’un certain Wei-Hong, homme vertueux et probe, plus attaché à la loyauté qu’à ses richesses qui étaient considérables ; avec le secours de ce fidèle sujet il pouvait faire quelque chose. Tsao l’invite à un petit repas, lui expose la tyrannie de Tong-Tcho qui opprime l’empire et foule le peuple ; il lui montre le trône sans maître, la guerre civile prête à éclater, et lui communique ses projets qu’il ne peut accomplir seul ; il a besoin de l’aide et de l’appui des gens loyaux et fidèles comme Wei lui-même. De son côté, le riche cultivateur avait les mêmes idées, les mêmes désirs ; la crainte d’être incapable de mener à bien une pareille entreprise l’arrêtait seule ; mais Tsao est doué d’un esprit vaste, voilà l’homme qui dirigera les affaires ; il met tous ses biens à sa disposition.
Transporté de joie, Tsao-Tsao envoie, par des courriers, dans toutes les provinces un ordre, un manifeste, dans lequel il appelle aux armes les soldats du pays. La bannière blanche est celle qu’il adopte avec cette devise : « Loyauté, Fidélité ! » Aussitôt, les gens dévoués répondent à son appel ; les volontaires arrivent par nuées. Du milieu de ces nouveaux guerriers, il y en a un qui s’écrie : « Seigneur, je veux être officier sous vos ordres, pour anéantir le tyran ! » C’était un villageois (de Hoei-Koue, dans le Yang-Ping), nommé Yo-Tsin, petit de corps, mais doué d’une force extraordinaire ; Tsao l’enrôla dans ses gardes. Alors arrivèrent aussi, conduisant avec eux chacun trois mille jeunes gens robustes (deux descendants de Hia-Heou-Hing), deux frères, Hia-Heou-Tun et Hia-Heou-Youen, parents de Tsao-Tsao[6]. L’aîné excellait dans l’art de manier la courte lance. Il avait quarante ans ; et comme il apprenait à combattre avec la pique, un homme grossier vint injurier son maître. Heou-Tun le tua d’un coup de poignard, et ce meurtre le força à s’expatrier. Ce fut dans ce même temps qu’il apprit que Tsao levait une armée pour sauver la dynastie ; il accourut donc en grossir les rangs avec son frère. On vit paraître aussi deux cousins du chef de parti, Tsao-Jin et Tsao-Hong, à la tête de mille hommes ; les deux frères étaient fort exercés à tirer de l’arc et à monter à cheval, très versés dans la connaissance de l’art militaire. Tandis que Tsao-Tsao, plein de joie, passait en revue son armée dans le village, un homme arrive la lance au poing, se place devant lui, et s’écrie : « Général, je me rallie à vous pour exterminer les rebelles ! » Ce vaillant personnage s’appelait Ly-Tien ; il manœuvre sa lance devant les lignes et s’exprime avec une étonnante rapidité ; la satisfaction de Tsao-Tsao est au comble.
Le riche Wei-Hong sacrifie sa fortune à l’équipement de cette petite armée ; casques, cuirasses, étendards, il fournit tout ; les vivres, en abondance, sont rassemblés de toutes parts. Cinq mille hommes réunis, au village de Tchin-Liéou, répondent à la voix de Tsao, qui s’empresse de publier le manifeste suivant :
« Tsao-Tsao, au nom de la fidélité due au souverain, fait à la terre la proclamation suivante :
« Au mépris des lois divines et humaines, Tong-Tcho a ruiné l’empire, et assassiné le prince ; il souille le palais par ses désordres ; il tyrannise et opprime les créatures vivantes ! Monstre de cruauté, il a comblé la mesure de tous les crimes. Au nom de l’empereur, nous avons secrètement rassemblé une troupe de loyaux soldats. Nous avons juré de purger l’empire des brigands qui l’infestent, et d’immoler les méchants. À la tête des troupes loyales et humaines, venez à ce rendez-vous de la fidélité. Soutenez la race de vos empereurs, volez au secours d’un peuple opprimé ; au reçu de cette proclamation, hâtez-vous de vous mettre en chemin. »
À cet appel répondirent tous les grands vassaux, tous les princes feudataires ; ils levèrent des troupes, dont le nombre fut bientôt considérable. Tous étaient animés du désir de venger la dynastie et de secourir l’empereur. Les uns commandaient dix mille hommes, les autres vingt mille ; d’autres enfin de véritables armées de trente mille combattants. On donna l’ordre à tous les mandarins civils et militaires de se porter dans le Lo-Yang, au pays qu’occupait Tong-Tcho, où se trouvait la capitale.[7]
Cependant, tout en faisant route vers le lieu du rendez-vous, à la tête de quinze mille hommes, le général en chef de Pé-Ping, Kong-Sun-Tsan (il commandait le Yeou-Tchéou, et avait le titre de prince de Y), traversait le district de Ping-Youen (dans le Té-Tchouen), lorsque sous un bois de mûriers, il voit flotter la bannière aux couleurs impériales ; un grand nombre de cavaliers marchaient à sa rencontre. Leur chef descend de cheval pour venir le saluer, et il en fait autant de son côté ; car c’était Hiuen-Té (si célèbre par sa belle conduite, lors de la révolte des Bonnets Jaunes), gouverneur de ce même district ; ils se félicitent mutuellement d’une si heureuse rencontre. Deux hommes accompagnaient Hiuen-Té, ses deux inséparables amis, ses deux frères d’adoption, Kouan-Mo et Tchang-Fey ; le premier, chef d’une compagnie d’archers à cheval ; le second, chef d’une compagnie d’archers à pied, et ils causaient des affaires publiques, tout en continuant leur chemin. Kong-Tsan accablait Hiuen-Té de questions ; Fey, toujours entreprenant, avait eu le premier l’idée de marcher contre l’usurpateur ; il lui en voulait déjà pour l’avoir autrefois mal reçu dans son camp. D’après leur serment de vivre ou de mourir ensemble, Kouan s’était décidé à le suivre, et malgré son emploi qu’il fallait quitter, Hiuen s’était joint aux mécontents et à ses amis[8]. La petite troupe de cavaliers qu’ils conduisaient tous les trois, suivit dans sa marche l’armée de Kong-Sun-Tsan.
En tête de cette confédération des dix-huit grands vassaux, marchait un homme de haute taille, le modèle des héros, respecté de tout l’empire ; il a déjà figuré dans cette histoire[9], son nom est Sun-Kien (son surnom Wen-Tay) ; Tsao vint au-devant de lui, et bientôt les grands vassaux arrivèrent sur ses pas. Chacun dressa son camp ; l’ensemble de ces tentes occupait un espace de vingt milles.
Après avoir immolé des bœufs et des chevaux, Tsao-Tsao convoqua un grand conseil pour délibérer sur l’entrée en campagne. Wang-Kwang fut d’avis qu’il fallait d’abord nommer un chef de la confédération, dans cette guerre entreprise au nom de la fidélité due au souverain. Ce généralissime dicterait ses ordres aux seigneurs réunis, et ensuite on ferait marcher les troupes. Chacun déjà déclinait cet honneur, mais Tsao lui-même désigna Youen-Chao, qui comptait dans sa famille, depuis quatre générations, les trois grands dignitaires de l’empire, et sous son patronage, beaucoup d’anciennes maisons de mandarins ; petit-fils d’un général renommé sous les Han, il pouvait être dignement à la tête de la ligue. Trois fois Youen-Chao refusa, mais tous les confédérés insistèrent si fortement qu’il finit par accepter.
Le lendemain, on éleva une plate-forme, à trois gradins, faite de terre battue ; on y planta à l’entour cinq bannières, et sur le sommet, l’étendard blanc avec la hache jaune, la moitié du sceau de la confédération et le sceau de général. Alors Youen-Chao, invité à monter sur l’estrade, y parut en beaux habits de guerre, ceint du glaive. Là, il brûla des parfums, s’agenouilla deux fois, et prononça la formule du serment que voici :
« La dynastie est plongée dans le malheur ; les devoirs envers le souverain cessent d’être remplis ; un ministre pervers, Tong-Tcho, profitant des circonstances, s’abandonne à ses caprices violents ; il opprime l’empereur et tyrannise le peuple. Dans la crainte que les sacrifices à la terre ne soient détruits, et que le peuple de l’empire ne soit en proie à des révolutions désastreuses, Youen-Chao et les autres chefs ont rassemblé des soldats au nom de la fidélité, et s’avancent pour délivrer l’État d’un si pressant péril. Tous, nous jurons d’unir nos cœurs et nos bras pour nous dévouer à l’accomplissement des devoirs de loyaux sujets ; tous, nous nous ferons trancher la tête plutôt que d’avoir la pensée d’une trahison ! Celui qui violerait sa promesse consent à être puni de mort, lui et tous les siens. Le ciel et la terre, roi et reine des créatures, les âmes glorieuses de nos aïeux sont les témoins du serment ! »
On brûla les tablettes sur lesquelles était écrite cette formule ; on but à la ronde le sang des victimes ; l’assemblée émue éclata en sanglots, et donna un libre cours à ses larmes ; aussi pouvait-on dire que parmi tous les soldats, sortis des campagnes, et voués aux travaux domestiques, il n’y en avait pas un seul qui, pareil au lion et au taureau, n’eût employé ses dents et ses cornes contre l’usurpateur !
Après la cérémonie, Youen-Chao descendit de la plate-forme ; les chefs confédérés le reconduisirent processionnellement à sa tente, le firent asseoir à la place d’honneur et lui adressèrent leurs félicitations ; puis ils se rangèrent, d’après leur âge et leur grade, sur deux lignes, autour du généralissime. Alors Tsao fit verser du vin à la ronde, et dit : « Maintenant que nous avons élu un généralissime de la confédération, chacun de nous doit lui obéir et concourir au salut de la dynastie, avec un entier dévouement. — Et moi, dit à son tour Youen-Chao, je ne veux point imposer ma volonté à ceux qui m’obéissent ; mais puisque vous m’avez honoré du titre de chef de la ligue, je saurai récompenser le mérite et châtier les fautes ! Dans l’empire, il y a des lois invariables ; dans l’armée, il y a une discipline constante : que personne n’ose l’enfreindre ! »
Tous jurèrent d’obéir, et Youen-Chao fit connaître qu’il avait chargé son frère Youen-Chu de veiller aux approvisionnements de l’armée. « Qui veut marcher en avant-garde et commencer l’attaque, demanda-t-il ensuite ; aller tâter le passage de Ky-Chouy, y attirer les troupes ennemies au combat ? Nous nous porterons tous sur d’autres points difficiles, pour soutenir ce premier effort. »
Ce fut Sun-Kien qui se présenta ; le généralissime le jugea capable d’occuper ce poste périlleux, et lui offrit une coupe de vin comme gage de son estime ; le guerrier courut droit au passage désigné avec ses propres troupes.
Arrivé au faîte du pouvoir, Tong-Tcho passait les jours et les nuits en orgies et en débauches ; les gardes du passage menacé vinrent en hâte donner avis de l’attaque à Ly-Jou, qui le transmit au premier ministre. Celui-ci, tout épouvanté, assemble ses généraux ; il leur annonce que les confédérés sont au pied du passage, et les consulte sur le parti à prendre. Liu-Pou (revêtu du titre de prince en récompense de sa trahison) calme les inquiétudes de son maître ; c’est lui qui se charge d’aller en reconnaissance au-devant des grands vassaux, misérable horde de poltrons ! il prendra avec lui ses tigres et ses lions, et rapportera leurs têtes à tous, qu’il suspendra aux portes de la capitale. « Avec un pareil chef d’avant-garde, je ne crains plus rien, » s’écrie Tong-Tcho tout joyeux.
« Pour tuer des poules, dit une voix derrière Liu-Pou, il n’est pas besoin d’un coutelas à égorger les bœufs ; il faut ici moins que la puissante valeur du noble prince ; c’est moi qui vais aller chercher les têtes de ces seigneurs rebelles, aussi facilement que je plongerais ma main dans un sac pour en tirer une chose quelconque ! » Tong-Tcho regarde, et voit un homme colossal, au visage rouge et enflammé, élancé et robuste ; il a le front du léopard, les longs bras du singe. Son nom est Hoa-Hiong, il commande les gardes particulières du premier ministre.
Ses paroles avaient plu à Tong-Tcho ; il le nomme général de cavalerie légère, et met sous ses ordres un corps de cinquante mille hommes, chevaux et fantassins ; en même temps, trois autres chefs (Ly-Sou, Hou-Tchen et Tchao-Tsin) partent vers le passage de Ky-Chouy, dès la tombée de la nuit.
Cependant, au camp des confédérés, le petit seigneur de Tsy-Pé, Pao-Sin, craignant que la gloire d’un premier succès ne rejaillît sur le chef de l’avant-garde, aux dépens de tous les commandants de l’armée, s’avança furtivement avec son frère Pao-Tchong, et une division de trois mille hommes. Arrivé au passage, il attaque ; déjà Hoa-Hiong s’y trouvait avec cinq cents lances ; il le provoque ; son frère, serré de près, veut fuir ; mais Hoa le désarçonne, le renverse mort, et beaucoup d’entre les siens tombent au pouvoir des vainqueurs. Hoa rapporte la tête de Pao-Tchong au premier ministre, qui lui prodigue les éloges et met sous ses ordres mille cavaliers, avec lesquels celui-ci retourne hors des murs camper au passage de Ky-Chouy. Tong-Tcho lui envoya là même, le titre de général en chef, en lui recommandant d’avoir de la prudence et de ne point engager témérairement le combat.
Déjà Sun-Kien s’avançait vers le passage disputé avec quatre officiers, commandant chacun une division ; le premier, Tching-Pou, portait une lance appelée le serpent d’acier ; le deuxième, Hwang-Kay, un fléau de fer lié à la poignée par des lanières de cuir ; le troisième, Han-Tang, se faisait remarquer par son long cimeterre ; le quatrième, Tsou-Méou, par ses deux sabres renfermés dans une même gaîne. Revêtu lui-même d’une cuirasse étincelante, coiffé d’un bonnet de toile rouge (fabriqué au pays de Sé-Tchouen), Sun-Kien paraît sur un cheval pommelé ; à ses côtés pend un sabre de cuivre blanc ; il va jusqu’au passage provoquer l’ennemi. Le lieutenant de Hoa-Hiong s’offre d’aller répondre à ces injures. Son général lui donne trois mille hommes, avec lesquels il se met en mouvement. Kien le voit s’élancer en avant, il veut combattre en personne ; son compagnon Tching-Pou le devance d’un élan rapide, et, avec sa lance, il a bientôt renversé le chef ennemi. Les troupes du vainqueur se fraient un chemin à travers le passage, l’épée à la main ; les flèches pleuvent dans le lieu de ce combat acharné, et Kien revient avec son monde camper à Liang-Tong. De là il écrit au généralissime pour lui annoncer son succès et prier le frère de celui-ci, Youen-Chu, l’ordonnateur de l’armée, de lui envoyer des vivres. Mais de mauvais conseillers firent sentir à ce dernier que si Kien, déjà trop redoutable sur la rive orientale du fleuve, pénétrait dans le Lo-Yang, sur le territoire de la capitale, s’il tuait lui-même l’usurpateur, au lieu d’un loup on aurait un tigre ; tout le pouvoir serait entre ses mains. Il valait donc mieux ne pas lui envoyer de vivres ; alors ses troupes se disperseraient : cet avis fut écouté par Youen-Chu ; la petite armée, privée de vivres et de fourrages, se souleva.
Quand cette nouvelle se répandit dans le camp opposé, Ly-Sou et Hoa-Hiong résolurent de faire une double attaque. Le premier tournerait les retranchements de Kien ; le second viendrait l’assaillir au milieu de la nuit ; il ne pourrait leur échapper. Dès le soir, Hoa, plein de joie, fait distribuer à ses troupes un repas solide, et descend en armes dans la plaine. La lune brille, l’heure est calculée pour arriver aux retranchements à minuit ; tout à coup le tambour bat, les soldats poussent des cris en s’avançant ; Kien, surpris, prend sa cuirasse et monte à cheval ; il rencontre Hoa-Hiong, mais le combat ne dure pas longtemps ; Ly-Sou a mis le feu au camp, incendié les provisions qui restent ; la petite armée fuit dans le plus grand désordre, et son chef lui-même se retire au galop, complètement battu.
De tous côtés, ce sont des cris qui ne cessent pas. Les quatre officiers, compagnons de Sun-Kien, perdent la tête, excepté Tsou-Méou qui le suit avec quelques cavaliers ; il perce la mêlée, toujours assailli par Hoa-Hiong qui, après dix attaques successives contre Kien, assez hardi pour avoir fait volte face, s’acharne à le poursuivre. Deux fois Sun-Kien a lancé ses flèches, mais en vain, sur le chef ennemi ; il en décoche une troisième avec tant de force que l’arc se brise à la poignée, et désormais sans arme offensive, il pénètre dans un bois pour s’y cacher.
« Votre bonnet rouge vous désigne comme un but à tous les traits, lui dit Méou ; le général ennemi ne l’a pas perdu de vue un instant ; prenez mon casque, changeons, et fuyons par des routes opposées ! » ainsi firent-ils. Hoa-Hiong reprit sa poursuite dans la direction du bonnet rouge ; et, tandis que Kien se sauvait par un petit chemin, Méou, sans relâche poursuivi, suspendit au passage sa fatale coiffure sur le poteau d’une maison à moitié brûlée ; puis il pénétra dans le fond d’une forêt qui lui prêtait un asile. Attiré par le bonnet rouge, Hoa-Hiong fait cerner la cabane ; ses troupes n’osent attaquer de près et lancent des flèches ; alors seulement l’erreur est reconnue. Hoa ramasse le bonnet, fouette son cheval, et s’acharne de nouveau contre Méou qui sort de derrière la forêt pour attaquer son ennemi, mais il tombe lui-même frappé à mort ; Hoa lui coupe la tête et reconduit ses soldats au passage de Ky-Chouy. Les trois autres chefs, après avoir retrouvé leur général, campèrent avec les restes de l’armée. Kien était inconsolable de la mort du fidèle Méou.
Cependant, quand Youen-Chao apprit, par des courriers, la défaite de Sun-Kien et la mort de Tsou-Méou, il ne put contenir son effroi. « Hélas, disait-il, aurais-je cru que ce brave guerrier serait battu par Hoa-Hiong ! Cette division isolée aura bien du mal à se fortifier hors de nos retranchements. Je crains que l’ennemi ne vienne l’enlever dans son petit camp. » Il ordonna donc à ces soldats vaincus de rentrer dans l’intérieur des palissades qui protégeaient la grande armée. Puis il assembla un conseil général de tous les chefs confédérés et leur dit : « Ces jours derniers, Pao est allé combattre sans ordre, il a perdu la vie et causé la mort d’un grand nombre de soldats : aujourd’hui Sun-Kien est battu ; nos forces s’épuisent, l’enthousiasme s’éteint. » Personne ne répondit. Les chefs étaient assis en rang, et Kong-Tsan, arrivé le dernier, se tenait à l’extrémité ; derrière lui trois hommes restaient debout ; leur physionomie n’avait rien de commun, et sur leurs traits on distinguait un froid sourire.
Chao demande au général qui sont ces trois personnages : « Mon ami, mon frère adoptif depuis l’enfance, dit Kong-Tsan en faisant signe à celui-ci d’avancer, le chef du district de Ping-Youen, Liéou-Pey ! — Ah ! s’écria Tsao, le brave Hiuen-Té (c’était son petit nom), celui qui a battu les Bonnets-Jaunes, n’est-ce pas ? — Lui-même ! » Hiuen-Té alla saluer le général en chef, qui vanta ses glorieux exploits racontés en détail par Kong-Tsan. « Puisque vous descendez de la famille des Han, prenez un siége, » lui dit le généralissime. — « Moi, m’asseoir ! je ne suis qu’un petit gouverneur de district, » répondit Hiuen-Té. — « Ce n’est pas le rang que j’honore en vous, répliqua Chao, c’est la race des empereurs, et l’homme qui s’est couvert de gloire ! » Hiuen s’inclina de nouveau et prit un siége ; derrière lui, ses deux amis dévoués, Kouan et Fey, demeuraient debout, les mains croisées sur la poitrine.
La délibération avait repris son cours, quand arriva la nouvelle que Hoa-Hiong, ayant franchi le passage avec ses cavaliers armés de lances, tenait à la pointe d’un bambou le bonnet rouge de Sun-Kien, et venait demander le combat au pied des retranchements, en insultant les confédérés.
« Qui veut aller répondre aux provocations de l’ennemi ? » demanda le chef de la ligue. Derrière lui un chef répond : « Moi ! » C’est Yu-Ché ; il s’élance, mais à la seconde attaque, il tombe mort, et tous les grands vassaux sont consternés. À son tour un autre héros se présente ; il rapportera la tête du chef invincible ; Youen-Chao l’encourage, il part brandissant une énorme hache ; mais il est aussi décapité par Hoa-Hiong. Cette fois les grands vassaux ont pâli ; parmi tant de chefs réunis sous leurs ordres, aucun n’osera affronter Hoa-Hiong ! Un troisième se propose ; c’est un colosse, sa barbe est longue et flottante ; sa prunelle brille comme celle du phénix ; ses sourcils sont épais, son visage rouge, sa voix sonore comme le gong sur lequel on frappe les veilles ; c’est Kouan-Mo, le frère adoptif de Hiuen-Té. « Quel est son grade ? — Chef d’une compagnie d’archers à cheval… — Et pour qui nous prends-tu, nous autres grands vassaux, pour te mettre si arrogamment de la partie ! » répliqua Youen-Chao. Cependant Tsao insiste pour qu’on le laisse attaquer un ennemi qu’il aura peut-être bientôt châtié. « Et pour qui nous prendrait Hoa-Hiong lui-même si nous envoyions un archer contre lui ! » ajouta le généralissime. — « Il n’a rien de grossier dans son allure, répliqua Tsao ; l’ennemi saura-t-il ce qu’il est ! — Et si je ne rapporte pas sa tête, interrompit Kouan, je vous livre la mienne ! »
Tsao lui prépare une coupe de vin chaud ; le héros monte à cheval et répond : « Versez, je cours à l’ennemi ! » Il part… et tout à coup, les grands vassaux entendent des cris perçants dans la plaine comme si le ciel se fut ébranlé et que la terre eût tremblé ! À la première attaque Kouan a tranché la tête du chef redouté ; le vin n’avait pas eu le temps de froidir ! Les confédérés sont au comble de la joie.
Derrière Hiuen-Té, Tchang-Fey s’élance et crie : « Frère, puisque le chef des rebelles est décapité, courons au passage ; le tyran tombera entre nos mains, l’occasion est bonne !… Ils partent au galop.
IV.[10]
Mais Youen-Chu (frère du généralissime) laissa éclater l’indignation d’un orgueil blessé. « Dans cette ligue où les grands dignitaires de l’empire se témoignaient un respect mutuel, devait-on faire tant de cas d’un officier subalterne aux ordres d’un pauvre petit chef de district ? Voyez comme ils s’avancent hors des lignes ! — C’est le mérite qu’il faut apprécier, répondit Tsao, sans s’attacher au rang ! — Eh bien ! répliqua Chu, si vous voulez vous servir de pareilles gens, nous n’avons plus qu’à nous retirer. — Quoi ! à cause d’un mot, dit Tsao, nous irions compromettre une si grande entreprise ! » Et pour faire cesser cette querelle, il pria Kong-Tsan d’emmener Hiuen-Té et ses deux amis. Quand le conseil se fut séparé il leur envoya secrètement des présents en vivres, cherchant ainsi à leur faire oublier d’injurieuses paroles.
Hoa-Hiong tué, le passage forcé par Hiuen et ses deux frères adoptifs, telles étaient les mauvaises nouvelles qu’on apporta à Tong-Tcho, et il consulta ses conseillers. « Seigneur, dit Ly-Jou, la mort d’un aussi brave général augmente la force de l’ennemi ; le chef de tous les confédérés, Youen-Chao, a ici son oncle, le ministre Youen-Kouey, qui peut-être entretient des intelligences avec les rebelles ; ce serait là un grand péril ! Commencez par mettre à mort ce personnage suspect, puis, à la tête de vos troupes, écrasez vous-même ce ramassis de brigands ! » Ce perfide conseil fut adopté par Tong-Tcho ; il envoya Ly-Kio et Kouo-Tsé cerner la demeure de Youen-Kouey ; après avoir massacré tous ceux qui se trouvaient dans la maison, sans distinction d’âges, les deux bandits allèrent montrer à Youen-Chao, généralissime de la ligue, la tête sanglante du vieillard, son oncle.
Les forces de Tong-Tcho montaient à deux cent mille hommes ; cinquante mille sous les ordres de Ly-Kio et de Kouo-Tsé allèrent en avant-garde occuper le passage de Ky-Chouy ; à la tête de cent cinquante mille soldats, le ministre lui-même se rendit, avec ses deux affidés (Liu-Pou et Ly-Jou) et d’autres bons officiers, au passage de Hou-Méou, éloigné de la capitale seulement de cinq milles. Liu-Pou eut ordre de se retrancher au-delà du passage même, avec une division de trente mille hommes, tandis que Tong-Tcho s’y portait en personne à la tête du principal corps d’armée.
Des éclaireurs ayant apporté cette nouvelle au grand camp de Youen-Chao, il convoqua tous les chefs et Tsao vint proposer au conseil des confédérés de se séparer en deux corps, pour diviser ainsi sur deux points les forces qui marchaient contre eux. Le généralissime Youen-Chao et les huit grands vassaux devaient faire sur Ho-Méou une attaque soutenue par Tsao-Tsao lui-même, tandis que Wang-Kwang irait menacer Liu-Pou, retranché au-delà du passage. Déjà, à la nouvelle de leur approche Liu-Pou s’était dirigé en avant avec trois milles lances, et Wang-Kwang, suivi des cavaliers de sa division, se rangeait en bataille.
Alors parut, devant ce dernier, Liu-Pou, à la tête de ses escadrons ; sur la tête, il a un bonnet à trois glands ; il porte une tunique brodée de mille couleurs, teinte en rouge, faite au pays de Sy-Tchouen. Sa cuirasse est une cotte de mailles ; sa ceinture aux nuances brillantes est faite de la peau luisante d’un lion ; l’étui qui renferme le carquois s’ajuste à son côté ; il tient à la main sa lance redoutée ; il monte le cheval rouge, prix de sa trahison ; cet animal est parmi ses semblables, ce qu’est son maître parmi les hommes : l’un et l’autre sont uniques dans l’Empire. Le héros fait caracoler son coursier. À sa vue, Wang se trouble. « Qui veut attaquer ? » crie-t-il aux siens en se retournant vers ses escadrons. Un officier se présente, mais après avoir lutté cinq fois il tombe mort. Wang-Kwang rentre dans les lignes, et bientôt il est réduit à fuir en désordre avec ses troupes, que Liu-Pou traverse comme une ligne fictive de combattants. Une seconde division se présente ; le vainqueur se retire enfin. De part et d’autre on abandonne le champ de bataille ; les soldats de la ligue, trois fois battus, viennent camper à trois milles en arrière.
Cependant les huit grands vassaux arrivent avec leurs forces combinées ; que feront-ils ? personne ne peut tenir tête à Liu-Pou. Ils se retranchent séparément en huit camps distincts, suivis de leurs armées respectives, mais déjà on leur annonce que le redoutable ennemi demande le combat. Liu-Pou agite sa bannière comme un appel à ses soldats ; à la tête d’une poignée d’hommes, il vole à l’attaque. Deux chefs assez hardis pour lui présenter le combat tombent sous ses coups. Les princes ligués sont dans la consternation. Un troisième, Ngan-Kouey, se présente en brandissant une lourde masse d’armes, mais Liu-Pou lui coupe le poignet ; la masse échappe de ses mains et il s’enfuit.
Tous les généraux alors s’ébranlent pour voler à son secours, et le vainqueur retourne vers les siens. Tsao est d’avis qu’on réunisse les dix-huit divisions ; ce n’est pas trop pour abattre un si puissant ennemi, et une fois Liu-Pou renversé, on aura bon marché de Tong-Tcho.
Liu-Pou s’est avancé ; on l’annonce aux confédérés qui délibèrent, et Chao leur crie de marcher. Cette fois c’est Kong-Tsan qui veut se mesurer avec lui, mais bientôt il est en fuite ; son adversaire le poursuit avec son cheval célèbre, qui semble avoir des ailes. Tsan est serré de près ; l’ennemi cherche à le frapper, quand une voix l’arrête ; c’est Tchang-Fey, le frère adoptif de Hiuen-Té, qui le provoque à son tour, et il abandonne Tsan pour charger ce nouvel adversaire. En se préparant à la lutte, Fey a la majesté d’un esprit céleste ; il s’y précipite avec joie. Durant ce combat singulier, les grands vassaux se retirent pêle-mêle ; l’un rassemble toutes ses forces ; l’autre jette un cri de colère ; le chef au grand cimeterre recourbé, Kouan, arrive au galop en brandissant son énorme glaive, il veut avoir sa part de la victoire ; les trois chevaux se rencontrent ; trente assauts ne font pas reculer Liu-Pou.
Hiuen-Té les a vus ; c’est une occasion qu’il doit saisir ; il s’élance sur son cheval aux crins jaunes ; mais, pareil à un phare tournant, Liu-Pou, cerné de trois côtés, lance le feu tout autour de lui. Les huit divisions l’assaillent à la fois ; incapable de faire face à cette triple attaque, il veut frapper Hiuen-Té, qui évite le coup, et, profitant de ce mouvement fait en arrière par son adversaire, Liu-Pou s’esquive à son tour.
Il fuit ; les trois chefs s’acharnent sur ses pas ; l’armée entière pousse de grands cris ; la mêlée s’engage ; Liu-Pou trouve enfin un asile au milieu du passage que défendent ses troupes, mais Hiuen-Té va l’y attendre ; arrivé là, Fey regarde et voit au-dessus de lui un parasol de soie bleue ; c’est Tong-Tcho ; s’il pouvait tuer le premier ministre lui-même, ce serait couper le mal à sa racine ; il fouette son cheval et veut tenter de se rendre maître de la personne de l’usurpateur[11].
- ↑ Vol. I, livre I, suite du chap. VII, p. 109 du texte chinois.
- ↑ Il nomma Yang-Piao général en chef de l’infanterie ; Hwang-Ouan, commandant militaire de la capitale ; Sun-Choang, percepteur des revenus de l’État ; Han-Fou, vice-roi de Y-Tchéou ; Tchang-Liao et Tchang-Tse, commandants militaires de Tchin-Liéou et de Nan-Yang.
- ↑ Vol. I, livre I, chap. VIII, p. 119 du texte chinois.
- ↑ C’est-à-dire qu’ils ne porte pas le même nom ; il n’est que frère adoptif du père de Tsao, qui, plus bas, l’appelle mon oncle par égard pour ce titre d’amitié.
- ↑ Vol. I, livre I, chap. IX, p. 128 du texte chinois.
- ↑ Voir page 46, l’alliance qui existait entre la famille de Tsao-Tsao et celle des Hia-Heou.
- ↑ Voici les noms des dix-huit chefs :
Youen-Chu, chef du quatrième corps d’armée, commandant de Nan-Yang, aimé de tous les gens de bien, cher à tous les héros ;
Han-Fou, vice-roi de Ky-Tchéou, versé dans la connaissance des anciens livres et des neuf ouvrages canoniques ;
Kong-Kiéou, vice-roi de Yu-Tchéou, habile dans l’art de parler et dans l’étude des rites ;
Liéou-Tay, vice-roi de Yu-Tchéou, doué de piété filiale et d’humanité, humble et plein de respect pour les sages ;
Wang-Kwang, commandant militaire de Ho-Neuy, plein de loyauté et de désintéressement ;
Tchang-Miao, commandant militaire de Tchin-Liéou, qui soulageait les pauvres et secourait les opprimés, homme aux grandes idées, au cœur élevé ;
Kiao-Mao, commandant militaire de Tong-Kiun, homme bienfaisant, éclairé et instruit ;
Youen-Y, commandant militaire de Chan-Yang, homme probe et droit, ami sincère, esprit distingué et brillant ;
Pao-Sin, gouverneur de Tsy-Pé, homme de grand conseil, habile dans les lettres et dans l’art de la guerre ;
Kong-Yong, commandant militaire de Pé-Hay, descendant de Kong-Fou-Tse, homme tendre pour ses amis, plein d’égards pour les sages ;
Tchang-Tchao, commandant militaire de Kwang-Ling, incomparable parmi les gens de guerre, au-dessus de tous par sa gloire et l’autorité de son nom ;
Tao-Kien, vice-roi de Su-Tchéou, homme humain, loyal envers son prince, d’une grande vertu, d’une noble magnanimité ;
Ma-Teng, commandant militaire du Sy-Liang, célèbre jusque cher les Barbares, glorieux dans tout l’empire ;
Kong-Sun-Tsan, commandant militaire de Pé-Ping, héros terrible, effrayant, à la voix retentissante ;
Tchang-Yang, commandant militaire de Chang-Teng, guerrier en tout accompli, habile à profiter des occasions favorables ;
Sun-Kien, commandant militaire et prince de Hou-Tching, modèle des héros de son siècle, guerrier qui ne recule jamais et qui reste sans rivaux ;
Youen-Chao, prince de Ky-Hien, commandant militaire de Pou-Hay ; les trois grandes dignités de l’empire appartenaient à sa famille depuis quatre siècles ; beaucoup d’anciens mandarins se regardaient comme ses clients.
Parmi les chefs d’un rang inférieur, on comptait : Tien-Fong ; Hu-Hieou ; Chin-Pey ; Kou-To ; Yen-Liang ; Wen-Tchéou. - ↑ Ce passage est un peu abrégé.
- ↑ Voir page 25.
- ↑ Vol. I, liv. I, chap. X, p. 136 du texte chinois.
- ↑ Ce chapitre a été abrégé, ainsi que la fin du précédent.
Comme nous l’avons fait observer plus haut, il faut lire femme de second rang, au lieu de concubine. Ces femmes de second rang, en chinois Fou-Jin, avaient le titre de Héou, princesses.
Ces vers du jeune empereur captif sont rapportés par les annalistes ; on les trouve cités dans l’Histoire générale de la Chine, qui reproduit aussi toute cette scène tragique à laquelle l’auteur du San-Koué-Tchy n’a pas eu beaucoup à ajouter. Quant à l’épouse du prince (ligne 29), il nous aurait paru plus logique d’en faire une suivante de l’impératrice déposée, comme les traducteurs de L’Histoire générale (tome III, page 536). Le jeune souverain avait à peine quinze ans, âge légal pour le mariage des princes. Mais le texte chinois désigna cette femme par le caractère fey (bas. 1853), dont le sens est : Principis hœredis regni legitima uxor, et aussi : Secondariæ uxores seu concubinæ imperatoris. La version mandchou confirme cette dernière interprétation, en traduisant par le mot chinois Fou-Jin. D’ailleurs, la suite du récit ne laisse guère de doute sur le véritable caractère de ce personnage qu’on ne peut pas admettre comme historique.
Au lieu de « des femmes du harem », il faut lire, « des officiers du palais et des femmes du harem. »
Le mot anniversaire peut s’entendre ici, comme en français d’ailleurs, du jour qui correspond à la mort aussi bien que du jour qui correspond à la naissance ; aussi, dans l’Histoire générale de la Chine (tome III, page 536), ce passage a été traduit dans ce dernier sens : « Tong-Tcho… m’envoie vous annoncer que, dans un an, à pareil jour, sera votre anniversaire. » Bien que les deux textes chinois et mandchou ne semblent pas autoriser cette interprétation (et sans doute les missionnaires ont puisé à une source différente), nous serions tentés de la préférer et de nous soumettre très-humblement à l’avis de ces savants sinologues.
Ces petits vers sont assez difficiles ; le texte mandchou conduirait à traduire plus littéralement : « Quittant le royaume de dix mille chars, j’étais retourné veiller à la garde des frontières. Menacé par un de mes sujets, hélas ! je vois ma vie prête à finir… » Cette interprétation aurait l’avantage de faire sentir la position d’un prince qui, déjà détrôné, exilé, se voit condamné à mourir par un ministre ambitieux.
On doit traduire plus fidèlement : « Vous qui secourez les projets barbares de Tchéou-Sin ( ledernier souverain de la dynastie des Yn), vous qui vous associez servilement à ses crimes... » L’éditeur chinois fait même une note à ce sujet et on doit lui en savoir gré, car c’est une complaisance bien rare chez les éditeurs et chez les copistes orientaux ; il dit : « Le mot Tchéou est pris pour exemple et signifie cruel comme ee prince abhorré. La princesse emploie cette comparaison pour injurier l’assassin. »
Au lieu de quatre générations, il faut lire quatre siècles. Il y avait quatre siècles, comme on l’a vu plus haut, que les Han occupaient le trône. Les Chinois expriment les deux idées de siècle et de génération par le même caractère.
Il y a dans le texte : « Son Excellence s’est retirée dans sa bibliothèque depuis longtemps. Alors Tsao entra et vit le premier ministre assis sur son lit. » La bibliothèque est la chambre à coucher des Chinois ; les lettrés aiment à dormir au milieu de leurs livres.
On doit lire plus exactement : « Tong-Tcho, baissant son visage, a regardé dans le miroir qui lui sert à s’habiller, et il a vu le glaive sortir du fourreau... »
Ce passage ayant été un peu abrégé, la traduction que nous en avons faite pourrait ne pas satisfaire ceux qui liraient le texte ; nous la reprenons sous la forme du discours direct : « Le chef du district dit : Lorsque je suis allé à la capitale solliciter un emploi, j’ai appris à vous reconnaître, car je vous y ai vu. — Puis il lui fit enlever le cheval (que Tsao avait volé), et il reprit d’un ton plus rude : Pourquoi cherchez-vous à me tromper ?... »
Il vaut mieux traduire comme le mandchou : « Pourquoi vous êtes-vous mis volontairement, de gaieté de cœur, dans ce mauvais pas ? »
Les illustres personnages que l’auteur présente ici comme des héros doués de courage, de désintéressement, de toutes les vertus publiques et privées, nous les voyons plus loin reparaître sous des couleurs beaucoup moins favorables, et presque tous ils finissent par se montrer d’ambitieux partisans, plus préoccupés de se déclarer indépendants et libres dans des principautés et des royaumes isolés, que de veiller au salut de l’empire.
Liéou-Hiuen-Té était allié à la famille impériale, voilà pourquoi il arborait la bannière jaune. Il ne faut pas oublier que le nom propre des Han est Liéou ; ils le tiennent de leur aïeul Liéou-Pang.
Cette scène assez solennelle de la nomination d’un chef des confédérés et de la prestation du serment se trouve dans l’histoire de la Chine à des époques antérieures et dans des circonstances analogues. L’an 23 de l’ère chrétienne, quand de fidèles sujets se levèrent en masse contre l’usurpateur Wang-Mang, on éleva un théâtre sur lequel on fit monter Liéou-Hiuen ( de la famille des Han ) comme sur un trône ; là, tous les officiers généraux saluèrent leur chef. Plus tard , quand un autre parti dévoué aussi à la légitimité fut assez considérable, les chefs (Wey-Tsouy, Wey-Y et Wey-Ngao) élevèrent un vaste pavillon dans lequel on sacrifia en l’honneur du fondateur de la dynastie des Han et des plus célèbres empereurs de cette famille. Ensuite les généraux assemblés tuèrent un cheval dont ils burent le sang suivant l’ancienne coutume, et firent le serment de sacrifier leur vie pour punir le perfide Wang-Mang et rendre aux Han le trône usurpé par celui-ci.
Les cinq bannières (appelées en chinois Ky, en mandchu To), doivent être regardées ici comme des étendards sur lesquels étaient représentés deux dragons enlacés. La grande bannière blanche (en chinois Pé-Mao, en mandchou Changguian-Mâo), est un étendard orné de la queue d’un bœuf sauvage. Quant à la hache, voici l’explication qu’on en donne au vol. VII des Mémoires sur les Chinois, article 1er du Lou-Tao :
« Le roi, prenant entre ses mains la petite hache, en séparera le fer d’avec le manche, et remettra le manche au général, en lui disant : D’ici-bas jusqu’au ciel, donnez des ordres et faites-les exécuter. Il prendra alors la grande hache, en séparera également le manche d’avec le fer, et remettra le fer entre les mains du général, en lui disant : Du lieu que vous foulez aux pieds jusqu’au centre de la terre, donnez des ordres et faites-les exécuter... » Ici il n’est question que de la grande hache ; les dictionnaires expliquent ainsi le caractère Youe (3169 et 11431 ) : « Hache militaire dont le fer est large et le manche long... »
Nous avons parlé plus haut des sceaux remis aux officiers civils et militaires ; nous y ajouterons ces lignes empruntées aussi au vol. VIII des Mémoires sur les Chinois : « Les généraux avaient entre les mains la moitié d’un des sceaux de l’empire, dont l’autre moitié restait entre les mains du souverain ou de ses ministres. Quand ils recevaient des ordres, ces ordres n’étaient scellés que d’une moitié du sceau, laquelle ils joignaient avec la leur pour s’assurer qu’ils n’étaient pas trompés ; mais quand une fois cette moitié du sceau était déchirée ou rompue, ils n’avaient plus d’ordre à recevoir. » Or, une fois hors des frontières, le général n’ayant plus d’ordres à recevoir de la capitale trop éloignée du théâtre de l’expédition, devait déchirer la partie du sceau restée entre ses mains, se déclarant ainsi maître d’agir à son gré.
Ce que nous avons traduit par « le sceau de la confédération, » en chinois Ping-Fou, le sceau militaire, en mandchou Hontoho-Toron, le sceau dont on a une moitié, doit s’entendre par le sceau de Youen-Chao lui-même, chef suprême de ligue ; les mots Tsiang-Yn, cachet du général , exprimeraient le sceau que le généralissime était censé recevoir de l’empereur.
Littéralement : « On brûla le papier. » On affirme que le papier a été connu en Chine sous Wey-Ty (qui régna de 180 à 157 avant notre ère) ; il nous a paru plus naturel de mettre « des tablettes de bambou » entre les mains de ces guerriers réunis en rase campagne. On doit entendre qu’ils brûlèrent cette formule écrite sur des planchettes ou sur du papier, afin de l’envoyer ainsi vers ciel pris à témoin de leur serment.
Ces passages, dont il est souvent question, étaient des défilés défendus par un mur, par une porte solide, surmontée, comme celles des villes, d’une galerie propre à renfermer des combattants, garnie de plates-formes du haut desquelles les archers et les arbalétriers faisaient pleuvoir sur les assaillants les flèches et les pierres. Au reste, on trouve la mention de pareils passages dans l’Histoire de la Grèce ; à l’ouest des Thermopyles, près de l’autel consacré à Hercule, le défilé était fermé d’une muraille dans laquelle on avait anciennement pratiqué des portes. Au sortir de la Phrygie et pour entrer en Cappadoce, on rencontrait l’Halys, sur lequel il y avait des portes qu’il fallait nécessairement passer pour traverser ce fleuve et un fort considérable pour la sûreté du passage. Sur la frontière de la Cilicie se trouvaient encore deux défilés et deux forts qui les défendaient.
Cette arme, fort ancienne à la Chine, a aussi été en usage par toute l’Europe au moyen âge chez les Sarrasins, dans l’Inde même ; elle a joué un grand rôle dans les guerres des croisades. Les Chinois s’en servaient également à la chasse, comme on peut le voir dans la planche 2, Chasse en été, de la Chine, par M. Pauthier.
Il faut traduire plus littéralement : « Tsao-Tsao ayant fait préparer une tasse de vin chaud, la donne à Kouan-Mo, en lui disant : Buvez et montez à cheval ! Le héros répond : Versez, je cours à l’ennemi... » C’est-à-dire qu’il ne boit pas cette coupe ; et il a si vite triomphé de son adversaire, qu’il est de retour avant que le vin ne soit refroidi. Nous insistons sur le sens de cette phrase, parce que le texte est assez obscur ; à moins qu’on ne traduise : « Il fait préparer le vin, afin qu’après avoir bu il monte à cheval ; mais celui-ci... »
C’est-à-dire : « Voyez comme avec arrogance ils se permettent de faire des exploits ; comme, sans ordre, chacun sort des lignes et court au combat. »
L’expression « les huit grands vassaux » n’est peut-être pas exacte ; alors il faudrait entendre huit généraux, chefs de division : Wang-Kwang, Kiao-Mao, Pao-Sin, Youen-Y, Kong-Yong, Tchang-Yang, Tao-Kien, Kong-Sun-Tsan, tous commandants de provinces. L’armée des confédérés se composait de huit divisions en tout.
Nous redonnons ici, pour ceux qui n’aiment pas les traductions abrégées, ce passage un peu long et qui nous semblait ralentir le récit : « Cependant les huit commandants supérieurs rassemblent leurs troupes et délibèrent. Liu-Pou est un héros à qui personne ne peut tenir tête… Et déjà on vient annoncer que ce général victorieux redemande le combat. A la tête d’un groupe de cavaliers, la bannière au vent, il se précipite sur les lignes. Un officier aux ordres de Tchang-Yang s’élance au galop pour le combattre ; à la première attaque, Liu-Pou le renverse mort à bas de son cheval.
« Les huit généraux sont frappés de terreur ; un officier aux ordres de Kong-Yong s’avance et dit : Voilà dix ans que je suis comblé des bienfaits de mon maître, pourquoi ne risquerais-je pas ma vie pour acquitter la dette de la reconnaissance ? Kong regarde et reconnaît un de ses clients, un héros de sa division, nommé Wou-Ngan-Koué. Armé d’une masse de fer du poids de cinquante livres, ce guerrier vole au-devant de l’ennemi. Dix fois il croise le fer avec Liu-Pou, qui lui coupe l'avant-bras d’un coup de son cimeterre. Ngan-Koue laisse tomber sa masse et s’enfuit… Les huit grands chefs s’ébranlent à la fois et marchent au secours du héros blessé. Liu-Pou tourne bride et abandonne le champ de bataille.
« Tant de combats inutiles et même funestes livrés par les huit grands généraux sont enfin annoncés à Youen-Chao. Tsao-Tsao vient le trouver et lui dit : Liu-Pou est un brave, un guerrier sans rival dans l’empire. Réunissons les dix-huit corps d’armée et attaquons-le en masse. Avisons au moyen de nous débarrasser de cet adversaire trop dangereux ; une fois qu’il sera anéanti, nous aurons bon marché de Tong-Tcho.
« Ils parlaient encore quand on les vint avertir que Liu-Pou revenait à la charge. En avant les huit divisions, crie Youen-Chao… Déjà Liu-Pou a attaqué vigoureusement Kong-Sun-Tsan qui s’élance hors des rangs, en personne, et le menace de sa massue de fer. — Prends ta pique, lui crie Liu-Pou, viens, je t’attends… Ils luttent, et bientôt Sun-Tsan, tournant bride, revient précipitamment sur ses pas. Monté sur son cheval rouge qui semble avoir des ailes, sur son coursier rapide comme le vent, capable de parcourir cent milles dans un jour, Liu-Pou le poursuit, le presse de plus en plus… Déjà il va lui enfoncer sa pique dans le dos ; mais à côté de Sun-Tsan parait un chef aux yeux ronds, aux prunelles ardentes, à la barbe hérissée comme le tigre ; la lance en arrêt, il se précipite et crie d’une voix méprisante : Vil esclave, trois fois traître, ne fuis pas ainsi ! Je suis Tchang-Fey, du pays de Yen.
« Liu-Pou le voit, et, cessant de poursuivre Kong-Sun-Tsan, il s’attache à ce nouvel adversaire. Tchang-Fey brille de tout son courage surnaturel en se préparant à cette lutte terrible ; les grands généraux l’admirent et restent immobiles. D’un cité, Tchang-Fey en manœuvrant sa pique déploie une vigueur incroyable, une force désordonnée ; de l’autre, LiuPou s’anime peu à peu.
« Enfin, transporté de colère, le bouillant Tchang-Fey pousse un cri, Kouan-Mo lance son cheval en avant, brandit son lourd cimeterre recourbé comme une faux ; Liu-Pou est assailli de deux côtés : les trois chevaux se heurtent, les trois cavaliers s’attaquent trente fois. À cette vue, Hiuen-Té éprouve une secrète joie. — Si je ne frappe pas maintenant, se dit-il, quelle meilleure occasion puis-je attendre ? Armé de son cimeterre à deux tranchants, il fouette son cheval aux crins jaunes et se jette sur Liu-Pou. Les trois amis, les trois frères adoptifs, entourent le terrible guerrier, qui résiste sur tous les points comme un phare tournant.
« Les huit chefs confédérés sont éblouis de tant d’audace ; Liu-Pou, cependant, ne peut tenir tête à cette triple attaque. Visant droit à la face de Hiuen-Té, il lui porte un coup de lance que celui-ci évite, et tandis que son ennemi a fait un mouvement pour parer le fer, il profite du moment pour s’esquiver ; la lance inclinée, il fouette son cheval rapide et se sauve. Les trois guerriers le poursuivent sans relâche ; alors aussi, avec de grandes clameurs, marchent les huit divisions. Les troupes de Liu-Pou fuient précipitamment vers les passages ; serré de près par ses trois redoutables adversaires, le héros arrive au pied du rempart ; là, Tchang-Fey lève la tête et voit… »