Chez l’auteur (p. 333-370).

LIVRE VINGTIÈME


Fermentation. — Les Marseillais et la commune de Paris demandent la déchéance. — La cour se prépare à la résistance. — Mise en accusation de La Fayette rejetée. — Les députés constitutionnels insultés. — Préparatifs des insurgés. — Nuit du 9 au 10 août. — Le tocsin. — Scènes intimes chez les conjurés. — Angoisses de la reine et de Madame Élisabeth. — Description des Tuileries. — Dénombrement des troupes. — Esprit qui les anime. — Possibilité de repousser les insurgés.


I

Cependant la fermentation croissait d’heure en heure. On entendait partout ce murmure sourd qui présage les catastrophes des empires comme celles de la nature. La Fayette, disait-on, allait marcher sur Paris. Le vieux Luckner avait avoué ce projet à Guadet, dans un dîner chez l’évêque Gobel. Averti du danger de cet aveu, Luckner le rétractait maintenant. Les fédérés, accumulés dans Paris, refusaient d’en sortir, prétextant les trahisons patentes des généraux aristocrates sous lesquels on les envoyait non à la victoire, mais à la mort. Dumouriez avait reçu l’ordre perfide de lever son camp, et d’ouvrir ainsi l’accès de la capitale aux Autrichiens. Il avait patriotiquement désobéi. Des préparatifs d’attaque et de défense se faisaient secrètement au château. Les appartements intérieurs du roi étaient remplis de nobles et d’émigrés rentrés. L’état-major de la garde nationale conspirait avec la cour. Le Carrousel et le jardin des Tuileries étaient un camp, le château une forteresse prête à vomir la mitraille et l’incendie sur Paris. Le sol même du jardin des Tuileries était traité par le peuple en terre maudite, qu’il était interdit aux bons citoyens de fouler du pied. Entre la terrasse des Feuillants et ce jardin, on avait tendu pour toute barrière un ruban tricolore avec cette inscription menaçante : « Tyran, notre colère tient à un ruban, ta couronne tient à un fil. »

Les sections de Paris, ces clubs légaux, ces fragments incohérents de municipalités, centres perpétuels de délibérations anarchiques, essayèrent de prendre quelque unité pour devenir plus imposantes et plus redoutables à l’Assemblée et à la cour. Pétion organisa à l’hôtel de ville un bureau de correspondance générale entre les sections. On y rédigea en leur nom une adresse à l’armée, qui n’était qu’une provocation au massacre des généraux. « Ce n’est pas contre les Autrichiens, disaient-elles aux troupes, que La Fayette voudrait vous conduire, c’est contre nous ! C’est du sang des meilleurs citoyens qu’il voudrait arroser le pavé du château royal, afin de réjouir les yeux de cette cour insatiable et corrompue ! Mais nous la surveillons et nous sommes forts ! Au moment où les traîtres voudront livrer nos villes à l’ennemi, les traîtres auront disparu, et nous nous serons ensevelis sous les cendres de nos villes ! »

Des discours analogues à cette adresse agitaient l’âme du peuple dans les sections. La presse répandit dans tout le royaume un de ces discours prononcés à la section du Luxembourg, et dont la concision relevait l’énergie. « Français, vous avez fait une révolution, contre qui ? — Contre le roi, la cour, les nobles et leurs partisans ! — À qui avez-vous confié le sort de cette révolution après l’avoir faite ? — Au roi, à la cour, aux nobles et à leurs partisans ! — À qui faites-vous la guerre au dehors ? — Aux rois, aux cours, aux nobles et à leurs partisans ! — Qui avez-vous mis à la tête de vos armées ? — Le roi, les nobles, la cour et leurs complices ! Eh bien, concluez : ou le roi, les nobles et les intrigants qui sont à la tête de vos affaires et de vos armées sont tous des Brutus qui sacrifient leurs pères, leurs frères, leurs fils au salut de la patrie, ou ils vous trahissent ! » La conclusion de ce discours, facile à tirer, était qu’il ne fallait pas confier une révolution aux hommes contre qui elle a été faite, c’est-à-dire que toutes les demi-révolutions sont des chimères, et qu’il n’y a que la république qui puisse faire une guerre sincère à la monarchie. « Levez-vous, citoyens ! disait la section Mauconseil. Un tyran méprisable se joue de nos destinées, qu’il tombe ! L’opinion seule fait la force des rois ; eh bien, que l’opinion le détrône ! Déclarons que nous ne reconnaissons plus Louis XVI pour roi des Français. »

Danton, dans la section du Théâtre-Français, foula aux pieds cette distinction aristocratique entre les citoyens actifs et les citoyens passifs, et les appela tous, prolétaires ou propriétaires, à prendre les armes pour le salut de la patrie commune.


II

Plus logique que La Fayette, Danton ne plaçait pas les limites de la richesse à la place des limites de la naissance entre les citoyens ; il les effaçait toutes. Cet appel au droit et au nombre devait étouffer les baïonnettes de la garde nationale sous la forêt de piques des fédérés. Les enrôlements volontaires pour la frontière prirent plus d’activité ; ils avaient lieu solennellement sur la place de l’hôtel de ville. Ces enrôlements étaient antiques de forme. Quatre tribunes, élevées aux quatre angles de la place, étaient occupées par des commissaires qui recevaient les engagements au bruit des instruments et aux acclamations de la foule. Des allocutions brûlantes enflammaient l’esprit des volontaires : « Citoyens, nous allons partir, dirent les orateurs de la section des Quinze-Vingts ; vous êtes près du gouvernail, surveillez le pilote : il vaudrait mieux le jeter à la mer que de surveiller l’équipage. Le dix-neuvième siècle approche : puissent à cette époque de 1800 tous les habitants de la terre, éclairés et affranchis, adresser à Dieu un hymne de reconnaissance et de liberté ! Demandez encore une fois à Louis XVI s’il veut être de cette fête universelle ; nous lui réservons encore la première place au banquet. S’il s’y refuse, adieu ! Nos sacs sont prêts, notre adresse est l’éclair qui précède la foudre ! »

Le contre-coup de ces convulsions extérieures se faisait sentir aux Jacobins, aux Cordeliers, et jusque dans l’Assemblée. Les séances se passaient à voir défiler des députations et à entendre des adresses. Les Marseillais, au nombre de cinq cents, vinrent déclarer par l’organe de leur orateur que le nom de Louis XVI ne leur rappelait que trahison, et demander l’accusation des ministres et la déposition du roi. « Le peuple est levé, s’écria l’orateur des fédérés ; il vous demande une réponse catégorique : pouvez-vous nous sauver ou non ? »

Isnard, dans un discours ardent et incohérent comme les vociférations de la colère, lança au roi l’outrage, l’accusation, l’ignominie et la mort. Pétion, raisonnant froidement sa haine, lut à la barre, avec l’autorité de sa magistrature, l’adresse de la commune de Paris, qui n’était qu’un acte d’accusation contre le roi : « Nous ne vous retracerons pas, disait le maire de Paris, la conduite entière de Louis XVI depuis le commencement de la Révolution, ses projets sanguinaires contre la ville de Paris, sa prédilection pour les nobles et les prêtres, son aversion contre le peuple, l’Assemblée constituante outragée par les valets de la cour, investie par des hommes armés, errante au milieu d’une ville royale, et ne trouvant d’asile que dans un jeu de paume ! Que de raisons n’avions-nous pas de l’écarter du trône, au moment où la nation fut maîtresse d’en disposer ! Nous le lui laissâmes ! Nous ajoutâmes à cette générosité tout ce qui peut relever, fortifier, embellir un trône ! Il a tourné contre la nation tous ces bienfaits, il s’est entouré de nos ennemis, il a chassé les ministres citoyens qui avaient notre confiance, il s’est ligué avec ces émigrés qui méditent la guerre extérieure contre nous, avec ces prêtres qui conspirent au dedans la guerre civile ; il a retenu nos armées prêtes à envahir la Belgique ; il est le premier anneau de la chaîne contre-révolutionnaire : il transporte Pilnitz au milieu de Paris, son nom lutte contre le nom de la nation ; il a séparé ses intérêts de ceux de son peuple, séparons-nous de lui. Nous vous demandons sa déchéance ! »

À la séance du 5 août, Guadet lut des adresses des départements qui concluaient, comme celle de Pétion, à la déchéance du roi. Vaublanc s’éleva avec courage contre ces adresses inconstitutionnelles, et contre l’oppression des insultes et des menaces que la tribune et les pétitionnaires exerçaient sur la liberté des représentants de la nation. Condorcet justifia les termes de l’adresse de la commune de Paris sur la déchéance ; il fit, comme Danton, appel au peuple contre les riches. Les fédérés annoncèrent qu’ils avaient pris l’arrêté de cerner le château des Tuileries jusqu’à ce que l’Assemblée eût prononcé la déchéance.


III

La cour cependant veillait. Les ministres passaient les nuits chez le roi avec quelques officiers municipaux en écharpe, pour être prêts à donner le caractère légal à la résistance. Des bruits de fuite circulaient dans le peuple. Le ministre de l’intérieur démentit ces rumeurs par une lettre officielle. « On répand avec profusion dans Paris une note portant : « Cette nuit, vers deux heures, le roi, en habit de paysan, est sorti du château ; il s’est acheminé vers le pont tournant en suivant la grande allée des Tuileries. La stature du monarque ne permet guère de le méconnaître. La sentinelle l’a reconnu sur-le-champ. Elle a crié aux armes. Le prince fugitif est retourné à toutes jambes vers le château ; il a écrit à l’instant au maire, qui s’est rendu au château. Le roi lui a raconté l’événement à sa manière. Suivant lui, il n’aurait tenté qu’une simple promenade. On dit que M. de La Rochefoucauld l’attendait au château pour le conduire en lieu de sûreté. » Le ministre attestait que le roi n’était pas sorti du château pendant la nuit, et que sa présence serait certifiée par les officiers municipaux que l’annonce d’une agression nocturne avait retenus auprès du roi au moment même où l’on signalait son évasion.

Le 6, la nouvelle du massacre de quatre administrateurs de Toulon consterna de nouveau l’Assemblée. On discuta ensuite la mise en accusation de La Fayette. La commission extraordinaire nommée pour instruire cette affaire conclut à l’accusation. Vaublanc justifia le général : « S’il avait eu des projets ambitieux ou criminels, il aurait songé d’abord, comme Sylla, César ou Cromwell, à fonder sa puissance sur des victoires. Cromwell a marché à la tyrannie en s’appuyant sur la faction dominante, La Fayette la combat ; Cromwell forma un club d’agitateurs, La Fayette abhorre et poursuit les agitateurs ; Cromwell fit périr son roi, La Fayette défend la royauté constitutionnelle. »

Brissot, accusé si souvent aux Jacobins de complicité avec La Fayette, voulut lutter de popularité avec Robespierre et ses amis en sacrifiant La Fayette aux soupçons. « Je l’accuse, s’écria-t-il, moi qui fus son ami, je l’accuse d’avoir dirigé nos armées comme s’il eût été d’accord avec la maison d’Autriche ! Je l’accuse de n’avoir pas vaincu ! Je l’accuse d’avoir consumé le temps à faire rédiger et signer des pétitions à ses troupes ! Je l’accuse d’avoir aspiré à devenir le modérateur de la France ! Je l’accuse d’avoir abandonné son armée devant l’ennemi ! » Le décret d’accusation fut rejeté à une forte majorité.

En sortant de la séance, Vaublanc, insulté, poursuivi, frappé par le peuple, chercha un refuge dans un poste de la garde nationale. Déjà le peuple ne voulait plus des législateurs, mais des complaisants. Girardin et Dumolard subirent les mêmes outrages. Un fédéré pénétra avec Dumolard jusque dans le corps de garde, frappa comme un forcené sur la table, et déclara au courageux représentant que s’il retournait aux séances, il lui couperait la tête d’un coup de sabre. Ces faits, rapportés le lendemain à l’Assemblée, y soulevèrent l’indignation des constitutionnels, le sourire des Girondins, les huées des tribunes. Girardin déclara que la veille, en sortant de la séance, il avait été frappé ! « En quel endroit ? lui demanda-t-on avec un ricanement ironique. — On me demande en quel endroit j’ai été frappé ! reprit avec une spirituelle indignation Girardin. C’est par derrière. Les assassins ne frappent jamais autrement ! » Ce mot lui reconquit le respect. Le courage est la première des éloquences, car c’est l’éloquence du caractère. Girardin la possédait au plus haut degré. Élève de Rousseau à Ermenonville, il avait la saillie de Voltaire. Nul ne brava autant les passions brutales de la foule dans ces temps de fureur, et ne se fit pardonner plus d’audace par plus d’esprit.

Le même jour, douze hommes armés se présentèrent chez Vaublanc, forcèrent sa porte, le cherchèrent en vain dans la maison, et déclarèrent en se retirant que si cet orateur remontait à la tribune, il serait massacré en descendant. Vaublanc y remonta le soir même pour y dénoncer ces tentatives d’intimidation. Homme d’un esprit droit, d’une parole facile et sonore, d’une intrépidité antique, s’il n’avait pas l’éloquence d’un orateur de premier ordre, il avait le dévouement d’un citoyen. Il luttait seul et toujours vaincu contre les Girondins. « Je défie toute violence, dit-il, de nous faire manquer à nos serments à la constitution. Je défie l’imagination la plus barbare de se figurer les traitements indignes dont quelques-uns de nos collègues ont été hier les victimes… Eh quoi ! ajouta-t-il, si un de vos ambassadeurs était avili dans une cour étrangère, vous tireriez l’épée pour venger la France outragée en lui ; et vous souffrez que les représentants de la France souveraine et libre soient traités sur le sol de la patrie comme ils ne le seraient pas chez les Autrichiens ou chez les Prussiens ! »

Grangeneuve et Isnard justifièrent Pétion par son impuissance, et accusèrent les aristocrates d’être les instigateurs de ces excès. Guadet fit la proposition dérisoire de demander au roi s’il avait des moyens de sauver l’ordre public et de protéger l’empire. Les risées et les applaudissements de la gauche indiquèrent à Guadet qu’il était compris. Rœderer, procureur-syndic du département, mandé à la barre, ne dissimula rien des dangers publics. Il annonça que le tocsin devait sonner, la nuit, dans les deux quartiers de l’insurrection. Il parla des mesures prises et des forces insuffisantes pour résister au mouvement. Pétion, cité aussi, succéda à Rœderer, justifia la mairie, accusa le département, insinua que la division existait entre les citoyens mêmes appelés à défendre l’ordre, et enveloppa sa complicité avec les Girondins de ces paroles ambiguës qui ont un sens différent selon l’oreille à laquelle on les adresse. Les Girondins comprirent ces paroles comme un encouragement à leur entreprise, les constitutionnels comme un aveu d’impuissance. Pétion se retira dans sa popularité. L’Assemblée ne conclut rien.


IV

Pendant cette indécision calculée de la municipalité et des Girondins, un directoire secret, connu de Pétion, et qu’il avoue lui-même avoir concerté longtemps d’avance le plan de l’insurrection du 10 août, agissait dans l’ombre.

Il y avait à Paris un comité central composé de quarante-trois chefs des fédérés de Paris et des départements, réunis sous les auspices et dans l’enceinte des Jacobins, pour se concerter entre eux sur la direction à imprimer aux mouvements. C’était le quartier général de ce camp de la Révolution. Trop nombreux pour que ses réunions pussent avoir le mystère et l’unité nécessaires aux conjurations, ce comité choisit dans son sein un directoire exécutif secret de cinq membres, d’une résolution et d’une capacité avérées. Il leur donna la direction des résolutions et des préparatifs. Ces cinq membres étaient : Vaugeois, grand vicaire de l’évêque de Blois ; Debessé, fédéré de la Drôme ; Guillaume, professeur à Caen ; Simon, journaliste à Strasbourg, et Galissot, de Langres. Ils s’adjoignirent aussitôt pour collègues les meneurs de Paris qui tenaient d’avance les fils de l’agitation dans les différents quartiers de la capitale, et les principaux démagogues des faubourgs. C’étaient le journaliste girondin Carra, Fournier l’Américain, Westermann, Kieulin l’Alsacien, Santerre, Alexandre, Lazowski, Polonais nationalisé par son fanatisme républicain ; Antoine de Metz, ancien membre de l’Assemblée constituante ; Lagrey et Garin, électeurs de 1789.


V

La première séance de ce directoire se tint dans un petit cabaret de la rue Saint-Antoine, au Soleil d’Or, près de la Bastille, dans la nuit du jeudi au vendredi 26 juillet. Gorsas, rédacteur du Courrier de Versailles, et un des chefs de colonne qui avaient marché le 6 octobre pour ramener le roi à Paris, lié depuis avec les Girondins pour arrêter le mouvement qu’il avait accéléré, parut à deux heures du matin dans ce cabaret pour y faire prêter aux conjurés le serment de mourir ou de conquérir la liberté. Fournier l’Américain y apporta un drapeau avec cette inscription : Loi martiale du peuple souverain ! Carra alla de là prendre chez Santerre cinq cents exemplaires d’une affiche ne portant que ces mots : Mort à ceux qui tireront sur les colonnes du peuple !

La seconde séance eut lieu le 4 août au Cadran bleu, sur le boulevard de la Bastille. Camille Desmoulins, l’agent et la plume de Danton, y assista. À huit heures du soir les conjurés, n’ayant pu rien résoudre, se transportèrent, pour de plus complètes informations, dans la chambre d’Antoine, l’ex-constituant, rue Saint-Honoré, vis-à-vis l’église de l’Assomption, dans la même maison qu’habitait Robespierre. Madame Duplay, passionnément dévouée aux idées de Robespierre, et tremblante de voir les jours de son hôte compromis par un conciliabule qui désignerait sa maison comme un foyer d’insurrection, monta chez Antoine vers minuit, et lui demanda avec colère s’il voulait faire égorger Robespierre. « Il s’agit bien de Robespierre ! répondit Antoine. Qu’il se cache s’il a peur ! Si quelqu’un doit être égorgé, ce sera nous. »

Carra écrivit de sa main, chez Antoine, le dernier plan de l’insurrection, la marche des colonnes, l’attaque du château. Simon de Strasbourg copia ce plan et en envoya, à minuit, des copies chez Santerre et chez Alexandre, les deux commandants des faubourgs. L’insurrection, mal préparée, fut encore ajournée au 10. Enfin, dans la nuit du 9 au 10, les membres du directoire se subdivisèrent en trois noyaux insurrectionnels et se réunirent en trois endroits différents à la même heure, savoir : Fournier l’Américain avec Alexandre au faubourg Saint-Marceau ; Westermann, Santerre et deux autres au faubourg Saint-Antoine ; Carra et Garin à la caserne des Marseillais et dans la chambre même du commandant, où ils délibérèrent sous les yeux de sa troupe. Des réunions de royalistes, pour concerter le salut du roi, avaient lieu pendant la même nuit à quelques pas de ces conciliabules. Un émissaire d’une de ces réunions contre-révolutionnaires, chargé de papiers importants, se trompa de porte et entra dans la maison où les républicains conspiraient. On reconnut l’erreur en ouvrant les dépêches. Carra proposa de tuer le messager, afin de conserver le secret de la conjuration républicaine que le hasard venait de lui révéler. Mais un crime isolé était inutile, au moment où le tocsin allait trahir la conspiration de tout un peuple.

Le tocsin sonnait en effet dans quelques clochers des quartiers lointains de Paris. Une page d’intime confidence arrachée aux souvenirs de cœur de la jeune femme de Camille Desmoulins, Lucile Duplessis, et tachée du sang de cette jeune victime, a conservé à l’histoire les impressions tour à tour naïves et sinistres que ces premiers coups de tocsin firent sur les conspirateurs du 10 août. Pendant qu’ils arment leurs bras et qu’ils composent leur visage pour le combat ou pour la mort, on lit leurs émotions à travers leur rôle. Le 8 août, Lucile revint de la campagne à Paris pour se rapprocher de Camille Desmoulins à la veille du danger. Elle adorait son mari. Le 9, ils donnèrent un dîner de famille à Fréron, à Rebecqui, à Barbaroux, aux principaux chefs marseillais. Le repas fut gai comme l’imprévoyance de la jeunesse. La présence de cette belle femme, l’amitié, le vin, les fleurs, l’amour heureux, les saillies de Camille, l’espérance de la liberté prochaine, voilaient la mort que pouvait recéler la nuit. On se sépara pour aller chacun à son sort.

Lucile, madame Duplessis sa mère et Camille Desmoulins allèrent chez Danton. Ils trouvèrent sa femme dans les larmes. Son enfant pleurait, sans comprendre, en regardant sa mère, comme s’il eût eu le pressentiment de l’élévation soudaine, des crimes et du supplice auxquels cette soirée fatale allait vouer son père. Danton était serein, résolu, presque jovial, avec une arrière-pensée de gravité ; heureux de l’approche d’un grand mouvement et indifférent au résultat, pourvu qu’il en sortît de l’action pour son génie. On n’était pas bien sûr encore que le peuple se levât en masse assez imposante et que le mouvement pût avoir lieu cette nuit. Madame Desmoulins prétendait qu’il aurait lieu, et qu’il serait triomphant. Elle trouvait ces pronostics dans son bonheur, et elle les affirmait en riant. « Peut-on rire aussi follement dans une heure si inquiète ! lui dit plusieurs fois madame Danton. — Hélas ! répondait la jeune républicaine, qui changeait de physionomie et d’accent comme d’impression, cette gaieté insensée me présage peut-être que je verserai bien des larmes ce soir ! »


VI

Le ciel était serein ; les femmes descendirent pour respirer l’air et firent quelques pas dans la rue. Il y avait assez de mouvement. Plusieurs sans-culottes passèrent en criant : « Vive la nation ! » puis quelques troupes à cheval, enfin une foule immense. Lucile commença à être prise de peur. « Allons-nous-en, » dit-elle à ses compagnes. Madame Danton, accoutumée aux tumultes au milieu desquels vivait son mari, se moqua de la peur de Lucile. Cependant, à force de lui entendre répéter qu’elle tremblait, elle-même trembla à son tour : « Voilà le tocsin qui va sonner ! » se dirent les femmes, et elles rentrèrent dans la maison de Danton. Les hommes s’armèrent, Camille Desmoulins arriva avec un fusil. Sa femme s’enfuit dans l’alcôve, cacha son visage dans ses deux mains, et se mit à pleurer. Cependant, ne voulant pas révéler sa faiblesse en public, ni dissuader tout haut son mari de prendre part au combat, elle épia le moment de lui parler en secret, et lui dit tout bas ses terreurs. Camille Desmoulins rassura sa femme en lui jurant qu’il ne quitterait pas Danton. Le jeune Fréron, ami de Camille et qui adorait Lucile, avait l’air déterminé a périr. « Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu’à mourir. » Les pas de chaque patrouille dans la rue faisaient croire à madame Desmoulins qu’elle voyait son mari et ses amis pour la dernière fois. Elle alla se cacher dans le salon voisin, qui n’était pas éclairé, pour ne pas assister au départ des hommes. Quand ils furent sortis, elle revint s’asseoir sur une chaise près d’un lit, la tête sur son bras, et s’assoupit dans ses larmes.

Après une absence de quelques heures, Danton revint se coucher. Il n’avait pas l’air impatient de se mêler à l’action. À minuit, on vint coup sur coup le chercher. Il partit pour la commune. Le tocsin des Cordeliers tinta. C’était Danton qui le faisait sonner, pendant que sa parole, comme un autre tocsin, réveillait les Marseillais dans leur caserne. Les cloches sonnèrent longtemps ! Seule, baignée de larmes, à genoux devant la fenêtre, la tête cachée dans sa robe, madame Danton écoutait le tintement lugubre et fiévreux de cette cloche. Danton rentra de nouveau. Des hommes affidés venaient de minute en minute lui annoncer le progrès du soulèvement. À une heure, Camille Desmoulins revint aussi, embrassa sa femme et s’endormit quelques instants. Il ressortit avant le jour. Le matin on entendit le canon. À ce bruit, madame Danton pâlit, se laisse glisser sur le plancher et s’évanouit. Les femmes se troublent, éclatent en reproches, et s’écrient que c’est Camille Desmoulins avec sa plume et ses idées qui est la cause de tout. On entend des pleurs, des cris, des gémissements dans la rue. On croyait tout Paris inondé de sang. Camille Desmoulins rentra et dit à Lucile que la première tête qu’il avait vue rouler était celle de Suleau. Suleau était écrivain comme Camille ; ses crimes étaient ses opinions et son talent. Ce présage fit pâlir et pleurer Lucile.


VII

Pendant cette même nuit, aux mêmes heures, à peu de distance de la maison de Danton, ces mêmes tintements de tocsin portaient la terreur et la mort à l’oreille d’autres femmes qui veillaient, qui priaient et qui pleuraient aussi sur les dangers de leur mari, de leur frère, de leurs enfants.

La reine et Madame Élisabeth écoutaient du haut des balcons des Tuileries les rumeurs croissantes ou décroissantes des rues de Paris. Leur cœur se comprimait ou se dilatait, selon que ce symptôme de l’agitation de la capitale leur apportait de loin l’espérance ou la consternation. À minuit, les cloches commencèrent à sonner le signal des rassemblements. Les Suisses se rangèrent en bataille comme des murailles d’hommes. Le bruit des cloches s’étant ralenti et les espions disant que les rassemblements avaient peine à se former et que le tocsin ne rendait pas, la reine et Madame Élisabeth allèrent se reposer toutes vêtues sur un canapé dans un cabinet des entre-sols, dont les fenêtres ouvraient sur la cour du château. Le roi, sollicité par la reine de revêtir le gilet plastronné qu’elle lui avait fait préparer, s’y refusa avec noblesse. « Cela est bon, lui dit-il, pour me préserver du poignard ou de la balle d’un assassin un jour de cérémonie ; mais dans un jour de combat où tout mon parti expose sa vie pour le trône et pour moi, il y aurait de la lâcheté à moi à ne pas m’exposer autant que nos amis. »

Le roi rentré dans son appartement et enfermé avec son confesseur, l’abbé Hébert, pour purifier son âme et pour offrir son sang, les princesses restèrent seules avec leurs femmes. Madame Élisabeth, en ôtant son fichu de ses épaules avant de se coucher sur le canapé, détacha de son sein une agrafe en cornaline sur laquelle la pieuse princesse avait fait graver : Oubli des offenses, pardon des injures. « Je crains bien, dit-elle en souriant mélancoliquement, que cette maxime ne soit une vérité que pour nous. Mais elle n’en est pas moins un divin précepte, et elle ne doit pas nous être moins sacrée. » La reine fit asseoir à ses pieds celle de ses femmes qu’elle aimait le plus. Les deux princesses ne pouvaient dormir. Elles s’entretenaient douloureusement à voix basse de l’horreur de leur situation et de leurs craintes pour les jours du roi. À chaque instant l’une d’elles se levait, s’approchait de la fenêtre, regardait, écoutait les mouvements, les bruits sourds, et jusqu’au silence perfide de la ville. Un coup de feu partit dans une des cours. Elles se levèrent en sursaut et montèrent chez le roi pour ne plus le quitter. Ce n’était qu’une fausse alerte. Une courte nuit séparait encore la famille royale du jour suprême qui allait se lever. Cette soirée et cette nuit furent employées en préparatifs militaires contre l’assaut qu’on attendait pour le lendemain.


VIII

Le château des Tuileries, plutôt maison de luxe et de parade de la royauté que son véritable séjour, n’avait aucune de ces défenses dont les souverainetés militaires et féodales avaient jadis fortifié leurs demeures. Destiné aux fêtes et non à la guerre, le ciseau de Philibert Delorme l’avait orné pour le plaisir des yeux et non pour l’intimidation du peuple. Étendant ses légères ailes du quai de la Seine aux rues les plus tumultueuses de Paris, entre des cours et un jardin, flanqué de terrasses aériennes portées sur des colonnes, entouré de gracieux portiques accessibles par deux ou trois marches qui les séparaient seules du sol des jardins, percé au centre par un porche immense qui le traversait de part en part et sous lequel débouchaient les degrés du grand escalier, enfin ouvert de tous côtés par de hautes et larges fenêtres qui laissaient les regards du peuple plonger jusque dans l’intérieur des appartements, ce palais à jour, avec galeries, salles à longues perspectives, théâtre, chapelle, statues, tableaux, musées, ressemblait au salon de la France plutôt qu’à la forteresse de la royauté. C’était le palais des arts dans une ville de liberté et de paix.

Des constructions lourdes, bourgeoises, sans élégance, s’étaient élevées depuis, sous l’influence du mauvais goût de Louis XIV, aux deux extrémités de ce palais des Médicis. Ces constructions contrastaient par leur masse disgracieuse, par leurs étages accumulés et par les toits disproportionnés qui les écrasent, avec l’architecture savante et logique de l’Italie, qui harmonise les lignes comme le musicien harmonise les notes, et qui fait de ses monuments la musique des yeux. Ces deux édifices massifs, réunis au palais central par deux corps de bâtiment surbaissés, s’appelaient, l’un le pavillon de Flore, l’autre le pavillon Marsan. Le pavillon de Flore touchait à la Seine et à l’extrémité du Pont-Royal. Le pavillon Marsan touchait aux rues étroites et tortueuses qui rattachaient le Palais-Royal aux Tuileries.

Un jardin immense, planté régulièrement d’arbres séculaires, rafraîchi de jets d’eau, entrecoupé de pièces de gazon où s’élevaient sur leurs piédestaux des statues de marbre, et de plates-bandes plantées d’arbustes et de fleurs, s’étendait, en largeur, des bords de la Seine jusqu’au pavillon Marsan, sur toute la façade du château, et en longueur depuis le château jusqu’à la place Louis XV, qui le séparait des Champs-Élysées. Les allées de ce jardin, longues et larges comme des pensées royales, semblaient avoir été tracées non pour les promenades d’une famille ou d’une cour, mais pour les colonnes de tout un peuple. Une armée entière camperait dans le seul espace compris entre le château et les arbres. Deux longues terrasses flanquaient ce jardin dans sa longueur : l’une sur le bord de l’eau, réservée à la famille royale ; Louis XVI y avait fait élever un pavillon rustique et planter un petit jardin pour l’exercice et pour l’instruction du Dauphin. L’autre terrasse, appelée terrasse des Feuillants, suivait le bord opposé du jardin depuis le pavillon Marsan jusqu’à la terrasse de l’Orangerie, qui décrivait un demi-cercle à l’extrémité du jardin, et descendait par une rampe vers le pont tournant.


IX

Le pont tournant était l’entrée du jardin des Tuileries du côté des Champs-Élysées. Il tournait en effet sur un fossé profond et était défendu par un poste. La terrasse des Feuillants était coupée de deux escaliers à quelque distance du pavillon Marsan. L’un de ces escaliers conduisait à un café ouvert autrefois sur le jardin, fermé de ce côté depuis les troubles. Il s’appelait le café Hottot. C’était le rendez-vous des orateurs du peuple, que le voisinage de l’Assemblée nationale y attirait depuis que celle-ci siégeait à Paris. L’autre escalier conduisait du jardin à l’Assemblée, dont l’enceinte communiquait au jardin par un passage étroit, obscur et infect, que le roi était obligé de traverser à pied toutes les fois qu’il se rendait en cérémonie au milieu des législateurs.

Du côté du Carrousel, quatre cours, séparées les unes des autres et séparées du Carrousel lui-même par des bâtiments de service bas et décousus et par des murs auxquels étaient adossés des corps de garde, fermaient le château. Ces cours communiquaient entre elles par des portes. La première de ces cours, du côté de la rivière, servait d’avenue au pavillon de Flore et s’appelait la cour des Princes. La seconde était la cour Royale. Elle faisait face au centre du château et conduisait au grand escalier. La troisième était la cour des Suisses. Ces troupes y avaient leur caserne. Enfin la quatrième répondait au pavillon Marsan et s’appelait de son nom. Le pavillon de Flore joignait, par une porte du premier étage, les Tuileries à la longue galerie du Louvre, qui régnait sur le quai de la Seine depuis ce pavillon jusqu’à la colonnade. Cette galerie était destinée à être le musée de la France et à renfermer les chefs-d’œuvre de sculpture et de peinture antiques ou modernes que les siècles se transmettent comme les témoins de leur civilisation et comme le patrimoine intellectuel du génie. Dans la prévision d’un envahissement du peuple, qui aurait pu escalader le Louvre, on avait coupé le plancher intérieur de cette galerie à une distance de soixante pas des Tuileries. Cette rupture de communication rendait l’agression impossible par le premier étage. Un poste de trente Suisses veillait jour et nuit dans l’espace compris entre cette coupure et le pavillon de Flore.

Telle était la disposition des lieux où le roi était condamné à recevoir la bataille du peuple. Cerné dans ce palais, il n’y avait ni arsenal, ni rempart, ni liberté de mouvements, ni retraite. Les Tuileries n’étaient faites que pour régner ou pour mourir.


X

L’imminence de l’attaque était avérée pour tous les partis. Pétion, depuis quelques jours, se rendait souvent au château pour y conférer avec les ministres et avec le roi lui-même sur les moyens de défendre le palais et la constitution. Venait-il exécuter sincèrement les devoirs que ses fonctions lui imposaient ? Venait-il réjouir d’avance ses regards des angoisses de la famille royale et de l’impuissance de ses défenseurs ? Sa complicité secrète avec les conjurés, ses ressentiments personnels contre le roi et ses liaisons avec Roland laissent les conjectures aussi flottantes que le caractère de cet homme.


XI

Dans la soirée du 9, Pétion se rendit à l’Assemblée et annonça que le tocsin sonnerait dans la nuit. Il donna, de sa main, à M. de Mandat, l’ordre de doubler les postes et de repousser la force par la force.

M. de Mandat, un des trois chefs de division qui commandaient tour à tour la garde nationale, était chargé, à ce titre, du commandement général des Tuileries. C’était un gentilhomme des environs de Paris, capitaine dans les gardes françaises avant la Révolution, puis chef de bataillon de la garde nationale sous M. de La Fayette, dont il partageait les opinions. Dévoué d’esprit à la constitution, de cœur au roi, il croyait confondre ses devoirs d’opinion et ses devoirs de soldat en défendant dans Louis XVI le roi de ses aïeux et le chef légal de la nation. Homme intrépide, mais de peu de ressources dans l’esprit, il était plus propre à bien mourir qu’à bien commander. Le roi se fiait néanmoins avec raison à son dévouement. Le jeudi 9, Mandat donna ordre à seize bataillons choisis dans la garde nationale de se tenir prêts à marcher. À six heures du soir tous les postes furent triplés au château. Depuis deux jours, le régiment des gardes suisses tout entier, au nombre de neuf cents hommes, était arrivé. Un détachement de quelques hommes seulement était resté à la caserne de Courbevoie. M. de Maillardoz commandait les Suisses. On les avait logés dans l’hôtel de Brionne et dans les écuries de la cour Marsan. À onze heures ils étaient sous les armes. On les plaça en avant-postes à l’issue de tous les débouchés.


XII

Trente gardes nationaux stationnaient avec les Suisses dans la cour Royale, au pied du grand escalier. Ils avaient reçu de Mandat l’ordre de repousser la force par la force, tel que Pétion l’avait donné lui-même au commandant général. Paris était dénué de troupes de ligne. Les généraux Wittenkoff et Boissieu, qui commandaient la dix-septième division militaire, dans laquelle Paris était compris, n’avaient sous leurs ordres que la gendarmerie à pied et la gendarmerie à cheval. La gendarmerie à pied était consignée dans ses casernes, à l’exception de cent cinquante hommes placés à l’hôtel de Toulouse pour protéger au besoin le trésor royal. Trente hommes de la gendarmerie à pied de la banlieue de Paris étaient postés au pied de l’escalier dans la cour des Princes. La gendarmerie à cheval comptait six cents cavaliers. Ils étaient commandés par MM. de Rulhière et de Verdière. À onze heures du soir, cette cavalerie se rangea en bataille dans la cour du Louvre. Un faible escadron de gendarmerie à cheval du département arriva dans la nuit et se mit en bataille sur le Carrousel. Quatre pièces d’artillerie étaient placées dans la cour Royale, devant la grande porte, une dans la cour des Suisses, une dans la cour des Princes, une dans la cour Marsan, deux au pont tournant, une à l’embouchure du pont Royal, deux à la porte du Manége. En tout douze pièces de canon. Les artilleurs étaient des volontaires de la garde nationale, fiers de leur supériorité d’armes et peu assouplis à l’obéissance.

Les seize bataillons de garde nationale arrivèrent par détachements d’heure en heure. Réunis avec peine, ils ne formèrent en tout que deux mille combattants. Les officiers suisses fraternisèrent avec les officiers de ces détachements à mesure qu’ils arrivaient. Ils leur déclarèrent que, pleins de déférence pour la nation, leurs soldats suivraient l’exemple de la garde nationale et ne feraient ni plus ni moins que les citoyens de Paris. Les Suisses furent massés dans le vestibule. Leur drapeau était là ! Assis sur des bancs et sur les marches de l’escalier, leurs fusils dans les mains, ils y passèrent dans un profond et martial silence les premières heures de la nuit. La réverbération des flambeaux sur leurs armes, le bruit des crosses de fusil retentissant de temps en temps sur le marbre, le qui vive à voix sourde des sentinelles, donnaient au palais l’aspect d’un camp devant l’ennemi. Les uniformes rouges de ces huit cents Suisses, assis ou couchés sur les paliers, sur les degrés, sur les rampes, faisaient ressembler d’avance l’escalier des Princes à un torrent de sang. Indifférents à toute cause politique, républicains prêts à combattre contre la république, ces hommes n’avaient pour âme que la discipline, et pour opinion que l’honneur. Ils allaient mourir pour leur parole, et non pour leur idée ou pour leur patrie. Mais la fidélité est une vertu par elle-même ; cette indifférence des Suisses pour la cause du roi ou du peuple rendit leur héroïsme non pas plus saint, mais plus militaire. Ils n’eurent pas le dévouement du patriote, ils eurent celui du soldat.


XIII

À l’exception de ces Suisses, commandés par Maillardoz, Bachmann, d’Erlach, intrépides officiers, les autres troupes éparses dans les jardins et dans les cours, gendarmerie, canonniers, gardes nationaux, ne présentaient ni nombre, ni unité, ni dévouement. Le soldat volontaire ne connaissait pas ses officiers ; l’officier ne comptait pas sur ses soldats. Personne n’avait confiance dans personne. Le courage était individuel comme les opinions. L’esprit de corps, cette âme des troupes, leur manquait. Il était remplacé par l’esprit de parti.

Mais les opinions, au lieu d’être la force, sont le dissolvant des armées. Chacun avait son opinion et cherchait à la faire prévaloir dans des controverses qui devenaient souvent des rixes. Ceux-ci voulaient qu’on prévînt l’attaque, et qu’on marchât sur l’hôtel de ville et sur les principaux débouchés des colonnes du peuple, pour dissoudre les rassemblements avant qu’ils se fussent grossis ; ceux-là demandaient qu’on allât bloquer les Marseillais, encore immobiles dans leur caserne des Cordeliers, les désarmer avec du canon et étouffer ainsi l’incendie dans son principal foyer ; le plus grand nombre, craignant la responsabilité du lendemain s’ils portaient les premiers coups, et enfermés dans la légalité stricte, comme dans une forteresse, voulaient qu’on attendît avec impassibilité l’agression du peuple, et qu’on se bornât à repousser la force par la force, selon la lettre de la constitution. Puritains de la légalité, ils croyaient que la constitution se défendrait d’elle-même.

Quelques-uns se répandaient en sourdes imprécations contre le roi, dont les faiblesses, palliées par des trahisons, avaient amené la patrie à ces extrémités au dehors, les citoyens à cette crise au dedans. Ils montraient du geste les fenêtres du palais et maudissaient une cour perfide qui enlaçait un roi bon, mais impuissant, et qui versait ces calamités sur la patrie. Les canonniers disaient tout haut qu’ils pointeraient leurs pièces sur le château plutôt que de tirer sur le peuple. La confusion régnait dans les cours, dans les jardins, dans les postes. Les bataillons incomplets se plaçaient et se déplaçaient au hasard. Les ordres des chefs se croisaient et se neutralisaient. Aucune pensée militaire d’ensemble ne présidait à ces mouvements désordonnés. On se plaçait ici ou là, selon le caprice des bataillons ou l’ambition d’un officier. On changeait de place avec la même imprévoyance. Des compagnies entières se détachaient tout à coup des bataillons et s’en allaient, les armes renversées, prendre poste sur le Carrousel ou sur les quais, indécises jusqu’au dernier moment si elles se rangeraient du côté des défenseurs ou du côté des assaillants.

À chaque bataillon nouveau qui arrivait, l’esprit changeait dans la garde nationale. Les bataillons des quartiers du centre, arrivés les premiers et composés de la riche bourgeoisie de Paris, étaient animés de l’esprit de La Fayette, dont ils avaient été trois ans les prétoriens. Vainqueurs au Champ de Mars, à Vincennes et dans vingt émeutes, ils méprisaient la populace et voulaient venger la constitution et le roi des outrages du 20 juin. Les bataillons du faubourg Saint-Germain, privés de leurs officiers par l’émigration, étaient livrés aux seuls prolétaires de ce quartier ; les bataillons des faubourgs, composés d’hommes de travail et qui comptaient plus de piques que de baïonnettes dans les rangs, saturés d’insinuations contre le roi, de calomnies contre la reine, ne comprenaient rien à une constitution qui leur ordonnait de venir défendre le palais d’une cour qu’on leur enseignait tous les jours à abhorrer. Rassemblés machinalement aux sons du rappel autour du drapeau, ils entraient aux Tuileries aux cris de Vive Pétion ! et de Vive la nation ! Des cris de Vive le roi ! leur répondaient des bataillons fidèles et des fenêtres du château. Des regards menaçants, des gestes de défi, des apostrophes injurieuses, s’échangeaient entre ces corps destinés à combattre un moment après pour la même cause. Les canonniers serraient la main aux hommes des piques et leur promettaient leur immobilité ou leur secours devant le peuple. Le bataillon des Filles-Saint-Thomas, alarmé de ces dispositions des canonniers, envoya quarante grenadiers d’élite de ce bataillon prendre poste à côté de ces canonniers, pour les surveiller à leur insu et les empêcher d’emmener leurs pièces.


XIV

Telles étaient à l’extérieur la force, la contenance, les dispositions morales des défenseurs du châteaux : quatre ou cinq mille hommes, quelques-uns dévoués, beaucoup indifférents, la plupart hostiles, commandés par l’impression du moment et dont le nombre variait d’heure en heure selon que la fidélité ou la désertion grossissait ou affaiblissait les rangs. Hors des cours, dans les rues adjacentes et dans le Carrousel, la foule, curieuse ou irritée, encombrait les avenues du château. Les hommes du 20 juin, les fédérés oisifs et errants dans Paris, les Marseillais que la voix de Danton n’avait pas encore rassemblés aux Cordeliers, se groupaient à tous les guichets, à toutes les portes, du côté du jardin, du côté du Pont-Royal, du côté des cours. Ils accueillaient avec des cris de joie les bataillons de piques : « Nous sommes vos frères, et voilà l’ennemi ! leur disaient-ils en leur montrant du geste les fenêtres du roi. Rapportez sa tête et les têtes de sa femme et de ses enfants pour drapeau au bout de vos piques. » Les signes d’intelligence et les éclats de rire répondaient à ces imprécations.

Les portes qui séparaient la cour Royale des Tuileries n’étaient pas fermées. Le flux du peuple menaçait sans cesse d’en franchir le seuil. Deux Suisses furent placés en faction aux deux côtés de cette porte pour en interdire l’entrée. Un Marseillais sortit de la foule, le sabre nu à la main. « Misérables, dit-il aux Suisses en levant sur eux son arme, souvenez-vous que c’est la dernière garde que vous montez ! encore quelques heures, et nous allons vous exterminer ! » Des hommes, des enfants, des femmes, montant sur les épaules les uns des autres, se hissaient sur les toits et sur les murs qui s’étendaient entre le Carrousel et les cours du château. Ils insultaient de là les gardes nationaux et les Suisses. On entendait des appartements du roi ce bouillonnement du peuple grossissant d’heure en heure autour du palais.


XV

Dans l’intérieur du château, les forces, plus homogènes, n’étaient pas plus imposantes. Il y avait plus de résolution, mais non plus d’ensemble. Les chefs des bataillons de garde nationale des Filles-Saint-Thomas et de la butte des Moulins y avaient placé les hommes dont ils se croyaient le plus sûrs. Des volontaires sortis des autres bataillons s’y étaient portés d’eux-mêmes. Ils occupaient assez confusément les postes principaux, les galeries, les antichambres du roi, de la reine, de Madame Élisabeth, au nombre de sept à huit cents hommes. Ces appartements, compris entre l’escalier des Princes dans le pavillon de Flore et le grand escalier dans le pavillon de l’Horloge, centre du palais, embrassaient un immense espace. Madame Élisabeth habitait le pavillon de Flore, arrangé pour le recueillement de sa vie, entre ses oiseaux, ses fleurs, ses ouvrages de main, et les pieuses pratiques de sa vie. La reine occupait les appartements du rez-de-chaussée, dans cette partie massive du palais qui s’étend de l’escalier des Princes au grand escalier. C’était dans ces appartements, composés de chambres presque au niveau de la cour et des jardins, et dans ces entre-sols dont elle avait fait des cabinets particuliers, que la reine recevait les conseillers secrets de la monarchie. Ces pièces communiquaient avec les appartements du roi par des escaliers de service. Le roi occupait à côté de ses enfants les grands appartements du premier étage dans le même corps de logis. Ces pièces régnaient derrière la galerie des Carrache, ainsi nommée du nom des peintres qui l’avaient décorée. Elles avaient leurs fenêtres sur le jardin. Des corridors obscurs et tortueux les desservaient.

Le roi, amoureux des habitudes simples et laborieuses de l’homme du peuple, avait fait pratiquer dans ses grands appartements des réduits écartés où il aimait à se retirer pour se livrer soit à l’étude, soit aux travaux de serrurerie. Autant les autres esprits aiment à monter, autant le sien aimait à descendre. Dans ces chambres étroites d’où ses regards n’apercevaient que les cimes des arbres des Tuileries et des Champs-Élysées, au milieu de ses livres d’histoire et de voyage, de ses cartes de géographie ou des outils de son atelier, il aimait à se faire illusion sur sa condition. Il ne se souvenait plus qu’il était roi ; il se croyait un homme vulgairement heureux, entouré de sa femme, de ses enfants et des instruments de son métier quotidien. Il dérobait aux soucis du trône ces heures d’obscurité et de paix. Il abdiquait un moment le rang suprême. Il croyait que la destinée l’oubliait, parce qu’il oubliait la destinée.


XVI

Toute cette partie du palais, ainsi que la galerie des Carrache, la salle du Conseil, la chambre du Lit, les salles des Gardes, le théâtre, la chapelle, était devenue une place d’armes couverte de fusils en faisceaux, de postes militaires et de groupes d’hommes armés. Les uns, assis en silence sur les banquettes, s’assoupissaient, leurs fusils entre leurs jambes ; les autres étaient étendus, enveloppés dans leurs manteaux, sur le parquet des salles ; le plus grand nombre, se formant en groupes dans les embrasures des fenêtres et sur les larges balcons du château éclairés par la lune, s’entretenaient à voix basse des préparatifs de l’attaque et des hasards de la nuit. De minute en minute, Mandat, commandant général, et ses aides de camp passaient des jardins et des cours chez le roi, de chez le roi dans les postes. Les ministres, les généraux, M. de Boissieu, M. de La Chesnaye, commandant en second de la garde nationale sous M. de Mandat ; d’Ermigny, commandant de la gendarmerie ; Carl et Guinguerlo, ses lieutenants ; Rœderer, les membres du département de Paris, deux officiers municipaux, Leroux et Borie, Pétion lui-même, parcouraient sans cesse les appartements ; leurs physionomies, plus sombres ou plus sereines selon les nouvelles qu’ils portaient au roi, répandaient la confiance ou l’inquiétude dans les salles. Des demi-mots jetés en passant par ces chefs aux commandants des postes circulaient. Les heures étaient longues comme l’incertitude et agitées comme l’attente.


XVII

Pendant que ces troupes légales se groupaient aux ordres de la loi autour du chef constitutionnel du royaume, d’autres défenseurs volontaires, appelés du fond de leur province ou de leurs demeures par les dangers de cette journée, se pressaient autour du roi pour le couvrir de leurs corps. Sans autre titre que leur courage pour entrer au château, où leur présence était suspecte à la garde nationale, ils s’y glissaient un à un, sans uniforme, cachant leurs armes, baissant la tête, et comme honteux de venir apporter leur sang et leur vie.

C’étaient d’abord les officiers de la garde constitutionnelle récemment licenciée par le décret de l’Assemblée, mais conservant leurs armes sous la main, leur serment dans leur cœur. C’étaient ensuite quelques jeunes royalistes de Paris, qui, à l’âge où la générosité fait l’opinion, s’étaient épris des larmes de la reine, des vertus de sa sœur, de l’innocence des enfants, des supplices de la royauté, et qui trouvaient glorieux de se ranger du parti des faibles. André Chénier, Champcenetz, Suleau, Richer-Serizy, tous les écrivains royalistes et constitutionnels quittaient tour à tour l’épée pour la plume, la plume pour l’épée. Ils étaient là. C’étaient aussi quelques fidèles serviteurs de la domesticité du château attachés à la cour de père en fils, pour qui le foyer du roi était, pour ainsi dire, leur propre foyer ; vieillards venus de Versailles, de Fontainebleau, de Compiègne, à la nouvelle des périls de leur maître. Quelques-uns menaient avec eux leurs enfants élevés dans les pages, qui avaient à peine la force de porter une arme. Mais ces familles inféodées par des bienfaits à la royauté s’offraient tout entières à leur maître, sans se réserver ni la vieillesse ni l’enfance, prêtes à tout rendre au trône de qui elles tenaient tout. Enfin c’étaient environ deux cents gentilshommes de Paris ou des provinces, la plupart braves officiers retirés récemment de leur régiment, et qui n’avaient voulu ni trahir leur caste en marchant contre leurs frères émigrés, ni trahir la nation en émigrant. Accourus de leurs provinces pour offrir leurs bras au roi, ils représentaient à eux seuls tout ce qui restait en France de cette noblesse militaire qui était allée porter son camp à l’étranger. Placés entre leur conscience qui leur défendait de combattre la patrie, le peuple qui les suspectait, et la cour qui leur reprochait leur fidélité au sol, ces gentilshommes faisaient leur devoir sans espérance et sans illusion ; sûrs de l’ingratitude de la cour si la royauté triomphait, sûrs de mourir si le peuple était vainqueur.

Dévouement austère qui n’avait son prix qu’en lui-même ; mort ingrate et méconnue, seul rôle que le malheur des temps laissât à cette noblesse, qui voulait rester à la fois fidèle comme les chevaliers et nationale comme les citoyens ! Le vieux et intrépide maréchal de Mailly, âgé de quatre-vingts ans, mais jeune de dévouement à son malheureux maître, dont il était aussi l’ami, passa la nuit, armé, debout, à la tête de ces gentilshommes. MM. d’Hervilly, de Pont-Labbé, de Vioménil, de Casteja, de Villers, de Lamartine, de Virieu, du Vigier, de Clermont-d’Amboise, de Bouves, d’Autichamp, d’Allonville, de Maillé, de Chastenay, de Damas, de Puységur, tous militaires de grades et d’armes divers, commandaient sous le maréchal de Mailly des pelotons de cette troupe d’élite.


XVIII

On divisa ce corps de réserve en deux compagnies, l’une sous les ordres de M. de Puységur, lieutenant général, et de M. de Pont-Labbé, maréchal de camp ; l’autre ayant pour capitaine M. de Vioménil, lieutenant général, et pour lieutenant M. d’Hervilly, naguère commandant de la garde constitutionnelle dissoute. Ces officiers avaient espéré trouver des armes de combat au château. On avait négligé cette précaution. La plupart n’avaient pour défense que leur épée et des pistolets à leur ceinture. Quelques officiers civils de la maison du roi, qui s’étaient joints à cette troupe, s’étaient armés à la hâte de chenets et de pincettes arrachés aux foyers des appartements. Ces armes étaient ennoblies par le courage désespéré des serviteurs qui les saisissaient pour défendre la demeure de leur souverain.

M. d’Hervilly fit passer en revue par le roi et par la reine ces deux compagnies rangées en haie dans les salles. La famille royale, plus touchée de l’attachement de cette noblesse qu’effrayée de son petit nombre, adressa des paroles de reconnaissance à ces loyaux officiers. Quelques mots énergiques de Marie-Antoinette, la dignité de son geste, l’assurance de son regard, électrisèrent tellement cette poignée de braves, qu’ils tirèrent leurs épées, et chargèrent spontanément leurs armes sans autre commandement qu’un élan unanime et martial. Ce geste était un serment. La victoire était dans leur attitude. Quelques grenadiers de la garde nationale se confondirent dans leurs rangs, pour montrer la confiance mutuelle et l’unité de dévouement qui animaient tous les amis du roi sans distinction d’armes.

La masse des gardes nationaux répandus dans les appartements et dans les cours murmura de cette manifestation royaliste, et affecta de voir une conspiration dans cette fidélité. On demanda l’éloignement de ces gentilshommes. La reine, se plaçant à la porte de la chambre du Conseil, entre eux et la garde nationale, résista avec fermeté à cette demande d’expulsion des derniers et des plus fidèles amis du roi : « Voyez, messieurs, dit-elle à la garde nationale en montrant du geste la colonne des royalistes, ce sont nos amis et les vôtres ! Ils viennent partager vos dangers, ils ne demandent que l’honneur de combattre avec vous. Placez-les où vous voudrez, ils vous obéiront, ils suivront votre exemple, ils montreront partout aux défenseurs de la monarchie comment on meurt pour son roi. » Ces paroles calmèrent l’irritation de ceux qui les entendirent de près ; mais mal répétées et mal interprétées par ceux qui étaient les plus éloignés, elles portèrent la jalousie et le ressentiment parmi les bataillons.

Un de ces gentilshommes, en passant devant un corps de gardes nationaux en bataille dans la cour Royale, eut l’imprudence de s’approcher des officiers qui le commandaient : « Allons, messieurs de la garde nationale, leur dit-il, c’est le moment de montrer du courage ! » Ce mot blessa la susceptibilité des citoyens. « Du courage ! soyez tranquille, lui répondit un des capitaines de ce bataillon, nous n’en manquerons pas, mais ce n’est pas à côté de vous que nous le montrerons. » Puis, sortant des rangs et des cours, il passa sur le Carrousel et alla se ranger du côté du peuple. La moitié du bataillon le suivit.

Tout présageait la défection, rien n’imprimait l’élan. On attendait le sort et on ne le préparait pas. Le roi priait au lieu d’agir.


XIX

Plus chrétien que roi, renfermé pendant de longues heures avec le P. Hébert, son confesseur, il employait à se résigner ces instants suprêmes que les catastrophes les plus désespérées laissent encore aux grands caractères pour ressaisir la fortune. Quatre ou cinq mille combattants, ayant pour champ de bataille le palais des rois, avec des baïonnettes disciplinées, des canons, de la cavalerie, un roi à leur tête, une reine intrépide, des enfants innocents au milieu d’eux, une assemblée indécise à leur porte, la légalité et la constitution de leur côté, et l’opinion au moins partagée dans la nation, pouvaient peut-être repousser ces masses confuses et désordonnées que l’insurrection amenait lentement sur le château, rompre ces colonnes de peuple qui ne se grossissent que des incertains qu’elles entraînent, foudroyer ces Marseillais, qui étaient odieux dans Paris, balayer les faubourgs, rallier les bataillons flottants de la force civique par le prestige de la victoire, imposer à l’Assemblée, dont la majorité hésitait encore la veille, reprendre un moment l’ascendant de la légalité et de la force, faire appel à La Fayette et à Luckner, opérer la jonction avec les troupes à Compiègne, placer le roi au centre de l’armée, entre l’étranger et son peuple, et faire reculer à la fois la coalition et la Révolution quelques jours. Mais pour cela il fallait un héros : la monarchie n’avait qu’une victime.