Histoire des œuvres de Balzac/Première Partie. I. – La Comédie humaine/Études analytiques

Études analytiques.

LXXXV. Physiologie du mariage, ou Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal, daté de Paris 1824-1829. Dédié au lecteur. Cet ouvrage parut pour la première fois, anonyme, en décembre 1829, daté 1830, chez Charles Gosselin et Urbain Canel, deux volumes in-8o, avec l’introduction, datée du 15 décembre 1829, qui l’accompagne encore aujourd’hui, et une note errata supprimée après la deuxième édition (voir tome XXII, page 377). Il reparut, signé pour la première fois, en 1834 chez Ollivier, deux volumes in-8o, et entra, dédié pour la première fois, en 1846, dans la première édition des Études analytiques (première édition de la Comédie humaine, tome XVI). Toutes les éditions contiennent les divisions suivantes, mais l’épigraphe que voici a été supprimée :

Le bonheur est la fin que doivent se proposer toutes les sociétés.

(L’Auteur.)

AVIS.
INTRODUCTION.
1re  partie : Considérations générales.
MÉDITATIONS.
1. Le sujet.
2. Statistique conjugale.
3. De la femme honnête.
4. De la femme vertueuse.
5. Des prédestinés.
6. Des pensionnats.
7. De la lune de miel.
8. Des premiers symptômes.
9. Épilogue.
2e  partie : Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieur.
MÉDITATIONS.
10. Traité de politique maritale.
11. De l’instruction en ménage.
12. Hygiène du mariage.
13. Des moyens personnels.
14. Des appartements.
15. De la douane.
16. Charte conjugale.
17. Théorie du lit.
1. Les deux lits jumeaux.
2. Des chambres séparées.
3. D’un seul et même lit.
18. Des révolutions conjugales.
19. De l’amant.
20. Essai sur la police.
1. Des souricières.
2. De la correspondance.
3. Des espions.
4. L’index.
5. Du budget.
21. L’art de rentrer chez soi.
22. Des péripéties.
3e  partie : De la guerre civile.
MÉDITATIONS.
23. Des manifestes.
24. Principes de stratégie.
25. Des alliés.
1. Des religions et de la confession considérées dans leurs rapports avec le mariage.
2. De la belle-mère.
3. Des amies de pension et des amies intimes.
4. Des alliées de l’amant.
5. De la femme de chambre.
6. Du médecin.
26. Des différentes armes.
1. De la migraine.
2. Des névroses.
3. De la pudeur, relativement au mariage.
27. Des derniers symptômes.
28. Des compensations.
29. De la paix conjugale.
30. Conclusion.
Post-scriptum.

LXXXVI. Petites Misères de la Vie conjugale, non daté. Cet ouvrage, composé de fragments écrits à différentes époques, reliés et réunis entre eux, parut pour la première fois sous sa forme actuelle (deux parties), en 1845-1846, chez Chlendowski en un volume grand in-8o, illustré par Bertall et publié par livraisons. Il y eut une interruption entre la publication de la première et de la seconde partie, celle-ci ayant paru presque en entier d’abord dans la Presse en décembre 1845, comme nous le dirons tout à l’heure. La préface de la première partie était le seul fragment inédit de cet ouvrage, comme nous allons le montrer. Quoique la division en chapitres que cet ouvrage a toujours gardée, et que nous allons indiquer, ne porte pas de chiffres, nous allons en mettre afin de pouvoir mieux expliquer ensuite la provenance de chacun d’eux. Voici cette division :

1re  partie.
1. Préface où chacun retrouvera ses impressions de mariage.
2. Le coup de Jarnac.
3. Les découvertes.
4. Les attentions d’une jeune femme.
5. Les taquinages.
6. Le conclusum.
7. La logique des femmes.
8. Jésuitisme des femmes.
9. Souvenirs et regrets.
10. Observation.
11. Le taon conjugal.
12. Les travaux forcés.
13. Les risettes jaunes.
14. Nosographie de la villa.
15. La misère dans la misère.
16. Le dix-huit brumaire des ménages.
17. L’art d’être victime.
18. La campagne de France.
19. Le solo du corbillard.
2e  partie :
20. Seconde préface.
21. Les maris du second mois.
22. Les ambitions trompées.
1. L’illustre Chaudoreille.
2. Une nuance du même sujet.
23. Souffrances ingénues.
24. L’Amadis-omnibus.
25. Sans profession.
26. Les indiscrétions.
27. Les révélations brutales.
28. Parties remises.
29. Les attentions perdues.
30. La fumée sans feu.
31. Le tyran domestique.
32. Les aveux.
33. Humiliations.
34. La dernière querelle.
35. Pièces de l’affaire Chaumontel.
36. Faire four.
37. Les marrons du feu.
38. Ultima ratio.
39. Commentaire où l’on explique le Felichitta de tous les finale.

Les deux premiers articles qui aient paru de cet ouvrage sont le 18e : la Campagne de France, et le 19e : le Solo du corbillard ; ils furent publiés d’origine dans la Caricature, numéros des 4 et 11 novembre 1830, le premier sous le titre de : les Voisins, signé Henri B…, le second sous celui de : une Consultation, signé Alfred Coudreux ; mais les versions de la Caricature sont si différentes de celles du volume, que nous croyons bien faire en les reproduisant ici :

I.
LES VOISINS.

À Paris, les deux rangées de maisons parallèles qui forment une rue sont rarement séparées par une voie assez large pour empêcher les habitants des maisons de droite d’épier les mystères cachés par les rideaux des appartements situés sur la ligne gauche. Il est presque impossible de ne pas, un jour ou l’autre, connaître la couleur des meubles du voisin, son cheval, son chat ou sa femme.

Il y a des imprudents qui négligent de faire tomber un voile diaphane sur les scènes d’intérieur, ou de pauvres ménages qui n’ont pas de rideaux à leurs fenêtres ; puis des jeunes filles, obligées d’avoir du jour, se montrent dans l’éclat de leur beauté. Souvent nous ne pensons à baisser cette chaste toile qu’un peu trop tard, et la grisette surprise se voit, comme la chaste Suzanne, en proie aux yeux d’un vieil employé à douze cents francs qui devient criminel gratis, et le surnuméraire apparaît à une janséniste dans le simple appareil d’un homme qui se barbifie… Ô civilisation ! ô Paris ! admirable kaléidoscope qui, toujours agité, nous montre ces quatre brimborions : l’homme, la femme, l’enfant et le vieillard, sous tant de formes, que ses tableaux sont innombrables ! ô merveilleux Paris !

Une femme, légèrement prude, dont le mari, ancien agent de change, habitait plus volontiers la Bourse, les Bouffons, le Bois et l’Opéra que le domicile conjugal, occupait un appartement au premier étage d’une maison, rue Taitbout.

Comme toutes les femmes vertueuses, madame de Noirville restait dans l’enceinte froide et décente de son ménage, plantée à heure fixe dans une grande bergère, au coin de la cheminée en hiver, près de la fenêtre en été. Là, elle faisait de la tapisserie, se montait des collerettes, lisait des romans, grondait ses enfants, dessinait, calculait… Enfin, elle jouissait de tout le bonheur qu’une femme honnête trouve dans l’accomplissement de ses devoirs.

Souvent, et très-involontairement sans doute, ses regards se glissaient à travers les légères solutions de continuité qui séparaient ses rideaux de mousseline, afin peut-être d’acquérir la connaissance du temps ; car elle avait certainement de trop bonnes façons pour épier ses voisins. Mais, depuis quelques jours, un malin génie la poussait à contempler les fenêtres de la maison voisine, nouvellement habitée par un jeune ménage, sans doute encore plongé dans l’océan des joies primordiales de la lune de miel.

Les doux rayons d’un bonheur éclatant illuminaient la figure de la jeune femme et celle de son mari, quand, ouvrant la fenêtre pour rafraîchir leurs têtes enflammées, ils venaient, légèrement pressés l’un contre l’autre, s’accouder sur le balcon et y respirer l’air du soir. — Souvent à la nuit tombante, la voisine curieuse voyait les ombres de ces deux enfants charmants, se combattre, lutter, se dessiner sur les rideaux, semblables aux jeux fantasmagoriques de Séraphin. C’étaient les rires les plus ingénus, des joies d’enfants…, puis des langueurs caressantes… Parfois la jeune femme était assise, mélancolique et rêveuse, attendant son jeune époux absent. Elle se mettait souvent à la croisée, occupée du moindre bruit, tressaillant au moindre pas d’un cheval arrivant du boulevard.

— Comme ils sont unis !… comme ils s’aiment !… disait madame de Noirville.

Puis elle se mettait à marquer les bas de son petit dernier le cœur gros de ses passions rentrées, pesant sa vertu, soupirant et contemplant le portrait de M. de Noirville, gros homme joufflu comme un fournisseur, large comme un banquier.

Enfin, un jour, la femme chaste et prude de l’ancien agent de change étant arrivée au dernier degré d’estime et de curiosité pour sa voisine, dit à son mari :

— Je voudrais bien connaître cette petite dame brune qui demeure en face de chez nous !… Elle est charmante, elle me paraît spirituelle. Ce serait pour moi une société bien agréable, car elle est gaie.

— Rien n’est plus facile !… répondit le financier. Je vois son mari tous les jours à la Bourse. Nous avons fait plus d’une affaire ensemble ! C’est un charmant garçon !… sans souci, aimable… Je puis les inviter à dîner, si cela vous plaît… ils seront enchantés…

Au jour fixé, vers six heures, madame de Noirville avait préparé un dîner somptueux et prié les personnes les plus honorables de sa société pour bien accueillir sa petite voisine. Elle l’avait préconisée comme une femme charmante, remplie de vertu, et son mari comme le plus adorable de tous les jeunes gens, maigre, svelte, blond, élancé, distingué… Aussi n’entendit-elle pas annoncer sans un mouvement de joie M. et madame de Bonrepas…

Elle vit entrer un homme d’une quarantaine d’années, carré, trapu, marqué de petite vérole, épais, un ancien fabricant de sucre de betteraves. Sa ravissante femme, la jolie voisine, avait un petit air boudeur.

— Mais, mon ami…, dit madame de Noirville à son mari.

— Eh bien ?…

— C’est là le mari de madame ?…

— Oui…

— Je le croyais jeune et blond… — Madame, dit-elle à la jeune femme d’un air sévère, vous me faites beaucoup d’honneur… etc.

II.
UNE CONSULTATION.
Un hôtel de la Chaussée-d’Antin. —

— Plaisanterie à part, mon cher docteur, je suis malade, et ce n’est pas sans raison que je vous ai fait venir…

— Vous avez cependant les yeux vifs…

— C’est la fièvre ; je l’ai eue pendant la nuit…

— Ah ! voyons votre langue…

La jeune dame montre une petite langue rouge entre deux rangées de dents blanches comme de l’ivoire.

— Oui, elle est un peu chargée au fond… Mais vous avez déjeuné ?

— Oh ! rien du tout… Une tasse de café…

— Et que sentez-vous ?…

— Je ne dors pas.

— Bon.

— Je n’ai pas d’appétit…

— Bien…

— J’ai des douleurs dans la poitrine, comme ça… là…

Le médecin regarde l’endroit où madame de… pose la main.

— Nous verrons cela tout à l’heure…

— Et puis, docteur, il me passe des frissons par moment…

— Bien…

— J’ai des tristesses… il y a des moments où je pense à la mort.

— Après ?…

— Mais je suis fatiguée aussitôt que j’ai fait la plus petite course.

— Bon…

— Il me monte des feux à la figure…

— Ah ! ah !

— Je n’ai courage à rien… Ah ! ah ! j’oubliais !… Les yeux me cuisent, et je ressens des tressaillements dans les nerfs de la paupière de celui-là…

Elle montre son œil gauche.

— Nous appelons cela un trismus.

— Ah ! cela se nomme trismus ! Est-ce dangereux ?

— Nullement.

— Je tousse. Une petite toux sèche… J’ai des inquiétudes dans les jambes… Je suis sûre d’avoir un anévrisme au cœur…

— Comment vous couchez-vous ?

— En rond…

— Bien. Sur quel côté ?

— Oh ! toujours à gauche…

— Bien… Bon… Combien avez-vous de matelas dans votre lit ?…

— Trois.

— Avez-vous un sommier ?

— De crin.

— Bon… Marchez un peu devant moi ?…

Elle marche.

— Ne sentez-vous pas des pesanteurs dans la synovie de vos rotules ?…

— Qu’est-ce que c’est, docteur, que cette synovie ?…

— Ce n’est rien. Tenez, c’est une espèce de liqueur, à l’aide de laquelle se meuvent les cartilages que vous avez au genou, là…

— Non, docteur, je n’y sens rien. Êtes-vous heureux de savoir toutes ces choses-là !… Est-ce que si j’y avais des pesanteurs… ?

— Que mettez-vous sur votre tête pendant la nuit ?

— Un bonnet.

— Est-il en toile ou en coton ?…

— En batiste… Mais je mets quelquefois par-dessus un foulard…

— Donnez-moi votre main…

Il tire sa montre.

— Ah ! docteur, je n’aime pas que vous comptiez les minutes… ça me fait peur… Ah ! vous ai-je dit que j’avais des vertiges ?…

— Non.

— Eh bien, j’ai manqué de tomber hier à la renverse…

— Était-ce le matin ?…

— Non, c’était le soir…

— Mais était-ce bien le soir ?…

— Oui, c’était le soir.

— Bon…

— Eh bien, que dites-vous ?

— Hé ! hé ! (Silence.) Savez-vous que M. le duc de G… est allé à Holy-Rood ?…

— Non… Ah bah !… Est-bien vrai ?

— Oui… Mais je m’amuse, et j’ai deux ou trois malades bien pressés…

— Comment, docteur, vous vous en allez, et vous ne me prescrivez rien ?

— Avez-vous des nouvelles de M. le comte ?

— Mon mari ?… Ah bah ! est-ce qu’il pense à moi !

— Il s’amuse à Alger… Hi hi hi !… (Il rit.) Vous apportera-t-il des cachemires ?

— Il n’aura pas cet esprit-là… Eh bien, docteur, voilà donc tout ce que vous me dites ! Pas une petite ordonnance ? Si je prenais de l’eau de tilleul ?

— Mais elle vous agace les nerfs…

— Ah ! c’est vrai ! Eh bien, de l’eau de Seltz ?

— Non…

— De l’orangeade ?… À propos, avez-vous été entendre Lablache ?…

— Mais vous savez bien que je n’ai pas une minute à moi…

— C’est vrai ! ce pauvre docteur !… Eh bien, avant de me quitter, ne prescrivez-vous pas… ?

— Mais je pense que vous devriez simplement vous mettre à boire de l’eau ferrée.

— Adieu, docteur…

— Je me sauve ! Voilà près d’une heure que je suis ici, et j’ai chez moi vingt personnes. C’est le jour de mes consultations gratuites.

(Le docteur dans son cabinet.)

— Eh bien, qu’avez-vous ?… Allons, mon homme, dépêchons-nous !

— Monsieur, j’ai les fièvres depuis un mois.

— Ce n’est rien… Mais, oui, vous avez le fond du teint un peu altéré… Prenez du quinquina. (À une autre.) Et vous, la mère, pourquoi êtes-vous venue ?

— Monsieur, c’est toujours mon squirre…

— Il faut aller à l’hôpital…

— Mais, monsieur, mes pauvres enfants !

— Ah ! dame… Ils se passeront de vous… Si vous mourriez, il le faudrait bien.

La femme pleure.

Ensuite parurent les chapitres v, iii, vi, vii, ix, ii, xxiii, xxiv, iv, xxii (second paragraphe : une Nuance du même sujet) et viii, qui parurent sans titre, formant les chapitres i à xi des Petites Misères de la Vie conjugale, dans la Caricature (non politique) des 29 septembre, 6, 13, 20 octobre, 3, 10 novembre, 8, 22 décembre 1839, 5, 26 janvier et 28 juin 1840. Le numéro du 3 novembre était accompagné de la note suivante :

Le rédacteur en chef de ce journal a déjà reçu vingt-sept réclamations (affranchir) sur la tendance des Petites Misères de la Vie conjugale, qui paraissent à nos spirituelles correspondantes exclusivement dirigées contre les femmes. Pour éviter de nouvelles réclamations, et non pour justifier notre collaborateur, nous sommes forcé de révéler les intentions d’un auteur en qui les femmes auraient dû avoir plus de confiance : les Petites Misères de la Vie conjugale ont deux divisions, assez semblables à celles des bains publics : il y a le côté des hommes et le côté des femmes. Toutes les fois qu’il s’agit de mariage, la part du diable et de la caricature est double. Désormais, pour éviter la monotonie, nous alternerons une petite misère du genre féminin avec une petite misère du genre masculin.

(Le Rédacteur en chef.)

Les chapitres x à xix (xviii et xix reparaissant comme inédits malgré leur première publication en 1830), et xxxix parurent pour la première fois, en 1845, dans le tome premier du Diable à Paris, deux volumes in-8o par divers auteurs, chez Hetzel. La scène était intitulée : Philosophie de la Vie conjugale à Paris ; Chaussée-d’Antin, et le début qui forme aujourd’hui le chapitre x, Observation, s’appelait alors : l’Été de la Saint-Martin conjugale ; De quelques péchés capitaux ; De quelques péchés mignons ; la Clef du caractère de toutes les femmes, et un Mari à la conquête de sa femme. Ce morceau, publié dans le Diable à Paris, parut encore en 1845, en un volume in-12, illustré, chez Hetzel, sous le titre de Paris marié, Philosophie de la Vie conjugale. Enfin, les chapitres xx, xxixxii (les deux paragraphes, le second compté comme inédit malgré sa première publication dans la Caricature non politique, en 1840), et xxv à xxxviii, parurent pour la première fois dans la Presse du 2 au 7 décembre 1845, précédés de la note que voici :

M. de Balzac a déjà fait, comme vous savez, la Physiologie du Mariage, un livre plein d’une finesse diabolique et d’une analyse à désespérer Leuwenhoeck et Swammerdam, qui voyaient des univers dans une goutte d’eau. Ce sujet inépuisable lui a inspiré encore un livre charmant, plein de malice gauloise et d’humour anglais, où Rabelais et Sterne se rencontrent et se donnent la main à chaque instant, — les Petites Misères de la Vie conjugale. La première partie de cet ouvrage, qui a paru chez Chlendowski, avec de spirituelles et comiques illustrations de Bertall, renferme tous les petits supplices intimes, les cent mille coups d’épingle que la femme peut infliger à son compagnon de boulet. On ne saurait rien imaginer de plus amusant, et à plus d’une page Bilboquet étonné dirait : Ceci est de la haute comédie. Celle que nous publions, et qui est inédite, fait pendant à la première ; seulement, les rôles sont intervertis : c’est la femme qui est le martyr. Tous les désappointements, les illusions qu’un Adolphe fait subir à sa Caroline sont décrits avec cette exactitude impitoyable, ce style incisif comme un scalpel, et cette perspicacité de lynx qui n’appartiennent qu’à M. de Balzac. — Mais hâtons-nous de lui céder la place : chacune de nos lignes est un vol fait au lecteur[1].

On trouve encore dans la Presse trois autres notes : la première se rapportant au mot « Caroline », ligne 1, page 629. La voici :

Caroline est, dans le livre, le type de la femme, comme Adolphe est celui du mari ; l’auteur a pris, pour les maris et pour les femmes, le parti que les journaux de modes ont pris pour les robes en créant une figurine.

Celle-ci, qui se rapporte au mot « Ferdinand II », avant-dernière ligne, page 653 :

Dans le livre, l’ami de la maison est intitulé Ferdinand, comme Adolphe est le mari, comme la femme est Caroline. Sans ces précautions, les cas sont si semblables à ce qui se passe dans plusieurs ménages, qu’on aurait trouvé des personnalités dans un ouvrage seulement théorique.

Et la dernière se rapportant aux mots « affaire Chaumontel », ligne 25, page 668 :

L’auteur a établi, dans la partie déjà publiée de cet ouvrage, ce qu’est l’affaire Chaumontel. Bertall, ce spirituel dessinateur, a finement montré le mari dans un rendez-vous pris pour traiter l’affaire Chaumontel. La scène est dans un cabinet particulier, chez Véry. L’affaire Chaumontel est expliquée le verre en main, au dessert, par une agréée. L’affaire Chaumontel est le prétexte éternel pris par les maris. Généralement, quand le mari rend compte de sa journée le lendemain, il a toujours manqué des créanciers au rendez-vous pris pour terminer. — On ne sait pas où sont les pièces ; une autre fois, le syndic est absent. — On soupçonne les gens d’affaires d’avoir un intérêt à faire traîner l’affaire Chaumontel. — On ne veut pas non plus ruiner Chaumontel, etc., etc.

Dans la Presse, le chapitre xxvi qui porte en volume le titre de : les Indiscrétions, porte celui de : les Révélations. Cet ouvrage reparut encore en 1846, en trois volumes in-8o, chez Roux et Cassanet, sous le titre de Physiologie du mariage, Petites Misères de la Vie conjugale ; il était terminé par l’Employé (voir aux Œuvres diverses). Il n’a été réuni aux œuvres de Balzac, série des Études analytiques, qu’en 1855, chez madame Houssiaux, dans le tome XVIII des Œuvres complètes (deuxième volume complémentaire de la Comédie humaine). Pour terminer cet article, nous allons donner l’avis des éditeurs publié en tête de l’édition de 1846 :

Les Petites Misères de la Vie conjugale, que nous publions aujourd’hui forment un ouvrage complet, et cependant ce livre est la suite et le complément indispensable de la Physiologie du Mariage, cet ouvrage qui a obtenu un succès à la fois si élevé et si populaire, qui se trouve non-seulement dans les cabinets de lecture, mais encore dans toutes les bibliothèques particulières ; et dont cinq éditions ont à peine suffi pour satisfaire la curiosité du public.

On comprend facilement le succès du célèbre romancier dont le nom est à la tête de cet ouvrage ; car il est du petit nombre des écrivains qui ne font pas commerce de leur plume, et restent constamment fidèles à l’étude et au progrès de l’art, au lieu de prendre l’argent pour unique but de leurs travaux. Aussi l’œuvre du consciencieux écrivain restera comme un monument dans lequel on pourra toujours, dans la suite des temps, puiser la connaissance exacte des mœurs du xixe siècle.

Dans peu, nous publierons un ouvrage qui diffère entièrement de celui-ci, la Femme de soixante ans[2]. On sait combien M. de Balzac excelle à peindre les types de femmes les plus précieux et les plus caractéristiques ; le livre que nous annonçons contient l’étude la plus remarquable que l’auteur ait faite en ce genre. On voit par le portrait de la femme de soixante ans que chaque âge a sa beauté et ses charmes. Bien des femmes arrivées à cette époque de la vie y retrouveront l’expression fidèle de leurs mérites, et celles qui en sont encore éloignées y puiseront de précieuses espérances pour l’avenir.

On retrouve donc dans ce livre les plus belles pages de l’écrivain qui nous a donné le Père Goriot, Eugénie Grandet, le Curé de village, Modeste Mignon et tant d’autres chefs-d’œuvre.G. R. (Gabriel Roux).

Avant de quitter la Comédie humaine, dont les Petites Misères de la Vie conjugale forment le dernier ouvrage, et de passer aux œuvres de Balzac qui n’ont jamais été réunies du vivant de leur auteur, nous allons donner ici un curieux tableau de cette Comédie humaine telle que Balzac rêvait de la réimprimer ; nous extrayons ce document d’un article publié à la mort de Balzac par Amédée Achard dans l’Assemblée nationale du 25 août 1850 ; ce tableau avait été établi en 1845 pour une deuxième édition de la Comédie humaine, projetée par Balzac avant l’achèvement même de la première ! Elle aurait formé vingt-six volumes. Ce travail avait été communiqué à l’auteur de Belle-Rose par son propriétaire, M. Laurent-Jan, à qui l’auteur lui-même l’avait donné, signé ainsi :

À Laurent-Jan, le constructeur soussigné,
DE BALZAC.

Les ouvrages en italiques sont ceux que la mort n’a pas permis à Balzac d’entreprendre ou de finir.

CATALOGUE
DES OUVRAGES QUE CONTIENDRA

LA COMÉDIE HUMAINE


Première partie : Études de mœurs. — Deuxième partie : Études philosophiques. — Troisième partie : Études analytiques.
première partie. Études de mœurs.

Six livres : I. Scènes de la Vie privée. — II. Scènes de la Vie de province. — III. Scènes de la Vie parisienne. — IV. Scènes de la Vie politique. — V. Scènes de la Vie militaire. — VI. Scènes de la Vie de campagne.

I. Scènes de la Vie privée.
(Quatre volumes ; tomes I à IV.)

1. Les Enfants. — 2. Un Pensionnat de demoiselles. — 3. Intérieur de collége. — 4. La Maison du chat qui pelote. — 5. Le Bal de Sceaux. — 6. Mémoires de deux jeunes mariées. — 7. La Bourse. — 8. Modeste Mignon. — 9. Un Début dans la vie. — 10. Albert Savarus. — 11. La Vendetta. — 12. Une Double Famille. — 13. La Paix du ménage. — 14. Madame Firmiani. — 15. Étude de femme. — 16. La Fausse Maîtresse. — 17. Une Fille d’Ève. — 18. Le Colonel Chabert. — 19. Le Message. — 20. La Grenadière. — 21. La Femme abandonnée. — 22. Honorine. — 23. Béatrix. — 24. Gobseck. — 25. La Femme de trente ans. — 26. Le Père Goriot. — 27. Pierre Grassou. — 28. La Messe de l’athée. — 29. L’Interdiction. — 30. Le Contrat de mariage. — 31. Gendres et Belles-Mères. — 32. Autre étude de femme.

II. Scènes de la Vie de province.
(Quatre volumes ; tomes V à VIII.)

33. Le Lys dans la vallée. — 34. Ursule Mirouet. — 35. Eugénie Grandet. — 36. Les Célibataires : I. Pierrette. — 37. Idem : II Le Curé de Tours. — 38. Idem : III. Un Ménage de garçon en province (la Rabouilleuse). — 39. Les Parisiens en province : IL’Illustre Gaudissart. — 40. Idem : IILes Gens ridés. — 41. Idem : IIILa Muse du département. — 42. Idem : IVUne Actrice en voyage. — 43. La Femme supérieure[3]. — 44. Les Rivalités : IL’Original. — 45. Idem : IILes Héritiers Boirouge. — 46. Idem : III. La Vieille Fille. — 47. Les Provinciaux à Paris : I. Le Cabinet des antiques. — 48. Idem : IIJacques de Metz. — 49. Illusions perdues : I. Les Deux Poëtes. — 50. Idem : II. Un Grand Homme de province à Paris. — 51. Idem : III. Les Souffrances de l’inventeur.

III. Scènes de la Vie parisienne.
(Quatre volumes ; tomes IX à XII.)

52. Histoire des Treize : I. Ferragus. — 53. Idem : II. La Duchesse de Langeais. — 54. Idem : III. La Fille aux yeux d’or. — 55. Les Employés. — 56. Sarrasine. — 57. Grandeur et décadence de César Birotteau. — 58. La Maison Nucingen. — 59. Facino Cane. — 60. Les Secrets de la princesse de Cadignan. — 61. Splendeurs et Misères des courtisanes : I. Comment aiment les filles. — 62. Idem : II. À combien l’amour revient aux vieillards. — 63. Idem : III. Où mènent les mauvais chemins. — 64. Idem : IV. La Dernière Incarnation de Vautrin. — 65. Les Grands, l’Hôpital et le Peuple. — 66. Un Prince de la bohème. — 67. Les Comiques sérieux (les Comédiens sans le savoir). — 68. Échantillons de causeries françaises[4]. — 69. Une Vue du Palais. — 70. Les Petits Bourgeois. — 71. Entre savants. — 72. Le Théâtre comme il est. — 73. Les Frères de la consolation (l’Envers de l’histoire contemporaine)[5].

IV. Scènes de la Vie politique.
(Trois volumes, tomes XIII à XV.)

74. Un Épisode sous la Terreur. — 75. L’Histoire et le Roman. — 76. Une ténébreuse affaire. — 77. Les Deux Ambitieux. — 78. L’Attaché d’ambassade. — 79. Comment on fait un ministère. — 80. Le Député d’Arcis. — 81. Z. Marcas.

V. Scènes de la Vie militaire.
(Quatre volumes ; tomes XVI à XIX.)

82. Les Soldats de la République (trois épisodes). — 83. L’Entrée en campagne. — 84. Les Vendéens. — 85. Les Chouans. — 86. Les Français en Égypte : IPremier épisode. — 87. Idem : IILe Prophète. — 88. Idem : IIILe Pacha. — 89. Une Passion dans le désert. — 90. L’Armée roulante. — 91. La Garde consulaire. — 92. Sous Vienne : IUn Combat. — 93. Idem : IIL’Armée assiégée. — 94. Idem : IIILa Plaine de Wagram. — 95.  L’Aubergiste. — 96. Les Anglais en Espagne. — 97. Moscou. — 98. La Bataille de Dresde. — 99. Les Traînards. — 100. Les Partisans. — 101. Une Croisière. — 102. Les Pontons. — 103. La Campagne de France. — 104. Le Dernier Champ de bataille. — 105. L’Émir. — 106. La Pénissière. — 107. Le Corsaire algérien.

VI. Scènes de la Vie de campagne.
(Deux volumes ; tomes XX à XXI.)

108. Les Paysans. — 109. Le Médecin de campagne. — 110. Le Juge de paix. — 111. Le Curé de village. — 112. Les Environs de Paris.

deuxième partie. Études philosophiques.
(Trois volumes ; tomes XXII à XXIV.)

113. Le Phédon d’aujourd’hui[6]. — 114. La Peau de chagrin. — 115. Jésus-Christ en Flandre. — 116. Melmoth réconcilié. — 117. Massimilla Doni. — 118. Le Chef-d’œuvre inconnu. — 119. Gambara. 120. Balthazar Claes ou la Recherche de l’absolu. — 121. Le Président Fritot. — 122. Le Philanthrope. — 123. L’Enfant maudit. — 124. Adieu. — 125. Les Marana. — 126. Le Réquisitionnaire. — 127. El Verdugo. — 128. Un Drame au bord de la mer. — 129. Maître Cornélius. — 130. L’Auberge rouge. — 131. Sur Catherine de Médicis : I. Le Martyr calviniste. — 132. Idem : II La Confession de Ruggieri. — 133. Idem : III. Les Deux Rêves. — 134. Le Nouvel Abeilard. — 135. L’Élixir de longue vie. — 136. La Vie et les Aventures d’une idée[7]. — 137. Les Proscrits. — 138. Louis Lambert. — 139. Séraphita.

troisième partie. Études analytiques.
(Deux volumes ; tomes XXV à XXVII.)

140. Anatomie des corps enseignants. — 141. La Physiologie du mariage. — 142. Pathologie de la Vie sociale. — 143. Monographie de la Vertu. — 144. Dialogue philosophique et politique sur la perfection du xixe siècle[8].

FIN DE LA COMÉDIE HUMAINE.
  1. La Correspondance de Balzac (voir page 162) fait connaître que ces lignes sont de Théophile Gautier.
  2. L’Envers de l’histoire contemporaine, premier épisode : Madame de la Chanterie.
  3. Il y a ici une erreur ; la Femme supérieure ou les employés est encore désignée plus loin sous ce dernier titre au numéro 55, dans les Scènes de la Vie parisienne, où la place de ce récit est absolument indiquée.
  4. N’a jamais paru dans les Scènes de la vie parisienne. (Voir aux Œuvres diverses.)
  5. Est placé aujourd’hui dans les Scènes de la Vie politique. Il faut remarquer qu’il manque dans tout le tableau les trois Scènes de la Vie parisienne suivantes : Un Homme d’affaires, Gaudissart II et les Parents pauvres qui n’étaient pas écrites en 1845.
  6. Les Martyrs ignorés (voir aux Œuvres diverses) portent comme sous-titre : Fragment du Phédon d’aujourd’hui.
  7. Un fragment de cet ouvrage, intitulé : Aventures administratives d’une idée heureuse a été retrouvé. (Voir aux Œuvres diverses.)
  8. Il manque aussi dans tout le tableau l’indication des Petites Misères de la Vie humaine, qui font partie des Études analytiques, et qui n’ont paru, complètes, qu’en 1846.