Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/8-2

Histoire de la vie et de la mort
VIII.2. Perfectionner les réparations
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 311_Ch8.2-356_Ch8.3).
V.
Moyens d’agir sur les viscères, pour donner l’impulsion à la substance alimentaire, et en faciliter la distribution.

1. C’est aux médecins mêmes qu’il faut demander des conseils ou des ordonnances pour fortifier les quatre viscères principaux, qu’on peut regarder comme les quatre foyers de la concoction, je veux dire, l’estomac, le foie, le cœur et le cerveau ; et pour les mettre en état de bien exécuter leurs fonctions respectives, d’où résulte la distribution des sucs alimentaires et des esprits dans toutes les parties, et par conséquent la réparation des pertes continuelles que font ces parties.

2. Nous ne parlerons point ici de la rate, de la vessie, du fiel, des reins, du mésentère, des intestins ou des poumons ; toutes parties qui ne sont que des organes secondaires subordonnés aux précédens, et destinés à aider leurs fonctions. S’il ne s’agissoit que de conserver ou de rétablir la santé, il seroit quelquefois nécessaire de s’occuper spécialement de ces organes secondaires, parce qu’ils sont sujets à certaines maladies qui leur sont propres, maladies qui pourroient, si l’on n’avoit soin de les guérir, se communiquer aux viscères principaux. Mais, lorsqu’on a en vue la prolongation de la vie et ce genre de réparation qui s’opère par voie d’alimentation, et le retard de ce genre de dissolution qui est le simple effet de l’âge et du temps, si les principaux viscères étant en bon état, leurs fonctions respectives s’exécutoient bien, tout le reste iroit, par cela seul, aussi-bien qu’on pourroit le souhaiter.

3. C’est dans les livres de médecine, qui traitent des moyens de fortifier les quatre viscères principaux, et de tout ce qui peut leur être avantageux, que chaque individu doit chercher ce qui convient le mieux à sa constitution, et est de nature à pouvoir faire partie de son régime habituel. Car, lorsqu’on ne veut que conserver ou rétablir sa santé, il suffit de faire usage de temps en temps, et pendant quelques jours ou quelques semaines, des remèdes appropriés au mal ; au lieu que la prolongation de la vie dépend du genre de vie habituel et de l’usage continuel des remèdes tendant à ce but ; nous n’en proposerons qu’un petit nombre ; mais en faisant choix des plus puissans et des plus efficaces.

4. L’estomac étant (comme on le dit communément) le père de famille, par rapport aux autres viscères, et ses digestions, fortes ou foibles, étant la base et le principe de toutes les autres concoctions, il faut d’abord penser à le fortifier et le traiter de manière qu’il ait de la chaleur, mais sans excès ; qu’il soit un peu serré et tendu plutôt que lâche et flasque ; enfin le tenir bien net, en le débarrassant de toutes les humeurs qui peuvent exciter des dégoûts. Cependant, comme il tire plus de nourriture de lui-même que des vaisseanx, il ne faut pas le laisser tout-à-fait vuide ; enfin il faut le maintenir en appétit, attendu que l’appétit est ce qui augmente le plus sa force digestive.

5. Nous sommes étonnés que cette méthode de boire chaud, qui étoit si familière aux anciens, soit tombée en désuétude ; cependant un médecin célèbre que nous avons connu particulièrement, étoit dans l’habitude de boire à tous ses repas un bouillon extrêmement chaud ; il l’avaloit avec beaucoup d’avidité, puis il disoit qu’il auroit souhaité pouvoir le rejeter ; car, ajoutoit-il, ce n’est pas de ce bouillon que j’ai besoin, mais seulement de sa chaleur[1].

6. Ainsi notre sentiment est qu’à souper, le premier coup de vin, de bière ou de toute autre liqueur dont on fait habituellement usage, doit être bu chaud.

7. Nous pensons aussi qu’il seroit utile de boire, à chaque repas, un coup de vin où l’on auroit fait éteindre de l’or, non que l’or ait quelque vertu particulière relativement à l’estomac, mais parce que toute liqueur où l’on fait éteindre des métaux, devient ainsi éminemment astringente : nous préférons l’or à tout autre métal, parce qu’outre cette astriction qui est ici l’effet souhaité, il ne fait aucune impression de la nature de celles que font tous les autres métaux, et qui seroient presque toujours nuisibles par rapport à notre but.

8. Nous croyons de plus qu’au milieu des repas, le pain trempé dans du vin vaut mieux que le vin seul, surtout si dans ce vin où l’on veut faire tremper le pain, on a soin de faire infuser du romarin ou de l’écorce de citron[2], en y mettant aussi un peu de sucre, afin qu’il passe moins vite.

9. On s’est assuré par l’expérience, que les coings sont très stomachiques, et fortifient ce viscère ; mais les sucs dépurés de cette sorte de fruits avec un peu de sucre, valent mieux que leur pulpe qui charge un peu trop l’estomac. Or, ces sucs, lorsqu’on en fera usage après les repas, on les prendra seuls ; mais si on vouloit les pendre auparavant, il seroit à propos d’y joindre un peu de vinaigre.

10. Parmi les végétaux et les substances qui en sont extraites, les plus stomachiques sont le romarin, l’aunée, le mastic, la sauge et la menthe.

11. Nous conseillons aussi de prendre avant les repas, sur-tout durant l’hiver, des pilules d’aloës, de mastic et de corail, avec l’attention toutefois de faire tremper plusieurs fois l’aloës, non-seulement dans un suc de roses, mais même dans du vinaigre où l’on aura fait dissoudre auparavant un peu de gomme adragan, enfin de le faire macérer pendant quelques heures dans de l’huile d’amandes douces récemment extraite, le tout avant d’en faire des pilules.

12. Il faut aussi faire usage de temps en temps, sur-tout durant l’hiver, de vin ou de bière, ou l’on ait fait infuser de l’absynthe, avec un peu d’aunée et de bois de sandal-citrin.

13. Mais, durant l’été, on pourra faire usage de vin blanc qu’on affoiblira avec de l’eau où l’on aura fait infuser des débris de fraisier, et après avoir mis dans le vin de la poudre de perle, de l’enveloppe écailleuse des huîtres de rivière, réduite aussi en poudre très fine ; enfin (ce qui pourra paroître étrange) un peu de craie, genre de boisson qui fortifiera beaucoup l’estomac, en augmentant sa force digestive.

14. Mais généralement parlant, il faut s’abstenir le matin, sur-tout lorsqu’on est encore à jeûn, de toute boisson purement rafraîchissante, telle que sucs naturels, décoctions, petit lait, tisane d’orge, etc. Lorsqu’on a besoin de faire usage de telles boissons, il vaut mieux les prendre cinq heures après le dîner, ou une heure après un léger déjeuner.

15. Les jeûnes trop fréquens sont contraires à la prolongation de la vie. Il faut aussi prévenir les grandes soifs, et en tenant l’estomac toujours bien net, le tenir aussi un peu humide.

16. Si, ayant pris de l’huile d’olive, récemment extraite et de bonne qualité, où l’on aura fait dissoudre un peu de mithridate, on s’en sert pour oindre cette partie de l’épine dorsale qui répond à l’orifice de l’estomac, cette onction fortifiera sensiblement ce viscère.

17. On peut tenir continuellement appliqué sur son estomac un sachet rempli de laine cardée, et trempée auparavant dans du vin revêche, où l’on aura fait infuser du myrthe, de l’écorce de citron et un peu de safran.

Il seroit inutile de nous étendre davantage sur les moyens de fortifier l’estomac, la plupart des moyens tendant aux autres buts, remplissant aussi cet objet.

18. Si l’on pouvoit préserver le foie des obstructions et de la dessiccation, d’une sorte de torréfaction, tout seroit fait à cet égard : car l’excessif amollissement et la dissolution de ce viscère, d’où résulte la formation d’une grande quantité de phlegmes, est une maladie proprement dite ; au lieu que les deux autres affections peuvent être simplement l’effet graduel de la vieillesse.

19. À ce double but se rapportent principalement les moyens que nous avons indiqués ci-dessus, pour agir sur le sang. Ainsi nous nous contenterons d’y ajouter un petit nombre d’autres moyens, mais choisis avec soin.

20. Il faut faire principalement usage du vin de grenades douces ; et si l’on ne peut s’en procurer, employer du moins le suc de cette espèce de fruits récemment exprimé. On le prendra tous les matins avec un peu de sucre, et après avoir mis dans le verre où l’on recevra ce suc, à mesure qu’on l’exprimera, un peu d’écorce fraîche de citron, avec trois ou quatre clous de girofle entiers. On usera de ce remède depuis le mois de février, jusqu’à la fin d’avril.

21. Celui d’entre les végétaux qui nous paroît préférable à tous les autres, c’est le cresson alénois, mais encore jeune et tendre, le vieux ayant trop de consistance ; on pourra l’employer soit cru, soit dans sa boisson ordinaire ; je donnerois le second rang au cochlearia.

22. L’aloës, de quelque manière qu’on le purifie et qu’on le corrige, est nuisible au foie : ainsi il ne faut jamais en faire un usage habituel. La rhubarbe, au contraire, est très avantageuse à ce viscère, pourvu toutefois qu’en en faisant usage, on n’oublie point trois précautions absolument nécessaires ; la première est de la faire prendre avant les repas, de peur qu’elle ne dessèche trop et ne laisse quelques traces de sa qualité stiptique ; la seconde est de la faire macérer pendant une heure ou deux dans de l’huile d’amandes douces, où l’on aura mis un peu d’eau-rose, avant de la faire infuser, ou de l’administrer en substance ; la troisième est de la prendre de deux manières différentes alternativement : savoir, tantôt seule, tantôt avec du sel de tartre, ou un peu de sel commun. Autrement, en enlevant la partie la plus ténue des humeurs, elle rendroit la partie restante, plus visqueuse et plus tenace.

23. Je recommanderois encore de boire, trois ou quatre fois l’an, du vin chalybé, ou quelque décoction à laquelle on auroit donné la même préparation : moyen puissant pour résoudre les obstructions. Mais il faudroit, avant de prendre ce remède, avaler deux ou trois cuillerées d’huile d’amandes douces, récemment extraite ; et, après l’avoir pris, faire un genre d’exercice qui fit agir principalernent les bras et la région hypogastrique.

24. Les liqueurs édulcorées (de saveur douce ou adoucie), qui ont un peu d’onctuosité, sont ce qu’il y a de plus efficace, pour obvier ou remédier à l’extrême dessiccation et à l’espèce de torréfaction du foie ; en un mot, à ce vice qu’il contracte naturellement à mesure qu’on vieillit, sur-tout si l’on a soin de garder assez ces liqueurs, pour que leurs principes aient le temps de se combiner exactement. De ce genre sont celles qu’on peut extraire de différentes espèces de fruits et de racines douces. Par exemple, les vins et les boissons extraites des passes récentes, des jujubes, des figues sèches, des dattes, des pistaches, des patates et autres plantes à racines, charnues ou bulbeuses, en y mêlant quelquefois un peu de réglisse ; à quoi l’on peut ajouter la tisane de maïs, mêlé avec quelque substance de saveur douce. Or, on doit observer à ce sujet que les moyens tendant à conserver dans le foie un certain degré de souplesse et d’onctuosité, sont beaucoup plus puissans, par rapport à notre but, que ceux qui tendent à prévenir ou à diminuer ses obstructions ; ces derniers contribuant plus à la santé qu’à la prolongation de la vie ; en observant toutefois encore que ce genre de dessiccation ou de torréfaction du foie, qui est l’effet des obstructions, n’est pas moins dangereux que les autres genres de dessiccation auxquels ce viscère est sujet.

25. Nous croyons aussi que les feuilles de chicorée, d’épinard, de poirée, débarrassées de leurs côtes et suffisamment cuites dans de l’eau, où l’on ait mêlé un tiers de vin blanc, et employées fréquemment, comme alimens, ou comme assaisonnement, avec l’huile et le vinaigre, rempliroient parfaitement l’objet actuel. Il en faut dire autant des asperges, des culs d’artichauts et des racines de bardane, bouillies et assaisonnées de la manière convenable. On peut aussi prendre, au printemps, des bouillons ou l’on aura fait infuser des feuilles de vigne ou du bled verd. Tels sont les moyens de fortifier ou d’assouplir le foie.

26. De toutes les choses qui peuvent être utiles ou nuisibles au cœur, les principales sont l’air même qu’on respire, les vapeurs qu’on aspire, enfin les affections de l’âme ou les passions. La plupart des moyens indiqués pour agir sur les esprits, peuvent être appliqués au but actuel. Cette multitude confuse de cordiaux qu’on trouve indiqués dans les livres de médecine, ne rempliroit que très imparfaitement notre objet. Cependant ces antidotes mêmes qu’on emploie ordinairement pour arrêter le progrès des poisons, pourroient être ici de quelque utilité, si on les appliquoit à notre but avec un peu de jugement ; sur-tout ceux qui sont moins de nature à attaquer directement les substances vénéneuses, qu’à fortifier le cœur ou les esprits, et à les mettre ainsi en état de combattre victorieusement le poison. Au reste, on peut consulter à ce sujet cette table de cordiaux que nous avons donnée dans un des articles précédens.

27. On ne peut s’assurer de la salubrité de l’air que par des expériences directes et positives, tous les signes en ce genre étant équivoques. Or, nous regardons comme très salubre l’air qu’on respire dans des plaines vastes et bien aérées, dont le sol est sec, sans être toutefois trop aride et trop sablonneux, mais où l’on trouve çà et là des pieds de serpolet, de marjolaine, ou de menthe domestique ; dans des plaines, dis-je, non tout-à-fait rases et découvertes, mais plantées de quelques arbres qui donnent de l’ombrage et où les roses de buisson exhalent une odeur aromatique, et qui a quelque analogie avec celle des roses musquées. Quant aux rivières qui peuvent arroser ces plaines, elles seroient nuisibles, à moins que leur lit ne fût fort étroit, et que leurs eaux, très limpides, ne coulassent sur du sable ou du menu gravier.

28. L’air du matin est plus favorable à la prolongation de la vie que celui du soir, quoiqu’on préfère ordinairement le dernier, mais par pure mollesse.

29. Un air un peu agité par un vent doux et léger, est plus salubre que celui qu’on respire par un temps tout-à-fait calme et serein. Quant aux différentes espèces de vents, le plus salubre, c’est le zéphyr (le vent d’ouest), qui souffle le matin, on le vent de nord qui souffle dans l’après-dîner.

33. Certaines odeurs sont éminemment douées de la propriété de fortifier le cœur, ce qui ne signifie point du tout que les odeurs suaves sont un signe certain de la salubrité de l’air où elles se répandent ; car, de même qu’on trouve assez souvent des masses d’air tout-à-fait pestilentielles, et qui cependant sont moins fétides que d’autres masses d’air beaucoup moins nuisibles ; réciproquement certaines masses d’air, très salubres et très avantageuses aux esprits, ne laissent pas d’être tout-à-fait sans odeur, ou d’exhaler des odeurs peu agréables. Or, lorsqu’on vit dans un air salubre, il ne faut aspirer des odeurs marquées que de temps en temps ; l’effet de ces odeurs aspirées trop long-temps ou trop fréquemment, même celui des plus suaves, étant de surcharger et d’appesantir un peu les esprits.

31. Parmi les différentes espèces d’odeurs, nous préférons, comme nous le disions plus haut, celles qui s’exhalent des végétaux encore sur pied, et qui se répandent dans un air libre ; par exemple, celle des giroflées (de la grande et de la petite espèce) ; celles des fleurs de fèves, de tilleul, de vigne, de chèvrefeuille, de pariétaire jaunâtre, de roses musquées (les roses communes, tant qu’elles sont sur l’arbrisseau, n’ayant qu’une odeur foible) ; l’odeur du fraisier (sur-tout celle d’un fraisier mourant) ; celle du buisson odoriférant, sur-tout au commencement du printemps ; à quoi l’on peut ajouter celle de la menthe domestique, celle de la lavande en fleurs ; enfin, dans les pays chauds, celle des orangers, des citronniers, du myrthe, du laurier, etc. Aussi il est utile de se promener ou de se tenir assis dans des masses d’air remplies d’émanations de ce genre.

32. Lorsqu’il s’agit de fortifier le cœur, les odeurs rafraîchissantes me paroissent préférables aux odeurs de nature chaude ; ainsi il seroit bon de se mettre dans l’habitude de faire tous les matins, et même durant la chaleur du midi, des fumigations avec du vinaigre, de l’eau-rose et quelque vin généreux, mêlés ensemble à parties égales, et versés sur une pelle presque rouge, et d’en aspirer les émanations.

33. Mais, lorsque nous recommanderons de verser un peu de vin généreux sur la terre, à mesure qu’on la retourne, à l’aide du soc, de la bêche, ou du hoyau, et d’en aspirer la vapeur, nous espérons qu’on ne nous soupçonnera pas de vouloir, par cette aspersion, faire une sorte de libation à la déesse Vesta.

34. L’eau de fleurs d’orange, de la meilleure qualité, combinée avec une petite quantité d’eau-rose et de vin, étant aspirée par les narines ou injectée dans cette partie, à l’aide d’une petite seringue, produit aussi des effets salutaires.

35. Certaines substances, tenues dans la bouche et mâchées continuellement, peuvent, quoiqu’on en fasse habituellement usage, ranimer puissamment les esprits. Il est inutile de parler du béthel, puisque nous ne pouvons nous le procurer en nature ; mais on peut, jusqu’à un certain point, y suppléer en composant, par exemple, des espèces de pilules ou de pastilles d’ambre, de musc, de bois d’aloës, d’aspalath, de racines d’iris, enfin de roses ; et pour les former, employer un peu d’eau-rose, qu’on aura fait passer à travers du baume du Pérou.

36. Pour que les vapeurs qui s’exhalent des substances prises intérieurement, puissent fortifier le cœur, il faut qu’elles réunissent trois conditions ; qu’elles soient bénignes, claires et rafraîchissantes ; car les vapeurs de nature chaude seroient contraires à notre but, et le vin même, auquel on attribue une telle propropriété, ne laisse pas de produire des effets très analogues à ceux des opiats. Nous qualifions de claires les émanations qui sont plutôt des vapeurs proprement dites, que des exhalaisons ; je veux dire, qui ne sont pas accompagnées de fumées épaisses ou de fuliginosités, mais simplement humides et homogènes.

37. Parmi cette multitude confuse et surabondante de cordiaux que proposent les médecins, il en est peu dont on puisse faire un usage continuel et une partie de son régime. Je mettrois au premier rang, parmi les substances chaudes de cette classe, l’ambre gris, le safran et le kermès ; et parmi les substances de nature froide, les racines de buglosse et de bourrache, les citrons et les limons doux, enfin les pommes d’odeur agréable. On peut aussi, en observant la méthode exposée plus haut, faire usage de l’or, des perles, etc. non-seulement en les faisant pénétrer dans les vaisseaux, mais même en les faisant simplement passer dans le canal intestinal, parce qu’alors même ils agiroient un peu sur la région du cœur en y opérant un simple rafraîchissement sans mélange d’aucune qualité nuisible.

38. Nous sommes bien éloignés de révoquer en doute les vertus de la pierre de bézoard, vérifiées par un si grand nombre d’expériences ; mais nous disons qu’elle doit être employée de manière que sa vertu se communique aux esprits. Ainsi ce n’est ni dans des bouillons, ni dans des sirops, ni dans l’eau-rose, mais seulement dans le vin, dans l’eau de cinnamome (espèce de canelle), ou dans toute autre eau distillée de ce genre ; dans une eau toutefois dont les parties soient très atténuées sans avoir trop de force ou de chaleur.

39. Nous avons traité des passions ou affections de l’âme dans un des articles précédens ; ainsi nous nous contenterons d’ajouter ici qu’on général, tout désir, très vif, très constant, et (s’il est permis de s’exprimer ainsi) tout désir héroïque peut renforcer l’action du cœur et la propager jusqu’aux extrémités. Tels sont les moyens relatifs à cet organe.

45. Quant au cerveau, qui est le siège principal, la résidence commune et comme le chef-lieu des esprits, tout ce que nous avons dit dans les articles précédens, sur l’opium ou le nitre, sur les substances qui leur sont analogues et subordonnées, enfin sur les moyens de procurer un sommeil paisible, peut encore trouver place ici, et s’appliquer, jusqu’à un certain point, à l’organe dont nous sommes actuellement occupés. On peut observer aussi que le cerveau est, pour ainsi dire, sous la tutelle de l’estomac, et que tout ce qui peut fortifier ce dernier viscère, peut également donner de la force au premier, en vertu de leur corrélation harmonique, et par conséquent se rapporte aussi au but actuel. Ainsi il nous reste fort peu de chose à dire sur ce sujet, et nous n’indiquerons qu’un petit nombre de moyens tendant à ce but ; savoir : trois qui agissent extérieurement, et un seul qui agit intérieurement.

41. Nous recommandons de se baigner fréquemment les pieds, au moins une fois par semaine ; bain qui doit être composé d’une eau lixivielle, où l’on jettera du sel commun, de la sauge, de la camomille, du fenouil, de la marjolaine, du costus (ou cost), et des feuilles d’angélique verte.

42. Nous conseillons aussi de faire tous les jours usage de fumigations avec du romarin sec, de petites branches de laurier également sèches, et de bois d’aloës ; car les gommes, d’une odeur suave, ont l’inconvénient de porter à la tête.

43. Mais on doit encore avoir l’attention de n’appliquer extérieurement à la tête aucune substance de nature chaude ; par exemple, des substances aromatiques, sans en excepter même la noix muscade. Nous les réservons pour la plante des pieds, la seule partie où l’application de ces substances soit salutaire[3]. Il faut faire, tout au plus, à la partie supérieure de la tête, de légères onctions avec de l’huile, en y joignant des feuilles de rose ou de myrthe, avec un peu de sel et de safran.

44. Les opiats, le nitre et autres substances de ce genre, comme nous l’avons observé dans un des articles précédens, sont éminemment doués de la propriété de condenser les esprits. Nous pensons qu’il ne seroit pas inutile de prendre tous les quinze jours et le matin, dans un bouillon, trois ou quatre grains de castoreum, en y ajoutant une très petite quantité de semences d’angélique et de canne aromatique. Toutes substances qui, en fortifiant aussi le cerveau, et en donnant aux esprits ce degré de densité qui est nécessaire pour la prolongation de la vie, les rendent plus vigoureux et animent ainsi tous les mouvemens.

45. En indiquant les moyens de fortifier les quatre viscères principaux, nous avons fait connoître chacun de ceux qui sont proprement destinés à cela, qu’on peut sans danger employer fréquemment et qui peuvent aisément faire partie du régime habituel ; car l’extrême diversité des médicamens est fille de l’ignorance ; et l’on peut dire hardiment que la multiplicité des mets multiplie moins les maladies, que la multiplicité des remèdes ne diminue le nombre des cures. Nous terminerons ici ce que nous avions à dire touchant les moyens de fortifier les viscères principaux, en vue de faciliter la distribution des sucs alimentaires.

VI.
Moyens d’agir sur les parties extérieures, pour les mettre en état d’attirer avec plus de force la substance alimentaire.

1. Quoiqu’une bonne concoction, opérée d’abord dans les viscères principaux, soit la condition la plus essentielle pour opérer ensuite une bonne alimentation, cependant l’action des parties extérieures doit concourir aussi à cette dernière opération ; et comme c’est la faculté intérieure qui pousse à la circonférence et distribue les sucs alimentaires, c’est la faculté attractive des parties extérieures qui les met en état de saisir, de happer, pour ainsi dire, ces sucs et de se les approprier. Cela posé, plus la faculté concoctrice est foible et peu active, plus il est nécessaire d’y suppléer, en renforçant la faculté attractive des parties extérieures.

2. Le principal moyen pour exciter et renforcer la faculté attractive des parties extérieures, ce sont les mouvemens de ces parties mêmes ; mouvemens qui, en les échauffant et les fortifiant, les mettent ainsi en état de rappeler à elles plus vivement et de happer, avec plus d’avidité, les sucs alimentaires.

3. Il est cependant quelques précautions à prendre pour empêcher que ces mouvemens et cette chaleur même, qui rappellent aux parties extérieures de nouveaux sucs, en atténuant excessivement ceux qui s’étoient déjà répandus dans ces parties, n’en provoquent ainsi l’émission et ne les épuisent d’autant.

4. Les frictions faites le matin sont ce qui remplit le mieux l’objet actuel ; mais il faut, après ces frictions, oindre légèrement d’huile les parties frottées, de peur que ce frottement ne les épuise, en y excitant une transpiration trop prompte et trop abondante.

5. Ce qui tient le premier rang après les frictions, ce sont les exercices du corps, à l’aide desquels les parties extérieures, en se frottant et se choquant réciproquement, se donnent ainsi d’utiles secousses. Ces exercices toutefois doivent être doux, modérés, et non de nature à exiger des mouvemens d’une extrême célérité ou des efforts excessifs, ou à occasionner une trop grande lassitude, comme nous l’avons observé dans un des articles précédens. Mais ces exercices sont soumis aux mêmes règles que les frictions, et exigent les mêmes précautions tendant à prévenir une excessive perspiration. Ainsi, en général, les exercices sont plus salubres en plein air qu’à la maison, et en hiver qu’en été. De plus il faut non-seulement faire succéder de légères onctions à ces exercices, ainsi qu’aux frictions, mais même lorsqu’on fait des exercices violens, il faut faire usage de ces onctions avant et après, à l’exemple des anciens athlètes.

6. Pour que ces exercices épuisent le moins qu’il est possible, soit les esprits, soit les sucs du corps, il faut avoir soin de ne jamais les faire étant tout-à-fait à jeûn. Ainsi, afin que l’estomac ne soit alors ni trop plein, ce qui seroit nuisible à la santé, ni trop vuide, ce qui seroit contraire à la prolongation de la vie, il faut déjeuner avant de faire de l’exercice, non pas seulement prendre quelque médicament ou quelque bouillon, manger quelques raisins secs, ou quelques figues, etc. mais prendre des alimens, proprement dits, tant solides que liquides, en un mot, faire un repas, mais fort léger.

7. Les exercices destinés à distribuer la substance alimentaire dans les parties extérieures, doivent être de nature à faire agir également tous les membres, et non de nature à ne mettre en mouvement que les jambes, en laissant en repos les bras (comme le prescrivoit Socrate[4], ou réciproquement ; il faut, dis-je, que tous les membres sans exception participent à ce mouvement. De plus il importe à la prolongation de la vie que le corps ne demeure jamais trop longtemps dans la même position ; mais il faut changer d’attitude, au moins une fois toutes les demi-heures, excepté durant le sommeil.

8. Les pratiques qui, ordinairement, n’ont pour but que la mortification du corps, peuvent aussi être appliquées avec succès à sa vivification ; par exemple, les cilices, la flagellation[5], et, en général, toutes les sensations pénibles dans les parties extérieures, augmentent leur force attractive.

9. Cardan recommande l’urtication (la flagellation avec des orties) aux sujets attaqués de mélancolie ; mais un tel moyen nous paroît suspect ; car ces orties ayant je ne sais quoi de vénéneux, elles pourroient produire des dartres ou autres maladies de la peau. Tels sont les moyens d’agir sur les parties extérieures pour les mettre en état d’attirer avec plus de force la substance alimentaire.

VII.
Moyens pour agir sur la substance même des alimens et les modifier de manière qu’ils s’insinuent plus aisément dans les parties à nourrir.

1. On trouve assez de gens qui condamnent la multiplicité et la diversité des mets ; cependant une telle censure conviendroit beaucoup mieux à un moraliste ou à un pédagogue qu’à un médecin, à moins qu’on ne prétende que ce qui peut procurer une santé ferme, est contraire à la prolongation de la vie. En effet des alimens diversifiés et même un peu disparates s’insinuent et pénètrent plus aisément dans toutes les parties, soit solides, soit liquides, qu’une nourriture trop simple et trop uniforme ; sans compter que cette variété est ce qu’il y a de plus efficace pour exciter l’appétit, stimulant qui augmente la force digestive. Ainsi notre sentiment est qu’il faut varier ses mets, changer de temps en temps, du moins en partie, ses alimens, selon les différentes saisons, les différens lieux, etc.

2. Le précepte qui nous recommande de n’user que d’alimens et d’assaisonnemens extrêmement simples, est aussi pure simplicité d’esprit, pour ne pas dire sottise ; attendu que des assaisonnemens d’un bon choix sont un genre de préparation qui rend les alimens très salubres, et qui contribue également à la santé et à la prolongation de la vie.

3. Il faut avoir l’attention, lorsqu’on se nourrit de substances très solides et même dures, de faire usage de boissons fortes et généreuses, de relever ces alimens par des assaisonnemens de haut goût, pénétrans, incisifs, etc. Au contraire, lorsque les alimens sont de facile digestion, les boissons doivent aussi être plus foibles ; et les assaisonnemens, tirés de substances douces et onctueuses.

4. Nous avons vu plus haut qu’au premier coup qu’on boit à souper, la liqueur doit être chaude ; nous devons ajouter ici que, pour préparer l’estomac, on doit aussi, une demi-heure avant les repas, prendre un bouillon ou toute antre potion à laquelle on est accoutumé, mais la boire chaude, et après y avoir mis quelque substance aromatique, pour lui donner une saveur plus agréable.

5. Les préparations d’alimens faites avec soin et dirigées vers notre but, peuvent être très utiles. Un tel sujet, à la vérité, peut paroître un peu bas, trivial et convenir moins à un philosophe, qu’à un cuisinier ou à un sommelier. Cependant ces mêmes détails qui, à la première vue, paroissent si ignobles et si peu importans, ne laissent pas d’être beaucoup plus précieux que ces recettes magnifiques où l’on fait entrer de l’or, des pierres de prix, etc.

6. L’idée d’humecter toute la substance du corps, en faisant cuire tous les alimens dans quelque liquide, n’est qu’une idée puérile. Des préparations de ce genre ne peuvent être utiles que pour tempérer la chaleur excessive qui accompagne certaines maladies ; mais elles sont contraires au but de donner plus d’onctuosité à la substance du corps, par la voie de l’alimentation. Ainsi les alimens bouillis sont, relativement à notre but, très inférieurs aux alimens rôtis, cuits au four, etc.

7. Quand on les fait rôtir, au lieu de le faire à petit feu et très lentement, il faut employer un feu vif et les cuire très promptement.

8. Lorsqu’on se nourrit de viandes très solides, au lieu de les employer fraîches, il faut les tenir quelque temps dans le sel, avant de les faire cuire : après quoi l’on en sera quitte pour y joindre moins de sel en les mangeant, et même après cette préparation, il vaudroit mieux les manger sans sel, le sel ainsi incorporé aux alimens, facilitant beaucoup plus la distribution des sucs alimentaires, que lorsqu’on l’emploie seul.

9. Une méthode qui seroit fort utile si on l’adoptoit, ce seroit de faire infuser ou macérer les viandes de différentes espèces et de bonne qualité, dans des liqueurs convenables, avant de les faire rôtir, à peu près comme on le pratique pour certaines viandes qu’on fait cuire au four, après les avoir fait tremper dans une saumure de poisson.

15. Une autre méthode qui a d’utiles et de puissans effets, c’est de battre la viande avant de la faire cuire ; car on sait que la chair des perdrix et des faisans, ainsi que celle des daims et des cerfs pris à la chasse, est d’une saveur plus agréable que celle des mêmes animaux devenus domestiques, à moins que cette chasse n’ait été de très longue durée. Certains poissons un peu fouettés ou battus, n’en sont que meilleurs ; enfin les poires dures et de saveur revêche, deviennent sensiblement plus douces, lorsqu’avant de les manger, l’on a soin de les presser légèrement avec les doigts, ou de les rouler un peu sur la table : d’où nous pouvons conclure que, si l’on se mettoit dans l’habitude de battre un peu toutes les viandes fort dures, pour les mortifier avant de les faire cuire, cette préparation les rendroit plus salubres.

11. Le pain qui n’est pas trop fermenté et où l’on a mis un peu de sel, n’en vaut que mieux. Il en faut dire autant de celui qu’on fait cuire à un four un peu chaud, ce qui vaut mieux que de le faire cuire très lentement.

12. Les préparations qu’on fait subir aux boissons, en vue de prolonger la durée de la vie, peuvent être ramenées presque toutes à un seul précepte fort simple. Il est inutile de parler des buveurs d’eau ; un tel régime peut sans doute contribuer jusqu’à un certain point à la prolongation de la vie, effet toutefois qui ne peut aller fort loin. Quant aux liqueurs fermentées, telles que le vin, la bière et autres semblables, la règle de toutes les règles et le précepte sommaire sur ce point, c’est que les parties de la liqueur soient très atténuées, et que ses esprits n’aient pas trop d’acrimonie et d’activité, but auquel il seroit difficile de parvenir à l’aide du temps seul, dont l’effet est, à la vérité, d’atténuer les parties tangibles de la liqueur, mais en augmentant l’acrimonie de ses esprits. Ainsi il faut recourir à une méthode dont nous avons parlé dans un des articles précédens, et qui consiste à mettre dans la pièce qui contient la liqueur, quelque substance grasse et onctueuse, pour émousser cette acrimonie des esprits. Mais on peut obtenir le même effet par un autre procédé qui dispense de toute macération et de tout mélange, je veux dire par l’agitation continuelle de la liqueur, avant qu’on en fasse usage, soit dans un vaisseau (bâtiment), soit dans une voiture, soit en suspendant à l’aide de cordes, des outres remplies de cette liqueur, et les agitant tous les jours pendant un temps suffisant, ou par quelqu’autre moyen de cette nature ; car il est certain que l’effet de ce mouvement local est de briser, pour ainsi dire, de diviser et d’atténuer les parties tangibles de la liqueur, en combinant si parfaitement les esprits avec les parties tangibles, qu’elle n’est plus sujette à s’aigrir : (genre d’altération qui est une sorte de putréfaction).

13. Lorsqu’on commence à vieillir, il faut aussi donner à ses alimens un tel genre de préparation, qu’ils n’aient plus, pour ainsi dire, que la moitié du chemin à faire, pour se convertir en chyle. Ne parlons pas de les distiller, méthode ridicule, et qui ne meneroit point au but, attendu que la partie la plus substantielle et la plus nutritive ne se volatilise point.

14. Lorsqu’on incorpore les alimens solides avec les alimens liquides, avant d’en faire usage, cette préparation les met dans un état plus voisin de celui du chyle, et en fait une sorte de chyle commencé ; ainsi, prenez des poulets, des perdrix ou des faisans, faites-les cuire dans de l’eau avec un peu de sel : puis nettoyez-les bien et laissez-les un peu s’essuyer : enfin, mettez-les dans du moût ou de la bière qui fermente encore, et où vous aurez jeté un peu de sucre.

15. Les coulis en général, les sucs tirés des viandes par voie d’expression, et les hachis assaisonnés d’une manière convenable, sont d’autant plus utiles aux vieillards, que leurs dents, désormais en trop petit nombre ou trop foibles, leur refusent presque entièrement le service pour la mastication, qui de tous les genres de préparations est le plus essentiel[6].

16. On peut suppléer à ce défaut dont nous venons de parler, par trois genres de moyens ; le premier seroit de faire pousser de nouvelles dents : opération très difficile, et qui ne pourroit être exécutée que par la restauration intime et radicale de toute la masse du corps humain ; la seconde seroit de raffermir les gencives à l’aide des astringens, afin de les mettre en état de faire jusqu’à un certain point l’office des dents qui manquent, ce qui seroit un peu plus facile ; le troisième seroit de donner aux alimens un genre de préparation qui rendît cette mastication moins nécessaire ; moyen qui est en notre disposition.

17. Je présume aussi qu’une quantité un peu excessive d’alimens, tant solides que liquides, pourroit être de quelqu’utilité, par rapport à notre but, et qu’un peu d’excès en ce genre pourroit donner à la substance du corps plus de moelleux et d’onctuosité. Ainsi l’on peut sans inconvénient faire de temps en temps des repas un peu amples, et même boire un peu plus qu’à son ordinaire, se mettre dans la pointe[7]. Il seroit inutile de nous étendre davantage sur les alimens, leurs diverses préparations et leur quantité.

VIII.
Moyens tendant à perfectionner et de faciliter le dernier acte de l’assimilation.

Nos préceptes sur le dernier acte de l’assimilation, qui étoit le but et le dernier terme des trois opérations précédentes, seront très simples et très succincts ; une explication un peu détaillée étant ici plus nécessaire que des préceptes positifs et des règles formelles, avec leurs applications.

1. L’observation prouve assez que tous les corps tendent naturellement à s’assimiler les corps contigus ; et c’est ce que font avec beaucoup de force et d’activité, les substances ténues et les substances pneumatiques, telles que la flamme, l’esprit et l’air : au contraire, cette faculté est très foible dans les substances massives, grossières, tangibles et inertes ; cette tendance à l’assimilation étant liée et comme bridée dans ces derniers, par une tendance plus forte : savoir, par leur tendance au repos ou leur inertie naturelle.

2. Il est également certain que cette tendance naturelle à l’assimilation, qui est bridée et sans effet dans certaines masses corporelles et grossières, comme nous venons de le dire, peut être excitée et mise en exercice par l’action de la chaleur (du calorique), ou de l’esprit qui se trouve dans le voisinage du corps en question.

3. Enfin il n’est pas moins certain que plus la substance du corps est dure et compacte, plus la chaleur nécessaire pour y mettre en exercice la faculté d’assimiler, doit avoir d’intensité ; condition qui manque dans un vieillard, dont la substance est durcie et la chaleur très affoiblie. Il faut donc ou amollir cette substance, ou augmenter l’intensité de cette chaleur. Or, quoique, dans les articles précédens, nous ayons indiqué plusieurs moyens pour prévenir ou diminuer cette extrême dureté, nous ne laisserons pas de traiter ce même sujet dans l’article suivant. Quant aux moyens d’augmenter l’intensité de la chaleur, ils sont tous compris dans un seul précepte fort simple ; mais avant que de l’exposer, nous poserons un second principe non moins nécessaire que le premier.

4. L’acte d’assimilation qui est provoqué et excité par la chaleur des corps environnans (comme nous venons de le dire), est le produit d’un mouvement très fin, très délicat, et qui a lieu dans les plus petites d’entre les parties insensibles. Or, tous les mouvemens de ce genre ne parviennent enfin à leur maximum, qu’au moment où tout mouvement local qui pourroit les troubler, vient à cesser : en effet, ce mouvement de dissolution et de décomposition, par lequel les élémens de chaque espèce se séparent de ceux des autres espèces, pour s’unir à leurs homogènes, par exemple, celui en vertu duquel, dans le lait, la crème surnage, tandis que le petit-lait va au fond, n’auroit jamais lieu, pour peu que le lait fût agité. De même la putréfaction n’aura jamais lieu dans l’eau, ni dans aucun mixte, tant qu’ils seront continuellement agités par un mouvement local ; actuellement des deux principes que nous venons de poser, nous allons tirer les conséquences qui se rapportent au but de cet article.

5. Le temps où l’acte d’assimilation, formel et proprement dit, se perfectionne le plus, et s’achève le plus complètement, c’est celui du sommeil et du parfait repos, sur-tout celui du dernier sommeil, qui a lieu au point du jour, temps où la distribution est déjà faite[8]. Ainsi la seule règle que nous puissions prescrire sur ce point, est qu’on ait l’attention de se tenir chaudement en dormant : de plus, on peut, vers la pointe du jour, faire usage de quelques onctions, par exemple, mettre une chemise ou un gilet légèrement imbibé de quelque substance onctueuse, pour exciter une chaleur modérée, après quoi on se rendormira : voilà ce que nous avions à dire sur le dernier acte de l’assimilation.

  1. C’est sur-tout le matin qu’il faut boire chaud, pour débarrasser le cerveau.
  2. Je crois au contraire que cette potion chaude, ou ce pain trempé dans le vin, deux genres de secours très réels pour les estomacs foibles, conviendroient mieux à la fin du repas qu’au commencement, ou au milieu ; et c’est d’après ma propre expérience que je le penserois.
  3. Conformément à ce triple précepte de Boërrhave, pieds chauds, tête fraîche, ventre libre.
  4. Ce précepte, dans la bouche de Socrate, avoit un but moral, et non un but physique ; ce but étoit de prolonger, non la vie, mais la réputation, ou la considération de son disciple.
  5. Cette enveloppe et ces étrivières ont deux grands avantages ; l’un, de suppléer un peu au défaut d’exercices ; l’autre, de punir un paresseux, en le tourmentant, comme il le mérite, et par sa propre main. Une moitié de la vie d’un religieux ascétique se passe à ne rien faire, et l’autre, à lutter vainement contre les maux qui sont la conséquence et la punition naturelle de cette oisiveté à laquelle il s’est condamné. Le plus pénible de tous les métiers, c’est de n’avoir rien à faire ; car alors on a affaire à soi, c’est-à-dire à toutes les pensées affligeantes qui rongent et punissent un fainéant.
  6. La première digestion se fait dans la bouche ; la mastication est pour les alimens ce que l’analyse est pour les idées, et pour bien digérer les uns ou les autres, il faut mâcher beaucoup ; ce qui n’est qu’une conséquence immédiate de ce principe : plus un tout est divisé, plus l’agent peut modifier les parties en les prenant une à une ; et plus par conséquent il peut agir sur ce tout.
  7. Les excès de ce genre peuvent être utiles, non-seulement comme excès, mais même à titre de nouveautés ; mais le plus sûr, pour remplir sans inconvénient le dernier objet, c’est de faire alternativement et à des intervalles convenables, de petits excès en plus et de petits excès en moins. La faim, comme nous l’avons dit ailleurs, est le balai de l’estomac, de tout le canal intestinal, de l’homme tout entier, et de l’homme moral ainsi que de l’homme physique. Dans un homme sain et vigoureux, un petit excès en plus ne produit d’autre effet qu’une demi-indigestion qui occasionne une évacuation par bas, un peu plus abondante qu’à l’ordinaire, et qui équivaut à une purgation. Ainsi le sommaire de la médecine préservative est de se saigner et de se purger lentement, alternativement et de temps en temps, par la diète et les petits excès en plus, afin de se dispenser des purgations et des saignées proprement dites, dont l’effet est trop brusque et trop violent.
  8. Où se portent les esprits vitaux se porte tout le reste. Or, durant le jour, les esprits se portant principalement aux parties qui agissent le plus et sur-tout aux parties extérieures, ils ne peuvent alors se distribuer à toutes également. Au lieu que, durant le sommeil, le corps étant en repos, et les esprits n’obéissant plus qu’à leur force expansive qui agit du centre à la circonférence suivant toutes les directions, ils se distribuent alors plus uniformément dans toute la masse du corps, et y distribuent aussi plus également la substance alimentaire, le sang et en général tous les fluides.