Histoire de la paroisse Saint-Joseph de Carleton/1

Imprimerie générale de Rimouski (p. 1-12).


CHAPITRE PREMIER


Tracadièche ; premiers habitants ; M. Bourg,
premier missionnaire résidant
1757-1778





À l’époque de la dispersion des Acadiens, en 1755, sept familles de Beaubassin, du nom de François Comeau, Claude Landry, Charles Dugas, Benjamin LeBlanc, Joseph LeBlanc, Raymond LeBlanc et Jean Baptiste LeBlanc, réussirent, après bien des dangers, à s’échapper des griffes de leurs bourreaux les Anglais, en se réfugiant dans les bois, n’emportant avec eux que les choses les plus indispensables à la vie. Avant de quitter pour toujours leurs habitations, où ils avaient goûté des joies si pures, et connu des jours de bonheur sans mélange, ils avaient eu soin de détruire tout ce qui pouvait être utile à l’ennemi.

Partis de Beaubassin à la première nouvelle du danger qui les menaçait, ils furent assez heureux pour atteindre la Baie Verte sans être inquiétés.

Après avoir erré çà et là sans pouvoir se fixer, crainte des Anglais, ils gagnèrent la Baie des Chaleurs qu’ils traversèrent et vinrent se réfugier dans le Barachois de Tracadièche (Carleton). Ce barachois est formé par un banc de sable de près de deux milles de long, joignant la terre ferme à l’est au pied d’un cap qui s’avance d’un mille dans la baie, et fermé à l’ouest par un autre banc de sable qui court de la terre ferme, nord et sud, jusqu’à plus d’un mille au large, en laissant un goulet étroit et profond pour la décharge de ce vaste étang, au reflux de la marée.

Ces deux bancs qui se rencontrent, presque à angle droit de chaque côté du goulet, étant alors épaissement boisés, ils offraient une retraite sûre, et nos malheureux exilés y établirent leur campement sur une petite île boisée qui se trouve au milieu du barachois. Ils y passèrent l’hiver 1756, vivant de chasse et de pêche. Trois ou quatre de ces émigrés moururent et y furent enterrés. On pouvait voir encore, il y a quelques années, l’endroit de leurs fosses par la dépression du terrain. Cet endroit était appelé Tracadièche par les sauvages, ce qui signifiait, d’après l’interprétation du fameux chef micmac Sam Souk, durant plusieurs années interprète des missionnaires de la réserve des sauvages de Ste-Anne de Restigouche, « endroit où il y a beaucoup de hérons, » oiseaux aquatiques qui y faisaient leur séjour en grand nombre.

À peu près vers la même époque, un groupe plus considérable d’émigrés, comprenant environ 750 personnes, partait également du Bassin des Mines et de l’Île Saint-Jean. La troupe se composait des Arsenault, des Poirier, des Savoie, des Boudreau, des Gauthier, des Guidry, des Allain, des Bourg, des Bourdage, des Lamontagne, des Leblanc, des Bujold, etc. Ces pauvres gens, craignant de tomber entre les mains des Anglais, s’étaient réfugiés dans les bois n’emportant que peu de provisions et espérant pouvoir, grâce à l’aide des sauvages, qui se montrèrent toujours leurs fidèles alliés, atteindre le Canada pour s’y fixer.

Confiants dans la Divine Providence, ils supportèrent vaillamment la disette de vivres et les incommodités de la vie sous bois en compagnie des sauvages, et atteignirent enfin la Baie des Chaleurs vers le mois de décembre 1757. Ils passèrent l’hiver à l’abri d’une petite montagne appelée « Pain de sucre, » au pied de laquelle s’élève aujourd’hui la florissante petite ville de Campbelton.

Au printemps suivant, la troupe entière traversa à Restigouche, où il y avait une garnison française sous les ordres de M. de D’Anjac, à un endroit appelé Pointe à la Garde.

Cette pointe est à douze milles en bas de l’église de Ste-Anne de Restigouche, sur la rive nord de la baie. C’est un cap qui s’avance dans la baie et laisse, au nord-est, une grande échancrure, ou anse, qui se prolonge jusqu’à la Pointe Escumenac, l’espace de six milles. C’est là que la Baie des Chaleurs perd son nom pour prendre celui de Restigouche. Les Français, peu avant la conquête, avaient un camp militaire à Restigouche, comme en font foi les actes de baptêmes, de mariages et sépultures des Pères Récollets Étienne et Ambroise, conservés dans les archives de Carleton. Pour se protéger contre la poursuite des vaisseaux anglais, ils avaient établi une batterie de canons à la Pointe à Bourdon. Peu après la prise de Québec, en 1759, les Anglais, ayant appris par les sauvages que les Français avaient un camp à Restigouche, vinrent les en déloger.

Le capitaine Byron, probablement le célèbre navigateur, grand-père du poète de ce nom, s’avança avec les vaisseaux le Fame, le Dorsetshère, l’Achille, le Scarborough et le Repulse, pour attaquer la flotte française qu’il rencontra le 8 juillet à la Pointe-à-la-Garde. La flotte française était composée du Machault, de trente-deux canons, de l’Espérance, de trente, du Bienfaisant, de vingt-deux, du Marquis de Marloze, de dix-huit. Les Français, que l’arrivée des émigrés acadiens avaient renforcés, et aidés des sauvages, s’étaient préparés à recevoir chaudement l’ennemi ; leurs vaisseaux étaient protégés par la Pointe à la Batterie, où, plusieurs canons avaient été mis en position. Plus bas, à la Pointe à la Garde, d’où la vue s’étend jusqu’à l’embouchure du Restigouche, était un piquet de soldats qui avaient ordre de veiller sur le cours de la rivière et d’avertir de l’approche de la flotte anglaise.

Favorisés par un bon vent, les vaisseaux de Byron remontèrent sans obstacles jusqu’à la Pointe des Batteries, où une vive canonnade s’engagea. Deux bâtiments français furent mis hors de combat et les canons de la batterie réduits à silence ; le Bienfaisant et le Marquis de Marloze durent se retirer vers le village sauvage, tandis que les Anglais s’avançaient jusqu’à la Pointe à Martin, sur la rive opposée, où ils souffrirent beaucoup du feu de quelques canons placés à fleur d’eau. Cependant, leur artillerie supérieure criblait les vaisseaux français ; un de ceux-ci fut poussé au rivage, près de la chapelle de Restigouche, tandis que le commandant de l’autre mettait le feu aux poudres, afin de l’empêcher de tomber aux mains des Anglais.

Resté maître du champ de bataille par la destruction de la flotte ennemie, Byron fit détruire un amas de cabanes, décoré du nom de Nouvelle-Rochelle, et situé sur la Pointe à Bourdon, à trois milles au-dessus du village de Restigouche. Pendant ce temps, les français et les sauvages se réfugiaient dans les bois. Cependant 350 Acadiens tombèrent aux mains des Anglais et furent conduits prisonniers à Halifax sur un navire commandé par un nommé MacKenzie.

« L’imagination se reporte-fortement, dit l’abbé Ferland de qui nous tenons ces détails, vers ces scènes animées et terribles, quand on se trouve sur le théâtre même de la lutte. Des vaisseaux des deux nations rivales se croisant, se fuyant, se rapprochant ; leurs longs pavillons qui flottent dans les airs et portent un défi à l’ennemi ; au milieu des broussailles du rivage, ces troupes grotesquement coiffées et habillés ; ces caps arides, surmontés du drapeau blanc et défendus par des pièces d’artillerie dont la gueule s’allonge hors des meurtrières pour vomir le feu et la mort ; ces nuages de fumée roulant sur les eaux et dérobant aux combattants la vue du ciel ; le craquement des mâts qui se brisent, les sifflements aigus du commandement ; le bruit de mousqueterie et du canon, les cris de la victoire, de la douleur et de la rage : voilà les parties du drame qui se jouait, il y a plus d’un siècle, dans cette baie aujourd’hui si calme. »

C’était le dernier épisode de la longue rivalité entre la France et l’Angleterre sur cette terre du Canada.

Les restes des malheureux émigrés acadiens, réfugiés dans les bois, après la destruction de la flotte de M. de D’Anjac et du fort Restigouche, allèrent rejoindre leurs frères de Tracadièche, après le départ des Anglais. Ces derniers, plus heureux que les émigrés, avaient vu la tourmente sans en éprouver les désastres, cachés qu’ils étaient dans le barachois et à l’abri de toutes surprises.

Plusieurs continuèrent leur route en descendant la Baie jusqu’à Bonaventure et furent les fondateurs de cette belle et florissante paroisse, à laquelle ils donnèrent probablement son nom, en souvenir de Monsieur de Bonaventure, gouverneur français de l’Île Saint-Jean, leur ancienne patrie. D’autres trouvent l’origine de ce nom dans celui du Père Bonaventure, récollet, ancien missionnaire de l’Acadie dont nous parlerons plus loin.

La paix ayant été établie par la reddition finale de tout le pays aux Anglais, les nouveaux colons de Tracadièche purent se livrer, sans crainte des vexations dont ils avaient été si souvent victimes en Acadie, au défrichement du sol, à la pêche si abondante en ces parages, et à la chasse. Dès le printemps 1756, les nouveaux colons avaient courageusement jeté les fondations de la nouvelle colonie qui alla toujours en progressant soit par l’arrivée de nouveaux colons, soit par la richesse du sol et l’abondance, de la pêche.

Ils furent longtemps privés des secours de la religion à cause des malheurs de la guerre.

Depuis le départ de Restigouche des Pères Récollets Étienne et Ambroise, qui durent quitter le pays après la conquête, aucun missionnaire n’avait visité ces endroits. Les Acadiens de Tracadièche, ainsi que ceux de toute la Baie des Chaleurs, qui voyaient tous les jours grossir leur nombre, par l’arrivée de leurs frères échappés à la mort ou à la déportation, et qui étaient alors au nombre d’environ 1200, tant à Tracadièche que sur les deux rives de la baie, virent avec une joie extrême l’arrivée au milieu d’eux du bon Père Bonaventure. Il fit sa résidence ordinaire à Bonaventure. Mais devenu vieux et accablé de nombreuses infirmités, il écrivait, le 28 novembre 1766, à l’évêque de Québec :

« Je vous écris par un sauvage nommé François Condo pour vous informer de la situation des missions qu’on m’a confiées tant des Français que des sauvages. Tous ont montré leur zèle pour soutenir la religion et le prouvent encore tous les jours, malgré tous les obstacles qu’ils ont eus à vaincre, et j’espère qu’eux, leurs enfants et tous leurs descendants seront fidèles à en observer tous les préceptes. Je commence à être sur l’âge, très infirme et presque incapable de les desservir comme il conviendrait. J’ai bien encore des raquettes, mais je n’ai plus de jambes pour aller secourir les malades à sept ou huit lieues. »

Le Père Jean Baptiste de la Brosse, le célèbre missionnaire Jésuite du Golfe Saint-Laurent, visita la Baie des Chaleurs en 1771 et 1772 et fit bâtir à Tracadièche la première chapelle, à l’endroit du cimetière actuel. C’était un homme d’une grande énergie et d’une sainteté éminente. C’est un des Jésuites dont le souvenir est resté le plus vivace parmi les populations où il a exercé son apostolat. Dans un rapport de ses missions de 1771, il parle ainsi des Acadiens de Tracadièche :

« J’y ay trouvé icy un peuple docile et zélé pour les instructions ; outre la messe et le catéchisme de tous les matins, ils m’ont encore demandé de leur faire la prière tous les soirs, avec un mot d’instruction, où ils assistent en foule, et qui les dispose peu à peu à gagner l’indulgence du jubilé,[1] que je suis résolu de faire gagner, Dieu aidant, les premières semaines du carême, tant à ceux d’icy qu’à ceux des postes voisins que j’en ay prévenus de vive, voix et par écrit ; M. Bourdage, témoin oculaire et désintéressé qui remettra cette lettre à V. G., lui pourra rendre de tous les Acadiens qu’il a vus dans ces quartiers un témoignage capable de Lui donner de la consolation. »

Cependant l’évêque de Québec, plein de sollicitude pour le salut des âmes de cette partie éloignée de son immense diocèse, était souvent fort embarrassé pour trouver un missionnaire qui voulût se charger de ces difficiles et lointaines missions, lorsque la Divine Providence vint à propos à son secours.

En 1772, arrivait à Québec un jeune ecclésiastique, venant de France, où il avait fait ses études et s’était préparé depuis longtemps par la prière et le recueillement aux importantes missions que le Bon Dieu lui réservait : c’était l’abbé Bourg.

Joseph Mathurin Bourg naquit à la Rivière-aux-Canards, paroisse Saint-Joseph, le 9 juin 1744, de Michel Bourg et d’Anne Hébert. Il avait 11 ans à la déportation des Acadiens et fut exilé en France avec ses parents. Grâce à la protection de M. l’abbé de l’Isle-Dieu, vicaire général de l’évêque de Québec, résidant à Paris, l’ami dévoué et le grand protecteur des malheureux déportés acadiens en France, il fut admis, avec son confrère l’abbé Bro et deux autres jeunes acadiens, au Petit Séminaire de Saint-Malo.

Après avoir terminé ses études théologiques, il fut envoyé au Canada, à sa demande expresse, et ordonné à Québec au mois de septembre 1773. C’est alors que Monseigneur de Québec lui proposa les missions de la Gaspésie et de toute l’Acadie, privées de secours religieux depuis longtemps et dans l’état le plus déplorable.

Il accepta avec joie et générosité cette mission et cet acte de confiance de son Évêque et arriva à Tracadièche à l’automne 1773. Il avait ordre de fixer sa résidence ordinaire à cet endroit, comme étant le centre le mieux situé pour rayonner par toutes les autres missions. C’était d’ailleurs l’endroit le plus populeux de toute la Baie des Chaleurs. M. Bourg était encore chargé spécialement de parcourir toute l’Acadie, de relever le courage des rapatriés et de leur promettre, au nom de l’Évêque de Québec, qu’il s’intéresserait à leur sort, et qu’il tâcherait de leur donner le plus tôt possible les secours religieux dont ils étaient si avides et privés depuis si longtemps.

Son premier soin en arrivant à Tracadièche fut de se ménager un logement en allongeant la sacristie de la chapelle bâtie par le P. de la Brosse. Ce fut avec des transports d’une joie impossible à décrire que ces braves colons acadiens virent au milieu d’eux un prêtre résidant, le premier de sa race élevé à la dignité sacerdotale, venant les consoler, les encourager et les bénir. Aussi s’empressait-on de toute part à répondre à ses désirs et à sa voix évangélique.

Il y avait à cette époque, à Tracadièche, 40 familles environ, formant une population de 200 âmes, se livrant à la pêche et à la chasse et quelques-uns à la culture du sol.

M. Bourg passa ce premier hiver auprès de ses ouailles, et alla faire une mission à Bonaventure et chez les sauvages de Restigouche, dont il apprit la langue à fond en peu de temps.

Dès le printemps 1774, il partit pour ses lointaines missions de l’Acadie qu’il tardait à son cœur de patriote de revoir, après une si longue et si douloureuse absence. Accompagné de deux sauvages, il pénétra à travers la forêt jusqu’à la rivière Saint-Jean, où il trouva un grand nombre de sauvages qu’il évangélisa et un établissement assez nombreux et prospère d’Acadiens échappés à la déportation au loin par un coup de main assez hardi.

Voici comment l’abbé Casgrain rapporte le fait dans son livre « Pèlerinage au pays d’Évangéline » :

« Pendant que les transports cinglaient sur la Baie de Fundy, un Acadien de Port-Royal, du nom de Beaulieu, ancien navigateur au long cours, ayant demandé au Capitaine du navire où il était détenu, avec deux cent vingt-quatre autres exilés, en quel lieu du monde il allait les conduire ;

— Dans la première île déserte que je rencontrerai, répondit-il, insolemment.

«  Hors de lui-même, Beaulieu, qui était d’une force peu ordinaire, lui asséna un coup de poing qui l’étendit sur le pont. Ce fut le signal pour les autres captifs, qui probablement s’étaient concertés d’avance. Quoique sans armes, ils se précipitèrent sur leurs gardes, en blessèrent quelques-uns et mirent les autres hors de combat.

« Beaulieu prit le commandement du transport et alla l’échouer dans la rivière Saint-Jean, près de la mission que dirigeaient les P. P. Germain et de la Brosse. »

M. Bourg demeura plusieurs jours à la rivière St-Jean, donnant la mission à tous les postes français et sauvages de l’endroit. Comme ils furent heureux ces pauvres Acadiens de voir au milieu d’eux un prêtre de leur race, eux si avides de la parole de Dieu et des secours religieux ! Mais combien pénibles étaient ces missions pour le missionnaire ! Il fallait à chaque petit bourg, à chaque station même, au milieu d’un petit groupe de quelques familles, quelquefois sous la misérable cabane d’un pêcheur au bord de la mer, ou dans l’intérieur de la forêt, sous la tente d’un sauvage, dresser un autel, consacrer les mariages par les bénédictions de l’Église, mariages souvent contractés déjà devant un notable de la place ou le chef du campement, suppléer aux cérémonies du baptême, catéchiser les enfants, donner la première communion, enfin couronner la mission par une retraite de deux ou trois jours et confesser tout le monde ; car tous accouraient à la mission, et la suivaient religieusement. Et après s’être réconciliés avec leur Dieu, ils s’en retournaient plus forts contre les épreuves à venir, consolés de leurs souffrances actuelles.

À la nouvelle de la venue du missionnaire, on s’empressait de se rendre à l’habitation la plus vaste, qui lui servait alors de chapelle et de résidence. Des familles entières faisaient cinq à six lieues et quelques fois plus, par des chemins difficiles, à travers la forêt, ou montés sur des barques conduites par des jeunes gens. On campait autour de l’habitation du missionnaire et l’on y restait tout le temps de son séjour au milieu d’eux, tant on était heureux de sa présence et avide des secours de la religion. On assistait à tous les offices qui duraient presque des journées entières, avec la piété et le recueillement des chrétiens des temps apostoliques.

« Spectacle singulièrement émouvant, s’écrie M. Rameau de St-Père, que celui de cette affluence agreste et enthousiaste, autour de ce visiteur étrange, isolé, presque misérable. Quand il survenait à travers les bois, accompagné d’un ou deux sauvages, sa simplicité, son dénûment même, n’était pas sans grandeur. Mais on comprend difficilement comment un homme pouvait suffire à une telle besogne. Les stations étaient plus fatigantes encore que les parcours ; il faut réellement que dans ces réunions où se reflétait tant de puissance morale, les missionnaires aient puisé des joies intérieures et des consolations religieuses qui seules pouvaient compenser les fatigues et l’épuisement du corps. »

Après un assez long séjour consacré aux missions de la rivière Saint-Jean, M. Bourg continua sa route en visitant tous les postes où il y avait un groupe d’Acadiens. Il fit une mission à Petitcodiac et à Memramcook. À la Baie Sainte-Marie nouvellement établie par les rapatriés acadiens, M. Bourg demeura quelques semaines. Il y fit plusieurs mariages et y baptisa même des adultes de quatorze à seize ans. Puis se rendit à Halifax, où il trouva plusieurs catholiques de langue anglaise. Nous verrons plus loin ce qu’il fit pour eux.

Au retour, il séjourna quelque temps à Cocagne, et y fit aussi plusieurs baptêmes et mariages, et bénit les fosses de ceux qui étaient morts durant l’absence du missionnaire. Puis donna une assez longue mission à Miramichi, Miscou et Caraquet.

À la fin du mois de novembre 1774, il était de retour à Tracadièche où il passa l’hiver pour recommencer au printemps le cours de ses pénibles missions.

Il fit à l’évêque de Québec, un rapport du succès de cette première mission, si fructueuse pour le salut des âmes de ces pauvres Acadiens, privés depuis longtemps de secours religieux.

Mgr Hubert, alors évêque de Québec, en fut si satisfait qu’il conféra à M. Bourg les titres et la juridiction de grand vicaire pour toute l’Acadie et autres missions, tant en Gaspésie que sur les deux rives de la Baie des Chaleurs, et combla le jeune missionnaire de ses éloges, bien mérités d’ailleurs. En lui octroyant ses pouvoirs, Mgr Hubert s’exprima ainsi :

« Le zèle qui vous fit abandonner l’Europe pour vous sarifier au salut de vos frères, plus chers à votre cœur par les sentiments de la religion que par ceux de la nature, ne trouve point d’obstacles insurmontables dès qu’il s’agit de gagner des âmes à Jésus-Christ. La difficulté des chemins, la mauvaise humeur des peuples, que nous ne vous avons pas laissé ignorer et qui ne vous a pas épouvanté, l’incertitude du succès, rien de tout cela ne ralentit votre zèle ; à toutes ces représentations que notre affection autant que notre devoir nous obligeait de vous faire, vous ne nous avez donné que des réponses dignes d’un ministre de Jésus-Christ.

Je ne suis venu, avez-vous dit, que pour les âmes abandonnées de secours. — De si beaux sentiments ne pouvaient que nous plaire infiniment ; ils ont en effet pénétré jusqu’au plus tendre et au plus intime de notre cœur. Et pour entrer dans toutes vos saintes et pieuses intentions, seconder votre piété et esprit apostolique, nous vous avons revêtu et vous revêtons par les présentes de tous nos pouvoirs. »

  1. Jubilé universel accordé par Clément xiv pour implorer l’assistance divine au commencement de son pontificat.