Histoire de la littérature grecque/Chapitre XL

Librairie Hachette et Cie (p. 497-499).


CHAPITRE XL.

AUTRES ÉCRIVAINS DU TROISIÈME SIÈCLE AV. J. C.


Rhianus. — Aratus. — Euphorion de Chalcis. — Hermésianax, etc.

Rhianus.


Tandis que la poésie et la science brillaient d’un si vif éclat dans la patrie de Théocrite et d’Archimède, et que l’érudition alexandrine contrefaisait le talent et le génie, c’est à peine s’il restait çà et là, disséminés dans diverses contrées, quelques hommes dignes du nom de poëtes ou de prosateurs.

Un certain Rhianus, Crétois, avait écrit plusieurs poëmes héroïques : une Héracléide, des Thessaliques, des Messéniaques, etc. C’est à l’aide surtout des Messéniaques de Rhianus que Pausanias a écrit ses intéressants sinon authentiques récits des guerres de Messénie. Il est probable que les Thessaliques n’étaient, comme les Messéniaques, qu’une sorte d’histoire en vers. L’Héracléide devait ressembler à tous les poëmes du même nom, et appartenir à cette espèce d’épopée dont la vie entière d’un héros était le sujet, et qui péchait, comme le remarquent les ancien, par un vice fondamental, le défaut d’unité. Au reste, les vers qu’on cite de Rhianus ne sont pas de nature à nous faire bien vivement regretter la perte de ses ouvrages. Il n’y en a guère qui s’élèvent au-dessus du médiocre. Le fragment de vingt et un vers sur l’action de la Justice, ou plutôt sur les vengeances d’Até, serait une chose remarquable, si Rhianus avait véritablement tiré de sa Minerve ces pensées, ces images, ces vives expressions. Mais il n’a guère fait que fouiller dans sa mémoire. C’est Homère, c’est Hésiode, c’est Eschyle, qu’il faut saluer au passage, en lisant ces vers. Rhianus n’y est que pour l’arrangement, et pour quelques ornements de mauvais goût.


Aratus.


Le poëme d’Aratus, intitulé Phénomènes et Pronostics, a eu l’honneur d’être imité en vers latins, d’abord par Cicéron, puis par Germanicus. L’homme qui a écrit ce poëme était un savant universel, médecin, mathématicien, critique, etc. On s’en aperçoit en le lisant. Il a très-exactement résumé ce qu’on savait alors et sur l’apparition et la disparition des astres, et sur les signes naturels qui permettent de pronostiquer le beau ou le mauvais temps ; il a même écrit en bon style, et ses vers sont généralement bien tournés et suffisamment simples. Mais il a oublié un peu trop que ce n’est pas là toute la poésie, je dis toute la poésie didactique ; et il est réglé sec et ennuyeux, en dépit de ses mérites, et malgré certains passages qui ne sont pas sans éclat. Comment en effet un poëte, même mieux doué qu’Aratus, eût-il pu, captiver le lecteur en s’interdisant tout mouvement, toute variété ; en s’abstenant de peindre l’homme, de le faire parler, ou d’exprimer tout au moins des sentiments qui répondissent, dans notre cœur, à ces fibres par quoi nous-mêmes nous nous sentons hommes ? Aratus n’a donc fait, peu s’en faut, qu’un manuel scientifique versifié, et non pas proprement une épopée didactique, un poëme qui rappelle les Oeuvres et Jours. Il parait que les Phénomènes étaient le plus estimé dé tous les ouvrages composés par Aratus, soit en prose, soit en vers. Aratus était né dans les premières années du troisième siècle, à Soles en Cilicie ; et il passa de longues années, à la cour d’Antigonus Gonatas, roi de Macédoine.


Euphorion de Chalcis.


Euphorion de Chalcis, qui fut bibliothécaire d’Antiochus le Grand, était un érudit et un poëte : Quintilien se contente, à son sujet, de remarquer que Virgile faisait cas de ses ouvrages, puisqu’il parle, dans les Bucoliques, de chants que lui-même composait à la manière du poëte de Chalcis. Mais le rhéteur latin s’est privé de lire les vers d’Euphorion. Cette lecture n’était pas chose très-facile. Le poëte, qui était compatriote de Lycophron, semblait avoir ambitionné, comme Lycophron, le surnom de ténébreux. L’espèce d’épopée où Euphorion avait raconté les traditions de l’Attique ancienne partageait, avec l’Alexandra, l’honneur d’être impénétrable au vulgaire, et obscure même pour de consommés mythologues. Il est probable que ce n’est point là ce qui valait à Euphorion l’estime de Virgile, et qu’il y avait, parmi ses poëmes de diverses sortes, des productions un peu moins savantes et un peu plus humaines ; mais il est douteux qu’un poëte épique aussi détestable que l’auteur des Mélanges (c’était le titre de l’épopée d’Euphorion) ait été autre chose, dans aucun genre, qu’un modèle assez peu digne d’être imité.


Hermésianax, etc.


Il reste d’Hermésianax de Colophon un fragment d’élégie amoureuse qui n’est pas sans quelque valeur poétique. C’est une revue spirituelle et piquante de tous les poëtes et de tous les sages fameux, depuis Homère jusqu’à Philétas, qui s’étaient laissé subjuguer par l’amour.

Tels sont, avec le Chaldéen Bérose, qui avait écrit en grec une histoire de son pays d’après les monuments authentiques, les seuls noms un peu connus que fournisse le catalogue littéraire de ce siècle, en dehors de ceux qui appartiennent à l’Attique, à l’Égypte et à la Sicile. J’en ai passé sous silence un grand nombre ; mais je ne crois pas qu’on me sache mauvais gré de n’avoir rien dit, par exemple, de prétendus poëtes qui avaient imaginé des acrostiches plus ou moins extraordinaires, ou qui arrangeaient la longueur respective des vers d’un poëme de telle façon que l’ensemble présentât la forme de quelque objet, d’un œuf, d’une hache, d’un autel, d’une paire d’ailes, d’une flûte de Pan, etc. Ces sottises métriques n’ont rien de commun avec la poésie.