Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830/Éloquence parlementaire

III.

Éloquence parlementaire. — Les grands orateurs de la restauration : M. Lainé, M. de Serre, le général Foy.


L’établissement du gouvernement représentatif avait fait surgir, en face de la presse, un instrument de polémique politique encore plus élevé : la tribune parlementaire. Un nouveau genre apparaissait donc ou plutôt reparaissait dans la littérature française, l’éloquence de la tribune, qui, pendant la première révolution, avait jeté d’éblouissants éclairs au milieu des orages politiques ; genre qui laisse à la postérité plutôt le souvenir des émotions des contemporains que des œuvres appréciables, mais qui donne à ceux qui y excellent les succès les plus enivrants, et au public les plus vives jouissances.

Au début, il y eut d’abord une grande inexpérience parmi ceux qui abordèrent les discussions publiques ; sauf de rares exceptions, les premières chambres bégayèrent la langue de la tribune plutôt qu’elles ne la parlèrent. Peu à peu, cependant, les talents se formèrent, et un assez grand nombre d’hommes se distinguèrent dans ces luttes, où les questions les plus élevées du droit constitutionnel et international, de la morale publique et même de l’histoire, étaient traitées. C’était là, en effet, le caractère de l’éloquence de la tribune sous la restauration ; les discussions franchissaient sans cesse les limites du temps présent pour reculer dans le passé ou avancer dans l’avenir.

Rien de plus intéressant à suivre qu’un duel de paroles entre M. Benjamin Constant, cet esprit matois, caustique, nu, plein de malignité et M. de Villèle, cette raison si calme, si droite, si habile, si pénétrante, si simple dans la forme et si sûre, dont M. Canning disait : « C’est une grande lumière qui brille à bien peu de frais », et à qui M. Casimir Périer criait souvent quand les discussions se fourvoyaient : « Monsieur de Villèle, montez à la tribune et rétablissez la question. » M. Royer-Collard, quoiqu’il lût à demi ses discours, produisait de grands effets par l’autorité de ses pensées transcendantes, de sa parole accentuée, de son geste magistral, qui semblait buriner des arrêts pour la postérité. Quand il apparaissait à la tribune, le front chargé de méditations, la tête haute, à la gravité de sa pose, à la brièveté de son accent, et aussi au tour doctoral de son style, on eût dit un maître professant la politique pour des disciples, plutôt qu’un orateur discutant avec des collègues. Si M. de Villèle, toujours maître de lui, était l’Ulysse de la tribune, M. de la Bourdonnaye, le chef de la contre-opposition de droite, fougueux, emporté, plein de saillies, en était, comme on l’a dit, l’Ajax ; Manuel ébranlait les nerfs par une faconde retentissante qui arrivait facilement à la déclamation. Casimir Périer, avec son geste hautain, sa parole stridente, sa haute mine, sa passion politique si différente de la colère oratoire de l’avocat, annonçait déjà l’homme d’État plus occupé de sa pensée que de son discours. On remarquait le talent de discussion de M. Pasquier, son éloquence d’affaires et la facilité de son élocution, toujours appropriée aux sujets qu’il traitait. Camille Jordan apportait dans les assemblées de la restauration un talent déjà exercé dans les dernières assemblées de la révolution, et qui semblait un écho de l’éloquence de ce parti constitutionnel dont la raison politique n’avait pas été au niveau de ses bonnes intentions et de ses talents. Rien de plus élevé, de plus élégant, de plus digne, que la parole de M. Ravez, qui présida longtemps la chambre des députés avec une autorité et une distinction de langage dont le souvenir est resté, et qui, par un jeu du sort et l’effet des révolutions, devait mourir, en 1849, membre de la seconde assemblée de la république, après avoir si longtemps présidé les assemblées de la monarchie. Nul ne disait mieux que M. de Martignac, envoyé comme M. Ravez et comme M. Lainé par la Gironde, qui continuait ses traditions d’éloquence ; sa parole limpide, mais un peu faible dont son geste plein de grâce complétait l’harmonie, semblait couler de ses lèvres persuasives comme un ruisseau de miel. Cependant, quel que fût le talent de paroles de ceux que nous venons d’indiquer, trois hommes seulement offrirent à cette époque cette heureuse réunion de dons divers qui font l’orateur : ces trois hommes étaient M. Lainé, M. de Serre et le général Foy.

M. Lainé se manifesta le premier. Il avait commencé à paraître, on le sait, à la fin du règne de Bonaparte. C’était lui qui avait rédigé cette adresse du corps législatif où retentissait le cri de la France épuisée et implorant la paix, à la lecture de laquelle Napoléon irrité s’écria : « M. Lainé est un méchant homme et un factieux ! » L’empereur oubliait que, si un souverain peut disposer quelquefois de la vie d’un honnête homme, il ne lui appartient jamais de disposer de sa renommée. M. Lainé n’était ni méchant ni factieux : c’était un esprit fier et un cœur tendre. Sa fierté avait vivement ressenti la disparition de toutes les libertés publiques ; sa sensibilité patriotique s’était émue des souffrances intolérables de la patrie. Il porta à la tribune comme dans les affaires publiques ces deux qualités distinctives de son éminente nature, l’élévation de l’esprit, la tendresse du cœur. Il aima à la fois la royauté et les libertés publiques, la première comme la condition essentielle de l’existence des secondes dans notre pays. Quand la nouvelle du retour de l’île d’Elbe arriva, il s’éleva par l’énergie de son caractère, la vigueur de ses résolutions, l’intrépidité de sa parole, jusqu’à l’héroïsme civil. Il avait offert sa tête aux vengeances de la victoire qu’il avait regardée du haut de sa vertu, et ce fut un honneur et un bonheur pour la chambre que d’être ainsi présidée dans ces circonstances difficiles et solennelles où les assemblées se personnifient dans un homme. On comprend quelle autorité apportait à la tribune des assemblées de la monarchie ce grand orateur escorté de pareils souvenirs. C’était des profondeurs de son âme qu’il tirait son éloquence. Il éprouvait l’émotion qu’il voulait inspirer : tous les sentiments généreux trouvaient un écho éloquent dans sa parole où l’on sentait les vibrations de son cœur. Ce n’était pas un homme de parti ; c’était l’homme de la patrie planant au-dessus des passions du moment, cherchant toujours la justice et l’utilité publique, et, quand il reconnaissait s’être trompé, revenant sans vaine honte sur ses opinions, parce que le motif qui le faisait changer n’était jamais un intérêt, mais toujours une inspiration de sa conscience. Déjà, sous la première restauration, dans la discussion ardente que souleva la question de la restitution aux émigrés de leurs biens non vendus, il avait fait éprouver l’ascendant de cette éloquence honnête à toutes les parties de l’assemblée troublée par des passions politiques contraires, en invoquant les sentiments généreux toujours si puissants, et en présageant la grande mesure de l’indemnité sortant du rétablissement de la prospérité publique. — « Votre commission, s’était écrié M. Lainé, en refusant de reconnaître jusqu’au droit d’indemnité et de réparation, croit-elle ajouter quoi que ce soit à la sécurité des acquéreurs ? Rassurés déjà par le temps, par une longue possession, plus encore par la parole royale, ne le sont-ils pas par la charte constitutionnelle, qui a pour ainsi dire emprunté les termes de la religion, en disant que les propriétés autrefois nationales seraient désormais inviolables et sacrées ? Voudrez-vous maintenant vous interdire d’avance, interdire à vos successeurs la possibilité d’être justes, le droit d’être charitables ? Pourquoi la plupart d’entre vous, car je crois lire dans vos cœurs, se sont-ils refusés, quant à présent, à cette modique indemnité, dernier soutien du malheureux qui rentre dans sa patrie, et qui, jusqu’à ce jour, avait été soutenu par l’étranger ? C’est à cause de l’indigence de la patrie. Eh bien ! si notre patrie était un jour dans un état plus prospère, si la réunion des Français, l’activité du commerce, les progrès de l’industrie augmentaient les ressources, comment se pourrait-il que cette nombreuse classe d’hommes qui ont cru à la fois défendre leur patrie et leur prince ne trouvât pas quelques secours ? À cette tribune quelqu’un hier a prononcé le sinistre augure d’une guerre possible ; si jamais les ennemis nous attaquent, les émigrés se réuniront avec nous, comme leurs enfants avec les nôtres pour défendre le territoire menacé ; et cependant la plupart d’entre eux ne trouveront rien à défendre que le roi et les acquéreurs de leurs propres domaines… Messieurs, je ne crains pas que l’assemblée ait épuisé, pour le présent, et moins encore pour l’avenir, les trésors de la justice, et, j’ose le dire, les trésors de la miséricorde nationale. »

Cette éloquence conciliatrice aux nobles accents de laquelle répondirent, dans la chambre des pairs, les accents non moins français et non moins généreux du maréchal Macdonald, réunit dans un même sentiment les cœurs divisés, dans un même vote les opinions divergentes. L’assemblée se leva comme un seul homme à la parole de M. Lainé. L’orateur lui avait communiqué son âme, et, laissant l’émigration et la révolution au passé, elle s’était sentie française.

C’était dans ces occasions difficiles, où il faut substituer une opinion généreuse et générale à des sentiments haineux et à des émotions contradictoires, que triomphait l’éloquence de M. Lainé. Dans les premiers temps de la seconde restauration, il avait surtout apporté le secours de sa puissante parole aux idées modérées qu’il croyait menacées, et, comme membre du ministère Richelieu, il avait soutenu les principales mesures présentées par le cabinet, et, en particulier, la loi d’élection votée par la chambre élue après l’ordonnance du 5 septembre. Mais quand il crut apercevoir que le ministère, dont il faisait partie, dérivait vers la gauche, il se sépara de lui avec le duc de Richelieu, M. Molé et M. Pasquier. Quand la loi d’élection qu’il avait soutenue amena M. Grégoire, un régicide, dans les assemblées de la monarchie, il la condamna dans sa pensée. Ce fut à l’occasion de cette élection qu’il produisit un de ces grands effets d’éloquence qui remuaient profondément la chambre et le pays. La nomination de Grégoire, prêtre régicide, était une double insulte et une insulte gratuite faite à la royauté très-chrétienne. Le roi s’était séparé de la droite dans l’ordonnance du 5 septembre ; il s’était même séparé du centre droit et du ministère Richelieu ; la gauche ne pouvait donc se plaindre des tendances du gouvernement, et c’était ce moment que choisissaient les électeurs de l’Isère pour envoyer siéger dans une assemblée monarchique, sous le règne de Louis XVIII, un des juges de Louis XVI ! La liberté des élections était-elle donc la liberté de l’injure envers la monarchie ? Tous les esprits étaient sous le poids de ces réflexions, lorsqu’à la séance où les élections de l’Isère devaient être validées, on vit M. Lainé se diriger lentement vers la tribune. Son front souffrant semblait couvert d’un nuage de tristesse, et toutes les fibres de sa figure expressive frémissaient. « Messieurs, » dit-il après quelques instants d’un douloureux recueillement, « par une clémence presque divine, et, si vous l’aimez mieux, pour l’apaisement de la société, il fut promis que nul ne serait recherché pour ses votes ; l’oubli fut commandé à tous les citoyens. Qui donc, en effet, se souvenait du quatrième député de l’Isère ? Qui donc le recherchait pour ses opinions et pour ses votes ? L’oubli n’a-t-il donc été imposé qu’aux victimes, et ceux qui avaient besoin d’en être couverts ont-ils seuls conservé le triste droit de se souvenir ? » Ces terribles paroles, accueillies par les applaudissements enthousiastes de la droite, tombaient comme un arrêt de la conscience publique sur la gauche consternée, et l’élection de Grégoire était annulée à l’unanimité, par les uns comme indigne, par les autres à cause d’un vice de forme, par tous au fond à titre d’impossible.

Nul n’égalait M. Lainé dans ces grands effets d’éloquence. Chez lui, la physionomie, le geste, la pose, le regard, la voix, tout parlait. Son âme expansive semblait, dans ces circonstances solennelles, se répandre dans toute sa personne. Le mouvement de sa pensée, les battements de son cœur passaient dans son éloquence, parce qu’il pensait, parce qu’il sentait au moment même où il parlait, et chacun éprouvait comme un choc électrique au contact de sa parole.

Un seul orateur peut-être produisit des émotions aussi profondes dans les assemblées de la restauration : ce fut M. de Serre. M. de Serre était issu d’une noble famille[1]. Émigré pendant la première révolution, il avait servi dans l’armée de Condé. Rentré en France en 1802, il prit la carrière du barreau. Tandis que M. Lainé croyait à l’existence des libertés publiques par la monarchie, M. de Serre croyait à l’existence de la monarchie par les libertés publiques. Le point de départ de ces deux hommes éminents était différent, mais ils étaient arrivés à peu près sur le même terrain politique ; seulement M. Lainé craignit le premier pour la monarchie ; M. de Serre poussa l’expérience plus loin, et fit partie du ministère Dessole, qui remplaça en 1819 le ministère dont le duc de Richelieu était le chef et M. Lainé l’orateur. Mais, après un peu de temps, les mêmes écueils qui avaient arrêté M. Lainé lui apparurent ; il vit la conspiration révolutionnaire masquée derrière les hommes qui voulaient sincèrement l’union du pouvoir et des libertés, et son âme honnête se révolta à l’aspect des garanties dues la monarchie, tournées contre elle comme des batteries destinées à la foudroyer. Dans ces occasions, son éloquence, qui avait quelque chose de fébrile et de maladif, s’élevait aux plus grands accents. Malgré un débit un peu difficile, l’indignation le faisait orateur. Sa parole avait les qualités éminentes qui dominent les assemblées, la spontanéité, l’éclat, la chaleur, la passion ; seulement elle ne se possédait pas toujours elle-même, et les interruptions, comme ces obstacles impuissants qui précipitent le cours d’un torrent, le poussaient quelquefois à des effets oratoires qui devenaient des témérités politiques. Il avait excité l’admiration de ses adversaires comme de ses amis, par la manière dont il avait défendu, au commencement de la session de 1819, la loi sur la presse, qui consacrait une liberté jusque-là inconnue en France. On l’avait vu monter jusqu’à dix fois, dans la même séance, à la tribune, avec une verve inépuisable et une puissance de logique qui dominait toutes les objections. Jamais cceur plus honnête et plus disposé à sceller l’alliance définitive de la royauté et des libertés nationales ; jamais éloquence plus éclatante et plus digne de déterminer et de célébrer cette heureuse solution d’un long et douloureux problème ne parurent dans les assemblées politiques. Cependant un jour arriva où M. de Serre aussi s’arrêta découragé. Il comprit que ce n’était pas seulement la jouissance des libertés publiques que l’on voulait, mais le triomphe de la révolution et l’humiliation de la monarchie. De ce jour, son âme équitable, qui avait trouvé des accents si sévères pour flétrir du haut de la tribune les assassinats commis dans le Midi contre le général Lagarde et le général Ramel, et l’impunité assurée aux meurtriers par la faiblesse des témoins, du jury et des tribunaux, se révolta avec la même énergie contre les prétentions intolérables du parti révolutionnaire. Lorsque, dans la discussion sur le rappel des bannis, il entendit les voix de la gauche s’élever tumultueusement et revendiquer le retour des régicides, il foudroya de cette véhémente réplique les interrupteurs qui prétendaient imposer à la royauté cette mesure comme une expiation envers la révolution : « Quand la déplorable journée du 20 mars eut apparu au milieu de la consternation générale et au milieu de la joie d’un petit nombre de séditieux ; lorsque, des confins de l’Asie aux rives de l’Océan, l’Europe se fut ébranlée, que la France se vit envahie par des milliers de soldats étrangers ; lorsqu’elle eut été dépouillée de sa fortune, de ses monuments, et que son territoire eut été démembré, chacun sentit que le premier besoin de l’État était de défendre la royauté et le pays par des mesures sévères et préservatrices de calamités nouvelles ; alors s’éleva la question de savoir si les individus qui avaient concouru par leurs votes à la mort de Louis XVI devaient être éloignés du territoire français. Chacun connaît avec quelle persistance généreuse la volonté royale lutta contre la proposition de leur bannissement. Des hommes connus par leur dévouement sans bornes à la cause royale et aux principes constitutionnels soutinrent la proposition d’amnistie entière faite par le roi ; mais quand il en fut autrement décidé, quand l’arrêt fut prononcé, il fut irrévocable. L’extrême générosité du roi avait pu défendre les votants ; mais, la loi rendue, on a dû reconnaître qu’il était impossible, sans violer le sentiment moral le plus puissant, sans porter atteinte à la dignité royale, aux yeux de la France et de l’Europe, de jamais provoquer du roi un arrêt solennel qui rendît la patrie aux assassins de son frère, de son prédécesseur, du juste couronné. Il faut donc établir une distinction entre les individus frappés par l’article 11 de ! a loi de 1816 et les votants de la mort de Louis XVI. Quant aux premiers, confiance entière dans la clémence du roi ; quant aux régicides, jamais ! »

Le général Foy, que les élections de 1819 envoyèrent à la chambre, n’avait ni la spontanéité ni l’inspiration de M. Lainé et de M. Serre. Il n’était pas né, il était devenu orateur. Originaire de Ham[2], issu d’une famille de la bourgeoisie, élevé à l’école d’artillerie de la Fère pour la carrière des armes, il avait servi avec distinction sous Dumouriez, Dampierre, Pichegru, dans les premières guerres de la révolution. Le général Foy avait combattu en vaillant soldat, en patriote sincère, mais jamais il n’avait été révolutionnaire. Il avait salué avec joie les idées généreuses de 1789 et déploré les crimes de la révolution, déploré si haut, que le proconsul Lebon le fit arrêter et voulut l’envoyer à l’échafaud. Tiré de prison par Moreau, combattant sous ses ordres et sous ceux de Desaix en Allemagne, blessé aux côtés du dernier, il était demeuré fidèle aux idées de liberté devant la fortune de Bonaparte, comme aux idées de justice et d’humanité devant les menaces de la révolution, et avait refusé de signer les adresses colportées dans l’armée pour demander l’établissement de l’empire. Condamné dès lors pour défaut de zèle, à des commandements subalternes, en Portugal et en Espagne, il n’en avait pas moins couru combattre à Waterloo pour défendre, non le second empire, pour le retour duquel il n’avait pas conspiré, mais le territoire menacé. Tel était le général Foy, un peu trop séduit par le mirage des vertus antiques, initié par ses études aux modèles d’éloquence de Rome et d’Athènes ; esprit exalté, orateur excessif qui s’enivrait des applaudissements et qui, en ignorant ou en oubliant les desseins extralégaux d’une opposition plus violente que la sienne, les servait ; du reste, faisant profession de vouloir la charte, toute la charte, et de ne vouloir rien que la charte, et comprenant la royauté parmi les institutions que la charte consacrait. C’était un ami ardent des libertés nouvelles, emporté quelquefois au delà des bornes par l’esprit d’opposition, dont le regard n’était pas étendu et manquait souvent de justesse, un politique parfois romanesque qui sacrifiait trop à l’effet oratoire ; mais ce n’était pas un ennemi systématique de l’autorité. Dans son éloquence travaillée, on trouvait un sentiment assez élevé de la forme littéraire. La sûreté de sa mémoire lui permettait d’apprendre ses discours ; mais il retrouvait, en les récitant, l’accent de la passion qui les avait inspirés. Le général Foy eût été le ministre possible de la gauche sous la restauration, si la gauche avait préféré à la passion stérile de renverser l’ambition légitime de gouverner ; il était son orateur, et peut-être que l’exercice du pouvoir eût corrigé le tour un peu chimérique de son esprit.

On comprend la vive impulsion que donnaient aux idées ces grands débats où venaient tour à tour retentir toutes les questions sociales, politiques, religieuses, philosophiques, internationales, qui préoccupaient les esprits. Les âmes s’élevaient dans une sphère plus haute, et vivaient d’une vie plus noble et plus intellectuelle. On se passionnait pour des principes, on croyait à ses idées. La France contemplait son propre génie dans le génie de ses orateurs, et saluait, dans l’éloquence parlementaire, la forme la plus éclatante de l’intelligence nationale.


  1. Il était né à Metz en 1777.
  2. Le général Foy était né à Ham, en Picardie, dans l’année 1775. Il avait donc en 1819, quand il entra à la chambre, 44 ans. Il mourut en 1825.