Histoire de la conquête de l’Inde par l’Angleterre (Barchou de Penhoën)/Livre XXIV

Au comptoir des Imprimeurs unis (tome 6p. 356-486).

LIVRE XXIV.

SOMMAIRE.


Affaire de Bhurtpoor. — Le rajah de Bhurtpoor. — Il sollicite la protection britannique pour son héritier. — Le gouvernement soutient les droits de ce dernier. — Proclamation du résident anglais. – Mort de sir David Ochterlony. — Proclamation du résident anglais. — Le siège de Bhurtpoor est résolu. – Rassemblement de l’armée sous les ordres du général lord Combermere. — Investissement de la place. — Premières opérations du siège. — L’assaut. — Prise de Bhurtpoor. — Nouveau traité conclu avec le rajah. — Le rajah de Colapore. — Reprise des hostilités avec les Birmans. — Préparatifs et dispositions de la cour d’Ava. – De nouvelles négociations sont entamées. – Détails sur le cérémonial suivi par les Birmans, leurs costumes, etc. — Les conférences n’amènent aucun résultat. – Situations respectives des deux armées. — Combat de Pembiekee. — Défaite et fuite de l’armée birmane. — Nouveau combat sur les hauteurs de Napodee. — La route demeure libre jusqu’à la capitale par l’armée anglaise. — Plan de campagne de sir Archibald Campbell. — L’armée birmane prend une nouvelle position à Melloone. — Difficultés de sa retraite. — Nouvelle ouverture de paix. — Les négociateurs birmans ne veulent pas croire à la sincérité des Anglais. — Ils refusent de payer d’avance la somme exigée par ceux-ci, et répugnent à la cession d’Arracan. – Les négociations sont de nouveau rompues. — Bataille de Pagohemnew. — Le roi de l’Enfer. — Sa mort. — Conclusion de la paix. — Une députation d’officiers anglais se rend à la cour d’Ava. — Audience de l’empereur. — Avantages et inconvénients du traité de paix. — Situation politique de lord Arnhout au commencement de cette guerre. — Son retour en Angleterre. — Mort de sir Thomas Munro, gouverneur de Madras. — Nomination de sir William Bentinck aux fonctions de gouverneur-général. — Situation des finances de l’Inde. — Nécessité où se trouve lord William d’opérer de grands retranchements. — Esprit général de son administration. — Ses voyages sur la Suttlur. — Conférence entre lui et Runjet-Singh. — Exploration des bancs de l’Indus et des pays au nord de ce fleuve par le lieutenant Burnes. — Situation de la famille impériale à Delhi. — Diverses nuances dans l’administration de lord William. – Modification dans l’organisation judiciaire qui permet d’employer un plus grand nombre d’indigènes. – Abolition des sultées. — Modification dans le système suivi pour la collection des revenus. — Établissement de la navigation à vapeur, soit dans l’Inde soit, dans ses communications avec l’Europe. – Acquisition du territoire de Koorg. — Affaire de Mysore. — Caractère général de l’administration de lord William. — Quelque analogie entre sa situation et celle de Warren Hastings. — Son retour en Europe. — Conférence du président de la cour des directeurs et du duc de Wellington, alors ministre, au sujet du renouvellement de la charte de la Compagnie. – Révolution de juillet, et changement du ministère anglais. – Nouveau parlement. — Abolition du privilège commercial de la Compagnie, également voulue par le ministère et le parlement. — Négociations à ce sujet entre la cour des directeurs et le ministère. — Arrangement définitif. – La Compagnie transfère ses propriétés au gouvernement en échange d’une annuité, d’un fonds commun, et conserve le gouvernement de l’Inde. – Une nouvelle époque commence dès lors pour l’histoire de l’Inde. — Conclusion.
(1825 — 1834.)


Séparateur


Dès le commencement des hostilités contre les Birmans l’attention du gouvernement du Bengale fut sollicitée d’un autre côté. Le rajah de Bhurtpoor, comme nous l’avons déjà dit, était un des chefs principaux de la tribu des Jhauts ; il possédait un territoire considérable et plusieurs forts dans son voisinage. Lord Lake, peu d’années auparavant, décrivait la ville de Bhurtpoor dans les termes suivants : « Bhurtpoor est une ville d’une étendue considérable, très bien fortifiée. Une muraille de terre fort élevée et d’une considérable épaisseur, accompagnée d’un fossé large et profond, l’entoure complètement. Le fort, situé à l’extrémité orientale de la ville, est d’une forme carrée ; un des côtés regarde la campagne, les trois autres sont au-dedans de la ville. Il occupe un terrain plus élevé que celle-ci ; ses murailles sont plus élevées, son fossé plus large et plus profond. La circonférence du fort et de la ville est de huit milles ; leurs murailles, dans toute leur étendue, sont flanquées de bastions de distance en distance ; ceux-ci défendus par une nombreuse artillerie. Cette place tire aussi une grande force de la quantité considérable d’eau que sa situation la met à même de commander ; son fossé, quand il en est rempli, présente un obstacle très difficile à franchir. Une grande nappe d’eau, qui se trouvait au nord-ouest de Bhurtpoor, disparut soudainement à l’arrivée de mon armée ; je découvris, peu de temps après, qu’on l’avait fait couler dans les fossés qui entourent la ville. » Depuis cette époque, Bhurtpoor s’était beaucoup agrandie. Une partie du terrain, alors occupé par les batteries anglaises, y avait été réuni d’un autre côté, les fortifications avaient reçu des augmentations considérables. Quant à sa population, il est difficile de l’évaluer avec justesse : il est probable qu’elle montait à peu près à 100,000 âmes, peut-être les dépassait-elle.

Par le premier traité, daté du 9 octobre 1803, conclu entre lord Lake et le rajah, ce dernier se trouvait exempt du tribut qu’il avait payé jusqu’à ce jour aux États mahrattes. Par la suite, le gouvernement anglais céda une étendue de terrain assez considérable, conquis sur Dowlut-Row-Scindiah, étendue de terrain qu’on pouvait évaluer, quant au produit, au tiers des anciennes possessions du rajah. La reconnaissance devait ainsi s’ajouter à la bonne foi, pour maintenir le rajah dans la fidélité au gouvernement britannique. Dès 1804, il devint néanmoins fort apparent qu’en dépit de ce traité il se trouvait en liaison intime avec les ennemis de ce dernier. C’est alors (1805) que lord Lake commença ce siège dont l’issue ne fut point heureuse, et qui conduisit à une cessation d’hostilités terminées par un nouveau traité de paix. Ce traité, conclu le 17 avril 1805, reposait sur les mêmes bases que le précédent ; seulement, quelques précautions nouvelles étaient prises pour en assurer l’exécution de la part du rajah. Celui-ci devait laisser son fils en otage dans les mains de l’officier anglais qui commandait les provinces supérieures de l’Indostan, jusqu’au moment où le gouvernement britannique demeurerait enfin convaincu de sa bonne foi, de sa sincérité. Le gouvernement promettait de lui restituer dans ce cas la forteresse de Deeg. De son côté, le rajah promettait, à la vérité, de prêter secours au gouvernement anglais contre toute attaque, et de ne recevoir aucun Européen à son service sans l’autorisation de ce dernier. Par un autre article, le gouvernement anglais garantissait au rajah la possession de son territoire contre tout ennemi extérieur ou intérieur. Il était stipulé qu’en cas de mésintelligence entre le rajah et ses feudataires, le point de la difficulté serait soumis à la décision des autorités britanniques ; mais que, si la négociation échouait, le rajah pourrait demander du secours à son allié européen. Telle était la teneur générale de cet engagement, qui subsista vingt années sans altération.

Dans le mois d’août 1824, Buldeo-Singh, alors rajah, se sentait au moment de mourir ; jaloux de laisser une succession pacifique à son fils Bulwunt-Singh, dont la jeunesse l’exposait à être la victime des intrigues de ses parents, il sollicita du gouvernement anglais, pour celui-ci, un khelaut, ou vêtement d’investiture. C’était, en d’autres termes, réclamer en sa faveur la protection et la garantie du gouvernement anglais. Sir David Ochterlony, agent politique dans cette partie de l’Inde, appuya fortement cette demande. La cérémonie entraînait bien quelque dépense, mais ce n’était là qu’un bien petit inconvénient, comparée aux avantages immenses qu’elle devait produire. Elle ne pouvait manquer de prévenir certains désordres qui s’étaient quelque peu manifestés à l’époque de l’arrivée au trône de Buldeo-Singh ; enfin, elle se trouvait autorisée par des précédents. Le gouverneur-général goûta les raisons alléguées par Ochterlony ; il ordonna une enquête destinée à s’assurer des droits réels du successeur désigné par le rajah. Le résultat de l’enquête, favorable au jeune prince, fit voir en lui le fils et l’héritier présomptif de Buldeo-Singh. La cérémonie de l’investiture fut en conséquence ordonnée par le gouverneur-général, puis accomplie par sir David Ochterlony, dans le mois d’août 1824. Après la mort de Buldeo-Singh, arrivée peu après, les choses demeurèrent quelque temps sûr le même pied. Mais, dès les premiers mois de l’année suivante, une révolution complète éclata tout-à-coup à Bhurtpoor. L’oncle et la mère du rajah furent attaqués par un certain Doorjun-Saul, leur parent éloigné ; un conflit s’ensuivit qui coûta la vie à un grand nombre de personnes, puis l’enfant tomba au pouvoir du rebelle. Tout cela s’était fait avec adresse, secret, diligence, sans le secours d’aucune manifestation populaire contre le rajah. Mais les droits de ce dernier avaient été solennellement proclamés par le gouvernement britannique ; sir David se disposa en conséquence à les soutenir. Il se hâta de rassembler tout ce qu’il avait de troupes disponibles sous la main, et tenta quelques démarches politiques. D’un côté il adressa une proclamation aux partisans du jeune rajah, qu’il encourageait à soutenir ses droits. De l’autre, il sollicitait Doorjun-Saul ; il le somma en quelque sorte de déclarer sous serment qu’il serait fidèle au jeune rajah, qu’il n’était pour rien dans le meurtre de l’oncle de ce dernier, qu’il renonçait à tout projet d’intervenir dans le gouvernement. En réponse à ce message un wackel de Doorjun se rendit auprès du général. Doorjun, suivant la déclaration positive portée par le messager, n’avait aucune répugnance à faire ce qu’on lui demandait, il sollicitait un sauf-conduit, proposant de se rendre dans le camp du général, avec le jeune rajah. Sir David eut des doutes sur la sincérité de ces offres ; il affecta de se montrer fort indifférent sur l’arrivée dans le camp de Doorjun-Saul ; toutefois, comme il était d’une grande importance de mettre en sûreté la personne de Bulwun-Singh, il donna un sauf-conduit à Doorjun. Sir David savait d’ailleurs qu’un jeune frère de Doorjun, nommé Mad’hoo-Singh, avait la forteresse en sa possession. Il ajouta, en conséquence, qu’en cas que la négociation ne finît pas à l’amiable, Doorjun-Saul, après avoir mis en sûreté la personne du jeune rajah, demeurerait libre de rentrer en ville si bon lui semblait. Il promettait encore, en considération de cet acte de condescendance, de le recommander au gouverneur. C’était étendre d’un seul coup la protection britannique sur l’usurpateur et sur le prince légitime.

À cette époque, sir David reçut la nouvelle que le peuple d’Alwar était fort effrayé des préparatifs du siège faits contre Bhurtpoor. On lui écrivait que, bien loin de vouloir assister les rebelles, il se montrait fort disposé à accéder à toutes les demandes de sir David ; qu’il se disposait à fournir des vivres en abondance aux troupes anglaises. Mais le corps d’armée de sir David fut alors rappelé ; il se vit obligé de renoncer à toute hostilité contre Bhurtpoor. Peu de mois après, et dans une courte période de tranquillité qui succéda, il succomba à une de ces nombreuses maladies engendrées par le climat. C’était un homme également doué des qualités militaires et diplomatiques ; également propre à briller sur un champ de bataille et dans le cabinet ; en lui se trouvaient réunis à un degré rare la fermeté, la modération, le jugement et l’activité. Tous ceux qui l’avaient suivi au milieu des scènes agitées de l’Inde professaient pour sa personne le plus entier dévouement. Ce fut une grande perte pour le gouvernement de l’Inde. Tout impassible que doive être sa plume, l’historien lui-même ne saurait voir sans quelque émotion disparaître de la scène les acteurs dont il raconte depuis long-temps la vie et les travaux.

À la fin de l’année 1825, le gouvernement britannique, cédant en cela aux conseils, aux inspirations de sir David, prit la résolution de protéger efficacement le droit du légitime héritier de Bhurtpoor. Il se prépara, en conséquence, au siège de cette ville. À toutes les raisons politiques, tirées des circonstances que nous venons de raconter, il s’en joignait sans doute quelques autres. Les souvenirs de l’échec éprouvé au premier siège n’étaient point encore oubliés. Partout les armes anglaises avaient triomphé ; mais Bhurtpoor n’en demeurait pas moins comme une sorte de vague espérance offerte aux idées de nationalité indoue, de révolte contre l’étranger ; c’était comme un boulevard derrière lequel s’abritaient volontiers tous ces sentiments, toutes ces pensées. Cédant à toutes ces considérations, sir David Metcalfe, successeur d’Ochterlony, fit paraître la proclamation suivante : « Rajah-Runjet-Singh, rajah de Bhurtpoor, à sa mort, a laissé quatre fils : 1° Rhundeer-Singh ; 2° Buldeo-Singh ; 3° Luchmun-Sing ; 4° Perti-Singh. Rundheer-Singh succéda, comme rajah, et mourut sans postérité ; le second frère lui succéda, suivant son droit et sans opposition. Il laissa un seul fils, Maha-Rajah-Bulwunt-Singh, le rajah actuel, qui succéda à son père, et qui, pendant la vie de son père, fut investi du khelaut de succession en présence de feu sir David Ochlerlony, représentant du gouvernement britannique. Après la mort de Maha-Rajah-Buldeo-Singh, Kour-Doorjun-Saul, le fils de Luchmun-Singh, a usurpé la principauté, et pris le pouvoir, le rang et le titre de rajah. L’intervention du gouvernement anglais est donc devenue nécessaire et indispensable pour la protection des droits du rajah légitime Maha-Rajah-Bulwunt-Singh. Kour-Doorjun-Saul prétend injustement que la principauté lui appartient, sur le fondement que c’était l’intention du rajah Rundheer-Singh de l’adopter pour fils ; mais comme le rajah Rundheer-Singh ne l’a pas réellement adopté, l’intention alléguée, soit qu’elle ait ou n’ait pas existé, ne saurait lui conférer aucun droit légitime. En conséquence, le gouvernement britannique a sommé Doorjun-Saul de rendre la principauté au rajah légitime, et de se retirer, avec une pension convenable, dans les limites de la domination anglaise, avec la garantie du gouvernement britannique pour tous ses droits, tant dans le présent que dans l’avenir. S’il persiste dans le refus de ses propositions, les Anglais sauront faire leur devoir. »

À l’époque où un corps d’armée avait été rassemblé sous les ordres de sir David Ochterlony, sir Edward Paget était commandant en chef des forces militaires de l’Inde. Dans l’intervalle de la dispersion de cette force et de son retour dans ses quartiers, sir Edward Paget fut remplacé par lord Combermere, personnellement chargé du siège de la ville. Il atteignit Agra le 1er janvier 1825 ; il trouva là la 1re brigade de cavalerie et la 2e division d’infanterie, sous le commandement du major-général Reynell. Il demeura quatre jours à Agra, et se rendit avec son état-major à Mutra. Il inspecta la 2e division de cavalerie, la 3e division de cavalerie, une brigade d’artillerie à cheval, et de la cavalerie irrégulière, le tout sous les ordres du brigadier-général Sleigh ; le jour suivant, il inspecta la 1re division d’infanterie, consistant en trois brigades. Toutes ses troupes parurent dans le meilleur état possible ; l’ensemble montait au-delà de 20,000 hommes. Le 10 décembre, lord Combermere envoya un fort détachement, sous les ordres du major-général Reynell et du brigadier-général Sleigh, pour prendre possession d’un poste très fort occupé par l’ennemi au nord-est du fort. L’objet de ce mouvement était de couper l’eau qui devait entrer dans les fossés : on sait qu’il y avait de ce côté une grande pièce d’eau destinée à les remplir au besoin. Cet objet fut atteint ; le lieutenant du génie qui en fut chargé parvint à arrêter l’inondation, qui non seulement aurait rempli les fossés extérieurs de la place, mais aurait couvert une grande partie du terrain d’alentour. L’ennemi fut complètement dispersé. Le général Reynell continua d’exécuter un mouvement par sa gauche. Pendant ce temps on vit les habitants des villages voisins s’empresser de les quitter pour aller chercher un refuge dans Bhurtpoor.

Le général lord Combermere disposa aussitôt les troupes pour l’investissement de la place ; mais, quoiqu’il eût 18 bataillons d’infanterie, 8 régiments de cavalerie, et de la cavalerie irrégulière, cet investissement, en raison des derniers agrandissements de la ville, était à peine praticable. Il résolut de commencer les opérations aussitôt que l’équipage de siège serait arrivé d’Agra et de Mutra. En effet, le moment était venu d’agir ; l’ennemi ne perdait pas de temps à réparer ses fortifications ou à y ajouter de nouveaux ouvrages. Sir David Metcalfe s’était mis en marche d’Agra avec le quartier-général des wackels lui furent envoyés de la part des assiégés, avec le projet de faire différer l’ouverture du siège en commençant des négociations. Mais cette démarche n’eut aucun succès ; lord Combermere et les officiers généraux commandant les divisions firent la reconnaissance du fort, dans le but de fixer le point d’attaque. Le 11, le 33e d’infanterie indigène reçut l’ordre d’aller occuper Mallye ; l’ennemi l’évacua à l’arrivée des Anglais. Ce point était important, en ce qu’il commandait une bonne vue du fort. Il le fit assurer pendant cette nuit et le jour suivant, par une tranchée creusée du côté nord du village, puis en faisant palissader les trois autres côtés par des troncs et des branches d’arbres. L’armée campait à environ cinq milles en arrière de ce point ; elle poussait des patrouilles tout le long de la lisière du bois, où l’on apercevait çà et là quelques soldats, qui ne manifestaient d’ailleurs aucune intention hostile. Le 13 et le 14, l’équipage de siège arriva, composé de 112 pièces d’ordonnance. On s’empressa de rassembler et de confectionner le nombre nécessaire de gabions et de fascines. La force réelle de la garnison ne laissait pas que d’être difficile à connaître ; tous les renseignements obtenus par les espions étaient évidemment faux ou du moins exagérés. On peut croire cependant qu’elle se montait à 20,000 hommes d’infanterie, dont 8 ou 10,000 de troupes régulières ; le reste armé à la hâte pour les besoins de la défense. Le système de l’ennemi paraissait consister à offrir fort peu de résistance hors des portes, à réserver ses forces pour la défense du corps de place. Du moins apercevait-on les assiégés occupés par milliers à creuser les fossés, à augmenter autant que possible les fortifications de la place ; en même temps qu’ils ne tentaient aucun effort pour maintenir de leurs troupes hors de Bhurtpoor.

Les partis anglais chargés des reconnaissances s’étant approchés jusqu’à trois cents verges de la place, les remparts commencèrent un grand feu, mais qui fut sans résultat ; à peine y eut-il 40 ou 50 hommes hors de combat. Des détachements de cavalerie ennemie, sortis des forts voisins, se montrèrent çà et là aux environs du camp anglais. Ils réussirent à enlever quelques bestiaux ; mais trouvant les Anglais toujours sur leurs gardes ils renoncèrent à tenter quelque entreprise. Le 21, lord Combermere, désireux d’épargner aux femmes et aux enfants renfermés dans Bhurtpoor les horreurs d’un siège, adressa une lettre à Dorjun-Saul ; il donnait vingt-quatre heures d’armistice pour leur sortie. Une réplique évasive ayant été donnée, lord Combermere étendit ce délai ; mais aucune réponse ne fut faite à cette seconde communication. Des partis d’Européens et d’indigènes étaient continuellement employés aux travaux préparatoires du siège. La forteresse, sortie de son inaction prolongée, ne cessait de tirer sur tout ce qu’elle apercevait. La cavalerie, avec quelques partis d’infanterie, faisait un grand nombre de démonstrations ayant pour but de détourner l’attention de l’ennemi du point réel de l’attaque. Le 23, tout se trouva prêt pour commencer les opérations. L’angle nord-est de la forteresse avait été choisi comme le point d’attaque. Les assiégeants, malgré un feu d’artillerie très bien nourri, prirent possession d’un village ruiné appelé Kuddune-Kundee, et du jardin de Buldeo-Singh ; ils complétèrent leur première parallèle à la distance d’environ huit cents verges du fort. Le 24, deux batteries construites sur ce point ouvrirent leur feu contre celui-ci. Le 27, on s’aperçut que l’artillerie du fort tirait avec une précision qui ne lui était pas ordinaire, et la raison ne tarda pas à en être connue. Un soldat d’artillerie, nommé Herbert, avait déserté le jour précédent ; on le vit sur les remparts dirigeant le feu de l’ennemi à droite et à gauche, s’exposant froidement et délibérément à tous les périls. Ayant remarqué l’endroit où se tenait lord Combermere, il tira constamment de ce côté, avec une justesse remarquable. Un domestique du noble lord eut la cuisse emportée, tout auprès de lui, pendant qu’il éloignait une chaise de la table. On ne put deviner ni conjecturer d’aucune façon ce qui porta Herbert à ce parti. Il avait combattu à Waterloo dans les rangs de l’artillerie ; son caractère était honorable, tous ceux de ses camarades et de ses chefs qui le connaissaient en parlaient favorablement ; il faisait passer de fréquents secours à sa mère vieille et infirme. Deux autres soldats, aussi de l’artillerie, le rejoignirent les jours suivants.

Le reste du mois de décembre fut employé de la même façon à renforcer les batteries déjà faites, à en élever de nouvelles. En peu de jours, il n’y eut plus dans toute la ville une seule maison qui ne fût endommagée. L’ennemi fit à peine deux ou trois sorties, ou, pour mieux dire, tentatives de sortie, mais sans résultat ; il semblait vouloir, comme nous l’avons dit, réserver toute son énergie pour le dernier moment. Le 3 janvier, l’artillerie commença à battre en brèche les courtines. Les fossés étaient secs, la contrescarpe en mauvais état ; les abords du rempart présentaient donc beaucoup moins d’obstacles que précédemment. Le 5, trois détachements furent commandés pour l’assaut. Mais un nouvel examen de la brèche les fit contremander ; on reconnut que les murailles en terre avaient résisté beaucoup plus que n’aurait pu le faire de la maçonnerie ; on reconnut encore que les batteries ne seraient pas suffisantes pour faire une brèche convenable. On pratiqua dans ce but une mine vis-à-vis la face nord de l’ouvrage attaqué. Craignant que ce travail ne fût découvert en le poursuivant pendant le jour, les mineurs en renvoyèrent la continuation à la nuit suivante. Ils reprirent alors leur œuvre, mais s’aperçurent qu’ils étaient découverts. Une contre-mine marchait à leur rencontre. Ils en recommencèrent une autre, le 14, sous l’un des bastions. Celle-ci avait réussi, mais on y mit le feu trop précipitamment, ce qui lui fit manquer son effet. Deux autres mines, qui jouèrent le 16, puis une troisième le lendemain, achevèrent cependant de rendre la brèche très accessible. L’assaut fut ordonné pour le jour suivant.

Dès le point du jour du 18, les divers détachements commencés pour ce service s’établirent dans les tranchées avancées, sans que l’ennemi s’en aperçût. Deux colonnes d’attaque furent formées : l’une dirigée par le major-général Reynell, l’autre par le major-général Nicolls ; la première devait assaillir la brèche par la droite, la seconde par la gauche. Trois autres colonnes étaient sous les ordres d’officiers de moindre grade : l’une, sous le lieutenant-colonel Delourain, devait assaillir la brèche par la porte de Jungenah ; l’autre, sous le lieutenant-colonel Wilson, escalader l’angle rentrant du bastion ; la troisième s’emparer de la porte d’Agra. La cavalerie se déploya le long et en face du côté ouest de la forteresse. L’explosion d’une mine pratiquée sous l’angle du bastion nord était le signal convenu pour l’attaque. À huit heures elle éclata, en effet, avec de terribles résultats. L’angle saillant tout entier, et un cavalier en pierre furent renversés ; d’épaisses ténèbres couvrirent pendant quelques minutes assiégeants et assiégés ; des masses de terres et de grosses pierres volèrent çà et là. La compagnie faisant la tête de la colonne perdit plusieurs hommes, eut 3 officiers grièvement blessés ; le brigadier général Mac Combe reçut une grave blessure à côté de lord Combermere, et à quelques pas deux Cipayes furent tués sur place. Les troupes se trouvaient, suivant toute probabilité, trop rapprochées de l’endroit où la mine éclata ; peut-être aussi celle-ci produisit-elle son effet dans une direction différente de celle prévue. Les ténèbres étant un peu dissipées, les troupes se présentèrent à l’assaut avec ardeur et fermeté, et, malgré la vigoureuse défense des assiégés, emportèrent les deux brèches. Celle de gauche fut la plus difficile à enlever, l’accès en était fort difficile ; mais les troupes, loin de se rebuter, redoublèrent d’ardeur. Les grenadiers la gravirent lentement, en bon ordre, sans riposter un seul coup aux nombreuses volées de balles, de boulets et de mitraille qui pleuvaient sur eux. Les assiégés se défendirent quelques instants avec grande résolution ; mais l’explosion de la mine ayant mis hors de combat 300 des leurs, ils lâchèrent pied ; se répandant le long des remparts, ils essaient alors de tourner plusieurs pièces contre les assaillants, mais ceux-ci les poursuivent, les sabrent sur leurs canons, sans leur donner le temps d’en faire usage. En moins de deux heures, la totalité des remparts se trouvait en possession des assaillants. La citadelle elle-même ne tarda pas à se rendre. La cavalerie, sous les ordres du brigadier-général Sleigh manœuvrait autour de la ville pour empêcher la fuite des assiégés. Elle atteignit ce but : des masses de fuyards se sauvant en désordre, et se croyant déjà en sûreté après avoir franchi les portes de la ville tombèrent entre ses mains. Doorjun-Saul, avec sa femme, deux de ses fils et 160 cavaliers, essaya de se frayer un passage à travers le 8e régiment d’infanterie légère ; mais aucun d’eux n’échappa.

La perte de l’ennemi ne monta pas à moins de 4,000 hommes tués ou blessés, et, en raison de la surveillance de la cavalerie, c’est tout au plus si quelques hommes parvinrent çà et là à s’échapper : ses magasins, ses armes, ses munitions devinrent la proie du vainqueur. Ce fut un coup dont la principauté de Bhurtpoor ne devait plus se relever. Les fortifications furent rasées, les principaux bastions et plusieurs courtines renversés par la mine le 6 février ; le bastion de la Victoire, comme les habitants de Bhurtpoor l’appelaient, ce bastion qu’ils se vantaient d’avoir bâti des os, de la chair, et du sang des Anglais qui succombèrent dans les assauts livrés jadis par lord Lake, ce bastion gisait maintenant au niveau de l’herbe qui l’entourait. Parmi ceux qui le détruisirent se trouvaient encore çà et là quelques vétérans qui en avaient été repoussés à quatre reprises différentes, une vingtaine d’années auparavant, ou, pour employer le langage des indigènes, « à qui il avait été permis de fuir de ces remparts éternels. » Le lendemain, lord Combermere fit son entrée solennelle dans Bhurtpoor. Deux régiments d’infanterie indigène furent désignés pour composer la garnison de la ville. Le brigadier-général Mac Combe en fut nommé gouverneur. Le 20, lord Combermere et sir Charles Metcalfe procédèrent solennellement à l’installation du jeune rajah. Les déserteurs de l’artillerie tombèrent dans les mains des vainqueurs ; mais Herbert seul subit la mort. Comme les témoignages ou preuves matérielles manquaient contre ses deux compagnons, le conseil se borna à les condamner à la déportation pendant quatorze ans, à les déclarer incapables du service militaire. L’interrogatoire de Herbert ne jeta aucune lumière sur son étrange conduite. Les motifs qui entraînèrent ce vétéran de Waterloo à chercher un refuge parmi les ennemis de l’Angleterre, sont encore inconnus. Condamné à être pendu, il subit sa sentence avec un courage stoïque ; elle fut exécutée sur le même bastion où plus d’une fois il s’était montré dirigeant les boulets de l’ennemi contre ses frères d’armes. Des remerciements furent votés par le Parlement et par la cour des propriétaires à l’armée victorieuse de Bhurtpoor. Le butin qui se trouvait dans la place lui fut distribué par ordre de la cour des directeurs.

En janvier 1826, la présidence de Bombay se trouva entraînée dans une discussion avec le rajah de Colapore, petit État mahratte situé dans la province de Beejapoor. Le gouvernement britannique voulait autant que possible éviter une rupture ; il s’efforça, par l’organe de son résident, d’ajuster les différends qui venaient d’éclore sans avoir recours à des mesures extrêmes. Sourd à toutes les remontrances, le rajah continua de mépriser tous ces moyens d’accommodement, fit de nombreuses levées de troupes, et se plaça en définitive, dans une attitude hostile au gouvernement anglais. Ce dernier dut se mettre en mesure de repousser une agression. Les remontrances faites au rajah demeurèrent inutiles : à la tête d’un corps assez considérable, il commença à piller les territoires ou de ses propres chefs dépendant de lui, ou de ses voisins sous la protection spéciale du gouvernement anglais ; il enlevait de l’argent aux habitants par les mesures d’oppression les plus cruelles. Le colonel Welsh se mit en campagne à la tête des troupes disponibles dans ce quartier. Après les avoir rassemblées à Belgaum, il passa la rivière Gutpurba vers le milieu de septembre, et prit aussitôt position sur le territoire de Colapore, dans le voisinage de Katabughee. Les habitants de ce dernier lieu accoururent aussitôt dans le camp anglais ; ils sollicitaient la protection du colonel. Cette démarche eut l’effet désiré : les questions pendantes entre l’État de Colapore et le gouvernement britannique reçurent une solution immédiate, sans qu’il fût nécessaire d’avoir recours à des hostilités positives. Des précautions furent prises pour maintenir à l’avenir la paix du pays et prévenir toute violation ultérieure des engagements que prenait le rajah. Le gouverneur-général approuva tout ce qui fut fait à cette occasion. Mais il est temps de revenir à la guerre des Birmans, autre scène de notre histoire, bien éloignée du lieu où nous sommes en ce moment.

La cour d’Ava n’avait point perdu la saison d’inactivité qui comprend les mois de mai, de juin, de juillet ; loin de se livrer à un désespoir inutile, en raison de ses revers précédents, elle tourna toute son activité à tirer le meilleur parti possible des ressources qui lui restaient. Le chef de l’empire et ses conseillers ne se montraient jusqu’à ce moment ni effrayés, ni découragés. Les ouvertures de paix que hasardait de temps à autre sir Archibald Campbell ne rencontraient encore là que silence ou mépris ; aucune réponse sérieuse ne leur était faite. La cour prenait, au contraire, journellement les plus vigoureuses mesures de défense ; elle faisait de nombreuses levées dans toutes les parties de l’empire ; répandait de grandes largesses parmi les soldats ; faisait fabriquer dans les arsenaux une immense quantité de poudre ; réparer les anciennes armes, en confectionner de nouvelles par milliers, surtout des jingals et des pièces de rempart, où excellaient les ouvriers birmans. Grâce à ces efforts, une nouvelle armée ne tarda pas à être sur pied elle montait à 66,666 hommes, nombre choisi comme renfermant les combinaisons cabalistiques les plus favorables. Une partie de la population demeurée jusque-là étrangère à cette guerre, à son tour fournit aussi son contingent. Nous voulons parler des Shaans qui occupent toute l’étendue de terrain située entre Siam, la Chine et Ava. Le plus grand nombre des Shaans sont sujets du roi de Siam. Toutefois, il est aussi quelques tribus dont les chefs ou chowahs (comme ils les appellent), paient un tribut à l’empire birman, et sont obligés, en cas de guerre, de lui fournir un contingent de troupes. Enfin, par leur apparence, leurs traits et leurs vêtements, les Shaans diffèrent essentiellement des Birmans : les traits de leur visage sont exactement ceux des Chinois ; d’une petite stature, ils sont bien proportionnés et d’une force musculaire remarquable. Au nombre de 15,000, ils se montraient impatients de se mesurer avec les étrangers, qu’ils n’avaient pas encore rencontrés sur le champ de bataille, et dont la défaite leur paraissait assurée. Trois magiciennes, appartenant aux premières familles de cette tribu, accompagnaient aussi l’armée : elles étaient renommées dans tout l’empire par la profondeur de leur art et la force de leurs enchantements. Au moyen d’une eau consacrée par certaines prières, elles promettaient de guérir toute blessure provenant du fer ou du feu ; la même eau versée par surprise sur les balles ou boulets de l’ennemi, devait encore les faire tomber sans force aux pieds des soldats birmans.

Le recrutement et l’équipement de cette grande armée une fois complétés, l’empereur et la cour achevèrent de reprendre toute leur confiance. Alors aussi l’empereur se montra disposé à entrer de nouveau en négociation avec les Anglais si l’occasion s’en présentait. Il donna l’ordre à ses généraux d’écouter toutes les propositions qui pourraient leur être adressées par les chefs ennemis. Il leur avait défendu, disait-il dans de nouvelles instructions, de traiter en représentants d’une nation vaincue et humiliée, prête à toutes les concessions ; mais il leur permettait de se montrer en chefs d’une puissante armée, en délégués d’une grande nation, qui consentaient à s’assurer si l’ennemi se trouvait réellement fatigué du combat ; il était, par conséquent, disposé à le faire cesser à des conditions également honorables pour les deux partis ménageant également leurs intérêts mutuels. Au commencement d’octobre, le quartier-général de l’armée birmane occupait encore Meadag, où des corps considérables se concentraient journellement. Les chefs birmans envoyèrent à Prome une députation chargée de remettre au général anglais une réponse à la dernière dépêche. Dans cette lettre, sir Archibald s’était efforcé de représenter au chef de l’armée birmane la conséquence désastreuse pour la cour d’Ava d’une prolongation de la guerre ; il le conjurait de mieux apprécier, de mieux servir qu’il ne l’avait fait jusque là l’intérêt de son souverain, c’est-à-dire d’écouter les conditions d’une paix devenue indispensable. Les ambassadeurs birmans accouraient, suivant leur expression, échanger de bonnes paroles avec les Anglais ; ils venaient leur exprimer, de la part de l’empereur et des principaux personnages de l’empire, le désir de voir la paix enfin rétablie entre les deux grandes nations alors en guerre. Ils demandaient ensuite, d’abord une trêve de quarante jours, puis, en témoignage des intentions pacifiques du général anglais, qu’il envoyât deux de ses officiers au camp birman. Sir Archibald Campbell accéda volontiers à ces demandes. Deux officiers, le lieutenant-colonel Tidy et le lieutenant Smith, furent aussitôt désignés pour cette mission ; un bateau de guerre, désarmé, dut les porter au lieu de leur destination. Avant de quitter Prome, les Birmans se rendirent à la pagode de Shoë-Shandoh ; ils y firent leurs dévotions ; puis, en attendant l’heure fixée pour le départ, se promenèrent dans la ville, dans le camp, visitèrent les postes anglais, sans donner le moindre signe de crainte ou de défiance. L’un des négociateurs reçut, comme récompense de cette mission un parasol doré ; le second, le commandement d’un bateau de guerre de 100 hommes.

Le 8 septembre au matin, les officiers anglais et les envoyés birmans se mirent en route. Le 12, ils arrivèrent à Meedevag ; là ils rencontrèrent plusieurs bateaux de guerre qui les escortèrent jusqu’au fort, où 2, 000 hommes bien habillés, armés de fusils à baïonnettes, se mirent sous les armes pour les recevoir. Plusieurs bandes de musiciens les accompagnèrent d’airs bruyants tandis qu’ils se rendaient à la maison préparée pour les recevoir. Une conférence eut lieu aussitôt avec le kee-woonghee (le chef des woonghee) qui commandait en ce lieu. Un armistice résultat de la conférence, fut conclu aux conditions suivantes : 1° qu’une cessation d’hostilités commencerait à compter de ce jour pour durer jusqu’au 17 octobre ; 2° que le premier ministre de l’empereur, muni de pleins pouvoirs, entrerait en conférence avec les autorités britanniques, également munies des pouvoirs nécessaires ; que cette conférence, où se traiteraient des mesures propres à rétablir la paix, aurait lieu le 2 octobre, à moitié chemin des deux armées ; 3° qu’une ligne de démarcation serait tirée entre celles-ci, à partir de Comma, sur la rive ouest de l’Irrawaddy, jusqu’à Tonghoo ; que les parties contractantes s’engageaient à empêcher leurs troupes de franchir cette ligne ; qu’aucun mouvement ne serait fait par l’une ou l’autre des deux armées jusqu’au 17 octobre ; 4° que deux officiers de chacune des deux armées se rencontreraient le 23 septembre pour désigner les campements des chefs respectifs, et faire les arrangements préparatoires pour la conférence qui devait avoir lieu ; 5° que la dignité du premier ministre requérant qu’il ne se mit en mouvement qu’accompagné de 500 hommes avec des armes à feu, et de 500 hommes armés de sabres, le commandant anglais pourrait se faire accompagner d’un détachement de force égale. Le village de Neougbenzeick ; sur la rive gauche de l’Irrawaddy, à vingt-cinq milles au-dessus de Prome, fut le lieu choisi pour la conférence ; et un champ à égale distance des lieux de campement des deux chefs, désigné pour la construction du lottoo ou salle d’audience. Le 23 septembre, en attendant le moment de la conférence, toute communication ultérieure cessa entre les Anglais et les Birmans.

Sir Archibald Campbell s’embarqua sur la flottille à la fin de septembre, pour se rendre au lieu du rendez-vous. Le paysage des deux rives de l’Irrawaddy était des plus pittoresques ; bordé à l’horizon par des montagnes, semé çà et là de pagodes et de villages abandonnés. Neougbenzeick, lieu où devaient se rencontrer les plénipotentiaires, semblait à peine avoir été un lieu habité. Le lieu destiné aux conférences avait été soigneusement nettoyé de jungle et de plantes sauvages ; c’était une petite plaine d’un demi-mille de long, d’un quart de mille de large, ombragée des deux côtés par de beaux arbres. À l’une des extrémités de la plaine, quelques huttes provisoires avaient été élevées à la hâte ; au centre se trouvait la maison des chefs, puis une sorte de toiture supportée par des piliers, où devait avoir lieu la conférence. À l’arrivée des Anglais, l’emplacement destiné au camp des Birmans était encore inoccupé ; ils ne s’en renfermèrent pas moins dans l’intérieur de leurs limites. L’un des deux premiers négociateurs, Lameinzerai, arriva peu après ; il était porteur d’une dépêche du kee-woonghee, relative à l’heure de la rencontre pour le lendemain ; chargé, en outre, d’en régler l’heure, le cérémonial, etc. On tomba d’accord qu’elle aurait lieu à midi, et que chacun des négociateurs s’y ferait accompagner de 14 officiers, et d’un détachement de 100 hommes. Le lendemain, le woonghee demanda par un nouveau message un délai de deux heures, ne pouvant, disait-il, se trouver prêt plus tôt. Sir Archibald ne fit aucune objection. Peu avant l’heure, deux chefs birmans de distinction se rendirent dans le camp anglais, dans le but d’escorter le général au lieu du lottoo ; sir Archibald voulant rendre cette politesse, se hâta de députer le lieutenant-colonel Tidy et le lieutenant Smith pour accompagner le kee-woonghee. Les troupes anglaises prirent les armes, et sir Archibald et les principaux officiers de son état-major, tous en grande tenue, et précédés par les envoyés birmans, quittèrent le camp et se dirigèrent vers le lottoo. L’ambassadeur birman s’avançait alors dans le même lieu par le côté opposé.

Anglais et Birmans arrivèrent ensemble à l’heure et à l’endroit convenu pour la rencontre. Le lieutenant-colonel Tidy et le lieutenant Smith donnaient le bras à deux personnages couverts, de la tête aux pieds, d’ornements d’or et de broderies, habillés d’ailleurs de la façon la plus singulière. Derrière eux venaient quatorze autres personnages tout aussi magnifiquement costumés ; plus loin, grand nombre portant des ombrelles dorées et tout l’attirail d’un noble birman. Tout ce groupe s’avança à pas lents et mesurés ; la magnificence de leurs costumes faisant un contraste bizarre avec l’aspect sauvage et solitaire du lieu de la scène. Quand ils ne furent plus qu’à quelques pas, sir Archibald s’avança vers le kee-woonghee, lui prit amicalement la main et tous deux entrèrent dans le lottoo. On s’assit sur deux rangées de chaises, se faisant face, placées sur deux lignes parallèles, se faisant symétriquement face les unes aux autres. Plusieurs chefs de haut rang, nommés pour assister le woonghee dans ces négociations, s’assirent à ses côtés ; derrière, et en demi-cercle, leurs serviteurs, c’est-à-dire la fleur de l’aristocratie birmane. Tous montrèrent beaucoup de grâce, d’élégance, et la plus extrême politesse dans leurs manières. Le khee-woonghee paraissait âgé d’environ quarante ans ; ses traits étaient beaux, mais sa barbe rare, et ses dents abîmées par un constant usage du bétel. Il promenait avec curiosité ses regards sur tout ce qui se passait autour de lui ; rien ne semblait échapper à ses observations. Sa coiffure consistait en un chapeau rond à larges bords, surmonté d’une aigrette dorée, ornée de rubis et de petites feuilles d’or qui vibraient au moindre mouvement et paraissaient fort délicatement travaillées ; une couronne de feuilles d’or, de 4 pouces de haut, ornée de deux rangées de rubis, surmontait la partie supérieure de cette coiffure ; des deux côtés descendaient des morceaux d’étoffé richement brodée, servant à protéger les oreilles contre la pluie et le soleil. Il portait sur ses épaules une espèce de palatine ressemblant à une cuirasse ; un justaucorps de velours gris, entrelacé de lacets d’or et descendant jusqu’aux genoux ; puis en dessous une veste de soie bleue et or, touchant ses hanches. Une magnifique chaîne à douze rangs (signe de son rang) allait d’une épaule à l’autre. Il tenait à la main une épée à poignée d’or, enrichie de rubis. Tout riche qu’il fût, ce vêtement n’était pourtant que l’habit de guerre ou d’uniforme ; celui de cour le surpassait, dit-on, en élégance et en magnificence. Un officier de sa maison portait sa boîte à bétel ; un second, des confitures ; un troisième, un vase contenant de l’eau fraîche, ainsi qu’une magnifique coupe d’or ciselé, où se trouvaient gravés les douze signes du zodiaque. Ses serviteurs rampaient en quelque sorte à ses pieds pour lui présenter ces différents objets. Les autres chefs portaient des costumes de même sorte que le khee-woonghee, toutefois moins riches et moins ornés.

Ce dernier, en commençant la conversation, s’excusa d’avoir porté son épée ; mais il avait ouï dire que les Anglais ne quittaient jamais les leurs. Sir Archibald Campbell s’empressa de répondre que l’épée faisait tellement partie du costume militaire anglais qu’on ne pouvait s’en séparer. Il jeta un œil de soupçon sur les soldats de la suite de sir Archibald, qui tous étaient armés, tandis que les siens ne l’étaient point ; il en fit l’observation. Sir Archibald fit retirer son escorte, et demeura seul avec quelques officiers. Après une profusion de compliments, les commissaires birmans demandèrent le renvoi au lendemain de toute discussion d’affaires ; ce premier jour devant, disaient-ils, être tout entier consacré à l’amitié, à l’hospitalité. Ils s’informèrent de la santé du roi d’Angleterre, ils demandèrent les nouvelles de ce pays, puis après avoir complimenté sir Archibald Campbell, le khee-woonghee lui dit naïvement : « Avez-vous jamais vu deux personnages aussi considérables que vous et moi ? » Le khee-woonghee exprima à plusieurs reprises son désir qu’une amitié solide s’établît entre les Birmans et les Anglais, que les officiers des deux armées ne se quittassent point sans avoir fait connaissance. La conférence fut alors rompue, un des négociateurs s’était soudainement trouvé mal par l’effet de la chaleur ; elle dut être reprise le jour suivant, à la même heure. Dans la soirée, plusieurs de leurs chefs vinrent se promener dans le camp anglais ; à leur arrivée et à leur départ, ils serrèrent la main des officiers anglais, et se montrèrent empressés d’adopter ces usages étrangers. En toutes choses ils laissaient voir une aisance et une politesse de manières singulièrement remarquables. De leur côté, quelques officiers anglais se rendirent au camp ennemi, accompagnés d’un interprète ; les chefs birmans s’empressèrent d’entrer en conversation avec eux et leur firent l’accueil le plus hospitalier. Un de ces visiteurs ayant fait cette observation, que les femmes qu’ils avaient rencontrées jusque là ne brillaient pas par les agréments du visage, un de ses auditeurs répondit : « Sans doute, mais c’est qu’en ce moment tous les gens comme il faut sont où ils doivent être en temps de troubles, auprès de l’empereur. »

Le lendemain, les commissaires s’assemblèrent avec le même cérémonial ; seulement sept personnes de chaque côté furent admises à écouter la discussion sur les articles de paix. Les députés birmans étaient les sept personnages les plus éminents en dignités parmi tous ceux qui accompagnaient le woonghee. Les autres demeuraient en dehors du lotoo, toutefois de manière à pouvoir entendre et voir ce qui s’y disait ou faisait. Il est de principe chez les Birmans que les négociations diplomatiques se passent toujours en public. Sir Archibald, prenant le premier la parole, protesta de son désir de voir la paix rétablie entre les deux nations ; il exposa ensuite à quelles conditions : c’étaient la cession aux Anglais d’Arracan, Mergey et Tavoy ; la reconnaissance d’Assaam et Munnipoor, comme États indépendants, mais sous la protection des Anglais ; le paiement aux Anglais de 2 crores de roupies, c’est-à-dire 2 millions de livres sterling pour les frais de la guerre. À peine eut-il cessé de parler, que de grandes réclamations s’élevèrent du côté des Birmans. Ils s’avouaient bien les agresseurs, mais objectant que deux petits chefs sans importance étaient les seuls coupables ; que c’était vraiment pitié, que de voir deux nations puissantes s’égorger pour de semblables bagatelles, etc., etc. Ils se montrèrent surtout révoltés de la proposition de céder Arracan ; c’était, selon eux, l’apanage d’un prince de la famille royale ; on ne pouvait l’aliéner de la couronne sans déshonneur. Quant au paiement d’une somme aussi énorme que 2 crores de roupies, ils le déclaraient absolument impossible. Sir Archibald demeura inflexible dans ses exigences. Les Birmans se laissèrent alors aller à des plaintes amères sur l’exigence des Anglais. Dans la guerre des Chinois, toutes choses s’étaient passées, selon eux, bien différemment ; tout s’était terminé à la gloire et à l’avantage des deux grandes nations, sans aucun sacrifice ni exaction d’un côté ou de l’autre. Comme preuve de leur bonne foi, ils offrirent de relâcher les Anglais et les Américains qui se trouvaient prisonniers ; ils offrirent même d’en signer la promesse par écrit. Sir Archibald s’empressa de répondre que la promesse verbale de personnages aussi éminents suffisait. Il promit de son côté de relâcher les chefs birmans de Tavoy, Mergey et Cheduba, faits prisonniers et alors à Calcula. En définitive, les négociateurs birmans, alléguant leur manque d’instructions par rapport à une demande à laquelle ils étaient si peu préparés, se déclarèrent obligés d’en référer à la cour d’Ava. Ils conclurent en demandant la prolongation de l’armistice jusqu’au 3 novembre, pour avoir la réponse de celle-ci. Sir Archibald accorda d’autant plus volontiers ce délai, qu’il ne devait nullement retarder le commencement des opérations de la guerre. L’inondation qui couvrait encore le pays rendait impossible tout mouvement de troupes avant la fin de novembre.

Sir Archibald Campbell avait précédemment invité le kee-woonghee et les autres négociateurs birmans à dîner avec lui, à l’européenne. Ce dîner devait avoir lieu dans la salle même du lotoo, et le jour en avait été fixé au lendemain de la conférence. Malgré l’issue de celle-ci, les Birmans n’en furent pas moins exacts à l’invitation ; ils se montrèrent fort à l’aise, burent du vin, mangèrent de tout ce qui leur fut offert. « La rencontre des chefs de deux nations en guerre, dit l’un d’eux, à un divertissement commun, au milieu d’une guerre acharnée, est chose remarquable ; c’est une preuve extraordinaire de confiance et de bonne foi réciproque ; c’est un procédé vraiment digne de représentants de deux grands peuples civilisés. Espérons, d’ailleurs, dit-il en terminant, qu’ils ne se rencontreront plus les armes à la main. » Un autre fut poétique dans son langage ; il dit : « Le soleil et la lune subissent une éclipse, mais que la paix soit rétablie, et bientôt ils brilleront sur le monde étonné avec une splendeur et une lumière nouvelles. » À la fin du repas, après de nouvelles protestations d’amitié, les convives birmans se retirèrent. En prenant congé du général anglais, ils demandèrent que deux officiers fussent envoyés à Melloon pour faire une visite au prince Memiacoo ; de leur côté, ils voulaient envoyer deux chefs pour accompagner sir Archibald à Prome. Les deux officiers furent effectivement désignés ; mais au moment de partir, quelques points d’étiquette qu’on ne put régler empêchèrent ce départ. Les Birmans retournèrent à Melloon, les Anglais à Prome ; ces derniers ignoraient si le résultat de la conférence serait la paix ou la guerre.

Après la conférence de Neoungbenzeik, plusieurs jours s’écoulèrent sans amener d’incident nouveau ; mais bientôt le général anglais reçut de nombreuses plaintes des habitants de la campagne. De petits détachements de l’armée birmane, franchissant la ligne de démarcation convenue, venaient piller les malheureux paysans qui se trouvaient du côté des Anglais. Sir Archibald en écrivit aussitôt au kee-woonghee : il demandait que ces maraudeurs fussent rappelés ; il parlait de prendre lui-même dans le cas contraire, des mesures énergiques. Le keewoonghee s’empressa de répondre. Selon lui, il s’agissait seulement de bandes de malfaiteurs, sans rapport avec l’armée ; lui-même avait donné l’ordre qu’un terme fût mis à leurs déprédations. Comme il n’en fut rien, sir Archihald envoya deux détachements pour les chasser du territoire anglais ; il écrivit en même temps au kee-woonghee pour lui expliquer la cause de ce mouvement. Il lui donnait en outre l’assurance que les détachements s’abstiendraient de franchir les limites convenues. Le kee-woonghee fit la réponse la plus amicale. Le moment de la crise n’en approchait pas moins. D’après les nouvelles rapportées par les espions, on ne pouvait douter que la guerre ne fût sur le point de se renouveler ; les bandes dont s’était d’abord plaint sir Archibald grossissant à vue d’œil, se trouvaient évidemment en connexion avec le gros de l’armée. Le bruit, probablement habilement semé par les négociateurs, s’était répandu qu’une flotte nombreuse de Cochinchinois venait de se présenter à l’embouchure de la rivière ; qu’elle coupait la retraite aux Anglais ; que ceux-ci désiraient vivement finir la guerre à tout prix. Ces bruits parvinrent aux oreilles de l’empereur ; celui-ci, qui d’ailleurs ne se montrait nullement disposé à céder quelque partie de son territoire, envoyait des ordres répéés à ses généraux d’attaquer immédiatement. Il leur enjoignait d’anéantir les étrangers, de les jeter à la mer, comme si c’eût été la chose la plus facile du monde. Les choses en étaient là lorsque 7,000 Birmans, sous la conduite d’un de leurs chefs, franchirent la ligne de démarcation et brûlèrent quelques villages. Sir Archibald en l’apprenant, s’adressa encore une fois au kee-woonghee ; il le sommait de faire cesser ces désordres, lui protestant toutefois de son propre désir de conserver la paix. Mais la réponse du woonghee ne lui permit plus de conserver d’illusion à cet égard. Le woonghee reprochait amèrement aux Anglais de n’avoir point été de bonne foi dans leurs démarches pacifiques ; il en donnait pour preuve l’exagération de leurs demandes. Il finissait en disant : « Si vous désirez sincèrement la paix et le rétablissement de l’amitié entre vous et l’empire birman, videz vos mains de ce que vous nous avez pris. Alors si vous le désirez, nous demeurerons sur un pied amical avec vous. Nous enverrons une demande au roi pour le relâchement de vos prisonniers, puis nous nous hâterons de vous les renvoyer. Mais l’armistice expiré, si vous montrez quelque velléité de renouveler vos demandes d’argent pour le paiement de vos dépenses pendant la guerre, ou bien pour obtenir de nous un territoire quelconque alors regardez notre amitié comme finie telle est la coutume des Birmans. »

En obéissance aux ordres péremptoires de la cour d’Ava, les troupes birmanes se mirent en marche sur Prome en trois divisions. La droite, sous les ordres d’un chef nomme Suddo-Woon, consistait en 15,000 hommes ; elle traversa l’Irrawaddy, se mit en mouvement sur la rive occidentale, détachant un corps sur son front dans le but d’intercepter les communications de l’armée anglaise avec ses derrières. Le centre montait à 25 ou 30,000 hommes sous les ordres du kee-woonghee en personne ; il se mit en mouvement sur la rive orientale ou gauche de la rivière, accompagné par une flotte considérable de bateaux de guerre. La division de gauche, montant à 15,000 hommes environ, était commandée par Maha-Nemiow, vieux et expérimenté général, naguère arrivé d’Ava avec des ordres exprès pour diriger les opérations générales de l’armée ; elle marchait sur une route distante de la rivière d’environ vingt milles. Entre cette route et la rivière se trouvait une vaste forêt courant parallèlement à celle-ci pendant la distance de vingt milles, et tellement épaisse qu’elle ne laissait aucune communication possible entre la gauche et le centre. Outre ces trois corps d’armée, il y avait une réserve d’une dizaine de mille hommes, commandée par un frère de l’empereur, appelé le prince Memeaboo ; ce corps occupait un poste fortifié à Melloone. Un autre corps d’armée se tenait prêt à s’opposer à toute démonstration qui serait faite dans la direction d’Arracan, D’un autre côté la guerre continuait dans le Pegu, à la vérité d’une façon peu dangereuse.

L’armée anglaise assemblée à Prome consistait en huit régiments anglais dont l’effectif était fort réduit, six bataillons de l’infanterie indigène de Madras, un détachement de dragons et un train assez considérable d’artillerie à pied et à cheval ; tout cela, la garnison déduite, donnait pour tenir la campagne un corps d’armée de 5,000 hommes, dont 3,000 Anglais. Trois bataillons d’infanterie indigène et un régiment européen de la Compagnie étaient opposés à Sykie-woonghee dans le Pegu ; ils avaient l’ordre de sir Archibald Campbell d’exécuter, dans le cas où la chose deviendrait possible, un mouvement sur Tonghoo. Un régiment anglais et un détachement considérable d’infanterie indigène occupaient Rangoon.

Le 10 novembre, l’avant-garde du corps d’armée de Maha-Nemiow prit position à Watty-Goon, distant de Prome de seize milles ; il menaçait de tourner par la droite la position des Anglais, et d’aller prendre position en arrière. Le succès de cette manœuvre eût rendu la situation des Anglais extrêmement embarrassante ; leurs communications une fois coupées avec leurs derrières, tout mouvement offensif devenait extrêmement périlleux. Sir Archibald se décida à tout tenter pour prévenir le succès de cette manœuvre ; deux brigades d’infanterie indigène, sous les ordres du colonel M’Dowall, de l’armée de Madras, reçurent l’ordre de déloger l’ennemi de Watty-Goon ; une brigade se dirigea vers cet endroit par une route centrale, l’autre marcha par des routes détournées ; celle-ci devant d’ailleurs arriver sur le théâtre de l’action en même temps que la première, puis attaquer en flanc et en queue l’ennemi déjà menacé de face. Mais les Birmans eurent connaissance de ce mouvement ; au lieu d’attendre les Anglais, ils marchèrent à leur rencontre et commencèrent à moitié chemin un feu de tirailleurs fort animé. Le pays, difficile et entrecoupé, se prêtait à ce genre de guerre ; çà et là, toutes les fois que les chemins débouchaient des jungles dans la plaine, apparaissaient de nombreux corps de cavalerie cassay. L’arrivée simultanée des troupes manqua complétement. La colonne qui avait marché par la grande route, chassant l’ennemi devant elle, arriva jusqu’à Watty-Goon qu’elle trouva palissadée ; le colonel M’Dowall fut tué en exécutant une reconnaissance de la place. Les autres troupes anglaises qui devaient arriver ne se montrant point, et l’ennemi paraissant trop nombreux pour être délogé avec les seules troupes arrivées, la retraite fut ordonnée, puis exécutée avec calme et régularité ; toutefois la perte des Anglais fut considérable. Les Birmans ne les perdirent point de vue, et les accompagnèrent d’un feu continuel et meurtrier. Enhardi par ce succès, Maha-Nemiow changea sa ligne d’opérations et marcha directement sur Prome. Le succès ne lui fit point au reste abandonner la tactique prudente des Birmans : il continua de se mouvoir fort lentement, et d’élever des palissades de mille en mille ; les autres corps de l’armée exécutèrent des mouvements correspondants à celui-là.

Du haut des remparts de Prome les Anglais assistaient à un grand spectacle. Ils voyaient le corps d’armée ennemi du centre fortifier les hauteurs de Napadee, au-dessus de la rivière, à environ cinq milles de distance ; le corps de Sudda-Woon exécuta la même manœuvre sur la rive opposée ; enfin un fort détachement se porta fort rapidement sur Padoung-Mow ; c’était la ville située sur la rive occidentale de l’Irrawaddy, à environ dix milles au-dessous de Prome en ce moment occupée par un corps anglais ; mais grâce à celui-ci la tentative échoua ; et dès lors les Birmans ne s’occupèrent plus qu’à ajouter à la force de leurs lignes ; ils y travaillaient sans relâche jour et nuit, mais surtout la nuit. Il n’était pas de jour où les sentinelles de la garnison ne découvrissent, au lever du soleil, quelque nouvel avant-poste un peu au-delà de ceux qui la veille au soir se trouvaient encore les plus avancés. Le vétéran qui commandait l’armée birmane renchérissait en effet sur la tactique propre à sa nation. Il ne voulait pas risquer sa réputation, et peut-être sa tête, dans quelque brusque attaque dont le succès lui eût paru douteux. D’ailleurs les astrologues avaient prédit une prochaine éclipse de lune, et fixé ce jour-là même comme devant être éminemment favorable aux armes des Birmans.

Sir Archibald désirait vivement une action générale. Dans le but d’encourager l’ennemi à en courir la chance, il tenait ses propres troupes soigneusement renfermées dans l’intérieur de son camp, les occupait à construire des batteries, à élever des retranchements, feignant de se croire au moment d’avoir à repousser une vive attaque de la part de l’ennemi, et d’en être tout effrayé. Sir Archibald fit plus encore : il replia ses avant-postes, fit répandre le bruit de son départ parmi les habitants de la campagne, en simula les préparatifs. Toutes ces ruses de guerre échouèrent devant l’impassibilité du général birman. Il semblait même n’en tenir que plus obstinément à son système de retranchement et de palissades, ne songeant à autre chose qu’à remuer ou creuser de la terre. Le corps d’armée de Maha-Nemiow, demeuré stationnaire à une journée de Prome, employait son temps de la même façon ; il s’occupait de renforcer, de fortifier une position fort bien choisie et qui s’appuyait à la fois à la rivière Nawine, et aux deux villages de Sembikee et de Kaylay. Maha-Nemiow savait tout à la fois se garder exactement et s’entourer d’un grand secret. Les Anglais ne pouvaient se procurer le moindre renseignement sur l’effectif de ses forces, la nature et l’étendue des ouvrages qu’il occupait, encore moins sur ses intentions ultérieures. 8,000 Shaans faisaient partie de ce corps d’armée. Là se trouvaient encore les trois magiciennes dont nous avons déjà parlé, et dont les enchantements devaient charmer les balles anglaises. Elles étaient toutes trois belles, jeunes, de grande naissance. D’après les usages des Shaans, les femmes des chefs jouissent à l’armée d’une autorité égale à celle de leurs maris ; aussi voyait-on ces trois guerrières parcourir sans cesse les rangs des soldats, exciter leur courage, leur inspirer le désir d’en venir promptement à une bataille décisive. Pleins de confiance en la puissance de ces femmes, méprisant déjà les Anglais par les récits mensongers des Birmans, il n’était aucun de ces Sbaans qui ne fût plein d’impatience de les rencontrer sur le champ de bataille.

Pendant l’immobilité du corps d’armée birman, de nombreux détachements pillaient les bords de la rivière, enlevaient les convois anglais. La saison propre aux expéditions de la guerre est fort courte ; ces considérations décidèrent sir Archibald à sortir d’inaction. Dans la journée du 30 novembre, il fit toutes ses dispositions pour prendre l’offensive dès le lendemain. Le 1er décembre, l’armée se mit donc en mouvement. Il s’agissait d’attaquer d’abord la gauche, puis le centre, puis la droite de l’ennemi, de manière à le combattre en détail. Deux fausses attaques devaient être faites pour favoriser l’exécution de ce plan : l’une sur les postes ennemis garnissant la rivière, par le commodore James Brisbane à la tête de la flottille ; l’autre sur le centre, de manière à attirer de ce côté toute l’attention de l’ennemi. Quatre régiments d’infanterie indigène étant laissés à la garde du camp, le reste de l’armée fut formé sur deux colonnes : l’une, sous les ordres du brigadier-général Cotton, marcha sur la route directe de Sembikee ; l’autre, sous les ordres de sir Archibald, traversa la rivière de Nawine, manœuvrant sur la rive droite de cette rivière, de manière à attaquer ce corps d’armée en queue et à couper sa retraite sur celui du kee-woonghee. Les colonnes étaient à peine en mouvement, qu’une furieuse canonnade annonça le commencement des opérations sur la rivière ; elle trompa si complétement le chef birman qu’il dégarnit le village de Sembikee pour renforcer le point qu’il croyait réellement attaqué. La colonne du brigadier-général Cotton atteignit la première la position de l’ennemi : elle consistait en une succession de palissades érigées dans un espace ouvert dans le centre du jungle où les villages de Sembikee et de Kyalay avaient existé ; ayant la rivière Nawine en arrière, des bois épais sur ses flancs, abordable seulement par son front, mais sur un étroit espace, défendue de plus par les feux croisés des palissades. Le brigadier-général ayant fait promptement ses dispositions, attaqua avec une grande vigueur. Au centre de la colonne était le 41e régiment d’infanterie du roi, et sur les flancs, le 89e régiment du roi et le 18e de l’infanterie indigène de Madras. Les troupes anglaises firent éclater leur intrépidité ordinaire. Les Shaans firent une longue et courageuse résistance. Incapable de marcher, le vieux général se faisait porter dans une litière dorée sur les points les plus menacés. De leur côté, les trois magiciennes ne quittaient pas les endroits les plus périlleux. On les voyait au milieu des balles et de la mitraille encourager leurs soldats en récitant à haute voix certaines formules cabalistiques.

Malgré ces courageux efforts les Anglais pénétrèrent dans la palissade ; les Shaans et les Birmans essayèrent de se former sur les remparts, mais n’ayant plus aucun abri contre un feu meurtrier, leur ligne fut aussitôt brisée. Morts et mourants s’entassèrent en peu d’instants auprès des portes, dont ils obstruèrent le passage ; les uns s’efforcèrent alors de faire une brèche par l’intérieur de leurs défenses, de manière à pouvoir gagner la campagne ; d’autres couraient ça et là pour échapper à un feu qui devenait plus terrible de moment en moment ; quelques uns devenus furieux se précipitaient sur l’ennemi afin de recevoir une mort glorieuse, mais inutile. Les chefs des Shaans, se faisant remarquer entre tous maintinrent long-temps une lutte inégale ; le sabre et le poignard à la main, ils attaquaient sans hésiter des ennemis dix fois, vingt fois plus nombreux. Aucune promesse de protection, aucune offre de clémence, ne purent leur persuader de cesser le combat. N’ayant plus l’espoir de vaincre, ils cherchaient évidemment la mort, que le plus grand nombre trouva. Maha-Nemiow fut tué au milieu d’un groupe qu’il exhortait à ne pas lâcher pied ; ses plus braves soldats tombèrent à ses côtés ; on le retrouva le lendemain sous un monceau de cadavres, couvert de sang, défiguré par de nombreuses blessures ; il n’était reconnaissable qu’à sa chaîne d’or, indice de son rang. L’une des magiciennes reçut dans la mêlée une balle dans le sein, et tomba dans les mains de quelques Anglais. L’ayant reconnue, ils s’empressèrent de la transporter en arrière, à quelque distance du champ de bataille pour la faire panser ; ces soins furent inutiles, elle rendit peu après le dernier soupir. Revêtue d’une tunique de velours, la tête couverte d’une espèce de casque, elle paraissait, dit-on, d’une admirable beauté. On vit de vieux soldats pleurer la mort prématurée qu’ils avaient donnée à cette belle et jeune créature.

Cependant, pendant que cela se passait dans l’intérieur de la palissade, la colonne de sir Archibald Campbell gagnait promptement les derrières de la position. Elle rencontra les fuyards, frappés de terreur et s’efforçant de traverser la rivière Nawine ; l’artillerie à cheval fut aussitôt mise en batterie, et ouvrit un feu très vif sur le gué où se pressait la foule. Là encore se trouvait une des trois magiciennes, montée sur un cheval noir, qui la rendait facile à reconnaître ; on la voyait s’efforcer de rétablir quelque ordre parmi les siens. Mais au milieu du gué, sur le point d’atteindre la rive opposée, elle fut renversée par un éclat d’obus qui l’atteignit à la tête ; les Anglais l’aperçurent chanceler et tomber. À cette vue, les soldats qui l’entouraient oubliant leur propre danger, se hâtèrent de l’enlever ; ils l’emportèrent du champ de bataille, ou morte ou seulement blessée. L’aile gauche des Birmans, dès ce moment complétement défaite, ne chercha même plus à se rallier à la droite. Menacés dans leur retraite par le mouvement de l’infanterie anglaise, ils se dispersèrent promptement et se cachèrent dans les jungles voisins, qui les mirent à l’abri de la poursuite des Anglais ; le soir, ils désertèrent par troupes, cherchant à s’éloigner le plus possible du théâtre de la guerre, fuyant surtout leurs chefs, dans la crainte d’être contraints par eux à rejoindre l’armée. Les Shaans demeurèrent seuls sous les armes ; mais trop inférieurs en force pour renouveler le combat, ils se virent obligés d’opérer leur retraite à travers des marais infects et d’insalubres forêts. Un grand nombre de ceux épargnés par le fer et le feu de l’ennemi succombèrent par la faim, la fatigue et la maladie.

Deux heures de repos furent accordées aux troupes ; sir Archibald Campbell et ses lieutenants employèrent ce temps à tout préparer pour leur mouvement rétrograde. Ce délai expiré, le corps d’armée se remit effectivement en marche, se dirigeant sur le point où la première division avait passé la rivière dans la matinée. Un sentier conduisait de ce lieu à celui occupé par le centre de l’armée ennemie ; sir Archibald était résolu de l’attaquer dès le lendemain au lever du soleil. Il espérait que la nouvelle de l’entière défaite de l’aile gauche n’aurait pas encore été reçue par le kee-woonghee. Le jour était fini depuis long-temps lorsque les troupes atteignirent le lieu ou elles devaient attendre le jour. Pendant la nuit, les événements de la journée furent communiqués à la garnison de Prome et à sir James Brisbane, le commodore. Il était enjoint à ce dernier de se tenir prêt à se mettre en mouvement avec la flottille, aussitôt qu’il verrait les troupes déboucher du jungle en face de Napadee, dans le but de coopérer à une attaque sur la position de l’ennemi.

Le 2 décembre, l’armée se mit en mouvement avant le lever du soleil. La première division, sous les ordres de sir Archibald Campbell, suivait un étroit sentier, menant de la rivière à travers la forêt à la position de l’ennemi. Le brigadier-général Cotton, à la tête de la division de Madras, avait pour instruction de se frayer un passage à travers la forêt, puis parvenu en face de la ligne ennemie, de l’attaquer sur-le-champ. Ce devait être le signal d’une attaque générale sur le front. Après deux heures d’une marche pénible, sir Archibald atteignit la rivière et se mit en communication avec la flottille ; il se trouvait en face des hauteurs palissadées de Napadee dont les collines, à partir des bords de l’Irrawaddy, allaient en s’élevant graduellement ; le second rang commandait le premier, et le troisième le second ; le pied de ce premier rang, d’un côté, était baigné par la rivière, et de l’autre, touchait à une épaisse forêt. La seule route qui y conduisait suivait les sinuosités de la rivière jusqu’au moment où elle aboutissait au pied de la colline ; celui qui le suivait se trouvait pendant ce temps exposé au feu de l’artillerie et de la mousqueterie du sommet des collines. Mais ce n’est pas tout : le long du chemin boisé aboutissant au pied de la première rangée des collines, de nombreuses palissades avaient été élevées de distance en distance, pendant l’espace d’environ un mille ; or, toutes ces palissades devaient être enlevées avant qu’il fût possible d’exécuter l’attaque principale. Elles le furent rapidement. Six compagnies du 87e, cheminant à travers le jungle, atteignirent vivement ces ouvrages par leur gorge ; l’ennemi surpris les évacua ; tous ses avant-postes se replièrent rapidement sur le centre, et le chemin se trouva de la sorte absolument libre jusqu’au pied d’une colline défendue par deux redoutes. La flottille se portant en avant, commença une vive canonnade sur les deux côtés de la rivière ; les troupes firent halte jusqu’à ce qu’elles entendissent le feu de la division de Madras sur leur droite. Mais les efforts de celle-ci pour pénétrer à travers la forêt jusqu’à la position de l’ennemi avaient été inutiles ; sir Archibald se décida à n’exécuter que la seule attaque de front ; toutefois il envoya un détachement sous les ordres du colonel Erlington tenter d’opérer une diversion sur la droite. D’après ses ordres, trois régiments s’avancent en même temps, lentement, délibérément à l’attaque du front. Malgré de nombreuses décharges de l’ennemi, auxquelles ils ne ripostent pas un seul coup, ils parviennent au pied de la colline et s’emparent des deux redoutes qui la défendent. La mitraille et la mousqueterie pleuvent du haut des collines ; ils les gravissent cependant, abordent leurs défenseurs à la baïonnette, les poursuivent vivement de colline en colline ; en une heure, toute la position, qui n’avait pas moins de trois milles d’étendue, fut en la possession des Anglais. Pendant cette attaque, la flottille dépassant rapidement les ouvrages des Birmans, c’est-à-dire remontant la rivière au-delà, réussit à s’emparer de leurs bateaux et magasins. Les Birmans perdirent quarante à cinquante pièces d’artillerie, tout le matériel de l’armée ; leur perte en tués et en blessés fut considérable ; de plus la désertion leur enleva un tiers de leur monde. Après cette défaite du centre, la droite des Birmans, commandée par Sudda-Woon, demeurait seule, encore unie et sous les armes. En revanche, elle se tint soigneusement renfermée dans ses palissades.

Le 5 au matin, le brigadier-général Cotton s’embarqua avec une partie de la brigade sur la flottille ; il traversa la rivière, et prit terre à quelque distance des palissades et en dessus d’elles. Il commença son attaque de flanc et en queue, tandis que la flottille canonnait de front ces mêmes ouvrages. L’ennemi, qui, en raison de ses récentes défaites, avait perdu toute confiance, toute force morale, après une faible résistance évacua ses ouvrages sur la rivière ; il se retira dans une seconde ligne de palissades situées dans le jungle en arrière de la première. Le repos qu’il y trouva ne fut pas de longue durée. Poursuivant leurs premiers succès, ignorant l’existence de cette seconde ligne fortifiée, les Anglais arrivèrent sur la multitude en désordre qui cherchait à s’y mettre à l’abri, et ce dernier retranchement devint la conquête fort facile des assaillants. Quelques centaines de Birmans succombèrent, tout en faisant des efforts désespérés pour échapper. La nature du pays, tout couvert de jungles, de broussailles et de forêts, empêcha seul la destruction complète de ce dernier corps d’armée, qui d’ailleurs se dispersa immédiatement.

La route étant maintenant ouverte jusqu’à la capitale de l’empire, sir Archibald se décida à s’y porter au moyen des dispositions suivantes. À la tête de la première division, il prit position dans la plaine de Natalain, à huit milles environ en avant de Prome. Le général Cotton s’établit avec la seconde division sur une route parallèle à la rivière, et aboutissant à Meaday, tout eh marchant sur cette route pour se maintenir en communication journalière avec sir James Brisbane et la flottille. La première division devait avoir trois jours d’avance, afin de pouvoir faire une démonstration sur le flanc de fortes positions qu’on savait occupées par l’ennemi, entre Neounbeinzeick et Meaday ; les débris des diverses armées successivement vaincues s’y étaient rassemblés. La route de la première division passait par Watty-Goon et Scindoup ; elle faisait un circuit considérable à l’est, tournait toute la défense de l’ennemi sur la rivière jusqu’à la hauteur de Meaday. Le corps d’armée tout entier devait se concentrer en face de cette dernière place. Dans le Pegu, le colonel Pepper, de l’armée de Madras, qui commandait le corps d’armée en campagne, devait s’avancer jusqu’à Tonghoo et s’emparer de cette ville, puis de là menacer la capitale de ce côté. Enfin le général Morisson après avoir soumis la province d’Arracan, avait ordre de se mettre en mesure de coopérer avec les troupes qui manœuvraient sur l’Irrawaddy ; en d’autres termes, de descendre dans la province d’Ava, à travers les passes de montagnes qui la bornent de ce côté. Alors, suivant que les circonstances l’exigeraient, il devait opérer sa jonction avec sir Archibald Campbell, ou bien marcher directement sur la capitale par la rive gauche de l’Irrawaddy. L’ennemi employa de son côté le temps qui lui restait à tirer le meilleur parti de ses dernières ressources. Les palissades de Meaday étaient aussi redoutables qu’aucune de celles que les Anglais eussent encore rencontrées. C’était là que l’ennemi comptait se réfugier en cas de revers. Le corps de réserve, sous les ordres du prince Memiaboo, montait à 15,000 hommes ; il se trouvait à Melloone, place qui passait pour le chef-d’œuvre de la fortification birmane. Une rapide et profonde rivière l’entourait par le côté par où les Anglais devaient en approcher. La distance de Prome à Ava peut être évaluée à trois cents milles environ. L’état, le nombre des routes, la nature du pays, étaient en général plus favorables aux opérations militaires que ne l’avaient été les provinces inférieures, jusque là le théâtre de la guerre. Les approvisionnements étaient déjà faits pour deux mois de vivres ; à l’exception du bœuf qu’on savait d’ailleurs fort abondant dans le pays. Les officiers de l’armée, qui au début de la campagne allaient à pied, avaient trouvé le moyen de se monter avec de petits chevaux du Pegu. Le luxe habituel aux armées européennes dans l’Inde était encore banni de celle-ci ; mais du moins quelque comfort (c’est le cas d’employer une expression anglaise) commençait à s’y introduire.

Le 9 décembre, la première division, accompagnée par le quartier-général, se mit en marche ; elle avança cinq milles dans la direction de Wattigoon. La nature du pays, couvert de bois et de clôtures diverses, rendit difficile de trouver un espace découvert assez considérable pour le campement des troupes. Sur toute la route, on n’avait aperçu ni hommes, ni animaux, ni maisons. Les palissades de Waltipoor précédemment attaquées, et où l’armée arriva le 1er, venaient d’être abandonnées par l’ennemi. Leur emplacement avait été choisi avec le talent habituel aux Birmans : un jungle épais en défendait les flancs, en avant se trouvait un profond marais ; elle n’était accessible que par derrière. Çà et là le terrain était jonché des ossements blanchis des Cipayes tués dans l’attaque infructueuse tentée peu auparavant sur ce point. Dans la nuit du 11 au 12, il tomba une pluie terrible ; la route devint impraticable à l’artillerie et aux équipages de l’armée. La tête du corps d’armée avait déjà atteint le lieu du campement pour la soirée, avant que l’arrière-garde et les bagages eussent quitté le campement de la nuit précédente. Quantité de biscuit et de riz furent endommagés. Les soldats firent cette marche à travers un jungle de quinze ou vingt pieds de haut ; pendant que la pluie ne cessait de tomber par torrents. Pour comble de contrariété, aucun terrain ouvert ne se présentait dans ce jungle qui fût assez étendu pour permettre d’y planter le camp ; le lit desséché d’une rivière fut le seul endroit où l’on put piquer les tentes. La quantité de pluie qui tomba pendant un de ces orages surpassa tout ce que l’on avait vu, tout ce que l’on peut imaginer en ce genre. Le choléra, éclatant alors parmi les troupes avec une grande violence, fit de nombreuses victimes ; en peu d’heures, deux régiments européens se trouvèrent hors de service. Trois jours se passèrent dans ce jungle au milieu de toutes ces misères. Le 17, sir Archibald Campbell atteignit Taobob, à sept milles de Meaday, que l’on supposait évacué par les Birmans ; là, la première division se mit en communication avec la flottille, de plus elle fut rejointe par la seconde division, commandée par le général Cotton. Cette division avait aussi beaucoup souffert du choléra. De Taobob une reconnaissance fut poussée sur Meaday. Il s’agissait de s’assurer si la forteresse se trouvait ou non occupée par l’ennemi. Au moment où ce régiment y arriva l’arrière-garde de l’ennemi évacuait la dernière palissade ; il le suivit quelque temps et lui fit quelques prisonniers. La vue de l’intérieur de la forteresse montrait que les ravages du choléra avaient été plus considérables encore parmi les Birmans que dans les rangs anglais : on ne voyait à chaque pas que des fosses récemment creusées ; les huttes étaient remplies de morts et de mourants entassés pêle-mêle ; quelques uns, à l’arrivée des Anglais, rendirent le dernier soupir ; à côté d’eux se trouvaient des cadavres en pourriture depuis plusieurs jours. Des vautours affamés, dont les cris sinistres ajoutaient à l’horreur de la scène, couvraient les rives du fleuve et les jungles voisins. Çà et là, quelques chiens fidèles demeuraient, tristes et pensifs, auprès de la tombe récemment fermée sur leurs maîtres ; d’autres, privés de la main qui les nourrissait, disputaient aux vautours les cadavres dont la chair corrompue devait leur devenir mortelle. Comme si toutes ces horreurs ne suffisaient pas, plusieurs gibets étaient élevés dans l’intérieur des retranchements : chacun portait les membres et les débris de plusieurs soldats exécutés récemment ; les uns pour avoir quitté un moment leur poste afin d’essayer de satisfaire à la faim qui les dévorait ; les autres pour avoir imité l’exemple de leurs chefs et fui devant l’ennemi. Pressée de s’éloigner de ce champ de mort et de ce spectacle terrible, l’armée continua sa marche ; mais pendant quinze milles le long de la rivière, puis tout le long de la route que l’ennemi avait suivie dans sa retraite, le même spectacle devait se représenter. Sur la plupart des endroits de campement, on ne pouvait piquer les tentes avant d’avoir d’abord dégagé le terrain des cadavres qui, à demi putréfiés, gisaient çà et là.

Le 21, le corps d’armée se mit en mouvement vers Melloone, où l’armée birmane se concentrait. La route, à mesure qu’on avançait, devenait de plus en plus mauvaise ; elle exigeait des efforts constants des pionniers pour mettre l’armée à même de parcourir une distance de sept à huit milles par jour. L’armée cheminait à travers une contrée tout-à-fait dépeuplée ; des ruines de villages, récemment détruits et brûlés, se montraient de temps à autre ; mais aucun animal domestique où sauvage. À peine çà et là quelques traînards de l’armée birmane, forcés de s’arrêter pour rendre le dernier soupir. La vie elle-même semblait pour ainsi dire bannie des vastes solitudes que traversait l’armée. La petite troupe des Anglais, leur chétif campement, semblaient comme perdus au sein de cette immensité ; c’était pourtant cette poignée d’hommes qui se proposait de conquérir tout un vaste empire. La faiblesse des moyens faisait singulièrement ressortir la hardiesse de l’entreprise. L’ennemi les surpassait en nombre dans la proportion de dix à un ; trois cents milles les séparaient encore de la capitale ; toute communication en raison de la distance ; était déjà interrompue entre les vaisseaux et les dépôts déjà formés ; enfin toutes les ressources avaient été employées à fortifier Melloone, par laquelle il leur fallait passer de toute nécessité. En attendant l’arrivée devant cette place, autour des Anglais tout était solitude et silence ; la flotte birmane qui remontait la rivière était le seul objet qui se fît voir, son canon le seul bruit qui se fît entendre. On atteignit ainsi Longhee, petite ville située sur les bords de l’Irrawaddy, dans une situation qui parut charmante ; puis, le lendemain, après une marche de dix milles, on vit arriver tout-à-coup un parlementaire ; il apportait la nouvelle de l’arrivée à Melloone d’un commissaire muni de pleins pouvoirs pour traiter de la paix. Le général anglais répondit en exprimant son désir d’en venir à un arrangement. Le jour suivant, la division, continuant sa marche, vint camper sur les bancs de l’Irrawaddy, à environ quatre milles au-dessous de Melloone, où la flottille rejoignit. De ce lieu on discernait parfaitement le camp retranché de l’ennemi. L’armée anglaise se trouvait alors à cent quarante milles de Prome. Les bords de l’Irrawaddy, d’ordinaire fort peuplés, continuaient à demeurer déserts. Toutes les ressources du pays avaient été soigneusement détruites par les Birmans. L’armée n’aurait pu s’y nourrir un seul jour.

Un armistice de quelques heures ayant été conclu, deux officiers anglais se rendirent à Melloone. Ils avaient mission de convenir d’une conférence entre le général et les nouveaux négociateurs. Mais les chefs birmans laissèrent voir tout d’abord l’intention de traîner les choses en longueur ; selon eux, il fallait avant tout que le jour fixé pour la conférence fut au nombre de ceux favorables. Or, cela ne pouvait être avant la pleine lune, qui se trouvait encore passablement éloignée. Voyant l’impossibilité de s’entendre, les envoyés anglais se hâtèrent de quitter Melloone, et à leur départ l’armistice cessa. Le lendemain 29, la division se mettant effectivement en mouvement, vint camper à Patanagoh, ville située sur le rivage opposé à Melloone. À cet endroit, l’Irrawaddy était de 600 verges de largeur ; les fortifications de Melloone, situé sur une colline en face, se laissaient voir dans toute leur étendue ; on en discernait jusqu’aux moindres détails. Elles consistaient en un certain nombre de palissades qui bordaient la rivière sur une étendue d’environ deux milles. La plus considérable, de forme rectangulaire, n’avait pas moins d’un mille carré ; une nombreuse artillerie en défendait les remparts, surtout par le côté qui regardait la rivière. Une belle pagode, nouvellement dorée, s’élevait du milieu de Melloone, toute resplendissante aux rayons du soleil. C’était un hommage de l’empereur à la mémoire de Maha-Bandoolach, en reconnaissance des services de ce chef distingué. Elle était fort admirée, fort enviée même, dit-on, des officiers Birmans ; un grand nombre se montraient disposés à la payer au besoin du même prix que Bandoolach. Comme d’ordinaire, les Birmans travaillaient encore à ajouter aux défenses de la place toute forte qu’elle fût déjà ; toutefois, ils cessèrent le travail à l’apparition des Anglais. Groupés sur le rivage, montés sur les rempart, on les vit suivre des yeux les mouvements de ces derniers. Bientôt le gong, le tamtam, d’autres instruments de guerre firent entendre, dans l’intérieur des fortifications, leurs sons éclatants. Des troupes de marins, à ce signal, se précipitèrent vers le rivage portant leurs courtes rames sur leurs épaules. De nombreux bateaux de guerre formant une flottille à l’ancre au pied des fortifications furent montés en un instant ; ils levèrent l’ancre pour remonter la rivière. Mais l’artillerie anglaise commença aussitôt un feu qui arrêta ce mouvement ; les bateaux rejoignirent promptement leur première station. La flottille anglaise se présenta devant les ouvrages de Melloone, mais pas un seul coup ne fut tiré ; c’était une marque non équivoque du désir de l’ennemi de prévenir le renouvellement des hostilités. Effectivement, un nouvel armistice fut conclu dans l’après-midi, et dans le courant de la journée des arrangements furent pris pour l’ouverture des négociations le jour suivant.

Le lendemain un large bateau vint jeter l’ancre au milieu de la rivière ; c’est là que les négociateurs durent se rencontrer. À deux heures, ils quittèrent les rivages opposés, les Birmans dans un bateau de guerre, les Anglais dans un canot de vaisseau de ligne ; les commissaires des deux parties abordèrent en même temps, de côté opposé, le lieu de la conférence. Le khe-woonghee, plusieurs des chefs birmans ayant déjà paru à Neoungbenzeick et quelques autres accompagnèrent l’envoyé royal Kolein-Menghie. Toute la contenance de ce dernier personnage exprimait l’habitude de la ruse et de la dissimulation. Au premier abord il semblait un homme de soixante-dix ans ; pourtant la vivacité de ses yeux et de ses gestes forçait à rabattre de ce calcul : il n’en comptait guère, en effet, que cinquante à cinquante-cinq. Un costume de velours, couvert de broderies, dissimulait mal, en dépit de sa richesse, les manières et la contenance vulgaire de celui qui le portait. Le kee-woonghee, l’ancien négociateur de Neoungbenzeick, triste et soucieux, gardait le silence ; sans doute il comparait, à part lui, l’état ou se trouvaient alors les affaires, à celui du moment actuel. Arrivé dans le bateau, Kolein-Menghie fut quelques instants sans pouvoir articuler un mot, tant il avait la bouche pleine de bétel ; à la fin la conférence commença. Les différents articles d’un arrangement proposé par les commissaires anglais furent tour-à-tour examinés et discutés par les chefs birmans. La demande d’un crore de roupies (un million de livres sterling) fut celle qui les révolta davantage. Kolein-Menghie dit : « La dépense de la guerre ne peut pas être tout entière d’un seul côté ; nous aussi nous ayons dépensé des sommes immenses ; en ce moment notre trésor est desséché, épuisé. Il est évident que nos dépenses ont de beaucoup excédé les vôtres. Nous avons eu à lever et à équiper quatre ou cinq armées différentes, l’une après l’autre ; de plus, depuis votre arrivée, nous avons constamment eu à nourrir, aux dépens du roi, une multitude dont les moyens de subsistance se trouvaient avoir été supprimés ; tandis que vous, en raison de votre discipline et de votre bonne administration, vous n’avez jamais eu à nourrir et à payer qu’un fort petit nombre d’hommes. » On lui répondit qu’un soldat anglais coûtait au roi d’Angleterre 200 livres sterling avant qu’il eût atteint le lieu où l’on était ; on lui dit aussi que chacun des nombreux vaisseaux qui se rendaient journellement à Rangoon coûtait 8 à 10,000 roupies par mois. Il répondit : « J’ai été moi-même marchand, et engagé dans un commerce très étendu ; jamais un de mes vaisseaux ne m’a coûté une somme approchant de celle que vous venez de dire. Quoi qu’il en soit, il est cruel à vous de vouloir tirer de nous une somme que nous ne pouvons payer. Nos forêts contiennent de beaux arbres, libre à vous de les couper. En agissant avec beaucoup d’économie, il nous sera peut-être possible de vous donner dans le courant d’une année un million de mesures de riz. Mais des roupies, nous n’en avons pas, et nous ne possédons aucun moyen de nous en procurer. »

Le commissaire anglais demandant la cession d’Arracan et la restitution de Cassay à son légitime possesseur Gumbheer-Singh. Kolein-Menghie répondit : « Nous répugnons à céder Arracan, non à cause de sa valeur, mais parce que l’honneur national est en quelque sorte intéressé à ce que nous le conservions. Le peuple est, fier et orgueilleux de cette conquête. Il considérerait cette cession comme une injure faite à ceux de ses ancêtres qui l’ont glorieusement conquise. Cette province nous appartient depuis bien des années. Les princes qui tour à tour l’ont possédée ont toujours vécu avec éclat et splendeur dans notre capitale ; c’est à peine si les revenus suffisent aux dépenses. Toutefois, nous y tenons, et nous préférons vous donner quelque autre chose en place. Quant à Cassay, c’est un véritable désert, qui ne nous sert pas à grand’chose. Le roi y a envoyé des troupes à la requête du rajah, qui demandait sa protection, en qualité de vassal, contre une faction qui voulait le renverser. Nos troupes ont chassé de Munnipoor les chefs des rebelles ; le rajah vit maintenant à Ava ; c’est lui, non Gumbheer-Singh, le légitime possesseur de Cassay. Il préfère vivre à notre cour ; mais, si vous voulez donner l’indépendance à ce pays, c’est lui qu’il faudra en nommer le roi. »

Trois autres conférences eurent encore lieu ; chacun des articles de l’arrangement en question donna lieu à d’interminables discussions. Les négociateurs birmans firent souvent preuve de finesse et d’habileté ; ils savaient descendre, en outre, quand l’occasion l’exigeait, jusqu’aux prières les plus humbles. Arrivés au point de ne plus obtenir de concessions, ils signèrent enfin le traité, et quinze jours leur furent accordés, soit pour obtenir la ratification de l’empereur, soit pour l’accomplissement des préliminaires convenus ; c’est-à-dire pour la reddition des prisonniers et le paiement du premier terme de la somme stipulée. Des relations amicales s’établirent aussitôt entre les deux camps ; et chefs et soldats des deux nations se mêlèrent familièrement. Toutefois, les Anglais ne tardèrent pas à concevoir quelques soupçons sur la bonne foi de leurs nouveaux alliés. Ceux-ci, malgré la cessation des hostilités, ne cessaient de travailler à leurs fortifications, non seulement toute la journée, mais aussi pendant la nuit. Cette conduite fut l’objet de nombreuses observations adressées par les généraux anglais aux chefs ennemis ; mais ceux-ci savaient se défendre avec leur dextérité ordinaire ; tantôt ce motif, tantôt celui-là, toujours impossible à vérifier, les contraignait à ce travail. D’ailleurs, jamais un jour ne se passait sans que le camp anglais ne reçût la visite de quelque chef ennemi de haut rang ; jamais non plus celui-ci ne manquait de prendre pour texte de la conversation le bonheur de voir incessamment la paix rétablie entre deux grandes nations qui s’étaient fait une guerre si acharnée. À les entendre, le traité ratifié et l’arrivée des prisonniers devaient immanquablement précéder l’expiration du terme fixé au 18 du mois. La veille de ce jour, les choses commencèrent toutefois à changer quelque peu de face. Une députation, composée de trois grands fonctionnaires birmans, se rendit chez le général anglais. Après des circonlocutions sans nombre, ceux-ci donnèrent à entendre, à travers le langage le plus ambigu, que quelque accident, quelque circonstance dont ils ignoraient entièrement la nature, avait retardé l’arrivée du traité ratifié ainsi que des prisonniers. Ils déclarèrent en même temps que depuis l’envoi du traité aucune nouvelle ne leur était parvenue de la cour d’Ava. Cette dernière allégation était d’une fausseté manifeste ; Melloone n’avait jamais cessé d’être en communication avec Ava ; les postes anglais, placés sur les bords de la rivière, voyaient chaque jour grand nombre de bateaux allant de l’une à l’autre de ces deux villes. Aussi le général anglais se tint-il dès lors comme assuré de la mauvaise foi des négociateurs birmans. Ces derniers, malgré la ratification, offraient pourtant de solder sur-le-champ un premier terme de la somme stipulée, c’est-à-dire 4 lacs de tickals (le tickal valant un peu plus que la roupie) ; ils offraient en outre des otages comme garantie de l’exécution des autres clauses du traité. Ils demandaient en revanche la retraite de l’armée anglaise sur Prome, jusqu’à l’arrivée de la ratification. Le général anglais repoussa cette proposition. Les Birmans demandèrent alors que l’armée anglaise conservât jusqu’à cette même ratification la position qu’elle occupait alors ; proposition également rejetée. Ils se bornèrent donc à solliciter, mais sans plus de succès une prolongation de l’armistice, de cinq ou six jours. Les commissaires anglais prenant l’initiative des propositions, leur offrirent d’évacuer Melloone dans les trente-six heures, de rétrograder sur Ava à mesure que l’armée anglaise en approcherait, leur promettant de ne point recommencer les hostilités ; ils promettaient en outre que l’armée anglaise s’arrêterait sans faire un seul pas en avant, aussitôt la réception du traité ratifiée. Ce fut le tour des négociateurs birmans de rejeter tout accommodement ; ils le firent péremptoirement. Le 18, à l’expiration de l’armistice, trois officiers anglais se rendirent à Melloone. Amenés en présence du woonghee, ils donnèrent l’avis officiel que, en conséquence de la mauvaise foi et du manque de parole des négociateurs birmans dans ces dernières transactions, aucune autre concession ne serait plus faite de la part des Anglais ; enfin qu’à minuit la trêve expirait.

À l’heure indiquée, un grand mouvement régna dans le camp anglais ; les soldats travaillèrent avec une grande ardeur à élever des batteries. Les points de la fortification ennemie choisie pour l’attaque se trouvaient précisément à une portée de canon du rivage occupé par les Anglais. La grosse artillerie fut débarquée pendant la nuit ; et à dix heures du matin 28 pièces se trouvaient en batterie et prêtes à jouer. Leur feu commencé à dix heures ne tarda pas à causer de grands ravages parmi les Birmans. Protégées par cette canonnade, les troupes s’embarquèrent sur la flottille pour aller attaquer la palissade ; elles étaient divisées en quatre colonnes : la première, composée de deux régiments d’infanterie (13e et 38e royaux), avaient ordre d’attaquer l’angle sud-est de Melloone, après avoir débarqué un peu au-dessous de la place ; les trois autres colonnes, sous les ordres du général Cotton, devaient pendant ce temps débarquer au-dessus de la ville, emporter quelques nouveaux ouvrages extérieurs, puis attaquer par le côté opposé. Les choses se passèrent tout différemment. La force du courant emporta la première colonne sous le feu de la place, avant que les trois autres eussent pu atteindre le point d’attaque. Alors cette colonne, sans attendre plus long-temps la coopération des autres troupes, se forma avec un ordre, une régularité admirable, et se dirigea aussitôt vers la palissade ; elle en gagna rapidement le pied et donna l’escalade. Le gros de l’armée, demeuré sur la rive opposée, devint témoin d’une action de guerre des plus hardies, des plus téméraires. Un petit nombre, une poignée d’Anglais, mit en fuite une multitude de Birmans, c’est-à-dire 12 ou 15,000 hommes, retranchés derrière des palissades d’une grande force. Pendant ce temps, les autres brigades avaient tourné la position de l’ennemi ; elles lui coupèrent toute retraite, ce qui acheva sa déroute ; son artillerie et ses munitions tombèrent entre les mains des Anglais. Le prince Memiaboo, après avoir bravement payé de sa personne, ne consentit à se retirer qu’à la dernière extrémité. Il laissa derrière lui une cassette contenant 30 à 40,000 roupies ; on trouva en outre au même endroit le traité signé le 3, et que les commissaires s’étaient engagés à envoyer à la cour d’Ava, preuve évidente de leur mauvaise foi ainsi que de celle de leur gouvernement. Il est toutefois fort difficile de comprendre les motifs qui purent déterminer la cour d’Ava à commencer les négociations sans avoir l’intention de les terminer. Ce n’était pas elle, mais les Anglais qui profitaient du délai à la reprise des hostilités ; c’étaient bien eux qu’il mettait à même de guérir leurs malades, de s’acclimater, de s’approvisionner de vivres, etc. Kolein-Menghi, suivant toute probabilité, était donc d’abord de bonne foi dans son désir de conclure la paix ; ce désir le porta à dépasser ses pouvoirs dans le traité qu’il signa, se flattant de le faire agréer à l’empereur. Mais en apprenant la nature des exigences des Anglais, ce dernier entra en fureur et blessa d’un coup de lance le messager porteur de cette nouvelle, puis envoya à Melloone l’ordre de tenter immédiatement la fortune d’une autre bataille. Le prince Memiaboo, qui se croyait invincible dans sa position de Melloone, poussait lui-même à ce parti.

Le général anglais renvoya, par un messager, au prince Mamiaboo le traité non ratifié tel qu’il s’était trouvé chez lui ; soit qu’il voulût lui donner la preuve de la découverte de sa perfidie, ou bien lui offrir une nouvelle occasion de tenir ses engagements. Il ajoutait à ce message quelque peu de persiflage : « Le prince, disait-il, dans la hâte de son départ de Melloone, a oublié un certain document ne manquant pas d’intérêt… un traité qui peut-être lui semblerait devenu plus acceptable en ce moment par la cour d’Ava qu’il ne l’avait supposé quelques jours auparavant. » Le woonghee et Kolein-Menghi répondirent en gens d’esprit et qui entendent la plaisanterie : ils firent tous les remerciements au général anglais du papier qu’il leur envoyait ; puis ils ajoutaient : « que cette même précipitation, cause de l’oubli du traité, l’avait été aussi d’une forte somme d’argent. Or, l’empressement du général à leur renvoyer ce papier ne leur permettait pas de douter qu’il n’en mît bien davantage à leur renvoyer l’argent. » Sir Archibald ne jugea pas à propos de continuer cette guerre d’épigrammes qui menaçait de tourner plus mal pour lui que celle du champ de bataille.

Le 25, l’armée anglaise se mit de nouveau en marche. On se flattait que la prise de Melloone aurait pour résultat d’abattre à la cour d’Ava le crédit du parti qui jusque là avait voulu la guerre ; ces espérances ne tardèrent pas à se réaliser. Peu de mois avant cette époque, le docteur Price, missionnaire américain, un aide-chirurgien d’un régiment d’infanterie, nommé Sandford, avaient été faits prisonniers de guerre. À la nouvelle de la prise de Melloone, l’empereur les envoya chercher. On leur demanda s’ils consentiraient à se charger d’un message auprès de leurs compatriotes. Sur leur réponse affirmative, et sur leur promesse de revenir à Ava, l’empereur les chargea de porter au général anglais des paroles de paix. Leur mission consistait à s’assurer de l’état réel des affaires entre les Anglais et les négociateurs birmans ; enfin à rapporter la minute des conditions exigées par les Anglais. Quatre prisonniers de guerre envoyés par l’empereur au général anglais, en témoignage de ses bonnes intentions, les accompagnaient. Ces pauvres diables portaient des cheveux et des barbes que depuis leur captivité ciseaux ni rasoirs n’avaient approché. Sir Archibald remit au docteur Price un projet de traité à peu de choses près semblable à celui dont nous avons déjà parlé. À la requête des envoyés, dans l’intention de ne laisser aucun doute sur la sincérité de son désir de la paix, le général anglais s’engageait en outre à ne pas marcher au-delà de Pagahemmew pendant l’espace d’une douzaine de jours. Le lendemain, les deux envoyés se remirent en route pour Ava. Le docteur Price semblait assuré de revenir avant peu de jours avec la certitude de la paix. On apprit par lui qu’un nombre assez considérable de prisonniers de guerre se trouvait encore à Ava. Leur existence se composait d’étranges vicissitudes. À la nouvelle de quelque succès des armées birmanes, ils se voyaient insultés, maltraités, menacés de mort ; à celle de quelque défaite, ou de quelque revers, tout au contraire, choyés, caressés, considérés comme des instruments de salut.

L’armée se remit en marche pour se rapprocher de Pagabammew, le point qu’elle ne devait pas dépasser. Le 3 février, elle atteignit Pakangyeh, ce point considéré comme fort important ; c’était là, en effet, que sir Archibald comptait opérer sa jonction, avec l’armée d’Arracan, dans le cas où celle-ci eût réussi à pénétrer jusqu’à l’Irrawaddy. Mais à peine y fut-il parvenu qu’il apprit qu’il fallait renoncer à ce projet. L’état de santé des troupes, la difficulté de la marche à travers les montagnes, le rendaient impraticable. Au reste, l’absence du concours de ce corps d’armée ne présentait aucune fâcheuse conséquence. La guerre ne pouvait plus se prolonger encore long-temps. Le corps d’armée qui seul avait agi jusqu’à ce moment semblait fort à même de suffire aux premiers événements. Fidèle jusqu’au dernier moment au génie national, Memiaboo avait commencé à Pakangyeh une série de retranchements que la marche rapide des Anglais le contraignit à abandonner. Il rétrograda jusqu’à Pagahammew, où son corps d’armée fut renforcé par un autre. Une grande révolution s’opéra en outre à cette même époque dans les dispositions de la cour d’Ava. Un moment, l’empereur avait voulu bien sincèrement la paix ; c’est alors que le docteur Price fut envoyé aux Anglais ; mais au retour du docteur, ces dispositions pacifiques n’existaient déjà plus. La cour et l’empereur, revenus à leur fierté première, ne respiraient que guerre et menaces. À cette époque, un homme du nom de Tageah-Soogean, qui avait l’emploi d’attweynwoon, ne désespéra pas du salut de l’empire ; il s’offrit pour marcher sur Pagahammew à la tête de 30,000 hommes, de délivrer l’empire de ces rebelles étrangers, ainsi qu’il était d’usage de signaler les Anglais à la cour d’Ava. L’empereur accepta promptement cette offre ; il concéda le titre de naiwoon-barein, c’est-à-dire roi de l’Enfer, à Tageah-Soogean ; il ordonna de nouvelles levées d’hommes et d’argent. L’empereur s’adressa à la même époque à son puissant voisin l’empereur de la Chine ; mais sa majesté du Milieu déclina toute promesse de secours ; elle se bornait à offrir à la cour d’Ava un refuge dans ses États s’il arrivait que celle-ci se trouvât réduite à cette extrémité. Le roi de l’Enfer, s’occupait pendant tout ce temps de ses préparatifs d’entrée en campagne. Après avoir laissé 8,000 hommes dans les murs de Pagahammew, il alla prendre position à la tête du reste de son armée, auprès de la pagode de Lodagunga ; le terrain d’alentour, semé de vieilles pagodes en ruines, fournissait une foule de postes faciles à fortifier ; il rangea ses troupes en croissant, c’est-à-dire les deux ailes en avant, le centre un peu en arrière, et, ces dispositions prises, attendit l’arrivée des Anglais. Pour la première fois une armée birmane se montrait ainsi disposée à livrer bataille en rase campagne ; il semblait que la fierté de cette race belliqueuse n’eût fait que s’accroître au milieu des revers et des défaites.

Sir Archibald Campbell apprenant cette disposition, se hâta d’envoyer l’ordre au brigadier-général Cotton de le rejoindre à la tête du 41e et du 89e régiment d’infanterie. Le 9, sir Archibald se porta en avant ; mais il n’avait encore fait que fort peu de chemin lorsqu’on aperçut l’armée birmane. Celle-ci se mit aussitôt en mouvement ; elle manœuvrait pour déborder le corps d’armée anglais par les ailes. Sir Archibald, à la tête du 30e régiment d’infanterie légère, charge la gauche de l’ennemi et la disperse ; au même instant il est lui-même assailli par un corps de 600 chevaux de la cavalerie cassay ; ceux-ci lui tuent un grand nombre d’hommes, mais sont eux-mêmes repoussés par le feu de l’artillerie légère. Pendant ce temps, la gauche des Anglais, conduite par le général Cotton, disperse la droite des ennemis à la pointe de la baïonnette, les poursuit vivement, et ne leur donne pas le temps de se rallier. Une palissade protégeant l’ennemi et située sur le bord de la rivière fut rapidement enlevée ; une partie de la garnison fut passée au fil de la baïonnette, environ 300 hommes se précipitèrent dans la rivière, où ils se noyèrent. Les Birmans dirigèrent alors tous leurs efforts sur le centre des Anglais, mais sans succès. Ces derniers atteignirent Pagahammew, qu’ils enlevèrent sans difficulté, ce qui leur ouvrit le chemin de la capitale, On trouva dans la ville 55 pièces de canon et une grande quantité de munitions ; on y trouva aussi plusieurs pièces d’artillerie légère, montées de manière à être traînées par des bœufs, arrangement nouveau parmi les Birmans, et qui montrait en eux le désir d’imiter l’artillerie légère anglaise. Pagahammew, dont les Anglais venaient de prendre possession, avait été autrefois la capitale de l’empire birman. Elle déclina rapidement dès qu’Ava fut devenue la ville favorite des empereurs. Toutefois la ville n’avait pas perdu toute trace de sa splendeur passée : les restes d’une muraille en briques, qui avait dû être fort haute et fort épaisse, l’entouraient encore ; elle renfermait un assez grand nombre de pagodes ; d’autres plus nombreuses, mais en ruines, se montraient çà et là dans les environs, témoignant encore jusqu’à un certain point de la vérité de ce proverbe birman qui, pour exprimer une chose impossible, disait : « Il serait plus aisé de compter les pagodes de Pagahammew. »

Les restes de l’armée de Pagahammew, au nombre d’environ 15,000 hommes, se retirèrent à Yeppaudine, à vingt-cinq milles de la capitale ; là ils prirent position. Le prince Memiaboo, le kee-woonghee et Kolein-Menghie, tous en disgrâce à la cour, les y joignirent. Le 13, le docteur Price se présenta de nouveau au camp anglais, accompagné du docteur Sandford : selon eux, les chefs birmans ne pouvaient se décider encore à payer l’argent demandé ; ils s’imaginaient qu’après l’avoir reçu, les Anglais n’en marcheraient pas moins sur la capitale. Au sortir du champ de bataille de Pagahammew, le roi de l’Enfer se présenta hardiment à la cour ; il demandait quelques milliers d’hommes de plus pour tenter encore une fois le sort des combats ; son audace avait survécu à la fortune. L’empereur l’écouta quelques instants ; mais à peine ce discours terminé, il fit de sa javeline un signe trop bien connu de ceux qui l’entouraient : ils se saisirent du roi de l’Enfer et se dirigèrent vers une place consacrée aux exécutions capitales. Pendant le trajet, il souffrit tous les mauvais traitements dont une populace et une soldatesque furieuses purent s’aviser à son égard. Il s’y montra constamment insensible. On ne vit se démentir ni son courage, ni la fidélité qui l’avait poussé le dernier sur la brèche ; au moment de perdre de vue le palais du roi, il inclina soudainement la tête et fléchit les genoux en disant : « Que du moins il me soit permis de prendre un congé respectueux de la demeure de mon souverain. » Peu de moments après, les éléphants le foulaient aux pieds. Telles furent la fin et la récompense du seul homme qui par son courage indomptable se montra au niveau des malheurs de sa patrie, qui au milieu des revers et des défaites fut le seul à ne pas désespérer du salut de l’empire.

Le 16, l’armée anglaise se remit de nouveau en marche, après un séjour de cinq jours à Pagahammew, et prit position sur les bords de la rivière Paulin. La contrée voisine était entièrement déserte et stérile. Le 18, elle s’arrêta à un village nommé Yebbay, où l’on trouva une députation venue d’Ava. Une heure après, six grands bateaux de guerre, pavoisés des couleurs royales, parurent sur la rivière ; ils portaient le docteur Price et un certain nombre de prisonniers de guerre, et s’arrêtèrent vis-à-vis la tente de sir Archibald. Le docteur Price se trouvait muni de 6 lacs de roupies, qui étaient envoyés à la condition que les Anglais s’arrêteraient sur-le-champ. Le général anglais refusa péremptoirement : il demandait la remise immédiate de 35 lacs, du traité bien et dûment ratifié, enfin celle des prisonniers et dans le cas où ces conditions ne seraient pas acceptées dans le délai de cinq jours, menaçait d’en faire de plus dures encore. Il exprima sa résolution de marcher sur la capitale sans écouter de proposition d’aucune sorte. Les habitants d’Ava, alors en grande alarme, se hâtèrent de quitter la ville ; plus d’un tiers de la population avait déjà fui, la frayeur était extrême. Ce qui ajoutait surtout aux craintes du gouvernement birman, c’était son incrédulité à l’égard des Anglais ; il ne pouvait croire que ces derniers, maîtres de s’emparer de la capitale, s’en tinssent aux conditions déjà énoncées ; il ne doutait pas que les Anglais, l’argent une fois livré, n’en conservassent pas moins le pays conquis. Le docteur Price s’étant remis en marche pour Ava avec l’ultimatum du général anglais, l’armée se dirigea vers la ville de Toundwain, qu’elle trouva entièrement abandonnée par les habitants. Le 21, elle atteignit Tirroup-Mew, c’est-à-dire la ville chinoise. On l’appelait de ce nom en commémoration de l’anéantissement d’une armée chinoise en ce lieu par les Birmans, à l’époque où Pagahm-Mew était encore la capitale de l’empire. Les Chinois qui survécurent à la bataille eurent l’autorisation de s’établir au lieu où elle s’était livrée.

Le 22, l’armée prit position à Yandaboo, sur les bords de la rivière, à trois marches seulement d’Ava. Le délai donné par le général anglais pour l’acceptation des conditions était sur le point d’expirer ; l’armée désirait ardemment qu’il s’écoulât sans apporter rien de nouveau ; elle se montrait impatiente d’atteindre enfin cette capitale de l’empire birman, qui depuis long-temps occupait toutes les imaginations, faisait le sujet de toutes les conversations. Le camp était à peine assis qu’on vit un bateau de guerre descendre la rivière et venir prendre terre un peu au-dessus du terrain occupé par l’armée ; le docteur Price, qui le montait, mit pied à terre et se rendit à la tente de sir Archibald Campbell. Il apportait 26 lacs de roupies, contenues dans sept grands bateaux de guerre, manœuvrés par des équipages d’élite. Deux plénipotentiaires, munis de pleins pouvoirs, l’accompagnaient ; mais ces derniers, au lieu de descendre à terre avec le docteur, étaient demeurés à vingt-cinq milles en arrière ; ils voulaient voir si, après avoir touché l’argent, les Anglais ne se porteraient pas immédiatement en avant. Deux tentes furent élevées pour la réception des négociateurs birmans, aussitôt qu’ils jugeraient convenable de se présenter. Ces derniers se rendant enfin aux assurances du docteur Price, vinrent effectivement occuper ces tentes. Après avoir pris quelques rafraîchissements, ils se dirigèrent vers celle du général. Quatre hommes, la tête couverte de casques peints en rouge, et armés de bâtons, leur frayaient le chemin en écartant la foule ; tout woonghee ou attweynwoon a droit à deux serviteurs de cette sorte. D’ailleurs, la manière dont ils se présentèrent à cette conférence était bien différente de la splendeur qu’ils se plaisaient à déployer a Neounbenzeick et à Melloone : leurs habits de simple soie ou de mousseline blanche, n’avaient ni ornements ni broderies ; ils ne portaient même pas le tsaloeh, ou chaîne d’or, signe de leur rang, mais un simple cordon en coton blanc. Le woonghee était un vieillard d’une taille mince et élancée, silencieux et réservé ; son collègue l’attweynwoon, profondément marqué de petite vérole, paraissait d’un caractère plus décidé. Un troisième personnage qui les accompagnait était le plus ancien woonock du lotoo, dont il avait été membre pendant quarante années ; d’ailleurs, il ne pouvait que paraître à la conférence, et n’avait pas le droit d’ouvrir un avis.

Après être entré dans la tente de sir Archibald Campbell, les Birmans prirent place à l’un des côtés d’une table préparée pour la conférence ; sir Archibald, M. Robertson, le commandant de la marine, s’assirent en face et de l’autre côté. La conférence ouverte, sir Archibald Campbell voulut d’abord s’assurer que les Birmans fussent munis de pouvoirs suffisants pour conclure. Les négociateurs, après avoir répondu affirmativement, s’offrirent à présenter l’édit royal : un chef qui en était porteur le présenta, presque couché par terre, à l’attweynwooh qui défit avec le plus grand soin les différentes couvertures dont il était enveloppé. Un sac de velours rouge, portant le cachet du roi, renfermait un étui d’ivoire de forme cylindrique ; dans celui-ci se trouvait un autre petit sac de drap, lequel en contenait un autre de moindre dimension, mais de même étoffe, lequel contenait enfin les instructions de l’empereur, écrites sur de magnifiques feuilles de vélin, encadrées d’une bordure dorée. Fort brièvement conçues, elle se bornaient à charger l’attweynwoon d’arranger toutes choses à la satisfaction des Anglais. Sir Archibald Campbell fit alors donner lecture de son ultimatum. Les Birmans en acceptèrent toutes les conditions sans objection ni discussion. À cela près de quelques modifications qui n’en altéraient en rien la substance, le traité était d’ailleurs le même que celui déjà proposé à Melloone. Une des clauses portait que chacune des deux puissances pourrait envoyer un ambassadeur à la cour de l’autre ; les Birmans objectèrent à cela qu’il y avait si loin d’Ava à Londres, qu’ils ne savaient pas comment envoyer un représentant ; on leur répondit que le traité concernait non le roi d’Angleterre, mais la Compagnie des Indes ; qu’en conséquence c’était auprès du gouverneur-général que leur envoyé aurait à se rendre. Cette répugnance à traiter avec le gouverneur-général sur le même pied qu’avec un prince souverain avait toujours caractérisé les délibérations des Birmans ; d’ailleurs, dans l’abaissement où ils se trouvaient, aucune objection n’était plus possible. Le lendemain, l’argent fut donné d’une part et reçu de l’autre, et le jour suivant le traité définitivement signé. L’un des Birmans, au moment où il venait d’apposer sa signature, cédant aux sentiments belliqueux de sa nation, s’écria : « Et maintenant que nous sommes en paix avec les Anglais, si les Chinois osent nous insulter, qu’ils prennent garde à eux ! » Mot vraiment caractéristique chez un peuple que la guerre venait de mettre à deux doigts de sa perte.

Une députation de trois officiers anglais fut désignée pour accompagner les négociateurs birmans à leur retour à Ava. Le général anglais envoyait en outre à l’empereur quelques présents en témoignage de bonne amitié. L’empereur hésita d’abord recevoir ces envoyés ; déjà ils étaient au moment de rétrograder ; toutefois, de nouveaux conseils l’y décidèrent. Ils continuèrent donc leur route et arrivèrent bientôt à Ava. Ils durent être admis dès le lendemain à l’audience impériale. Une difficulté se présenta ce jour-là, au moment même de leur introduction ; il s’agissait de leurs épées, qu’il était contre l’étiquette de conserver à la cour ; le cérémonial birman céda pourtant sur ce point. Les officiers traversèrent la porte extérieure du palais, précédés par les présents destinés à l’empereur ; marchant à travers une ligne de soldats, ils traversèrent trois autres portes intérieures, dont la dernière était défendue par plusieurs pièces de canon ; en face de cette dernière était le péristyle de la salle d’audience, et au fond de cette salle le trône. L’étiquette ne permettant à personne de s’avancer en ligne directe vers la salle du trône, les officiers anglais s’en approchèrent en décrivant un demi-cercle, en faisant face aux troupes qui formaient le croissant à partir de l’entrée de la salle ; ils quittèrent leurs chaussures sur le seuil ; des musiciens jouaient des airs bruyants, des danseuses étalaient leurs grâces aux yeux des étrangers. Entrés dans la salle, ils s’assirent à quelques pas du trône, qui demeurait vacant ; plusieurs membres de la famille impériale en occupaient le voisinage ; les grands officiers de la couronne, tous habillés de mousseline blanche, formaient le reste de l’assemblée. Des esclaves présentèrent des fruits, du thé, du bétel, dans des coupes de cristal. Bientôt la musique cessa, un profond silence régna dans l’assemblée, à peine entendait-on un bruit lointain qui s’approchait de moment en moment ; une porte s’ouvrit tout-à-coup, comme poussée par une main invisible, et l’on vit alors l’empereur qui s’acheminait vers le trône à pas mesurés. Il portait une tunique et un turban blancs ; une magnifique chaîne d’or lui allait d’une épaule à l’autre. Une fois sur le trône, il y demeura dans la plus parfaite immobilité, ou du moins ne faisant de mouvement que celui de recourir à sa boîte de bétel. Un héraut donna lecture de la liste des présents apportés par les Anglais ; cette énumération terminée, un second héraut proclama à haute voix des titres honorifiques accordés à ceux-ci par l’empereur ; un anneau garni de rubis, une pièce de soie, deux boîtes de lack et quelques coupes furent en outre présentées à chacun d’eux. Un dignitaire du palais s’écria à haute voix : « Les étrangers ont-ils quelque supplique à présenter au monarque ? » Un des officiers, le capitaine Lumsden, s’écria : « Fasse le ciel que la paix soit durable entre les deux grandes nations ! » Puis l’empereur termina l’audience en se retirant de la même façon qu’il était arrivé.

Le 4 mars, les officiers anglais quittèrent Ava. Tout en les traitant avec politesse, on ne leur permettait guère de s’éloigner des maisons qui leur étaient été assignées. Ils rapportaient au général sir Archibald, de la part de l’empereur, deux anneaux garnis de rubis, quelques pièces de soie et quelques boîtes, le tout d’une extrême mesquinerie et peu digne de la magnificence orientale. Le 5 mars, une grande partie des bateaux nécessaires pour le transport des troupes à Rangoon étant arrivée, l’armée commença son mouvement rétrograde ; le trésor fut embarqué. Le 6, le 80e d’infanterie de Madras, avec les dépêches de l’armée, se dirigea sur Pakangyeh ; le 1er, le 13e, le 38e, le 41e, le 47e et le 89e régiments se préparèrent à s’embarquer dans les bateaux ; le 87e, le 26e, le 28e, le 38e et le 43e régiments d’infanterie de Madras, les gardes-du-corps du gouverneur-général et l’artillerie formèrent un détachement commandé par le colonel Hunter Blair, et marchèrent sur Prome. Le 8, sir Archibald Campbell et l’état-major général quittèrent Yandaboo. Ainsi finit cette guerre des Birmans, guerre dans laquelle le gouvernement britannique eut à soutenir une lutte plus obstinée qu’il ne l’avait fait depuis une longue suite d’années ; une foule d’obstacles, de difficultés, de privations jusque là inconnues dans les guerres de l’Inde, la signalèrent. Elle fut surtout remarquable par l’intrépidité et la constance de l’ennemi qu’il fallait combattre.

Le traité de Yandabao fut, sous certains rapports, profitable aux Anglais. La cession d’un tiers environ du territoire birman et le paiement d’une forte somme d’argent, firent éclater la supériorité britannique ; elles ne pouvaient manquer en outre de consolider l’influence des Anglais parmi les nations voisines. Toutefois, il est singulier qu’une aussi grande acquisition de territoire n’ait produit que des avantages aussi restreints. Assam, placé nominativement sous le gouvernement de princes indigènes, mais en définitive sous celui des Anglais, n’a ni population, ni ressources ; c’est pour ainsi dire un fantôme de royauté, dépourvu de corps et de consistance. La principauté de Munipoor, sous la domination d’un prince qui doit tout aux Anglais, n’est qu’un véritable désert. Peut-être pourrait-il présenter quelques obstacles à une attaque contre les possessions anglaises dirigée de ce côté. Sous tous les autres rapports, elle est dépourvue de toute utilité. La province d’Arracan, par son insalubrité, avait dévoré la plus grande partie du corps d’armée du général Morrisson ; aussi ne pouvait-on songer à y tenir une garnison quelconque. Toute couverte d’impénétrables jungles et d’épaisses forêts, cette province est tellement entrecoupée de rivières, de baies, qu’elle paraît ne former qu’un groupe d’îles ; au moindre orage, la communication entre les villages ne peut se faire que par eau ; sa population est fort peu considérable ; à l’exception du sel, elle ne produit aucun article de commerce. À la vérité, les montagnes qui la terminent du côté d’Ava constituent une frontière bien définie entre cette province et ce dernier royaume. Le véritable bénéfice à retirer du traité provenait ainsi uniquement de Tenasserim, Yeh, et d’une portion du territoire de Martaban. Ces provinces permettaient en effet d’établir avec facilité une communication entre Siam et Malaca, d’ouvrir un commerce avec ces deux provinces. La rivière de Thalageh est bordée de belles forêts, abondantes en toutes sortes d’arbres. Surtout en arbres propres aux constructions navales. Le gouvernement anglais cessait dès lors de dépendre pour cet article, pour lui d’une importance majeure, des dispositions toujours précaires et variables de l’empire birman. Les territoires nouvellement acquis n’apportaient d’ailleurs avec eux aucun accroissement de revenus, ils étaient plutôt de nature à augmenter les dépenses ; ils avaient en outre l’inconvénient d’aggraver le mal, dès lors profondément senti, d’une domination territoriale par trop étendue. Au reste, la guerre qui venait de se terminer avait été une de ces nécessités auxquelles les gouvernements sont souvent contraints de se soumettre. Il était devenu nécessaire de ne plus souffrir plus long-temps les procédés hautains de la cour d’Ava. Le pays des Birmans appauvri, ne pouvait donner d’indemnité suffisante pour couvrir les frais de la guerre ; force était donc de s’indemniser de ces dépenses au moyen d’une prise de possession de certains territoires. Le bénéfice à en retirer n’était là qu’une considération secondaire ; la principale consistait à avoir réduit le pouvoir de la cour d’Ava, à l’avoir resserré pour l’avenir dans certaines limites.

Cette dernière considération faisait même désirer à quelques uns la conquête de la capitale des Birmans. L’armée éprouva, quant à elle, un sentiment d’amer désappointement en se voyant arrêtée à trois marches de cette capitale fameuse dont aucun obstacle ne la séparait plus. Suivant toute probabilité, cette conquête, loin d’assurer la paix, l’eût retardée, peut-être rendue impossible. Les Birmans, dans tous les sacrifices auxquels ils se résignaient, avaient principalement pour but la conservation de cette ville. À l’approche des Anglais, l’empereur et la cour auraient été chercher un refuge dans quelque province éloignée. Le gouvernement britannique se serait dès lors trouvé réduit au stérile honneur d’avoir conquis un pays impossible à garder, dont la nécessité de se retirer promptement n’eût pas manqué de se faire bientôt sentir. Dans ce cas, non seulement toutes les dépenses de la guerre eussent porté sur le gouvernement anglais, mais aucun des avantages assurés par le traité précédent ne lui eût été acquis. Ava ne pouvait présenter aucune résistance ; elle aurait sans doute fourni aux vainqueurs un butin considérable ; d’ailleurs cet avantage se serait trouvé plus que compensé par de grands inconvénients politiques ; elle eût entraîné, suivant toutes probabilités, le sacrifice de tous les objets pour lesquels le gouvernement britannique avait lutté si long-temps. Le souverain et ses ministres ayant évacué la capitale, personne ne se serait trouvé avec qui conclure un traité ; l’armée y aurait été au milieu d’une solitude complète. Le gouvernement birman, comme il a été facile de le voir par tout ce récit, possédait éminemment l’art de faire évacuer les villes qu’il laissait à l’ennemi ; il savait en arracher jusqu’au dernier habitant. L’armée n’aurait pu songer à demeurer à Ava pendant la saison pluvieuse ; sans courir le risque de se voir couper les vivres. À la distance de six cents milles de Rangoon, où se trouvaient ses dépôts, elle n’aurait pu s’assurer un service régulier d’approvisionnement ; les bateaux qui eussent remonté la rivière ne pouvaient manquer d’être attaqués et enlevés par des partis ennemis. Il eût fallu, pour les en préserver, les faire accompagner par des détachements, ce que le petit nombre de troupes anglaises rendait inexécutable : l’effectif de la petite armée anglaise, à Yandaboo, montait à peine à 4 ou 5,000 hommes.

La guerre qui venait de se terminer avait d’abord placé le gouverneur dans une position difficile : lord Amherst venait d’arriver dans l’Inde ; il ne s’était jamais occupé des affaires de ce pays ; de plus il avait été appelé pour ainsi dire à l’improviste à ces hautes fonctions. C’était une résolution périlleuse que d’entreprendre une guerre importante dans cette situation. Le gouvernement de Calcutta ne possédait lui-même que de fausses ou incomplètes notions sur l’empire des Birmans ; leurs forces militaires, leurs ressources, leurs manières de faire la guerre, la population des provinces, rien de tout cela n’était connu avec quelque exactitude. Cependant, comme la guerre devenait inévitable sous peine de voir l’influence anglaise s’annuler, lord Amherst s’y décida. Le mauvais succès des premières campagnes indisposa d’abord contre lui l’opinion publique ; mais le moment arriva où cette même opinion lui rendit enfin pleine justice. On lui sut gré de la fermeté de caractère, de l’énergie qui lui fit d’abord entreprendre et continuer cette entreprise, malgré de fâcheux commencements. Il est vrai que lord Amherst trouva dans ses subordonnés tout l’appui, tout le secours qu’il pouvait désirer. Ils étaient heureusement passés pour jamais ces temps où les dissensions intestines annulaient au-dedans l’autorité du gouvernement et la compromettaient au-dehors. Une grande puissance, une autorité incontestée, concentrée alors dans les mains du gouverneur-général, le mettaient à même de faire concourir à son but tous les talents, tous les efforts, toutes les ambitions. La conduite des troupes indigènes fut encore singulièrement remarquable pendant toute la durée de cette guerre, et ne contribua pas peu à en assurer le succès. Elles ne cessèrent de se faire remarquer par leur dévouement, leur bravoure, leur patience au milieu des plus rudes travaux. Pour la première fois, on les vit s’embarquer sans répugnance, même avec une sorte de gaieté. La cour des directeurs ne se montra pas ingrate ; elle accorda, en 1825, le batta ou indemnité de campagne à l’armée du Bengale. À la fin de la guerre, des remercîments publics furent votés, sur sa demande, par le parlement, aux armées de terre et de mer employées contre les Birmans.

Sir Thomas Munro, gouverneur de Madras, avait demandé dès 1824 à être remplacé dans ces hautes fonctions. La guerre des Birmans ayant éclaté à cette époque, le détermina à demeurer à son poste. Peut-être fut-il victime de ce dévouement ; peut-être fut-ce seulement le cours naturel des choses. Quoi qu’il en soit, il rendait le dernier soupir au moment où le succès le plus complet couronnait cette guerre. Plus d’une fois nous avons eu occasion d’exprimer les opinions de sir Thomas Munro ; c’était alors un des plus anciens officiers ou fonctionnaires qui se trouvassent dans l’Inde. Déjà quarante-sept années s’étaient écoulées depuis qu’il débarquait comme simple cadet dans cette même ville de Madras, dont il mourait alors gouverneur ; aussi l’histoire que nous venons de raconter le comptait-elle au nombre de ses principaux acteurs. Il avait vu l’invasion du Carnatique, qui mit la présidence de Madras à deux doigts de sa perte ; la défaite du colonel Bailly, un des revers les plus sanglants qu’eussent encore éprouvés les Anglais. Il avait assisté aux batailles de Porto-Novo, de Trepassore, de Polliloor, de Sholingure. Il assista au siège de Cuddalore, dernière tentative des Français pour reprendre la prépondérance qu’ils avaient perdue à Pondichéry. Il fit la plus grande partie des guerres contre Tippoo, puis fut employé plusieurs années à la collection de l’impôt. Enfin, dans la dernière guerre des Mahrattes, il fut l’un des chef qui amenèrent par l’activité de leur poursuite la capture du peschwah. Toute sa carrière s’était ainsi écoulée dans l’Inde ; l’un des premiers il comprit cette nécessité de conquête et d’agrandissement à laquelle force était de se résigner sous peine de mort ; il comprit encore tout le danger dont Tippoo, appuyé sur les Français, pouvait menacer les Anglais, et cela à une époque où le plus grand nombre ne voyaient d’ennemis vraiment redoutables que dans les seuls Mahrattes. Nous devons dire que le système adopté par Munro pour la collection de l’impôt, renfermait de nombreux défauts, que l’expérience ne tarda pas à démontrer. Toutefois ce ne pouvait être qu’un homme fort distingué que celui dont un autre homme, qui lui-même l’était éminemment, dont M. Canning a pu dire : « L’Europe n’a jamais produit un homme d’État plus accompli, l’Inde un si fertile héros, un plus habile soldat. »

Le très honorable sir R. Luhsigton fut appelé dans le mois de janvier 1827 à remplacer sir Thomas Munro. Sir John Malcolm était en même temps désigné pour succéder à Elphinstone à Madras. Tous deux ne tardèrent pas à s’embarquer pour leur destination. À leur arrivée dans ce pays, un changement fort important venait de s’effectuer dans les relations jusqu’alors subsistantes entre l’empereur mogol à Delhi et le gouvernement de la Compagnie. Ce dernier s’était tenu vis-à-vis la cour de Delhi, dans tout ce qui concernait leurs rapports officiels, sur un pied d’infériorité et de vasselage. Mais l’indépendance du gouvernement britannique fut alors hautement déclarée ; cette mesure, insignifiante en elle-même, en ce qu’elle se bornait à exprimer un état de choses existant depuis long-temps, n’en affecta pas moins les membres de la famille impériale ainsi que leurs alentours. Sous la domination des Mahrattes, ils avaient souffert de cruels traitements, de poignantes humiliations ; ils avaient connu la misère, les privations de toutes sortes mais leur souveraineté nominale n’en demeurait pas moins respectée de leurs vainqueurs, comme du reste elle l’avait été jusque là par les Anglais. Mais alors, et pour la première fois, cette souveraineté se trouvait méconnue, contestée, annulée ; ils s’en voyaient dépouillés par les successeurs de ces marchands qui, moins de deux siècles auparavant, s’étaient comme glissés au sein de leur immense empire. Il leur sembla se voir tout-à-coup dépouillés de la couronne de l’Indostan. Cette dernière révolution ne provoqua pas d’ailleurs la moindre sensation dans le plus petit coin de la péninsule.

Lord Amherst se trouvait à cette époque à Delhi ; retourné à la résidence, il s’embarqua pour l’Angleterre à la fin de mars, laissant provisoirement le gouvernement aux mains de William Bayley. À l’époque de la nomination de lord Amherst, lord William Bentinck s’était mis sur les rangs pour le poste de gouverneur-général. Il pouvait se croire quelque droit à ces fonctions. Dès 1809, la cour des directeurs avait émis ce vœu « qu’elle désirait sincèrement que les grandes qualités et le caractère honorable de lord William Bentinck pussent être employés comme ils le méritaient pour le bien du pays ». Depuis lors, lord William s’était montré avec grande distinction et dans de hauts emplois, en Portugal, en Espagne, en Sicile, ailleurs encore. En 1824, lord Amherst lui avait été préféré, mais cette fois ce fut lord William qui l’emporta sur ses concurrents. Appelé aux fonctions de gouverneur-général par le vœu des propriétaires et des directeurs, il s’embarqua à Plymouth, en février 1828, pour se rendre à son poste. Il atteignit le cap en mai. Lord Amherst, qui de son côté se hâtait de retourner en Angleterre, venait lui-même d’y arriver ; lord William profita avec empressement de cette rencontre pour se mettre au courant des affaires ; puis, arrivé à Calcutta, prit les rênes du gouvernement. Dès le mois de juillet de la même année, de nombreuses difficultés se rencontrèrent. Le gouvernement britannique se trouvait alors assis dans l’Inde sur une base plus large, plus solide que jamais ; mais en même temps ses dépenses excédaient de beaucoup les revenus, Des mesures d’économie étaient devenues nécessaires. À la fin de la guerre des Pindarries et des Mahrattes, de grandes réductions avaient été faites dans l’état militaire ; mais comme à la même époque de grandes augmentations devinrent nécessaires dans l’état civil, aucune économie ne s’ensuivit. Depuis lors, la guerre avec les Birmans, celle avec le rajah à Bhurpoor, le siège de cette capitale, étaient devenus l’occasion de nouvelles dépenses fort considérables ; elles avaient ajouté 13,007,823 livres sterling au déficit déjà existant. La nécessité de grands retranchements devenait donc évidente. Le moment était venu de les exécuter. Lord William était parti de Londres convaincu de cette urgence et de cette nécessité ; certains projets d’économie que la cour des directeurs mettait beaucoup de prix à réaliser, lui avaient été communiqués. Toutefois il voulait d’abord voir toutes choses de ses propres yeux et les juger par lui-même.

À peine arrivé, lord William fit en effet tous ses efforts pour s’entourer de renseignements positifs et d’avis éclairés. Il leur permit de se produire par la presse avec la plus entière liberté. Il institua deux comités de finances, l’un chargé de contrôler les dépenses du service militaire, l’autre celles du service civil ; il eut soin de les composer des employés les plus distingués parmi ceux des trois présidences. Le comité civil s’occupa de l’établissement judiciaire de la collection des revenus de la marine ; le comité militaire de tout ce qui concernait l’armée, solde, fournitures, casernement, etc. Les deux comités, siégeant à Calcutta, se livraient depuis quelques semaines à ces travaux ; mais les réformes dont l’armée se trouvait menacée excitèrent une clameur, un mécontentement général ; le commandant militaire se servit de la voie de la presse pour adresser au gouverneur d’impérieuses réclamations. Des personnages fort puissants, soit dans l’Inde, soit en Angleterre, étaient les premiers à souffrir de ces réductions, circonstances qui les rendaient éminemment difficiles à exécuter. Les injonctions les plus directes arrivaient pourtant d’Europe, pressant journellement lord William de mettre à exécution les mesures proposées. Ce dernier s’occupait en même temps de perfectionner l’établissement de Posiee, c’est-à-dire de mettre un terme, ou du moins de nouveaux obstacles, à ces crimes de Décoit ou de vols par bandes dont nous avons souvent parlé ; il donna plus de fixité aux établissements des provinces de l’ouest, et chercha surtout à perfectionner le système d’administration anglaise nouvellement établi à Malwa, Hyderabad et Nagpoor. C’était chose fort importante pour la Compagnie que d’obtenir des renseignements positifs sur l’Inde centrale ; pour atteindre ce but, lord William créa en Malwa une nouvelle résidence anglaise. Les résidents de Delhi et de Lucknow, les collections de Dinagpoor, du Bundelcund, reçurent de nouvelles instructions de nature à simplifier leur travail et leurs relations avec le gouvernement général. Les choix de lord William furent en général heureux ; il est vrai qu’il eut le bon esprit de se laisser souvent guider par sir John Malcolm, un des hommes les plus éminents qui eussent joué un rôle dans l’Inde. En 1829, lord William visita les provinces de l’ouest par Malwa, Purneah, Dinagpoor et Rungpoor ; il s’embarqua ensuite pour les provinces de l’ouest et l’île du Prince-de-Galles. Le résultat de ce voyage fut, dans l’esprit de lord William, la nécessité de réunir l’île du Prince-de-Galles à la présidence de Madras ou à celle du Bengale, tout en lui imposant des formes d’administration moins coûteuses. La cour des directeurs, par un singulier hasard, adoptait au même moment la même idée. L’île fut annexée au Bengale.

Lord William dès son arrivée dans l’Inde, s’était occupé de l’abolition des suttee : c’est le nom du sacrifice de la veuve indoue qui monte toute vivante sur le bûcher de son époux. Depuis long-temps la cour des directeurs, obéissant en cela aux impulsions de l’opinion publique en Europe, songeait à abolir cette coutume. Quelques années précédemment elle avait consulté le gouvernement du Bengale sur la possibilité de cette abolition. Ce gouvernement recula devant les dangers, les inconvénients de toute nature que pourrait présenter la mise à exécution de cette mesure. Les Anglais, on le sait, s’étaient fait un devoir de n’intervenir en aucune façon dans les opinions, les pratiques religieuses des Indous. C’était en effet le seul moyen de parvenir, comme ils le faisaient, à gouverner, à l’extrémité du monde, des millions d’hommes, de mœurs et de croyances différentes des leurs, à l’aide de quelques milliers d’employés européens. Toutefois, dans cette circonstance, l’humanité faisait une sorte de devoir de se mettre en opposition avec la raison d’État ; lord William le comprit, et dès son arrivée dans l’Inde, se mit en recherche des moyens de parvenir à l’abolition de cette coutume. Il se consulta, dans le secret du cabinet, avec les employés civils ou les officiers de l’armée qui avaient la connaissance la plus approfondie de l’Inde, sur la possibilité de cette abolition, ensuite sur les moyens de son exécution ; l’avis général fut de tenter immédiatement cette noble entreprise. On agita ensuite s’il fallait la tenter par une voie détournée, c’est-à-dire s’opposer à ces sacrifices tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, jusqu’à ce qu’ils fussent tombés en désuétude, ou bien les proscrire ouvertement ; ce dernier parti fut adopté. « Nous sommes décidément de l’avis, dit en propres termes le conseil, d’une prohibition ouverte, générale, absolue, appuyée d’un côté sur la moralité de l’acte, de l’autre sur notre pouvoir pour mettre la mesure en exécution. » La surprise et le mécontentement furent d’abord généraux dans l’Inde : jamais acte du gouvernement anglais n’avait attaqué aussi directement les coutumes antiques et les croyances religieuses. Dans ta seule année 1815, 310 femmes avaient accompli ce grand sacrifice. D’innombrables pétitions au nom d’Indous de toutes les castes protestèrent contre la nouvelle mesure ; les suttee leur étaient chères en raison de leur antiquité et de leur liaison avec leurs croyances. Lord William ne se laissa pas émouvoir ; il ne dédaigna pas d’avoir recours au raisonnement pour justifier sa résolution, mais parut inébranlable à la maintenir. À cette occasion, lord William écrivait ces belles paroles, où respirent les nobles sentiments qui l’animaient à l’égard des innombrables populations confiées à ses soins : « L’Inde ressemble à ce qu’était l’Europe dans les temps reculés ; c’est la même ignorance, la même superstition, la même croyance dans la magie, les charmes et les enchantements, etc. C’est la même foi dans les présages et dans l’astrologie ; dans les sacrifices sanglants d’hommes, de femmes et d’enfants ; dans plusieurs autres coutumes également opposées à la véritable sagesse, répugnant aux plus doux sentiments implantés par la Providence dans le cœur de l’homme. Or, l’influence graduelle des Européens sur la masse immense de la population indigène peut seule abolir peu à peu ces coutumes barbares et idolâtres, puis y substituer graduellement le comfort domestique, la sécurité des personnes et des propriétés, le développement des lumières et de l’éducation morale. » L’immense pouvoir d’un gouverneur-général était bien placé dans la main qui a tracé ce peu de lignes.

Plusieurs questions ayant trait au revenu, à la police, au système judiciaire, etc., demandaient la décision du gouverneur-général. L’application de certaines règles prescrites de Calcutta ne se faisait pas sans difficulté dans les provinces. Lord William prit le parti de les aller étudier sur les lieux ; il partit en conséquence de Calcutta, avec l’intention de parcourir les provinces supérieures. Plusieurs membres du gouvernement et plusieurs secrétaires l’accompagnaient ; car il voulait se trouver en mesure d’improviser pour ainsi dire un gouvernement sur place, de résoudre toutes difficultés au fur et à mesure qu’elles se présenteraient. Cependant des doutes s’élevèrent sur la légalité de cette façon d’agir ; on contesta au gouverneur-général le droit de déplacer de la sorte le siège du gouvernement ; la majorité des membres du conseil décida que le gouvernement ne pouvait exister qu’à Calcutta. Lord William se vit ainsi obligé de procéder seul à son voyage. Il devait se faire son opinion sur les mesures à prendre, puis, en référer au gouvernement demeuré à Calcutta pour ce qu’il ne pouvait décider par lui-même. Dans le mois d’octobre (1830), l’itinéraire adopté par le gouverneur fut publié à la présidence, afin que les personnes qui auraient quelque affaire à lui soumettre pussent savoir où lui adresser leurs dépêches ; la route qu’il devait suivre embrassait Allahabad, Bundelcund, Cawnpsor, Luknow, Barcilley, Mooadabad et Meerut. À l’arrivée de lord Bentinck à Buxar, le rajah Gopaul-Singh lui adressa de publics remerciements, en son propre nom et en celui de ses sujets indous, sur l’abolition des suttee. Traversant Landour et Massourei, il s’achemina par le Dhoon, puis gravit les montagnes de Sabathoo au commencement d’avril. Il quitta Simlah en octobre, puis se rendit sur les bords de la Suttleje, à Roopur, où le 23 de ce mois, une importante entrevue eut lieu entre lui et Runjeet-Singh ; les bonnes relations jusque là subsistantes entre ce dernier et les Anglais furent cimentées par de nouvelles et réciproques protestations. Ces conférences duraient encore à l’arrivée d’un officier anglais, le lieutenant Burnes. Cet officier, récemment parti de Bombay, avait eu mission de présenter au rajah une lettre du roi d’Angleterre, accompagnée d’un présent de quelques beaux chevaux. Il avait remonté et soigneusement étudié le cours de l’Indus. Entreprenant et résolu, il se montrait désireux d’étendre le champ de ses explorations ; il se proposait d’étudier avec soin les États de l’Asie centrale, intermédiaires entre l’Indus et la Caspienne. Instruit de ce hardi projet, le gouverneur-général en encouragea l’exécution. Le lieutenant Burnes, se remettant promptement en route, étudia fort soigneusement la situation politique, les relations commerciales, les ressources militaires de tous ces États. Ces observations, présentées plus tard au gouverneur-général, furent aussitôt envoyées par celui-ci en Angleterre : elles ne sauraient manquer d’avoir un jour une fort grande importance. À la même époque, le colonel Pottinger se rendait en mission auprès des chefs du Scind avec des instructions analogues. Runjeet, qui devina l’importance de ces différentes démarches, s’en montra quelque peu alarmé. Le capitaine Wads s’étant rendu auprès de lui par ordre du gouverneur-général, parvint toutefois à le rassurer ; bien plus, il sut lui persuader d’ouvrir de lui-même les autres rivières du Penjaub au commerce anglais.

Les choses en étaient là lorsque le gouverneur-général se décida à se rendre à Delhi. Certaines circonstances relatives à la famille impériale à Delhi étaient la cause primitive de ce retour. Nous avons dit les modifications apportées en 1827, sous l’administration de lord Amherst, à la situation de cette famille. Les dernières traces de toutes dépendances de la Compagnie à l’égard de l’empereur avaient été alors effacées. Froissé alors par certains détails dans ses nouvelles relations avec le gouvernement britannique, l’empereur imagina d’en appeler au roi d’Angleterre ; il députa vers ce dernier un de ses agents de confiance, nommé Ram-Mohun-Roy. Cette démarche reposait, en outre, sur certains projets politiques qui n’étaient pas sans importance. En se mettant ainsi directement en rapport avec le roi d’Angleterre, l’empereur voulait tenter de se soustraire jusqu’à un certain point à l’autorité du gouverneur général. Il aurait voulu arriver à ne considérer celui-ci que comme le wackel ou le représentant, l’envoyé du roi, se soustraire à son influence et traiter directement par ses propres agents c’est-à-dire comme de souverain à souverain, avec le roi d’Angleterre. C’était renouveler à Delhi les prétentions déjà mises en avant, à Madras, par le nabob du Carnatique. Par elle-même la tentative ne pouvait manquer de trouver faveur parmi les habitants de Delhi ; mais à cette époque plus qu’à aucune autre, les procédés violents du résident anglais avaient produit à Delhi beaucoup de mécontentement et d’irritation ; on lui reprochait plusieurs actes d’injustice et de brutalité ; il choquait, blessait comme à plaisir les préjugés religieux ou politiques des indigènes ; c’était à peine si l’empereur lui-même se trouvait à l’abri de ces insultants procédés. Poussé à bout, il se plaignit au gouverneur-général et celui-ci, reconnaissant la justice de ces plaintes, éloigna le résident. Cette mesure, toute nécessaire qu’elle fût, eut aussi ce mauvais côté d’inspirer au peuple de Delhi une opinion exagérée du pouvoir que conservait l’empereur, il s’étonna de le voir s’être fait prompte justice d’un officier d’un grade aussi élevé. Le seul remède à ce mal, c’était d’achever de rendre manifeste, visible à tous les yeux la dépendance de l’empereur vis-à-vis l’agent anglais, la plus extrême circonspection étant d’ailleurs recommandée à ce dernier. C’est dans ce sens que se proposait d’agir lord William. D’ailleurs, sa santé l’obligea de retourner immédiatement à Calcutta ; il ne visita pas Delhi, ainsi qu’il l’avait annoncé.

La situation intérieure de l’État de Mysore attira vers cette époque son attention. La famille des anciens rajahs, remontée depuis peu sur le trône, se montra peu digne de l’occuper ; les difficultés d’administration et de gouvernement ne tardèrent pas à se multiplier outre mesure. Mais en raison de la situation où se trouvait alors dans toute l’Inde le gouvernement anglais, c’était chose facile que d’y remédier ; pour rétablir l’ordre et le calme, il lui suffit d’une simple proclamation dans laquelle il déclarait se charger immédiatement à l’avenir de l’administration du royaume. L’État de Oude se trouvait de son côté dans une situation à peu près semblable : la faiblesse de l’ancien visir, qui se faisait alors appeler le roi de Oude, laissait s’introduire, dominer en tous lieux le désordre et l’anarchie, et le gouverneur-général fut au moment d’y appliquer le même remède qu’à Mysore ; il se contenta pourtant de promesses du roi, de promptes, d’énergiques réformes dans son administration. Le gouvernement anglais était depuis long-temps parvenu à une situation telle, qu’il évitait plutôt qu’il ne recherchait toute extension de pouvoir. Des troubles assez considérables prenant leur source dans des refus d’impôts, s’élevèrent dans l’État de Nagpoor ; ils furent promptement réprimés. À Malaca, une tentative d’insurrection ayant pour but de rejeter le joug britannique, fut de même arrêtée et punie aussitôt que manifestée.

Au milieu de tous ces soins, lord William Bentinck ne s’occupait pas moins de toutes les questions se rapportant à l’administration intérieure. Il établit dans la collection des revenus certaines réformes nouvelles ayant pour but de séparer plus qu’elles ne l’étaient la collection de son contrôle : c’était par conséquent augmenter la surveillance, la rendre plus efficace. Il nomma encore certains inspecteurs du revenu, chargés chacun de la surveillance d’une étendue de terrain limitée, et qui devinrent les intermédiaires entre les collecteurs de district et le bureau du contrôle. En tout ce qui avait rapport aux revenus, lord William se proposa toujours d’établir partout les choses sur le même pied qu’au Bengale. À son arrivée dans l’Inde, le nombre des procès arriérés se trouvait fort considérable, il parut impossible de parvenir à les faire juger sans un accroissement dans le nombre des juges ; le gouverneur-général était d’avis de confier ces fonctions à des indigènes ; il voulait qu’on leur donnât des preuves de confiance en les employant dans les différents degrés de l’administration, partout où la chose était faisable. Il sollicitait en conséquence de l’autorité supérieure la faculté de les introduire dans l’administration de la justice. Il suggéra une mesure ayant pour but d’accroître le pouvoir des moonsiffs et des sudder-aumeen quant au jugement des causes civiles ; d’autoriser l’appointement des principaux sudder-aumeen dans les villes et les zillahs, pour modifier le pouvoir des cours de zillahs de province ; enfin d’augmenter la sphère des choix pour les offices de monssiff et de wackel. Un règlement établi sur ces bases fut en effet mis en pratique dans le mois de novembre 1831. En 1833, lord William fut appelé au commandement général des troupes. C’était la troisième fois que ces deux offices importants se trouvaient réunis dans les mêmes mains.

Dès l’année 1821, le gouvernement général s’occupa de l’introduction de la navigation à vapeur dans les rapports de l’Inde avec l’Europe. La possibilité d’établir par le moyen de paquebots à vapeur une communication mensuelle avec l’Angleterre fut dès lors mise hors de doute. Bien qu’aucune donnée n’existât sur ce qu’elle pouvait coûter, l’expérience valait du moins d’être tentée. Cette facilité de communication était susceptible d’exercer une influence d’une importance immense sur l’avenir de l’Inde ; elle n’allait à rien moins qu’à en changer entièrement les relations avec la mère-patrie. Plusieurs meetings furent tenus peu après à Calcutta dans le but d’étudier la question et de la soumettre au public ; un comité fut formé, une souscription ouverte pour suivre cet objet. Le gouvernement ne se prononçait qu’avec quelque tiédeur pour un projet qui semblait de nature à entraîner des dangers pour ceux qui l’exécuteraient. Il souscrivit pour une somme de 20,000 roupies, effort peu considérable, comparé au but qu’il s’agissait d’atteindre. La cour des directeurs approuva d’ailleurs cette démarche ; elle témoigna en même temps toute sa satisfaction de la façon dont l’esprit public s’était prononcé dans cette circonstance. D’après le projet alors en question, les communications entre l’Europe et l’Inde devaient être établies par ces trois routes : 1° par le cap de Bonne-Espérance ; 2° par l’Euphrate jusqu’à Bassora, et de là au golfe Persique ; 3° par la Méditerranée, c’est-à-dire par Alexandrie, le Caire, Suez et la mer Rouge. Un certain nombre de lignes secondaires devaient en outre lier soit la navigation intérieure, soit les principaux points du littoral de l’Inde à ces lignes extérieures. Des voyages furent peu après exécutés pour l’établissement des plus grandes lignes.

Le premier voyage exécuté eut lieu par le cap de Bonne-Espérance ; il le fut par le capitaine Johnson, commandant un paquebot de 460 tonneaux ; la machine était de 120 chevaux. Il mit à la voile de Falmouth pour l’Inde, le 16 août 1825 ; il atteignit le Bengale le 7 décembre, après une navigation de trois mois et vingt-trois jours. La nouveauté de ce mode de navigation, certaines circonstances de mer défavorables, avaient retardé ce premier voyage ; mais laissèrent espérer que ceux qui suivraient gagneraient en vitesse. On calcula déjà que les plus longs ne pourraient dépasser quatre-vingts à quatre-vingt-dix jours. L’Enterprise, c’était le nom du vaisseau, immédiatement acheté par le gouvernement, fut employé dans la guerre avec les Birmans. Les voyages qui suivirent celui-là furent exécutés sur le Gange ; les huit cents milles qui séparent Calcutta de Allababad furent parcourus en huit jours : un vaisseau à la voile y employait d’ordinaire trois mois, à quelques jours près en plus ou en moins. D’ailleurs les paquebots marchaient seulement pendant la journée ; les difficultés de la navigation de cette rivière les contraignaient de jeter l’ancre tous les soirs. Ces deux vaisseaux se nommaient le Hoogly et le Berhampoota ; le premier jaugeait 150 tonneaux ; il avait deux machines de 25 chevaux, et tirait quatre pieds d’eau. Ces navires furent plus tard remplacés par deux autres bateaux en fer, qui parurent infiniment plus propres à ce genre de service ; le fer n’avait rien à craindre de la multitude d’insectes qui abondent dans ce climat ; d’un autre côté, ces navires ne tiraient que deux pieds d’eau, avantage essentiel pour ce genre de navigation. Le Hugh Lindsay fut chargé peu de temps après de tenter les voies par la mer Rouge ; c’était un bâtiment de 411 tonneaux, construit en excellent bois avec une machine de la force de 82 chevaux. Il partit de Bombay le 20 mars 1830. Des dépôts de charbon avaient été formés à Aden, Juddah, Cosseir et Suez. Il atteignit Aden, situé à la distance de seize cent-quarante et un milles, en dix jours et dix-neuf heures ; il employa cinq jours à Aden, pour faire un meilleur emménagement quant à son charbon, et aussi en réparation de petites avaries ; il la quitta enfin pour Moka le 6 avril, et toucha dans cette dernière ville le 7 à midi. Le 8, il laissa Moka à cinq heures et demie du soir, et jeta l’ancre à Juddah le 12 à six heures ; il avait parcouru cinq cent cinquante-sept milles en quatre jours et douze heures ; retenu quelques jours dans cette dernière ville pour se procurer du charbon qui manquait, il n’en partit que le 17, puis enfin atteignait Suez le 22 avril. Le voyage avait duré vingt et un jours et six heures de navigation, et trente et un jours et six heures de relâche. En dépit de tous les délais inséparables des premières tentatives, les nouvelles avaient été portées en Angleterre en soixante et un jours. Le second voyage du Hugh Lindsay eut lieu dans l’année 1830 ; sir John Malcolm se trouvait au nombre des passagers. Il partit de Bombay le 5 décembre 1830, arriva à Cossein le 27 du même mois, ayant employé par conséquent vingt-deux jours à cette traversée, en comptant les relâches. S’il était arrivé qu’un autre bateau à vapeur se fût trouvé en ce moment à Alexandrie prêt à partir, les passagers du premier paquebot eussent atteint l’Angleterre en cinquante-trois jours de Clare. Les troisième et quatrième voyages présentèrent des résultats à peu près semblables au précédent.

Les circonstances de ces différents voyages furent examinés devant la chambre des communes dans le mois de juin 1834. La chambre adopta la résolution d’établir entre l’Angleterre et l’Inde de permanentes communications au moyen de la navigation à la vapeur ; elle résolut encore que la route entre Bombay et Suez serait immédiatement pourvue de ces moyens de communication. La question de savoir par quels moyens les charges seraient supportées par portions égales entre le gouvernement du roi et la Compagnie, en y comprenant les dépenses relatives aux transports par terre, de la mer Rouge à la Méditerranée, dut être examinée plus tard. On s’était aussi occupé de la navigation sur l’Euphrate, et les mêmes résolutions furent prises à son égard. Les résultats de l’expédition du colonel Chesney sur l’Euphrate à cette époque étaient déjà communiqués au public. Après avoir surmonté de grandes difficultés, bravé d’innombrables périls, cet officier s’était assuré de la possibilité de la navigation d’une grande partie de cette rivière, de plus de celle de nouer avec les Arabes des relations commerciales, ou du moins de les amener à n’apporter aucun obstacle aux bateaux qui remonteraient le fleuve. On s’occupa tout aussitôt de poser les termes d’un arrangement où fussent déterminées les conditions auxquelles le gouvernement du roi et celui de la Compagnie s’entendraient pour achever cette affaire. Lord William Bentinck appuya avec une extrême chaleur tous les projets qui se rapportaient à l’établissement de ce genre de communications.

La tranquillité de l’Inde se trouvait alors momentanément troublée. Le rajah de Koorg avait conçu une passion violente pour une de ses sœurs mariée à un des dignitaires de sa cour. Jaloux de ce dernier, il avait depuis longtemps à son égard les plus mauvais procédés. Celui-ci, après avoir gardé long-temps le silence, prit le parti de la fuite, emmenant avec lui sa femme et trois enfants ; il vint chercher un asile à Mysore, dans le mois de décembre 1832. Le rajah se mit aussitôt en mesure de poursuivre les fugitifs. Enflammé par sa passion, dédaignant toute considération politique, il envahit le territoire de Mysore, et se montra disposé à parvenir à ses fins par tous les moyens en son pouvoir. Ces circonstances déterminèrent le résident anglais à lui demander une entrevue. Il se rendit à Mukarre dans ce but. Là, il apprit une multitude d’actes de cruauté du rajah ; il découvrit encore un grand nombre d’intrigues mises en jeu par les agents de celui-ci dans le but d’éloigner du gouvernement de la Compagnie les employés mysoréens. Il s’efforçait de leur persuader de renoncer a la protection britannique. Dès lors, en effet, ceux-ci l’auraient laissé s’emparer de sa sœur sans y mettre d’obstacles ; la protection des Anglais était la seule sauve-garde de celle-ci. À la même époque, le polygard de Terrikerry fut mandé à Mysore ; on le soupçonnait d’avoir pris part à certains mouvements insurrectionnels qui venaient d’éclater récemment dans les districts à l’ouest de Mysore. Injonction lui fut faite de se rendre à Bangalore ; au lieu d’obéir, il alla se cacher ainsi que sa famille, sur le territoire du rajah de Koorg. Le résident anglais à Mysore s’empressa, dès qu’il en fut instruit, de solliciter son extradition.

Le rajah se borna d’abord à nier le fait. On apprit cependant peu après que le fugitif avait été reçu avec beaucoup d’égards dans le territoire de Koorg ; le rajah s’était mis, dit-on, à son égard, en frais de bons procédés ; on parlait d’honneurs publics qu’il se serait empressé de lui rendre, etc. Un corps de troupes assez considérable, parti de Bellary, se trouvait alors en chemin pour aller soutenir la révolte. Le rajah de Koorg, ayant appris sur ses entrefaites le départ de sa sœur, qui, abandonnant Mysore, s’était réfugiée à Bengalore, semblait n’avoir plus de difficulté à faire pour abandonner le fugitif. Le résident lui adressa, en conséquence, une demande à cet égard ; mais cette demande n’eut pour tout résultat qu’une lettre du rajah conçue en termes peu respectueux pour la Compagnie. Il se plaignait qu’un asile eût été donné sur le territoire de Mysore à quelques uns de ses sujets fugitifs ; il finissait par la dénégation la plus complète que Naïck eût jamais paru sur son propre territoire. Ces circonstances, en raison de l’état de troubles où se trouvait le royaume de Mysore, parurent graves au gouverneur de Madras ; il députa, dans le mois de septembre, un envoyé au rajah, dans le but d’amener une solution pacifique. De son côté, le gouverneur-général, redoutant que ces événements ne prissent tout-à-coup une grande importance, se rendit à Madras pour se trouver en mesure de les suivre de plus près. À peine arrivé il écrivit au rajah par l’intermédiaire de l’envoyé ; il lui annonçait l’intention de se rendre très prochainement à Mysore dans le but de l’y rencontrer. Cette lettre demeura sans réponse. À son arrivée à Madras, le gouverneur-général en envoya une autre, celle-ci ayant pour objet principal de sommer le rajah de remettre en liberté l’agent anglais qu’il avait fait séquestrer. Elle demeura sans réponse aussi bien que la précédente. Le gouverneur-général se décida alors à recourir à la force. Le brigadier-général Lindsay, à la tête d’un détachement considérable, entra immédiatement en campagne, et se porta sur la capitale du rajah, qui se rendit dès les premières démonstrations. Étonné de cette première chute, le rajah se rendit peu de jours après. Il n’avait pas d’enfants ; irrité des mauvais procédés qu’il s’était permis peu auparavant, le gouvernement britannique, n’osant lui restituer une autorité qui ne pouvait manquer d’être immédiatement tournée contre lui-même, prit le parti de le faire descendre du trône ; il déclara, par une décision du 10 avril 1834, le territoire de Koorg réuni au territoire de la Compagnie. Ce fut la dernière acquisition territoriale de celle-ci. Tout en cessant de s’étendre au dehors, l’empire anglais subissait d’ailleurs à cette époque une sorte de révolution intérieure ; la force qu’il avait jusque là employée à s’étendre au-dehors revenait pour ainsi dire sur elle-même, et il en résultait une transformation complète dans le gouvernement. Nous voulons parler des importantes modifications apportées à la charte de la Compagnie.

La santé de lord William l’obligea bientôt à songer à son départ. Les négociants et sujets anglais à Londres, quand ce projet de départ fut connu, se hâtèrent de lui faire parvenir une adresse. « Les signataires de l’adresse se sentaient, disaient-ils, comme entraînés à exprimer au gouverneur-général leur humble approbation des diverses mesures signalant son administration. Toutes ces mesures avaient en effet pour but les progrès de la civilisation dans les vastes contrées qui s’étaient trouvées sous son administration. Elles ne pouvaient manquer de profiter au commerce, à l’agriculture, en un mot de concourir à l’accroissement du bien-être de la nombreuse population de l’Inde. L’administration de lord William s’était écoulée, continuaient les signataires, au milieu des circonstances différentes de celles de ses prédécesseurs ; ces derniers avaient eu à soutenir des guerres et des expéditions de toutes sortes, glorieuses, sans doute, mais périlleuses aussi, et fatales aux finances ; sa tâche, à lui, lord William plus pénible et moins brillante en apparence, n’en était pourtant pas moins importante. Il lui avait été réservé de consolider les conquêtes faites par d’autres ; de réorganiser les services publics, de lutter contre un déficit toujours croissant, etc., etc. » Diverses autres corporations suivirent l’exemple des marchands et rédigèrent de leur côté des adresses analogues ; enfin, dans une nombreuse assemblée, convoquée à cet effet, la résolution fut adoptée de solliciter de lord William l’autorisation de faire exécuter sa statue, pour en faire l’ornement d’une des places publiques de Calcutta. La cour des directeurs, à son retour en Angleterre, adopta de son côté la résolution suivante : « La cour regrette amèrement que l’état de santé de lord William Bentinck soit de nature à priver la Compagnie de ses éminents services. La cour croit convenable, à l’occasion de la retraite de Sa Seigneurie, d’exprimer publiquement sa haute opinion de l’habileté, du zèle, de l’intégrité et de l’énergie qu’elle a déployée pendant la durée de son administration. »

L’administration de lord William Bentinck se distingua par quelques traits qui lui sont propres de celles qui l’ont précédée. Les administrations de Clive, de Wellesley, du marquis de Hastings, sont signalées par quelque événement important qui en est comme le fondement ; il n’en est pas de même sous lord William. Le mouvement d’accroissement de l’empire a touché ses dernières limites, mais il s’agit de gouverner et d’administrer cet empire nouvellement formé. Il s’agit de gouverner sans les moyens extraordinaires que la guerre permet d’employer, et, chose plus difficile, sans cette exaltation, sans cette énergie intellectuelle qu’elle amène d’ordinaire. Les difficultés de son administration n’en furent que plus considérables ; il fallut songer à des réformes, à des économies, à des réorganisations intérieures, toutes choses qui, pour n’avoir ni éclat ni popularité, n’en sont que plus difficiles à exécuter. Cette administration se fit remarquer, de ce côté, par quelques traits qui méritent d’être rappelés. Lord William abolit les suttees ; il favorisa le système des communications par la vapeur, dont les conséquences durent être immenses ; il appela les indigènes en beaucoup plus grand nombre qu’ils ne l’avaient encore été à remplir les fonctions judiciaires ; il délivra la presse d’une partie des entraves qui jusque là avaient enchaîné sa liberté sur le sol de l’Inde ; il transporta à vrai dire cette liberté tout entière à Londres, à Calcutta, quoiqu’il dut être le premier à en souffrir. Obligé de faire des réductions considérables dans les services publics, il ne pouvait manquer d’être le premier objet d’attaques violentes. Sous ce rapport, il faudrait louer l’élévation de son caractère, quand bien même on ne serait pas disposé à croire avec lui aux bienfaits de cette liberté, en d’autres termes, de cette puissance conférée tout-à-coup à des journaux. Par ces côtés, par quelques autres encore le gouvernement de lord William ne manque pas d’analogie avec celui de Warren Hastings. La tâche de ce dernier était d’affermir, d’organiser à l’intérieur l’empire tout nouvellement conquis par Clive ; il avait à en rapprocher, à en lier, à en mettre fortement en contact les parties diverses. C’est quelque chose d’analogue que lord William eut à exécuter ; lui aussi n’eut pas à accroître l’empire, mais seulement à l’asseoir plus solidement sur ses vastes fondements, pour ainsi dire, encore tout humides. C’est contre des difficultés d’intérieur qu’il eut de même à lutter. Les réformes et les économies dont il fut l’instrument jetèrent de même parmi ses subordonnés un mécontentement, un esprit d’hostilité qui ne pouvait manquer de gêner, d’entraver l’action du gouverneur. Comme son illustre prédécesseur, lui aussi atteignit pourtant le but ; d’ailleurs hâtons-nous d’ajouter que le parallèle ne saurait aller au-delà. L’autorité d’un gouverneur-général, encore toute nouvelle, encore toute chancelante dans les mains de Warren Hastings, consacrée par le temps dans celles de lord William, se trouvait affermie. Or, s’il est vrai de dire que les difficultés qui signalèrent les deux époques furent de même nature, il faudrait ajouter qu’elles ne pouvaient avoir la même portée, dans la seconde que dans la première. Aussi Warren Hastings, à l’heure qu’il est, demeure-t-il encore l’esprit le plus vaste, le plus ferme le plus éminemment apte au gouvernement qui ait encore paru dans l’Inde anglaise.

Le territoire de Koorg fut la dernière acquisition territoriale que devait faire la Compagnie ; elle avait alors atteint son apogée. En revanche, d’importants événements d’intérieur signalèrent cette époque. Le moment approchait où expiraient les vingt années du renouvellement de privilège accordé à la Compagnie par l’acte du parlement de 1813. Dans le mois de février 1830, lord Ellenborough fit à la chambre des lords la motion de nommer un comité spécial, chargé de l’examen des affaires de l’Inde et de l’état des relations commerciales alors existantes entre l’Angleterre et la Chine. Ces dernières relations avaient en effet pris, depuis quelques années surtout, une grande importance, et qui devait pourtant s’accroître encore. Lord Ellenborough appelait encore l’attention de la chambre sur la nécessité de réductions considérables dans les différentes branches du service de l’Inde ; il terminait sa motion en annonçant que la chambre aurait à se prononcer prochainement sur ces deux questions : 1° de décider si l’Inde devait être gouvernée avec ou sans l’assistance de la Compagnie ; 2° s’il était à propos que cette assistance s’exerçât dans la forme précédemment adoptée, ou sous une forme nouvelle. Le même jour, sir Robert Peel fit une motion analogue aux communes. Deux comités furent en conséquence nommés dans l’une et l’autre chambre, et se livrèrent à cet examen. Déjà ils avaient exposé quelques uns des résultats de leurs recherches ; mais, sur ces entrefaites, le roi Georges IV vint à mourir, ce qui amena la prorogation, puis peu après la dissolution du parlement.

Lord Wellington se trouvait à la tête du ministère. Une entrevue eut lieu dans le mois d’octobre 1830 entre lui, lord Ellenborough et le président de la cour des directeurs, dans sa maison de Aspley-House. Le terme était arrivé disait le duc, où signification pouvait être faite à la Compagnie de la cessation de son privilège, qui expirait effectivement dans l’année 1834. Il avait voulu savoir l’intention de la cour des directeurs, dans la supposition où le gouvernement prendrait ces mesures : 1° d’abolir le privilège ou le monopole de la Compagnie ; 2° de laisser aux directeurs, dans ce nouvel ordre de choses, les fonctions qu’ils avaient exercées jusqu’alors. Les directeurs, parlant en leur propre nom, n’avaient, à ce qu’ils dirent, aucune objection à ce dernier parti ; ils se trouveraient toujours prêts à continuer leurs fonctions, dans le cas où ils pourraient se flatter de rendre au pays les mêmes services que par le passé. Un déficit considérable existait, selon eux, dans les finances de la Compagnie, déficit à peine et difficilement couvert par les bénéfices du commerce de l’opium avec la Chine. Ils observèrent enfin que le territoire de l’Inde tout entier donnait accès au capital commercial de la Compagnie, et qu’il en résultait un bénéfice de 10 1/2 pour 100. Ils ajoutèrent qu’en qualité de directeurs leur premier devoir était de demander toute sécurité dans l’avenir pour la conservation soit des propriétés soit des différents avantages dont jouissaient leurs mandataires. Le duc de Wellington et lord Ellenborough répondirent que les propriétaires ne pouvaient manquer d’avoir pleinement cette sécurité, quant à la conservation de leur capital commercial, et quant à leur dividende, à son taux actuel ; que les valeurs laissées par la Compagnie, et celles des propriétés qu’elle possédait dans l’Inde, considérée comme compagnie commerçante, étaient plus que suffisantes pour remplir cet objet. D’autres points essentiels, toutefois d’une importance moindre que celui-là, furent encore discutés dans cette conférence. Les directeurs durent en faire part au comité de correspondance, prendre son avis, et le communiquer au duc de Wellington ainsi qu’à lord Ellenborough.

Le nouveau parlement s’assembla le 26 octobre 1831. La révolution de juillet, éclatée peu de mois auparavant, avait eu dans toute l’Europe un contre-coup qui se fit d’abord sentir en Angleterre. Lord Wellington, renversé du ministère, fut remplacé par lord Grey qui venait commencer ce mouvement réformiste que nous voyons se prolonger sous nos yeux. De nombreuses questions d’une immense gravité occupèrent d’abord le ministère dont le noble lord était le chef ; la chambre des communes, sur la motion de M. Grant, nomme cependant un comité d’enquête, chargé de constater la situation des affaires de l’Inde. À peine ce comité avait-il eu le temps de se réunir deux ou trois fois, que le parlement fut prorogé, puis dissous. Le nouveau parlement nomma dans le même but un second comité ; il le chargea de pénétrer à fond l’état des affaires de la Compagnie, d’écouter les adversaires et les partisans de son privilège ; enfin de présenter le projet d’un nouvel arrangement pour l’administration et le gouvernement de l’Inde. Les adversaires de la Compagnie, constituée telle qu’elle était, c’est-à-dire du privilège exclusif, se trouvaient dans le parlement plus nombreux que ses partisans ; la situation était sous plusieurs rapports absolument nouvelle. Le ministère, qui, dans des circonstances analogues n’avait jamais manqué de se prononcer en faveur de la Compagnie, au moins tant qu’à la teneur générale de son mandat, lui était maintenant opposé. Ainsi soutenus par l’opinion publique, les adversaires du monopole, se servant de l’arme ordinaire dans ces sortes de combats, adressèrent de nombreuses pétitions au parlement. La cour des directeurs s’interdit cette arme, dont elle-même s’était jadis bien souvent servie ; elle se résolut, d’un autre côté, à ne rien cacher de ses affaires les plus secrètes, à jouer, comme on dit, carte sur table. Ne cherchant point à lutter pour le maintien intégral de l’institution alors existante, elle se bornait à se ménager les moyens d’obtenir la transaction la plus favorable vers le nouvel ordre de choses. Elle repoussait néanmoins avec une extrême énergie toute allégation tendant à jeter du doute tant sur la bonne foi que sur l’habileté de son administration passée. Une des pétitions dirigées contre elle contenait cette expression : « L’ignorance ou la mauvaise foi a nécessairement présidé à la rédaction des comptes de la Compagnie. » Le signataire de cette pétition fut mis en présence de deux employés des finances de la Compagnie, devant le comité du parlement ; un débat contradictoire s’engagea, où l’avantage resta tout entier, dit-on, à la Compagnie. Le comité spécial se subdivisait en six comités secondaires : — pour les affaires générales ; — pour les finances et le commerce ; – pour les revenus ; — pour l’administration de la justice ; — pour l’armée ; — pour les affaires politiques. Le comité, après avoir entendu le rapport de ces diverses commissions, devait faire un rapport général et proposer au ministère les bases du nouvel arrangement.

Les négociations entre le ministère et les directeurs reprirent dès lors leur cours. Le président et le vice-président de la cour eurent une entrevue à ce sujet, le 10 décembre, avec le comte Grey et M. Grant. Le ministre communiqua la minute des nouveaux arrangements qu’il se proposait d’effectuer. La question consistait à régler les conditions du transfert à la couronne de toutes les propriétés territoriales et commerciales de la Compagnie, puis à déterminer les modifications à faire subir au mode d’administration et de gouvernement de celle-ci, tant en Angleterre que dans l’Inde. Pour atteindre ce but il fallait, d’un côté, assurer les intérêts des propriétaires, de l’autre mettre la Compagnie à même de continuer les fonctions politiques qui demeureraient dans ses mains. Quant au premier point, le ministère se proposait d’y aviser au moyen de ces deux mesures : une annuité payable pendant un certain nombre d’années ; un capital placé dans les fonds d’Angleterre, et qui devait être partagé entre eux au bout d’un certain espace de temps. Il fixait à 630,000 livres sterling le montant de l’annuité, à 1, 200,000 celui du fonds commun. Cette somme de 600,000 livres représentait le dividende touché par les propriétaires dans les dernières années, c’est-à-dire l’intérêt de leurs capitaux à 10 1/2 pour 100. La cour des directeurs approuvait au fond les propositions faites par le gouvernement : aussi se bornait-elle à solliciter certaines modifications de médiocre importance.

Elle demandait que la durée de l’annuité ne pût pas être moindre de quarante ans ; que le montant du fonds commun fut calculé de manière à suffire à l’expiration de ce terme au rachat des annuités ; que dans le cas où les revenus de l’Inde ne seraient pas suffisants à solder l’annuité aux époques fixées, ce déficit fût suppléé par le fonds commun ; chaque somme qui en serait détournée par ce moyen devant être remplacée aussitôt que possible sur les fonds qui arriveraient plus tard de l’Inde ; 2o que la Compagnie, jouissant des mêmes pouvoirs qui lui étaient alors confiés, continuerait d’administrer l’Inde pour une période fixée d’avance, mais qui ne pourrait pas être moindre de vingt années ; que, dans le cas où elle en serait privée à cette époque, ou après cette époque, elle aurait le droit de demander le remboursement de ses annuités, sur le pied de 5 1/4 pour 100 ; 3o que pendant toute la durée du gouvernement de la Compagnie, toutes mesures entraînant des dépenses soit directes, soit indirectes, découleraient de la cour des directeurs et seraient sujettes au contrôle des commissaires, comme cela était alors, avec les restrictions déjà existantes ; 4o que la faculté serait réservée à la Compagnie d’en appeler, par la voie de la publicité, aux deux chambres du parlement de tout acte du bureau du contrôle que la cour des directeurs jugerait inconstitutionnel, en contradiction avec les principes d’un bon gouvernement, de nature à compromettre la sûreté des dividendes, etc. ; 5° que la cour des directeurs aurait la faculté de proposer à l’assemblée des propriétaires, et plus tard au bureau du contrôle, un plan propre à remplir les obligations commerciales de la Compagnie, à régler la situation et l’avenir de ceux de ses employés dont la situation serait modifiée par les arrangements actuels.

La cour des directeurs ayant soumis cette décision à la cour générale des propriétaires, celle-ci l’approuva à une majorité de 477 voix contre 52. L’objet en délibération était sans doute d’une fort grande importance : il s’agissait d’une propriété évaluée à 21,000,000 de livres sterling, de forteresses, de factoreries, de vastes territoires possédés au même titre que peut l’être toute autre propriété. Depuis l’arrangement actuel et la communication à la cour des propriétaires, à peine un mois s’était-il écoulé, et déjà ceux-ci l’adoptèrent à une immense majorité. On ne saurait trouver une meilleure preuve de l’opportunité de la mesure en question. Les ministres s’empressèrent de témoigner à la cour des directeurs leur satisfaction de ce résultat ; ils témoignèrent aussi leur bonne volonté de faire la concession sollicitée par ceux-ci. En conséquence, ils consentirent à élever le fonds commun à la somme de 2,000,000 chiffre indiqué par elle ; à donner au paiement du dividende la prééminence sur tout autre ; à assurer le gouvernement de l’Inde à la Compagnie pour une période de vingt années. Ces conditions parurent satisfaisantes aux directeurs ; ils s’empressèrent de faire connaître au ministère l’expression de leur reconnaissance et de celle des actionnaires, de l’esprit de franchise et de conciliation qu’il venait de montrer. Quant à la garantie de publicité demandée par la cour des directeurs, le ministère objectait que la publicité était chose de règle, de droit général ; qu’elle ne pouvait par conséquent pas plus, dans ce cas que dans tout autre, être considérée comme un privilège. La cour des directeurs, après quelques objections, finit par se rendre à ces raisons.

Jusque là toutes les choses s’étaient passées entre le ministère et la cour des directeurs ; il s’agissait de faire sanctionner par le parlement, sous forme de bill, l’ensemble dés mesures projetées. M. Grant, à qui échut cette tâche, expose aux communes la nécessité, alors généralement sentie, d’une modification dans la constitution de la Compagnie. Sur sa motion, la chambre adopta ces trois résolutions : « 1° Il est expédient que les sujets de Sa Majesté soient mis en liberté d’aborder dans tous les ports de l’empire de la Chine, et d’y faire le commerce, soit de thé, soit des autres produits de cet empire ; à charge eux d’ailleurs de se soumettre à telles mesures réglementaires que le parlement jugerait convenable pour la protection des intérêts politiques et commerciaux du pays ; 2° il est expédient que la Compagnie des Indes orientales transmette à la couronne les possessions territoriales, les capitaux, créances, etc., qui lui appartiennent à titre quelconque, à la charge à la couronne de prendre à son compte toutes les obligations de la Compagnie ; ladite Compagnie recevant des revenus dudit territoire telles sommes et de telle façon qui seraient déterminées par le parlement ; 3° il est expédient que le gouvernement des provinces britanniques dans l’Inde continue d’être confié à ladite Compagnie, sous telles conditions et règlements qu’il plaira au parlement d’établir, dans le but d’étendre le commerce de ce pays, d’en assurer le bon gouvernement, de pourvoir à l’amélioration morale et religieuse des peuples de l’Inde. » L’auteur de ces différentes motions fit dès lors connaître une partie des modifications que le ministère se proposait d’apporter à la gestion des affaires de l’Inde. Il s’agissait d’établir une quatrième présidence, d’instituer un conseil suprême chargé de faire des lois et règlements pour l’Inde, de rendre plus dépendantes que par le passé du gouverneur-général les présidences de Madras et de Bombay, etc., etc. Les trois résolutions des communes furent communiquées le 17 juin à un comité de la chambre des lords, qui les prit en considération peu de jours après ; après ordonna qu’une nouvelle conférence eût lieu à ce sujet avec les communes. Pendant ce temps, M. Grant avait présenté à la chambre des communes, le 28 juin, un bill établissant les bases que nous avons indiquées.

Ce bill embrassait le gouvernement tout entier de la Compagnie, ainsi que les questions de nature à s’y rattacher, soit dans le présent, soit dans l’avenir ; il disait : « Les territoires possédés dans l’Inde par l’Angleterre demeurent sous le gouvernement de la Compagnie jusqu’au 30 avril 1854. Les propriétés de la Compagnie sont acquises à la couronne pour l’acquittement des dépenses de l’Inde. Les privilèges, droits, pouvoirs immunités de la Compagnie continuent d’être en force jusqu’à la même époque. À compter du 22 avril, le commerce du thé cessera d’appartenir à la Compagnie. Il est loisible à celle-ci de vendre de ce qui lui appartient la partie qui n’en est pas acquise au gouvernement. Le bureau du contrôle devra surveiller cette vente, de même que la réduction de l’établissement de la Compagnie, et accorder des compensations à ceux des employés qui se trouvaient supprimés. Les dettes de la Compagnie seront liquidées à une époque déterminée, sur les bénéfices et les revenus territoriaux de l’Inde. Un dividende de 10 et demi p. 100 est accordé aux propriétaires du capital de la Compagnie, mais rachetable par le parlement dans certaines proportions fixées d’avance. La Compagnie est autorisée à demander ce remboursement dans le cas où le gouvernement de l’Inde lui serait enlevé. Un fonds social de deux millions de livres sterling est formé pour le remboursement de l’annuité accordée aux propriétaires du capital social de la Compagnie ; jusque là, l’intérêt de ce fonds commun s’ajoutera au capital. En cas de non-paiement de l’annuité ou d’une partie de l’annuité par le gouvernement, la cour des directeurs est autorisée à prendre sur le fonds commun la somme nécessaire pour compléter ce paiement. Le dividende sera payé sur les revenus de l’Inde de préférence à toute autre dépense.

« Le roi nomme un certain nombre de commissaires pour les affaires de l’Inde, et ceux-ci forment un conseil appelé comme précédemment bureau du contrôle ; le lord président du conseil, le lord du sceau privé, en font nécessairement partie. Les uns et les autres recevront un salaire fixé par la couronne, et auront le droit de nommer deux secrétaires et un certain nombre d’employés. Ce bureau commencera ses fonctions le 22 avril 1834. La cour des directeurs lui adressera copie de toutes les instructions, dépêches, lettres, etc., envoyées par elle dans l’Inde ; aucune communication officielle ne sera reçue par le gouvernement de l’Inde, si elle ne se trouve pourvue de cette formalité préalable ; s’il arrivait qu’elle fût négligée par la cour des directeurs, il appartiendra au bureau du contrôle de prendre de lui-même l’initiative des communications avec l’Inde. La cour des directeurs. dans le cas où elle croirait illégales, en contradiction avec les lois et ordonnances du royaume les instructions du bureau du contrôle, aura la faculté d’en déférer à la cour du banc du roi, qui en donnera son avis. Le bureau du contrôle n’a aucune surveillance à exercer sur les employés de la Compagnie en Angleterre. La cour des directeurs peut nommer deux comités, engagés sous serment au secret à son égard. Le bureau du contrôle, dans le cas où il croirait le secret nécessaire à ses communications avec la cour des directeurs, les fera passer par ces comités. La cour des directeurs soumettra au bureau du contrôle un état estimatif des sommes nécessaires au salaire des directeurs, de leurs employés, et autres dépenses ; elle rendra compte des sommes qui lui seront allouées pour cet objet. Les restrictions mises à jour aux conditions d’éligibilité pour la cour des directeurs sont écartées ; les propriétaires auront le droit de voter à l’avenir par procuration.

« Comme par le passé, le gouvernement de l’Inde est confié à un gouverneur-général en conseil : conseil composé de quatre membres, dont les fonctions commenceront le 22 avril 1834. La nomination aux fonctions de gouverneur-général appartient à la cour des directeurs, sous l’approbation du roi. Le gouverneur-général en conseil a le droit de prendre, quant à l’Inde, toutes mesures, toutes dispositions législatives qu’il jugerait convenable ; à cela près de quelques cas exceptionnels indiqués d’avance, ces mesures, dispositions législatives, etc., devront avoir dans l’Inde la même force qu’aucun acte du parlement. Toutefois, la cour des directeurs demeure juge de l’opportunité ou du mérite de ces diverses mesures. Il lui appartiendra, le cas échéant, de les désapprouver, et le gouverneur-général les rapportera immédiatement. La cour des directeurs soumettra au bureau du contrôle les règles de procédure à suivre par le gouverneur-général en conseil. Les instructions de la cour des directeurs à ce dernier seront communiquées au parlement toutes les fois qu’elles auront trait à la paix ou à la sûreté de l’Inde. Le conseil peut s’assembler où bon lui semble dans l’Inde entière. Une commission législative sera chargée de déterminer les divers ordres de juridiction des cours de justice, tribunaux, etc., leur compétence, etc. Cette commission suivra les instructions du gouverneur-général, et chacun de ses membres recevra un salaire.

« La présidence du fort William est subdivisée en deux autres ; l’une continuera d’être appelée présidence du fort William, l’autre sera nommée présidence d’Agra. Leurs limités respectives seront de temps à autre soumises à révision. Le gouvernement de chacune de ces présidences réside aux mains d’un gouverneur et de trois conseillers ; la cour des directeurs conserve le droit de réduire le nombre de ces derniers ou de réduire leurs appointements. La nomination des gouverneurs-généraux ou gouverneurs appartient à la cour des directeurs, mais sous l’approbation du roi ; en cas de négligence de sa part à remplir les fonctions vacantes pendant un laps de deux mois, le roi peut y nommer lui-même. Toute place qui devient vacante est provisoirement remplie par ordre d’ancienneté. Dans certains cas, la cour des directeurs peut créer quelques employés et en fixer les émoluments. Le gouverneur-général en conseil est tenu de prendre en considération toute mesure proposée par les gouverneurs des présidences subordonnées. Il peut se transporter de sa personne où bon lui semble et sans le conseil, Il prend en conseil toute mesure de législation militaire qu’il juge convenable. Le roi et la cour des directeurs congédient du service de l’Inde, et sans formalités préliminaires, celui-là les officiers de l’armée, celle-ci ses propres employés. Les émoluments du gouverneur-général sont fixés par le présent bill à 240,000 roupies, ceux des membres du conseil à 36,000, ceux des gouverneurs de présidence à 120,000. Toute réception de présents, sous un titre ou une forme quelconque, demeure aussi formellement interdite que par le passé. Les gouverneurs-généraux ou particuliers devront en outre renoncer, pendant la durée de leurs fonctions, à tous autres salaire, pension, etc.

« Le patronage de l’Inde c’est-à-dire la nomination aux différents emplois de l’Inde, demeure comme par le passé, et sauf les restrictions énoncées, aux mains de la cour des directeurs ; toute désobéissance à ses ordres est considérée suivant l’occurrence, comme crime délit, etc. Les sujets de Sa Majesté britannique ont le droit d’aborder et de résider dans certains lieux de l’Inde, lieux dont le gouverneur-général aura la faculté d’augmenter le nombre dans certains cas. La permission des directeurs continue à être nécessaire pour le séjour dans certaines autres localités ; des dispositions législatives, appuyées d’une sanction pénale, seront prises contre toute résidence illicite. Tout sujet anglais, sans différence de religion devient apte à acquérir des propriétés territoriales ou autres, mais dans certaines localités qui seront désignées plus tard. La liberté, la propriété des indigènes, seront assurées par de nouvelles dispositions législatives ; l’esclavage, d’abord adouci, aussitôt que possible devra être aboli. Le roi a la faculté de créer des évêques à Calcutta, Madras, Bombay, avec des appointements qui commencent à courir du jour de leur nomination, 500 livres sterling pour leurs frais de voyage, etc. L’évêque de Calcutta est le métropolitain de l’Inde. La nomination des évêques par le roi doit être contresignée par le président du bureau du contrôle. Les salaires des archidiacres dans l’Inde ne pourront dépasser 3,000 roupies. Deux chapelains de l’église d’Écosse seront désignés pour chaque présidence. Les emplois dans l’Inde appartiennent de droit aux élèves du collège de Hailesbury. Ceux-ci passent un examen d’après lequel ils sont respectivement classés ; ils sont ensuite appelés aux places vacantes, d’après leur rang sur cette liste, au fur et à mesure des vacances, dont une liste est annuellement dressée par le gouverneur-général. Les actes de la cour des directeurs, à l’exception de ceux qui ont pour but l’exercice de son droit de nomination aux divers emplois, ne peuvent se passer de la sanction du bureau du contrôle. D’un autre côté, celui-ci n’a le droit d’accorder ni émoluments ni salaires à titre quelconque. La Compagnie continue d’être appelée Compagnie des Indes orientales. Sainte-Hélène, jusque là sous sa domination, passe à la couronne ; ses comptes seront présentés tous les ans au parlement. Enfin l’acte actuel devra commencer à être mis en vigueur le 22 avril suivant (1834). »

La seconde lecture de ce bill se fit le 11, et la troisième le 26 juillet à la chambre des communes. Il y fut adopté ce même jour. Il le fut le 16 août à la chambre des lords, après les deux autres lectures d’usage, puis reçut le 28 du même mois la sanction royale. Ce bill est le dernier terme d’une époque de l’histoire de l’Inde, dont la première charte accordée aux marchands unis pour le commerce des Indes orientales est le point de départ. Ces deux actes forment en effet les deux extrémités de la carrière parcourue par la Compagnie des Indes. Le premier marque son point de départ. L’ayant obtenu, elle prend pied à Bombay, à Madras, à Calcutta ; elle acquiert les trois provinces du Bengale, Bahar et Orissa ; alors survient la lutte avec la France qui lui dispute la prépondérance ; Hyder et Tippoo se présentent dans la lice, puis ils sont vaincus ; les Mahrattes, auxquels se sont ralliés les États indépendants de la péninsule, leur succèdent et subissent le même sort. La Compagnie demeure souveraine, maîtresse absolue de l’Inde entière. Du cap Comorin au pied de l’Hymalaya, des bouches du Gange à celles de l’Indus, l’empire qu’elle a fondé touche alors à son apogée. Aucun nouvel ennemi ne se présente pour combattre ; aucun obstacle n’apparaît plus à l’horizon, de quelque côte que les yeux se tournent. Alors la force qui a servi jusque là à ce développement revient en quelque sorte sur elle-même. L’empire se transforme, se métamorphose. Il commence de nouvelles destinées. Les événements actuels du Caboul et de la Chine marquent le début de cette période ; leur importance est grande dès à présent, elle le sera davantage encore dans l’avenir mais trop rapprochés de nous, ils ne sont point encore du domaine de l’histoire. L’instant est donc arrivé de déposer la plume qui nous a servi à retracer, dans la mesure de nos forces l’Histoire de la conquête et de la fondation de l’empire anglais dans l’Inde

fin du tome sixième et dernier