Histoire de la Révolution française (Michelet)/Livre XXI/Chapitre 5

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CHAPITRE V

LA JOURNÉE DU 9 THERMIDOR (28 JUILLET 1794).


Discours habile de Saint-Just. — Tallien interrompt Saint-Just. — Maladresse des accusateurs. — On étouffe la voix de Robespierre. — Barère essaye de sauver Robespierre. — Neutralité de la Montagne indépendante. — Robespierre s’adresse à la droite. — On demande son arrestation. — Il est arrêté. — Le peuple veut empêcher l’exécution du jour.


Robespierre, dans cette assurance, ayant conscience et de l’immense force morale qui restait encore en lui et des forces matérielles dont il lui était si facile d’entourer la Convention, sentit pourtant le matin du 9 que ce jour était décisif. Il était habillé avec un soin remarquable et portait l’habit bleu de ciel, si connu depuis la fête de l’Être suprême. Ses ennemis ont prétendu bassement (d’après eux-mêmes, d’après ce que sans doute ils auraient fait en ce cas), qu’il avait emporté des armes, de l’argent, beaucoup d’argent[1]. Mais en avait-il chez lui ? J’en doute. Il devait à son hôte sa pension de plusieurs années. Pour des armes, il en avait ; quelles ? Ses immenses services rendus à la République, l’énergie de sa parole, sa grande présence d’esprit, l’habile et parfait maniement qu’il avait de l’Assemblée. Il ne doutait nullement de la ramener.

Ignorait-il entièrement les préparatifs militaires ? Non, sans doute. Mais il les regardait comme chose de précaution. Nulles troupes ne se montraient dans le voisinage. L’Assemblée paraissait libre ; elle pouvait avec dignité accepter la conciliation qu’apportait Saint-Just.

Le discours écrit par lui et certainement concerté avec Robespierre était d’une adresse infinie. Si la lecture eût pu être poussée seulement à la vingtième ligne, la curiosité, habilement éveillée, eût fait désirer l’entendre, et la Convention adoucie reprenait le joug.

Ce discours met hors de doute que l’esprit le plus utopiste de la Convention aurait été en même temps son plus grand homme d’affaires, son plus délié politique. La raideur de Saint-Just n’était qu’extérieure. Autant ses notes (qu’on appelle à tort ses Institutions) sont reculées dans les nuages, autant ses discours à la Convention sont violemment oratoires et tyranniquement éloquents, autant dans cette œuvre dernière il montre d’adresse et de ruse. Un autre discours qui manque à ses œuvres, mais qui a été publié (Revue rétrospective, 2e série, IV, 425), étonne par l’étendue des connaissances, la netteté, la précision, l’admirable sens pratique, le nerf du vrai homme d’État.

Le fond du discours écrit pour le 9 thermidor est une récrimination très habile qui écarte de Robespierre le reproche de dictature. C’est Carnot, c’est Billaud-Varennes et Collot qui ont profité de l’absence de Robespierre, de Saint-Just, de Saint-André et autres membres du Comité pour prendre un pouvoir dictatorial.

C’est une chose incroyable combien ce violent génie a pu prendre sur lui pour changer de forme et de ton, mettre la sourdine à sa voix. Avec une connaissance merveilleuse de la nature, qu’on a rarement à cet âge, il calme la foule en faisant une part à la malignité, en se donnant à lui-même (si sérieux !) un léger ridicule, réduisant la grande question à une lutte d’amour-propre entre lui et Carnot, faisant le jeune homme irrité de ce qu’on lui disputait sa bataille de Fleurus : « On a parlé de la bataille ; d’autres qui n’ont rien dit y étaient ; on a parlé du siège ; d’autres qui n’en ont rien dit étaient dans la tranchée. Ceux qui gagnent les batailles, ce sont ceux qui y sont. » De même sur Robespierre. Un tyran de l’opinion ! un dictateur de l’éloquence ! Eh ! qui vous empêche, vous autres, d’essayer d’être éloquents ?

Avec un sentiment étonnant de sa force et de sa grandeur (la dignité de celui qui sait qu’on ne repousse pas la main d’un héros qui l’offre), dans un combat si terrible, au milieu d’une lutte à mort, il attestait… l’amitié !

Que voulait-il, que demandait-il ? Ce que tout le monde demandait, l’atténuation de l’arbitraire des Comités, spécialement que tout acte portât la signature de six membres (c’était abdiquer le triumvirat). Il notait avec bon sens ce rôle de ministre, qui absorbait Lindet, Carnot, les confinait dans l’administration et les éloignait du gouvernement. Il blâmait Carnot, Gollot et Billaud, mais avec modération, disant : « Les membres que j’accuse ont commis peu de fautes… Je ne conclus pas contre eux ; je désire qu’ils se justifient et que nous devenions plus sages. »

Personne ne prévoyait un discours tellement modéré. Si Saint-Just eût tenu sa parole au Comité, s’il lui eût lu son rapport, le Comité, indécis, mol lissant, entre deux dangers, se serait rapproché de lui, fût entré avec lui à la Convention, eût étonné l’Assemblée de ce rapprochement, et elle eût écouté Saint-Just. Il vint seul (il était midi). Tallien, Bourdon et quelques autres, frémissant d’audace et de peur, étaient dans les corridors, arrêtant et caressant leurs alliés du côté droit. Au troisième alinéa que lisait Saint-Just, Tallien entra et lui coupa la parole : « Qui ne pleurerait sur la patrie ? Hier, un membre du gouvernement s’en est isolé ; aujourd’hui un autre. Que le rideau soit déchiré ! »

Billaud et les Comités entraient à l’instant, avertis à peine à midi par une lettre de Saint-Just, le trouvant à la tribune, furieux de son manquement de parole, qui leur fit croire qu’il voulait les pousser à mort. Impatients d’étouffer sa voix, se croyant perdus s’il parlait, Billaud interrompit Tallien : « Hier, des hommes aux Jacobins ont dit vouloir égorger la Convention nationale !… En voilà un sur la Montagne… Je le reconnais. »

« Arrêtez-le ! arrêtez-le ! » Ce cri part de tous les bancs. Quand une Assemblée, émue de son péril, est lancée ainsi habilement dans un élan de violence, elle peut aller très loin. La chasse aux hommes une fois commencée, il est facile de la pousser. Ceci fut un coup décisif qui peut-être emporta tout.

« L’Assemblée jugerait mal, si elle se dissimulait qu’elle est entre deux égorgements… Elle périra si elle est faible… »

« Non, non ! » s’écrient tous les membres en se levant à la fois et agitant leurs chapeaux.

Ces spectacles ne manquent guère leur effet. Les tribunes se lèvent d’un même mouvement et crient : « Vive la Convention ! vive le Comité de salut public. »

Lebas veut parler, s’agite… Il est rappelé à l’ordre. Plusieurs crient : « À l’Abbaye. »

Les accusateurs étaient trop émus, trop furieux pour être habiles. Billaud vomit pêle-mêle, parmi beaucoup de choses évidemment vraies, d’autres trop invraisemblables. Il dit que Robespierre, qui se disait opprimé, n’avait quitté le Comité qu’à cause de la résistance qu’y trouvait sa loi de prairial, qu’il avait organisé un infâme espionnage des représentants du peuple, que la veille aux Jacobins son Dumas avait fait chasser ceux qu’on voulait immoler. Tout cela était constant. Mais on haussa les épaules quand il dit que Robespierre favorisait les voleurs, persécutait les comités révolutionnaires, qu’il forçait le gouvernement de placer des nobles, etc. On ne vit dans Tallien qu’un comédien impudent lorsque, tirant un poignard, dans une pose mélodramatique, contre le nouveau Cromwell, le nouveau Catilina : il dit (lui Tallien) que le tyran voulait régner avec des hommes crapuleux et perdus de débauche.

Plus absurde fut Billaud quand il dit maladroitement qu’Henriot était complice d’Hébert, et que c’était lui Billaud qui avait accusé Danton, que Robespierre, au contraire, l’avait défendu… Il oubliait qu’alors même les Montagnards étaient presque tous hébertistes et dantonistes. Il blanchissait justement l’accusé qu’il voulait noircir.

Ce mot fut une avalanche de glace qui tomba sur la Montagne. Beaucoup, qui auraient parlé, s’abstinrent dès lors et parurent neutres. Merlin (de Thionville), Dubois-Crancé, Lecointre et bien d’autres, mortels ennemis de Robespierre, ne prononcèrent pas un mot contre lui. Loin de là, Lecointre disait qu’on devait l’écouter, qu’on ne pouvait empêcher sa défense.

Billaud et Tallien, Tallien et Billaud, se succédaient à la tribune, personne autre n’y montait.

Robespierre voulant répondre, la grande masse d’un même cri étouffait toujours sa parole : « À bas le tyran ! » Les coalisés étaient convenus de le faire périr ainsi. La mort sans phrases (le mot qu’on attribue à Sieyès) pouvait seule rallier une masse si hétérogène, si intéressée à cacher la diversité des mobiles qui la poussaient contre lui.

L’arrestation de Dumas, celle d’Henriot et de ses lieutenants, c’est tout ce qu’on osa d’abord. Cela laissait encore une belle porte ouverte pour Robespierre. On pouvait rejeter tout sur l’odieux président du tribunal révolutionnaire, sur l’ignoble chef de la force armée. Henriot seul aurait tout fait, seul appelé aux armes la garde nationale ; cette convocation furtive sans le rappel du tambour n’était-elle pas une erreur commise par Henriot dans un moment peu lucide ?

Barère que toute l’Assemblée appelait à la tribune, s’efforça de contenir l’affaire dans ces étroites limites. Il n’attaqua absolument que l’autorité militaire, de sorte qu’Henriot sacrifié, le généralat supprimé, le commandement partagé entre les chefs de légion, tout était fini.

Il voulut même sauver le maire, la Commune robespierriste, qui pourtant avait autorisé l’acte d’Henriot. Il vanta leur fidélité.

Toute sa crainte, on le voyait, était qu’en frappant Robespierre, les maladroits, les furieux, les Fréron n’abolissent les deux Comités. Il insista sur la nécessité de ne pas toucher « à ce sanctuaire du gouvernement », à cette unique garantie d’une action centrale et forte ; du reste, rejetant tout le mal, à l’ordinaire, sur les trames de l’étranger, sur les royalistes, les aristocrates.

Ce rapport sauvait Robespierre. Il le délivrait d’Henriot, de l’ivrogne et du bravache qui entravait son parti. Il lui laissait sa Commune où était sa grande force, et l’appel légal aux armes. Il divisait le commandement, au lieu de faire un général dévoué à l’Assemblée.

La séance languissait, l’affaire avortait. Un bavardage de vieillard que fit Vadier à la tribune sur la Mère de Dieu fit rire ; chose bien maladroite et qui pouvait finir tout. Qui rit est presque désarmé. Robespierre, à la tribune, les bras croisés sur la poitrine, endurait cette risée, s’efforçait de sourire lui-même, de simuler le mépris. Plusieurs l’auraient tenu quitte pour ce supplice de la vanité. Mais ceux qui étaient en péril, qui mouraient s’il eût vécu, arrêtèrent le vieux Vadier. « Ramenons, dit Tallien, la discussion à son vrai point… » — Robespierre : « Je saurai bien l’y ramener. » — Cris et violents murmures. Le président, Collot d’Herbois, donne la parole à Tallien.

Celui-ci, allant très droit, surtout voulant réparer la maladresse de Fréron, rallier les Comités, reprocha à Robespierre d’avoir calomnié ces Comités héroïques « qui avaient sauvé la patrie ».

Robespierre frémit du péril, voyant se reformer la ligue, il nia, cria, s’agita… Ses regards désespérés firent un suprême appel à la Montagne… Un groupe de Montagnards, nous l’avons remarqué, étaient restés immobiles. Quelques-uns, par chevalerie, comme Merlin, et parce que Robespierre était leur ennemi personnel, quelques autres, de la nuance de Romme, Soubrany, Maure, Baudot, J.-B. Lacoste, la Montagne indépendante, parce qu’ils n’eussent sauvé Robespierre qu’en lui donnant la dictature. Ils ne pouvaient accabler ce grand citoyen poursuivi par de tels hommes ; d’autre part, comment l’appuyer, quand une fatalité terrible le poussait dans la tyrannie ?

Le cœur percé, plus qu’il ne le fut du poignard de prairial, ils s’enveloppèrent du devoir, se détachèrent des personnes, détournèrent leurs visages sombres du coupable, de l’infortuné si cher et si dangereux à la liberté publique[2]. Car la crise durait encore… Une main lui eût été tendue du sein de la Montagne que la Plaine en eût pâli, que la droite eût reculé ; la déroute se fût mise parmi ses lâches ennemis.

Robespierre, sous ce jugement terrible, hélas ! mérité, se retourna en fureur vers la droite : « Vous, hommes purs ! c’est à vous que je m’adresse, et non aux brigands !… » Il leur redemandait la vie, qu’ils lui devaient, qu’il leur avait sauvée… Il n’en tira rien qu’outrage, des cris, des risées, la mort.

Alors, hors de lui et montrant le poing au président Collot d’Herbois : « Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole !… »

Qui lui répondit ? La voix de Danton, je veux dire de Thuriot, qui avait pris le fauteuil à la place de Collot d’Herbois.

On se souvient que Thuriot, depuis le procès de Danton, devenu tout à coup muet, « malade de la poitrine », avait paru aussi mort que les morts du 5 avril. Il recouvra en ce jour une voix terrible et tonnante, comme celle du Jugement dernier, et de ses poumons d’airain, du timbre, furieusement agité, d’une impitoyable sonnette, il exécuta Robespierre.

Il n’avait rien à espérer, étant tombé aux mains implacables des dantonistes.

« Le sang de Danton l’étouffé ! » dit Garnier (de l’Aube).

C’était un cri du sépulcre. Robespierre n’en fut pas atteint. Il se redressa, comme le serpent sur lequel on marche, et darda ce mot : « Ah ! vous voulez venger Danton !… » Risée amère de la lâcheté de ceux qui le lui livrèrent…

Du fond même de la Montagne deux voix qu’on n’avait entendues jamais :

« L’arrestation ! »

« L’accusation ! »

On se demandait les noms. C’étaient Louchet et Loiseau, gens obscurs, fermes jacobins, nullement thermidoriens et qui se montrèrent immuables contre la réaction.

Ils firent plus d’impression que les discours de Tallien. L’Assemblée tout entière appuie.

Robespierre jeune et Lebas veulent être arrêtés aussi. Accordé.

Robespierre crut voir ici une lueur. Il connaissait le cœur des foules. Il essaya de parler pour son frère. S’il eût attendri l’Assemblée, il était sauvé lui-même.

Mais un violent journaliste, supprimé par Robespierre, Charles Duval, s’écria : « Président, est-ce qu’un homme [sera le maître de la Convention ? »

Fréron : « Ah ! qu’un tyran est dur à abattre ! »

Billaud reprenait ici un bavardage très vague, au travers duquel peut-être Robespierre eût trouvé jour. Mais une masse de voix crièrent : « L’arrestation ! l’arrestation ! »

Thuriot la met aux voix. Décrétée à l’unanimité.

L’Assemblée tout entière se lève : « Vive la liberté ! vive la République ! »

« La République, dit Robespierre, elle est perdue ! Les brigands triomphent. »

Lebas : « Je ne partagerai pas l’opprobre de ce décret, je veux être arrêté aussi. »

« Oui, dit Fréron, Lebas, Couthon et Saint-Just. Couthon voulait, de nos cadavres, se faire des degrés pour monter au trône… »

« Moi, monter au trône ! » dit le cul-de-jatte en montrant ses jambes impotentes.

Cependant des deux côtés partaient des voix meurtrières.

De la droite, le royaliste Clausel : « Qu’on exécute le décret d’arrestation ! »

Le président : « Je l’ai ordonné ; les huissiers se sont présentés… Mais on refuse d’obéir. »

De la gauche, le jacobin Louchet : « À la barre les accusés ! Point de privilège ! Quand des membres furent arrêtés, ils descendirent à la barre ! »

Ils descendent en effet. Applaudissements frénétiques. L’Assemblée se croit libre enfin. Elle a vu passer son tyran au niveau de l’égalité.

Elle se leva bientôt, dans cette joie enfantine, sans rien faire pour son salut, sans se douter que la tyrannie restait tout entière, et elle s’ajourna au soir.

Il était trois ou quatre heures. Robespierre avait été conduit aux Comités, comme pour être interrogé… On a vu combien Barère l’avait encore ménagé. Sauf Billaud, Collot, Élie Lacoste, nul membre des Comités n’avait parlé contre lui. Qu’avait-il à craindre ? De passer, comme Marat, au tribunal révolutionnaire ? Là son immense ascendant moral, l’intérêt, le zèle d’une armée de fonctionnaires créés et placés par lui, les foudroyantes adresses des sociétés populaires arrivant de toute la France, lui ménageaient un triomphe tout autre que celui de Marat, bien près de l’apothéose. Sa personnalité multiple, qui remplissait toute chose, le rendait nécessaire et fatal, quoi qu’il arrivât. Il était devenu comme l’air dont la République vivait. Dans l’étouffement d’asphyxie qu’entraînerait son absence, la France allait venir à genoux dans cette prison lui demander de sortir. A lui d’exiger des juges, d’imposer à ses ennemis la nécessité du procès.

Cependant le bruit étonnant de l’arrestation de Robespierre se répandant dans Paris, le mot fut celui-ci : « Alors l’échafaud est brisé ! »

Tellement il avait réussi, dans tout cet affreux messidor, à identifier son nom avec celui de la Terreur.

Ce jour même, un incident pathétique avait bouleversé les cœurs.

Une accusée, s’asseyant sur les gradins où son jeune fils avait été condamné la veille, tomba en épilepsie. La foule cria violemment qu’on ne pouvait la juger.

Le peuple espérait que, ce jour, il n’y aurait pas d’exécution. Telle était l’opinion du bourreau lui-même ; il croyait chômer. Donc lorsque, selon l’ordinaire, le tribunal révolutionnaire eut préparé une fournée, lorsque les lourdes charrettes vinrent à l’heure marquée rouler dans la cour du Palais de justice, l’exécuteur demanda à Fouquier-Tinville « s’il n’avait point d’ordre à donner ? »

Fouquier se garda de comprendre cette demande d’un sens si clair et dit : « Exécute la loi. »

On vit donc sortir encore de la noire arcade de la Conciergerie quarante-cinq condamnés, et le lugubre cortège traversa encore une fois les quais, la rue, le faubourg Saint-Antoine. Nulle chose ne fut plus douloureuse ; la douleur nullement cachée. Plusieurs levaient les mains au ciel ; beaucoup criaient grâce. Quelques-uns enfin, plus hardis, sautent à la bride des chevaux et se mettent à vouloir faire rétrograder les charrettes. Mais Henriot, averti, arriva au grand galop et dispersa la foule à coups de sabre, assurant cette dernière malédiction à son parti et faisant dire dans le peuple : « La nouvelle est fausse sans doute. Nous ne sommes pas encore quittes du régime de Robespierre. »

Le tribunal révolutionnaire n’en était pas moins tué. Que Robespierre fût vainqueur ou vaincu, il finissait également. Le président Dumas en jugeait ainsi dès le 8 thermidor. Il croyait que les deux partis se rapprocheraient peut-être, en sacrifiant deux têtes, la sienne et celle d’Henriot. Dès lors il était prêt à fuir : il voulait faire partir pour la Suisse sa femme et sa famille.

  1. C’est le témoignage de Mme Lebas (Mlle Duplay). On ne trouva chez Robespierre qu’un assignat de 50 livres et des mandats de l’Assemblée constituante pour son indemnité quotidienne de député, qu’il avait négligé de toucher. La vente de son mobilier, faite le 15 pluviôse (3 février), produisit en assignats, alors dépréciés des quatre cinquièmes, près de 40.000 francs, qui faisaient 8, 000 en argent. Cette somme, encore considérable, pour un mobilier plus que simple, ne fut certainement atteinte que par la concurrence des curieux, étrangers ou nationaux. Son portrait seul (par David ? Collection Saint-Albin) fut pour moitié dans la vente. Il monta jusqu’à 3, 000 ou 4, 000 francs. (Note communiquée par M. Dugast-Matifeux.)
  2. Romme, le mathématicien, l’un des principaux fondateurs du culte de la Raison, était l’oracle de cette partie de l’Assemblée, si peu connue, tellement étouffée par la gloire des dantonistes et des robespierristcs, Romme, avec la figure de Socrate, avait son sens profond, l’austère douceur d’un sage, d’un héros, d’un martyr. Il était absent au 9 thermidor (je dois ce renseignement à son petit-neveu, M. Tailhand, juge à Riom, dépositaire de sa précieuse correspondance), mais son esprit était présent dans l’Assemblée. Son opinion sur Robespierre qui étouffa le culte de la Raison, ne peut être douteuse. Son intime ami Soubrany, qui ne fut qu’une même âme avec lui et mourut avec lui, juge Robespierre avec une extrême sévérité (j’ai sous les yeux ses lettres que m’a communiquées M. Doniol, écrivain distingué de Clermont). — Grande gloire pour l’Auvergne d’avoir produit avec Desaix, le plus pur de l’armée, les purs de la Convention, je veux dire ceux qui, en faisant des choses héroïques, évitèrent jusqu’au soupçon d’ambition : Romme, Soubrany, le vainqueur des Espagnols, J.-B. Lacoste, le vainqueur du Rhin.

    On a vu comment le parti robespierriste avait essayé de taire et d’étouffer les succès de Lacoste et Baudot, au profit de Saint-Just.