Histoire de la Révolution française (Michelet)/Livre VI/Chapitre 4

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la porte des prisons pour que personne ne pût y monter.

Cependant une odeur affreuse commençait à s’élever des profondeurs de la Glacière. Elle indiquait assez la décomposition rapide des tristes débris. Une seule des victimes respirait peut-être encore, le portefaix Rey, qui fut si dur à mourir. Jourdan, le mardi 18, sans s’occuper d’éclaircir qui était mort ou en vie, fit jeter par le trou au fond de la tour, sur cette montagne de chair, plusieurs baquets de chaux vive.

On eut beau verser partout des torrents d’eau pour laver les traces ; jamais on ne put faire disparaître l’horrible traînée de sang qui marque encore les arêtes du mur intérieur de la tour ; chaque corps lancé par le trou avait frappé là et laissé sa trace, sa réclamation éternelle. Le sang resta pour témoigner. — Et, non loin, reste de même, dans ce lugubre palais, la trace des forfaits, plus anciens, que l’aveugle fureur révolutionnaire crut venger par un forfait : c’est la noire et dégoûtante suie du bûcher pyramidal que l’Inquisition si longtemps engraissa de chair humaine.

Pourquoi me suis-je longuement arrêté, malgré l’horreur et le dégoût, sur cette abominable histoire ? Hélas ! je l’ai déjà dit, c’est qu’elle est un commencement. L’atrocité même du crime, l’ébranlement qu’en reçurent les imaginations, le rendirent contagieux. Les soixante victimes d’Avignon remuèrent tous les esprits, que les trois cents morts de Nîmes avaient laissés froids. Le théâtre solennel du crime, l’horreur de cette affreuse tour, cet abîme où tombaient pêle-mêle les morts et les vivants, leurs longues plaintes et la pluie de feu qui leur fut versée dessus, tout cela prêta à l’événement une exécrable poésie. Il entra dans les mémoires par la voie la plus sûre, la peur. Il y fut ineffaçable. La tour de la Glacière s’inscrivit au souvenir effrayé des hommes près de la tour d’Ugolin.

Qu’il y reste, ce fait maudit, pour être à jamais déploré. C’est la première de ces hécatombes humaines où tombèrent sans distinction les révolutionnaires modérés et les adversaires de la Révolution, les amis de la liberté pêle-mêle avec ses ennemis.

Le massacre du 16 octobre est le hideux original des massacres de septembre. Ceux-ci, qui, un an après, semblent sortis d’un élan de fureur toute spontanée, n’en furent pas moins, pour les Méridionaux qui eurent tant de part à l’exécution, une imitation en grand du carnage de la Glacière. Plusieurs des bourreaux disaient être venus exprès pour enseigner leur méthode aux massacreurs de Paris.

Les suites de ces événements ont été incalculables. Ils ont créé contre la France innocente une cruelle objection. La Révolution allait au monde, les bras ouverts, naïve, aimante et bienfaisante, désintéressée, vraiment fraternelle. Le monde se reculait, le monde la repoussait d’un mot, toujours Septembre et la Glacière.

Qu’on ne nous accuse donc pas d’avoir fait trop longue halte à ce tragique moment. Une sombre carrière commence d’ici ; nous nous sommes assis un moment sur cette pierre de douleur qui marque l’effrayante entrée. Ceci est la porte d’enfer, la porte sanglante. La voilà maintenant ouverte, et le monde y passera.


CHAPITRE IV

DÉCRETS CONTRE LES ÉMIGRÉS ET LES PRÊTRES. — RÉSISTANCE DU ROI (NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1791).


Inertie calculée du pouvoir. — Débats sur les émigrés. — Début de Vergniaud et d’Isnard. — Vergniaud et Mlle Candeille. — Décret contre les émigrés, 8 novembre 1791. — Veto du roi, 12 novembre, — Décret contre les prêtres, 29 novembre. — Veto du roi, 19 décembre. — La question de la guerre, novembre-décembre 1791.


On est étonné, effrayé presque, du peu de traces qu’on trouve dans les monuments contemporains de l’affreuse affaire d’Avignon. Visiblement il y a là-dessous, dans la presse et dans le public, un silence de stupeur. On se tait, on détourne la tête, plutôt que de regarder.

Qui accuser de ce désastre ? On le savait trop. Ce n’étaient pas seulement les furieux qui firent les crimes. C’était aussi la fausse et perfide politique qui avait différé les mesures de pacification, de réunion à la France, c’étaient la cour et le ministère. La réunion à la France, qui devait tout arrêter, fut votée par l’Assemblée constituante le 14 septembre, et le ministère, pour nommer les nouveaux commissaires, attendit jusqu’en octobre. Ils n’arrivèrent à Avignon que vers le milieu de novembre, si longtemps après le crime !

Le retard était visiblement calculé par la cour dans l’idée et dans l’espoir d’une réaction papiste, qui ferait croire à l’Assemblée que le peuple d’Avignon ne voulait point être français.

Dans tous les malheurs de l’époque, on retrouve comme cause principale l’inertie calculée de la cour et du ministère.

Qui accuser encore des désastres de Saint-Domingue, sinon la réaction, et Malouet, et Barnave ? Ne résultaient-ils pas de l’ajournement arbitraire des décrets libérateurs ?

Mêmes retards dans l’organisation des volontaires qui allaient à la frontière.

Le 29 octobre, l’Assemblée manda le ministre Duportail et le somma de s’expliquer sur ce dernier point. Il répondit assez brusquement « qu’il avait donné des ordres ». Était-ce assez pour décharger sa responsabilité ? Ne devait-il pas encore surveiller l’exécution ? On allègue, en faveur de Louis XVI et de ses ministres, que, dans l’affaiblissement du pouvoir, dans le relâchement de tout lien hiérarchique, la volonté la plus sincère donnait peu de résultats. Il est bien permis de douter de cette bonne volonté, quand la simple acceptation des décrets les plus urgents, sans autre peine que de prendre la plume et signer Louis, entraînait de longs retards, souvent n’était décidée que par les plaintes menaçantes qui s’en faisaient dans l’Assemblée.

Le 2 novembre, sur des plaintes nouvelles, le jeune et ardent Ducos demanda, obtint que l’Assemblée déclarât qu’elle ne regardait pas les réponses du ministre comme suffisantes et qu’elle voulait que tous les huit jours il lui rendît compte. L’administration de la guerre allait se trouver bientôt transportée du cabinet et du conseil dans les comités de l’Assemblée.

Les deux grandes discussions sur les émigrés et les prêtres se ressentirent fort de cet état de méfiance et d’irritation croissante. Le crescendo est curieux, facile à marquer.

Le 20 octobre, on l’a vu, Brissot se contentait encore d’une triple imposition sur les biens des émigrés. Le 25, Condorcet, plus sévère, voulait qu’on mît un séquestre universel sur leurs biens et qu’on exigeât d’eux le serment civique. Mais Vergniaud, Isnard, répondant mieux à la pensée du moment, déclarèrent ces mesures insuffisantes. Que signifiait, en effet, de demander un serment légal à des ennemis armés ?

Ce fut le premier jour où ces puissantes voix, organes magnifiques et terribles de l’indignation publique, commencèrent à maîtriser l’Assemblée. Elle retrouva dans Vergniaud les moments nobles et solennels de Mirabeau, la majesté de son tonnerre, sinon les éclats de sa foudre. Mais si l’accent de Vergniaud était moins âpre et moins vibrant, la dignité, l’harmonie de sa parole, exprimaient celles d’une âme bien autrement équilibrée et qui toujours habita les hautes et pures régions. Noble de nature, au-dessus de tout intérêt et de tout besoin, personne n’a plus que lui honoré la pauvreté. C’était un enfant de Limoges, très heureusement né, doux et un peu lent, qui fut distingué entre tous par le grand Turgot, alors intendant du Limousin, et envoyé par lui aux écoles de Bordeaux. Il justifia à merveille cette sorte de paternité. Au barreau, à l’Assemblée, parmi des crises si violentes, Vergniaud garda une âme profondément humaine. Il avait beau être orateur, il fut toujours homme ; dans ses sublimes colères de tribune, on entend toujours quelque accent de nature ou de pitié. Au sein d’un parti violent, aigri, disputeur, il resta étranger à l’esprit de dispute qui rabaisse tout. On accusa son indécision, une sorte de mollesse et d’indolence dont son caractère n’était pas exempt. On disait que son âme semblait souvent errer ailleurs. Ce n’était pas sans raison. Cette âme, il faut l’avouer, dans le temps où la patrie l’eût réclamée tout entière, elle habitait dans une autre âme. Un cœur de femme, faible et charmant, tenait comme enfermé ce cœur de lion de Vergniaud. La voix et la harpe de Mlle Candeille, la belle, la bonne, l’adorable, l’avaient fasciné. Pauvre, il fut aimé, préféré de celle que la foule suivait. La vanité n’y eut point part, ni les succès de l’orateur, ni ceux de la jeune muse dont une pièce obtenait cent cinquante représentations. Ils furent liés d’un lien indissoluble par leur attribut commun, la bonté. Et ce lien fut si fort, que Vergniaud le préféra à la vie. Il aima mieux mourir près d’elle que de s’en éloigner un instant. Lorsque la mort se présenta, il pouvait bien s’y soustraire ; il semble avoir dit tranquillement : « Mourir tout à l’heure ? Volontiers. Mais je veux aimer encore. »

Ce doux sujet m’a mené un peu loin de la bataille ; j’y reviens. La nécessité de proposer des mesures efficaces et fortes contre les émigrés dicta à Vergniaud un discours sévère, mais qui ne confirme pas moins ce que nous venons de dire du caractère profondément humain du grand orateur. Dans cette dure circonstance où le roi allait avoir à sanctionner une loi qui menaçait ses frères d’un châtiment capital, Vergniaud seul posa l’objection du cœur et de la nature. Il s’adressa au roi lui-même et s’efforça de le transporter dans la région héroïque de ces antiques pères du peuple qui immolèrent la nature à la patrie. Il dit noblement : « Si le roi a le chagrin de ne pas trouver en ses frères l’amour et l’obéissance, qu’ardent défenseur de la liberté, il s’adresse au cœur des Français, il y trouvera de quoi se dédommager de ses pertes. »

Ce discours, noblement équilibré de qualités si contraires, posant fortement la justice, mais nullement oublieux de l’humanité, laissa beaucoup d’admiration, peu d’entraînement. L’orateur établissait les principes. Quant au succès, insoucieux, dans la majesté du courage, il s’en remettait au destin. L’Assemblée salua son grand orateur, en le portant le lendemain à la présidence. Elle n’adopta pas ses conclusions sévères et donna la priorité au projet de Condorcet ; projet faible, un peu ridicule, si l’on ose dire ; il déférait le serment à des ennemis armés, s’en rapportait à leur parole, continuait le payement des pensions et traitements à ceux qui, sans respect du serment, n’hésitaient point de jurer. Au contraire, les gens d’honneur, qui aimeraient mieux sacrifier leurs traitements que leur conscience, Condorcet les punissait par le séquestre de leurs biens.

Il fut combattu (31 octobre) par un député provençal, Isnard, qui changea violemment les dispositions de l’Assemblée. Jamais on ne vit mieux à quel point la passion est contagieuse. Au premier mot, la salle entière vibra, sous une impression électrique ; chacun se crut personnellement interpellé, sommé de répondre, quand ce député inconnu, débutant par l’autorité et presque la menace, lança cet appel à tous : « Je demande à l’Assemblée, à la France, à vous, Monsieur (désignant un interrupteur), s’il est quelqu’un qui, de bonne foi et dans l’aveu secret de sa conscience, veuille soutenir que les princes émigrés ne conspirent pas contre la patrie ? Je demande, en second lieu, s’il est quelqu’un, dans cette Assemblée, qui ose soutenir que tout homme qui conspire ne doive pas être au plus tôt accusé, poursuivi et puni ? S’il en est quelqu’un, qu’il se lève !… »

Vergniaud lui-même, qui présidait, fut si surpris de cette forme impérieuse et violente qu’il arrêta l’orateur et lui fit observer qu’il ne pouvait procéder ainsi par interrogation.

« Tant qu’on n’aura pas répondu, continua Isnard, je dirai que nous voilà placés entre le devoir et la trahison, entre le courage et la lâcheté, entre l’estime et le mépris… Nous reconnaissons bien tous qu’ils sont coupables ; si nous ne les punissons pas, est-ce donc parce qu’ils sont princes ?… Il est temps que le grand niveau de l’égalité passe enfin sur la France libre… C’est la longue impunité des grands criminels qui rend le peuple bourreau. Oui, la colère du peuple, comme celle de Dieu, n’est trop souvent que le supplément terrible du silence des lois… Si nous voulons être libres, il faut que la loi seule gouverne, que sa voix foudroyante retentisse également au palais, à la chaumière, qu’elle ne distingue ni rangs, ni titres, inexorable comme la mort quand elle tombe sur sa proie… »

Un frisson passa sur la foule, et, après un court silence, s’éleva un applaudissement terrible. Une sombre ivresse de colère remplit l’Assemblée, les tribunes. Par un mouvement machinal, tous suivaient ce brûlant parleur, cette sauvage parole africaine ; tous étaient devenus le même homme, emportés de son tourbillon et ne touchant plus la terre.

Il ajouta alors, avec une violence extraordinaire de voix et de gestes : « On vous a dit que l’indulgence est le devoir de la force, que certaines puissances désarment… Et moi, je dis qu’il faut veiller, que le despotisme et l’aristocratie n’ont ni mort ni sommeil, que, si les nations s’endorment un instant, elles se réveillent enchaînées… Le moins pardonnable des crimes est celui qui a pour but de ramener l’homme à l’esclavage ; si le feu du ciel était au pouvoir des hommes il faudrait en frapper ceux qui attentent à la liberté des peuples. »

Ce discours désordonné, comme une trombe du Midi, enleva tout sur son passage. Condorcet essaya de répondre et personne n’écouta. On décréta, séance tenante, pour première mesure : « Que si Louis-Stanislas-Xavier, prince français ne rentrait pas dans deux mois, il abdiquait son droit à la régence. » — Le 8 novembre, décret général contre les émigrés, d’après Vergniaud et Isnard : « S’ils ne rentrent au 1er janvier, coupables de conjuration, poursuivis, punis de mort. — Les princes, les fonctionnaires, sont spécialement coupables. — Les revenus des contumaces perçus au profit de la nation, sauf les droits des femmes, des enfants, des créanciers. — Les officiers punis comme le soldat déserteur. — L’embauchement puni de mort. — Dans les quinze premiers jours de janvier, pourra être convoquée la haute cour nationale. »

On apprit le surlendemain la tentative de la contre-révolution à Caen, qui avait failli renouveler sur un curé constitutionnel l’horrible scène de Lescuyer, égorgé dans l’église d’Avignon. Ici, les nobles armés, avec leurs domestiques armés, étaient venus soutenir le curé réfractaire ; ils avaient menacé la garde nationale, frappé, tiré sur elle jusqu’à ce qu’elle les désarmât. Le plus grave, c’est que la commune et le district, pour prévenir le renouvellement de ces collisions, ayant voulu fermer l’église aux réfractaires jusqu’à la décision de l’Assemblée, les administrateurs du département refusèrent d’en signer l’ordre. Tel était le funeste esprit de ces administrations, leur connivence avec les factieux aristocrates, que partout elles paralysaient l’action des lois, les mesures les plus indispensables de police et de salut public. Cambon demanda que l’on convoquât immédiatement la haute cour nationale. On fit venir le lendemain le ministre Delessart, pour avoir des explications ; on le soupçonnait à bon droit d’avoir contribué lui-même à troubler le Calvados, en travaillant contre l’évêque Fauchet et encourageant contre lui ces coupables administrateurs.

Pourquoi ce zèle du ministre contre les prêtres citoyens ? Le roi était reconnaissable ici, comme le centre et le chef de la résistance dévote. Ne l’était-il pas aussi de l’émigration armée ? On le crut, le 12 novembre, lorsqu’on apporta le veto qu’il opposait au dernier décret de l’Assemblée.

Il alléguait que les articles rigoureux de ce décret lui semblaient « ne pouvoir compatir avec les mœurs de la nation et les principes d’une constitution libre ». Il présentait les lettres qu’il avait lui-même écrites à ses frères et aux émigrés pour les décider à revenir. Il y disait, entre autres choses, « que l’émigration s’était ralentie », ce qui était visiblement faux ; « que plusieurs émigrés étaient rentrés », ce qui n’était que trop vrai. En juin, M. de Lescure et autres Vendéens étaient rentrés avec l’espérance de commencer la guerre civile. Le roi réclamait la confiance ; et au même moment, son ministre confident, Bertrand de Molleville, était convaincu d’avoir caché l’émigration des officiers de marine. Bertrand affirmait hardiment qu’ils étaient tous à leur poste ; et plus de cent étaient absents par congé ; près de trois cents sans congé. La chose fut établie par le conseil général du Finistère.

Les frères du roi répondirent bientôt à ses proclamations qu’elles n’étaient pas l’expression sincère de sa pensée. Monsieur, de plus, fit à l’Assemblée qui représentait la France une réponse dérisoire, une parodie indigne de la réquisition qui lui avait été faite de rentrer : « Gens de l’Assemblée française se disant nationale, la saine raison vous requiert, en vertu du titre I, chapitre i, section i, article i, des lois du sens commun, de rentrer en vous-mêmes », etc.

La question la plus personnelle au roi, celle des prêtres, fut bientôt tranchée, et rien n’y contribua davantage qu’un discours d’Isnard, le formidable interprète du ressentiment national. Parleur violent plus que profond, il trouva cependant dans la passion même qui était en lui cette juste et profonde parole qui montrait la véritable portée de la question religieuse : « Il faut un dénouement à la Révolution française. »

Le dénouement politique est dans la question sociale ; mais celle-ci elle-même n’a le sien, on le verra de plus en plus, que dans la question religieuse. Dieu seul sait trancher de tels nœuds. C’est dans un changement profond des cœurs, des idées, des doctrines, dans le progrès des volontés, dans l’éducation douce et tendre qui ramène l’homme à sa meilleure nature, que se font les vrais changements. Des lois coactives y font peu. Si le vrai concile de l’époque, l’Assemblée, ne voulait pas toucher au dogme, elle pouvait du moins, dans une question de discipline, le mariage des prêtres, amener à la nature, à la douce humanité, à l’esprit nouveau, une grande partie de ses adversaires. Elle ne s’expliqua pas nettement sur cette question si grave, qui lui fut présentée le 19 octobre, et dès lors elle s’ôta la plus forte prise qu’elle eût eue sur le clergé.

Isnard avait droit d’invoquer la loi contre les factieux, contre le prêtre rebelle qui voulait du trouble et du sang ; mais, dans son emportement, il semblait près de confondre le crime avec l’innocence. « S’il existe des plaintes, le prêtre rebelle doit sortir du royaume. Il ne faut pas de preuves contre lui, car vous ne le souffrez que par un excès d’indulgence. »

Terrible ivresse ! qui lui faisait, au nom du droit, oublier le droit et le juste. Tous la gagnaient en l’écoutant. L’Assemblée parut tout obscure, les ténèbres s’épaissirent, quand ce furieux fanatique se mit à crier : « Les factieux, je les combattrai tous ; je ne suis d’aucun parti. Mon dieu, c’est la loi ; je n’en ai pas d’autre ! »

Isnard avait le tempérament d’un sombre et violent dévot. Il l’était alors à la Loi, à la Raison, qui elle-même est bien Dieu aussi. Tout à l’heure, sous l’impression de la terreur, nous verrons le même homme, environné de la mort, s’affaisser au mysticisme, puis, farouche dans la réaction, furieux dans le repentir, attiser les flammes civiles par des paroles meurtrières qui ajoutèrent cruellement à toutes les fureurs du Midi.

L’Assemblée hésita à décréter l’impression de ce malencontreux discours et finalement la refusa. Mais, peu après, l’on put voir qu’elle en avait reçu l’esprit. Le 22 novembre, elle nomma quatre grands juges pour l’affaire de Caen ; le 25, elle créa un comité de surveillance ; les noms furent significatifs : d’abord Isnard et Fauchet, Goupilleau (de la Vendée), Antonelle (des Bouches-du-Rhône), des Jacobins violents, Grangeneuve et Chabot, Bazire et Merlin, Lecointre, Thuriot, etc.

Ce choix fait pressentir assez le décret qu’on va porter (29 novembre 1791) ; décret violent, passionné, qui fut reçu comme un défi du parti qu’il voulait frapper et n’eut d’autre effet que celui d’un appel à la résistance.

Ses considérants, remarquables par un grand appareil logique, partent du Contrat social, « qui protège, mais qui lie tous les membres de l’État ». Le serment, purement civique, est la caution que tout citoyen doit donner de sa fidélité à la loi. — Si le ministre d’un culte refuse de reconnaître la loi (qui lui assure la liberté religieuse, sans autre condition que le respect pour l’ordre public), il annonce par ce refus même que son intention n’est pas de respecter la loi.

Le serment civique sera exigé sous le délai de huit jours. — Ceux qui refuseront seront tenus suspects de révolte et recommandés à la surveillance des autorités. — S’ils se trouvent dans une commune où il survient des troubles religieux, le directoire du département peut les éloigner de leur domicile ordinaire. — S’ils désobéissent, emprisonnés pour un an au plus. S’ils provoquent la désobéissance, deux ans. — La commune où la force armée est obligée d’intervenir en supportera les frais. — Le magistrat qui refuse ou néglige de réprimer sera poursuivi. — Les églises ne serviront qu’au culte salarié par l’État. Celles qui n’y sont pas nécessaires pourront être achetées par un autre culte, mais non pour ceux qui refusent le serment. — Les municipalités enverront aux départements, et ceux-ci à l’Assemblée, les listes des prêtres qui ont juré et de ceux qui ont refusé, avec des observations sur leur coalition entre eux et avec les émigrés, de sorte que l’Assemblée avise aux moyens d’extirper la rébellion. — L’Assemblée regarde Comme un bienfait les bons ouvrages qui peuvent éclairer les campagnes sur les questions prétendues religieuses ; elle les fera imprimer et récompensera les auteurs.

Ce décret était fondé en droit à l’égard des prêtres, qui ne sont nullement des citoyens ordinaires, qui ont un privilège énorme et se trouvent bien plus responsables, exerçant une magistrature, et la plus autorisée. Si vous dites qu’elle est antérieure, extérieure à l’action de l’État, voyez ce qui en résulte : c’est que cette autorité extérieure, placée aux fondements mêmes de la société, peut les ruiner à son aise et se trouver un matin avoir renversé l’État. Le partage entre l’État et le prêtre a ce résultat étrange ; l’État dit à l’autre : « Prends l’âme, moi je garderai le corps, je gouvernerai ses mouvements ; à toi la volonté, à moi l’action. » Division puérile, impossible : l’action dépend de celui dont dépend la volonté.

Le décret avait un grand défaut, c’était de faire porter justement la répression sur un point où tout le monde se ferait honneur de la mériter. Dans une question de conscience, elle portait une peine d’argent ! Quel avantage elle donnait là à l’ennemi ! Au défaut de fanatisme, l’honneur seul, l’honneur du gentilhomme, la noble folie de la vieille France, allait, à coup sûr, faire oublier toute considération de devoir public, d’amour de la paix. Ceux même qui, au nom du salut commun, du vrai christianisme, se seraient soumis, on les ramenait, par cette pénalité basse, à la question du point d’honneur et de la dignité personnelle.

Il ne fallait point de décret, point de mesure générale. Il fallait des hommes, — des hommes dans la main de l’Assemblée, agissant sous la direction vigoureuse de ses comités, mais d’une manière très diverse, selon l’état moral des provinces, qui différait infiniment.

Ces hommes ne se trouvaient guère, il est vrai, dans l’administration départementale, ni dans le pouvoir judiciaire, tous deux faibles, détendus, remis au hasard des élections, des influences locales. Spectacle étrange de ce grand corps de la France, non organisée encore, non centralisée. Le centre organique (je parle de l’Assemblée) pensait, voulait, menaçait ; mais, du centre aux extrémités qui devaient exécuter, il n’y avait qu’un lien incertain et infidèle ; l’Assemblée, dans son décret, disait bien qu’elle voulait lever le glaive ; pour lever, il faut une main ; or elle n’en avait pas.

C’était le triste spectacle d’un pauvre paralytique qui crie, menace de sa chaise, sans pouvoir bouger de là. S’il sortait de son impuissance, ce ne pourrait être que par une étrange révolution, un terrible accès de fureur.

La force manquant, la fureur vint au secours. N’ayant ni administration ni tribunaux à elle, la Révolution agit par les clubs, par l’appel à la violence, et elle réussit à agir, — en brisant tout et se brisant.

Tel est le sort d’un État imprévoyant qui n’a su organiser ni l’action ni la répression. Celui qui, n’ayant ni le commencement ni la fin, n’ayant point l’initiation morale et religieuse, la laissant au prêtre, n’a pas non plus dans sa main ce qui corrige et remédie, le pouvoir judiciaire, un tel État, dis-je, est perdu. Malheur à ceux qui, comme l’Assemblée constituante, abdiquent le glaive de justice ! Malheur à ceux qui, comme nous, par un respect superstitieux pour l’inamovibilité, le laissent à leurs ennemis ! La Révolution, jugée chaque jour par la contre-révolution, périrait dans un temps donné.

Le décret fait, bon ou mauvais, il restait de le respecter. Peut-être eût-il fait peu de mal si on en eût modifié, ralenti l’application, spécialement dans l’Ouest. Mais il provoqua dans Paris une fatale résistance de la part de la cour et des constitutionnels. Ceux-ci, exclus de toute action, même indirecte, sur l’Assemblée, furent ravis de lui faire obstacle. Ils étaient réfugiés dans un corps et dans un club, le club des Feuillants, le corps du département de Paris. L’un prépara, l’autre signa une protestation adressée au roi, où on le priait d’apposer son veto au décret relatif aux prêtres. Ne tenant nul compte des circonstances, restant dans les principes abstraits, paraissant croire qu’il s’agissait d’hommes inoffensifs et paisibles, faisant partout la confusion du prêtre et du simple citoyen, n’ayant pas l’air de soupçonner que le premier, investi d’une si dangereuse autorité, est plus responsable que l’autre, le directoire de Paris invoquait le veto du roi, comme si le roi, à cette époque, eût été vraiment une force. Mettre le roi devant les prêtres contre le courant qui venait, c’était vouloir que prêtres, roi et directoire de Paris, tout fût brisé du même coup.

Les signataires de cet acte insensé étaient pourtant des gens d’esprit, des Talleyrand, des Beaumetz, etc. Voilà à quoi l’esprit sert, l’habitude de saisir finement les petits rapports des choses, de regarder à la loupe, de manier avec dextérité le monde et l’intrigue. Il ne faut pas de finesse en révolution. Le génie, pour embrasser les grandes masses, doit être grand, simple, grossier, si j’ose parler ainsi.

Une réponse, bien autrement spirituelle, aiguë et perçante (la pièce la plus française qui ait été écrite depuis la mort de Voltaire), leur fut lancée par Desmoulins, sous forme de pétition à l’Assemblée nationale. Lui-même l’apporta à la barre, et, se défiant de son organe embarrassé, il la fit lire par Fauchet. L’originalité de cette pièce, c’est que, dans une grande question politique et d’équité, le malicieux basochien n’attestait que le droit strict, le texte des lois, de ces mêmes lois que les membres du directoire avaient faites, comme membres de l’Assemblée constituante ; il les battait de leurs armes, les perçait de leurs propres flèches. La loi contre ceux qui avilissent les pouvoirs publics, celle qui punit les pétitions collectives, il montrait parfaitement qu’ici elles tombaient d’aplomb sur leurs propres auteurs, qu’ils étaient coupables d’avoir tenté d’avilir le premier pouvoir, l’Assemblée, et concluait à ce que le directoire fût mis en accusation.

Il qualifiait la pétition du directoire comme « le premier feuillet d’un grand registre de contre-révolution, une souscription de guerre civile, envoyée à la signature de tous les fanatiques, de tous les idiots, de tous les esclaves permanents, de tous les ci-devant voleurs », etc.

Le plus grave en cette pièce, ce qui porta coup, ce fut la tranchante ironie par laquelle il arracha le voile de la situation, formula en pleine lumière ce qui nageait obscur dans tous les esprits ; formule d’une netteté terrible, qui frappait le roi en l’innocentant ; elle reste le jugement de l’histoire : « Nous ne nous plaignons ni de la constitution qui a accordé le veto, ni du roi qui en use, nous souvenant de la maxime d’un grand politique, de Machiavel :

« Si le prince doit renoncer à la souveraineté, la nation serait trop injuste, trop cruelle, de trouver mauvais qu’il s’opposât constamment à la volonté générale, parce qu’il est difficile et contre nature de tomber volontairement de si haut. »

« Pénétrés de cette vérité, prenant exemple de Dieu même, dont les commandements ne sont point impossibles, nous n’exigerons jamais du ci-devant souverain un amour impossible de la souveraineté nationale, et nous ne trouvons point mauvais qu’il appose son veto, précisément aux meilleurs décrets. »

C’était toucher le fond du fond. L’Assemblée en fut frappée, reconnut son propre sentiment, adopta la pièce comme sienne, décréta l’insertion au procès-verbal et l’envoi du procès-verbal aux départements.

Le lendemain, les membres qui appartenaient aux Feuillants, étant arrivés de bonne heure, au nombre de deux cent soixante, firent une majorité contraire, annulèrent le décret de la veille, à la grande indignation des tribunes et du public. Dès lors, une guerre commença contre leur club ; placé à la porte de l’Assemblée et dans ses bâtiments mêmes, l’affluence des deux foules devait y causer du tumulte, peut-être des collisions.

Cette lutte intérieure, qui ne laissait pas que d’agiter Paris, éclatait au moment même où l’autorité était désarmée, et par la retraite de La Fayette qui quittait le commandement, et par son échec aux élections municipales (17 novembre 1791). La reine, nous l’avons dit, en haine de La Fayette, fit voter les royalistes pour le jacobin Pétion, qui eut six mille sept cents voix contre les trois mille de son concurrent. La reine avait dit : « Pétion est un sot, un homme incapable de faire ni bien ni mal. » Mais, derrière lui, venait Manuel, comme procureur de la commune ; derrière Manuel, son substitut, le formidable Danton. La reine, en favorisant le succès de Pétion, ouvrit la porte à celui-ci.

La guerre intérieure, contre les prêtres et le roi qui les défend, la guerre extérieure, contre les émigrés et les rois qui les protègent, se prononcent de plus en plus, non dans les actes encore, mais dans les paroles, les menaces, le bouillonnement visible des cœurs.

Le 22 novembre, l’Assemblée écouta un rapport de Koch sur l’état menaçant de l’Europe, sur les vexations dont les citoyens français de l’Alsace étaient l’objet de la part des émigrés et des princes qui toléraient leurs rassemblements. Ces vexations, dénoncées à M. de Montmorin, l’avaient médiocrement ému ; il avait répondu en termes vagues et n’avait rien fait. L’Assemblée ne pouvait imiter cette indifférence. Le comité diplomatique demandait qu’on rappelât aux princes la constitution germanique, qui leur interdit tout ce qui peut entraîner l’Empire dans une guerre étrangère, et que le pouvoir exécutif prît des mesures pour les forcer à dissoudre ces rassemblements armés.

La question, resserrée par Koch, fut étendue par Isnard, replacée dans sa grandeur. C’était la question de la guerre. Il établit hardiment tout l’avantage qu’il y avait pour la France à forcer ses ennemis de se déclarer, et, s’il le fallait, à frapper les premiers coups.

« Élevons-nous dans cette circonstance à toute la hauteur de notre mission ; parlons aux ministres, au roi, à l’Europe, avec la fermeté qui nous convient. Disons à nos ministres que jusqu’ici la nation n’est pas très satisfaite de la conduite de chacun d’eux. Que désormais ils n’ont à choisir qu’entre la reconnaissance publique et la vengeance des lois, et que par le mot responsabilité nous entendons la mort. — Disons au roi que son intérêt est de défendre la constitution ; que sa couronne tient à ce palladium sacré ; qu’il ne règne que par le peuple et pour le peuple ; que la nation est son souverain, et qu’il est sujet de la loi. Disons à l’Europe que le peuple français, s’il tire l’épée, en jettera le fourreau ; que si, malgré sa puissance et son courage, il succombait en défendant la liberté, ses ennemis ne régneraient que sur des cadavres. Disons à l’Europe que si les cabinets engagent les rois dans une guerre contre les peuples, nous engagerons les peuples dans une guerre contre les rois. (On applaudit.) Disons-lui que tous les combats que se livreront les peuples par ordre des despotes… (Les applaudissements continuent.) N’applaudissez pas, n’applaudissez pas, respectez mon enthousiasme, c’est celui de la liberté.

« Disons-lui que tous les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l’obscurité ; si la clarté du jour vient à paraître, ils jettent leurs armes, s’embrassent et châtient celui qui les trompait. De même, si, au moment que les armées ennemies lutteront avec les nôtres, le jour de la philosophie frappe leurs yeux, les peuples s’embrasseront, à la face des tyrans détrônés, de la terre consolée et du ciel satisfait. »

Cette puissante colère d’Isnard était véritablement divinatrice et prophétique. Tout ce qu’il disait, le 29 novembre, sur la perfidie des rois et le besoin de les prévenir, commença à éclater bien peu après. Le 3 décembre, Léopold écrivait à Vienne un acte, modéré dans la forme, mais qui, posant la question sur un point vraiment insoluble, annonçait assez l’intention de se ménager une querelle éternelle et la pensée ultérieure d’agir, quand il serait prêt.

Sa conduite était évidemment double. Comme Léopold et comme Autrichien, il était ami de la France ; il réprimait les insultes faites dans ses États aux Français qui portaient la cocarde nationale. Mais, comme empereur, il empêchait les princes possessionnés en Alsace d’accepter les dédommagements que la France leur offrait ; il rompait même et annulait les arrangements qu’ils avaient pu prendre déjà, voulait les forcer à obtenir leur réintégration entière, annonçant la résolution de les soutenir et de leur donner secours. Et le motif qu’il alléguait était de ceux qui rendent la guerre inévitable, fatale : la question même de la souveraineté. Les terres en question, disait-il, n’étaient pas tellement soumises à la souveraineté du roi qu’il pût en disposer en indemnisant les propriétaires. Donc il y voyait des enclaves purement germaniques de l’Empire au milieu de la France ; la France sans le savoir avait l’Empire dans ses flancs, l’ennemi dans ses positions les plus dangereuses, derrière ses lignes les plus exposées. La question présentée ainsi, il était facile à prévoir qu’on ne voulait point la dénouer, mais la garder comme un en-cas de guerre et la trancher par l’épée.

Le 14 décembre, le roi vint déclarer à l’Assemblée qu’il ne verrait qu’un ennemi dans l’électeur de Trêves, si, avant le 15 janvier, il n’avait dissipé les rassemblements armés. Il fut applaudi, mais sa popularité y gagna peu. Il ne s’expliquait pas sur l’étrange message de l’Empereur, qui occupait les esprits. Il annonçait qu’il ne s’écarterait jamais de la constitution, mais à l’instant il l’appliquait de la manière la plus propre à soulever l’indignation publique, en opposant son veto au décret rendu contre les prêtres (19 décembre 1791). L’indignation publique se tourna contre les Feuillants, dont les chefs conseillaient la cour. Des scènes violentes eurent lieu à leur club, et l’Assemblée décida qu’aucun club ne pourrait se réunir dans les bâtiments où elle siégeait.

Le décret contre les prêtres, le veto du roi, ce n’est pas moins que la guerre. C’est le point où la conscience rencontrant la conscience, le roi se posant juste à l’encontre du peuple, l’un ou l’autre sera brisé.

Et sur cet orage bas, lourd, sombre, de la lutte intérieure, plane l’orage lumineux, grandiose, de la guerre européenne qui se prépare en même temps. Il détone de moment en moment, avec des éclats sublimes.

Il éclate, aux Jacobins, le 18 décembre, d’une manière originale, fantastique et sauvage, à laquelle cette société politique, mieux disciplinée qu’on ne croit, n’était guère habituée. Elle était présidée, ce jour-là, par le prophète de la guerre, le violent prédicateur de la croisade européenne : on voit que je parle d’Isnard. Une scène infiniment touchante (que j’ai contée au long plus haut) venait d’avoir lieu ; on avait, en présence d’un député des sociétés anglaises, intronisé dans la salle des drapeaux des nations libres, française, anglaise, américaine. Le député, accueilli comme on n’accueille qu’en France, entouré de jeunes et charmantes femmes qui apportaient en présent pour leurs frères anglais les produits de leur travail, venait de répondre avec l’embarras d’une vive émotion. Un autre présent fut apporté, celui d’un Suisse de Neuchâtel, de ce Virchaux qui, en juillet, écrivit, au Champ de Mars, la pétition pour la République. C’était une épée de Damas, qu’il offrait pour le premier général français qui vaincrait les ennemis de la liberté. Cette épée donnée par la Suisse, esclave encore et suppliante, à la Révolution française qui allait la délivrer, c’était un touchant symbole. Quarante Suisses, les pauvres Vaudois du régiment de Châteauvieux, étaient sur les galères de France, comme pour nous mieux rappeler le monde enchaîné qui espère en nous.

Isnard fut saisi d’un transport extraordinaire. Il embrassa cette épée, et, la brandissant bien haut, il parla mieux qu’Ézéchiel : « La voilà !… Elle sera victorieuse… La France poussera un grand cri, tous les peuples répondront. La terre se couvrira de combattants, et les ennemis de la liberté seront effacés de la liste des hommes ! »