Histoire de l’empire de Russie/Tome IX/Chapitre III

Traduction par Auguste de Saint-Thomas.
Galerie de Bossange Père (IXp. 172-257).

CHAPITRE III.

Suite du règne de Jean le Terrible.
1569 — 1572.


1569.
Mort de la tzarine.
Marie, seconde épouse de Jean, mourut le 1er. septembre 1569), sans doute peu regrettée par le tzar lui-même, bien que, par respect pour les convenances, la Russie entière dût faire paraître une profonde affliction (47) : le cours des 1569. affaires fut interrompu ; les boyards, les gens de robe, se revêtirent d’habits de deuil, qui consistaient alors en pelisses de velours ou de damas, sans ornemens d’or. On célébrait dans toutes les villes des services funèbres ; on distribuait de riches aumônes aux pauvres, aux couvents, aux églises ; on faisait parade d’une feinte douleur qui cachait la consternation générale excitée par la tyrannie de Jean. Dix jours étaient à peine écoulés que déjà il donnait des audiences aux ambassadeurs des cours étrangères, dans le palais de Moscou ; mais il se hâta bientôt de retourner dans l’affreuse solitude d’Alexandrovsky, pour forger de nouvelles conspirations, pour inventer de nouveaux supplices. La mort de ses deux épouses, si différentes l’une de l’autre par les qualités de l’âme, produisit des résultats également funestes. Anastasie avait emporté dans la tombe les vertus de Jean IV ; Marie semblait lui avoir légué la faculté de se surpasser encore dans la carrière des cruautés. Il fit répandre le bruit que cette princesse avait, comme Anastasie, été empoisonnée par de secrets ennemis, voulant ainsi préparer l’Empire aux nouveaux transports de sa rage.

Quatrième époque des meurtres, et la plus terrible. Tandis qu’on avait fait périr les innocens, un vrai coupable vivait tranquille à la cour 1569. du tyran. Celui qui, au mépris des lois, avait voulu monter sur le trône ; qui, lors de la maladie du tzar, avait refusé de lui obéir, s’était réjoui à l’idée de sa mort prochaine, avait soudoyé les grands et les soldats pour les exciter à la révolte ; le prince Vladimir enfin existait encore ! Seize ans s’étaient écoulés depuis ses fautes, mais le tzar en conservait le souvenir et se défiait toujours de lui. Aucun boyard n’osait entretenir des relations d’amitié avec ce prince. Il n’était entouré que d’espions chargés de l’observer et de rapporter la moindre parole indiscrète qui lui serait échappée. Quel puissant motif pouvait donc sauver ce malheureux du trépas ? serait-ce l’horreur naturelle que l’on éprouve à tremper ses mains dans le sang d’un de ses proches ? Il faut le supposer, car il est des momens où le tyran le plus endurci se trouve comme arrêté dans ses fureurs : il est homme quelquefois encore ; il n’aime plus le bien, mais il craint l’excès dans le mal ; troublé par sa conscience, il croit l’apaiser par l’idée qu’il existe des forfaits dont il s’est abstenu ; mais ce frein offre de faibles garanties ! Le crime précipite dans le crime, et, malgré le pardon qui lui avait été annoncé en 1563, malgré l’hypocrisie de Jean, qui lui témoignait constamment 1569. de la déférence, de l’amitié, le prince Vladimir devait prévoir le sort qui lui était réservé. En témoignage de bienveillance, le tzar lui avait assigné un emplacement considérable dans le Kremlin, pour y faire construire un palais magnifique ; il lui avait accordé les villes de Dmitrof, Borovsk et Zvénigorod, ayant repris en échange ses anciens fiefs de Vereja, Alexin et Staritza, sans doute parce que le pouvoir de ce prince lui semblait moins redoutable avec de nouveaux fiefs, qu’appuyé sur des propriétés héréditaires où se conservait encore l’ancien esprit du système féodal. Au printemps de l’année 1569, ayant rassemblé à Nijni-Novgorod une armée destinée à la défense d’Astrakhan, Jean la confia, sans hésiter, à son valeureux cousin ; mais cette prétendue confiance causa sa disgrâce et la perte de celui-ci. Le prince s’était rendu à Nijni par Kostroma, où il avait été reçu en grande cérémonie par le clergé et les citoyens, empressés de lui offrir l’expression de leur dévouement à sa personne. Aussitôt que cette nouvelle fut parvenue à Moscou, le tzar donna des ordres pour y faire amener les commandans de Kostroma qu’il envoya au supplice. En même temps il écrivit affectueusement à son cousin pour l’engager à se rendre auprès de lui. 1569. Vladimir se mit en route sur-le-champ avec ses enfans et son épouse et s’arrêta au village de Stotin, situé à trois verstes d’Alexandrovsky. Ayant donné connaissance de son arrivée, il attendait les ordres du tzar, lorsque tout à coup il aperçoit une troupe de cavaliers arrivant au grand galop, le sabre à la main comme pour un combat. On entoure le village. Jean qui était au milieu de la troupe descend de cheval et entre dans la maison d’un paysan. Alors Vassili Griaznoï et Maluta Skouratof viennent trouver le prince Vladimir pour lui annoncer qu’il avait conspiré contre les jours du monarque. Le cuisinier du tzar, soudoyé à cet effet, se présente comme accusateur, déclarant que Vladimir lui avait donné de l’argent et du poison pour attenter à la vie de Jean (48). Après cette scène préparée, on l’amène devant le tzar avec sa femme et ses deux jeunes fils : ils tombent à ses pieds, protestent de leur innocence et demandent à entrer dans un couvent. « Traîtres, s’écrie-t-il, vous m’aviez préparé du poison ; eh bien, vous allez le boire ! » Aussitôt on apporte la coupe fatale. Vladimir, prêt à quitter la vie, hésitait cependant à se donner la mort de sa propre main, lorsqu’Eudoxie, son épouse, femme d’esprit et de mérite, voyant qu’il n’est 1569. point de salut pour eux, qu’il n’existe plus de pitié dans le cœur de leur meurtrier, essuie ses larmes et dit à son mari avec fermeté : Notre mort n’est pas un suicide, c’est le tyran qui nous empoisonne : mieux vaut encore mourir de la main du tzar que de celle du bourreau. Vladimir fait ses adieux à son épouse, bénit ses fils, prend la coupe d’une main assurée et la vide. Eudoxie et ses enfans ayant suivi son exemple, ils se mettent à prier ensemble ; le poison commençait à opérer : Jean fut témoin de leurs convulsions, de leur mort (49) !… Il fit appeler les dames et les suivantes de la princesse Eudoxie et leur dit : « Voilà les cadavres de mes ennemis ! vous étiez à leur service, mais je veux bien user de clémence envers vous et je vous fais grâce de la vie. » Saisies d’horreur à la vue des corps inanimés de leurs maîtres, elles s’écrient d’une voix unanime : « Monstre sanguinaire, nous ne voulons point de ta miséricorde ! Nous t’avons en exécration ! fais-nous mettre en pièces, nous méprisons la vie et les tourmens. » Dans les transports de leur juste indignation ces jeunes femmes bravaient la mort et la honte même. Jean donna l’ordre de les dépouiller de leurs vêtemens et de les fusiller. Euphrosine, mère de Vladimir, princesse autrefois 1569. ambitieuse, mais qui, alors, sous l’humble habit monastique, ne songeait plus qu’au salut de son âme, suivit le sort de son fils : elle fut noyée dans la rivière de Cheksna ainsi qu’une autre religieuse, la vertueuse Alexandrine, belle-sœur de Jean. Son crime était sans doute d’avoir versé des larmes sur les victimes de la fureur du tzar !

La destinée de l’infortuné Vladimir excita une compassion générale : on oublia la crainte ; on le pleurait dans les maisons et dans les temples. Personne sans doute n’ajoutait foi à l’attentat supposé contre la vie du monarque ; on ne voyait qu’un odieux fratricide, inspiré par la haine plutôt que par des soupçons. Si Vladimir ne possédait pas d’éminentes qualités, il en avait de louables : il aurait pu régner sur la Russie et il n’en eût point été le tyran ! Depuis long-temps sa disgrâce était évidente ; cependant sa fermeté ne se démentit jamais : il attendait sa perte inévitable avec la résignation d’un chrétien, inspirant à tous les gens de bien une sorte d’attendrissement qui lui conciliait leur amour. Jean entendait sinon les reproches, du moins les gémissemens des généreux Russes, et il voulut par la découverte d’un complot prétendu prouver la nécessité de ses actes de rigueur pour 1569. réprimer l’audace des traîtres, de ceux qu’il accusait d’être complices du prince Vladimir. Cette calomnie contre les morts et les vivans était-elle une chimère enfantée par l’esprit bourrelé du tzar ? Était-ce une ruse infernale de ses compagnons d’homicides, qui voulaient par là faire preuve de leur zèle et lui fournir une nouvelle occasion d’exercer sa cruauté ? Jean croyait-il pouvoir en imposer à ses contemporains, ainsi qu’à la postérité, par un mensonge grossier, ou cherchait-il à se tromper lui-même par sa crédulité ? Les annalistes adoptent cette dernière hypothèse, comme pour alléger le fardeau des actions atroces qui pèsent sur sa mémoire ; mais la crédulité même dans une semblable conjoncture ne crie-t-elle pas vengeance au ciel ? Peut-elle diminuer l’horreur qu’inspirent des massacres inouis ?

Désolation de Novgorod. Novgorod et Pskof, autrefois républiques florissantes, domptées depuis par l’autocratie, privées de leurs anciens droits et de leurs principaux habitans, peuplées, en partie, de citoyens étrangers, avaient perdu leur antique esprit national : cependant elles conservaient encore une ombre de splendeur, basée sur le souvenir des temps écoulés et sur quelques débris de leur existence civile. Novgorod portait comme jadis 1569. le titre de grande ; elle concluait des traités avec les rois de Suède et choisissait, ainsi que Pskof, ses propres jurés. Une secrète inimitié contre Moscou y était comme un héritage de famille : on racontait encore dans la première de ces villes la bataille de la Chélona, et il existait à Pskof des témoins oculaires de la dernière assemblée nationale. On avait oublié les inconvéniens de la liberté, sans perdre le souvenir de ses avantages. Quoique ces dispositions de deux villes affaiblies ne fussent, en aucune façon, dangereuses pour la puissante autocratie, elles irritaient, elles alarmaient le tzar : de sorte qu’au printemps de l’année 1569, imitant l’exemple de son père et de son aïeul, il fit transporter à Moscou cinq cents familles de Pskof et cent cinquante de Novgorod. Ceux qu’on arrachait à leur patrie versaient des larmes amères ; ceux qu’on y laissait tremblaient dans l’attente des événemens qu’annonçaient ces premières mesures.

À cette époque un vagabond, nommé Pierre, natif de Volhynie, ayant reçu à Novgorod le châtiment de sa mauvaise conduite, résolut de s’en venger sur ses habitans : certain que Jean était fortement prévenu contre eux, il fabriqua sous le nom de l’archevêque et des habitans de 1569. cette ville, une lettre pour le roi de Pologne ; il la cache derrière l’image de la Vierge dans l’église de Sainte-Sophie, puis il se réfugie à Moscou et va déclarer au tzar que Novgorod trahissait la Russie. Comme une accusation de cette nature exigeait des preuves, le tzar fait accompagner ce misérable par un homme de confiance, et celui-ci, arrivé à Novgorod, trouve, à la place indiquée, la lettre où il était dit que l’archevêque, le clergé, les chefs de la ville, enfin la population entière se soumettaient à la Pologne. Sans exiger d’autres témoignages, considérant cette absurde accusation comme une vérité reconnue, le tzar prononce la condamnation de Novgorod, et avec elle celle de tous les hommes devenus l’objet de ses soupçons ou de sa haine.

Au mois de décembre 1569, le tzar, accompagné de son fils Jean, de toute sa cour et de sa légion favorite, quitta le bourg d’Alexandrovsky. Sans passer par Moscou ils se rendirent à Klin, première ville de l’ancienne principauté de Tver. Croyant, sans doute, que les habitans de cette province, soumise par son aïeul, étaient tous des ennemis secrets de la souveraineté de Moscou, Jean donne à sa légion d’exterminateurs le signal de la guerre, des meurtres, du 1569. pillage, dans ces lieux où personne ne songeait à l’ennemi ; où des sujets paisibles, n’ayant aucun crime à se reprocher, accueillaient leur monarque comme un père, comme un défenseur. Aussitôt les maisons, les rues se remplissent de cadavres. On massacre même les femmes et les enfans. Depuis Klin jusqu’à Gorodnia, et même au delà de ce bourg, ces monstres marchèrent le glaive nu, couverts du sang des infortunés habitans, et arrivèrent ainsi jusqu’à Tver. Là, dans une étroite cellule du monastère d’Otrotch, respirait encore le saint vieillard Philippe, conjurant en vain le ciel d’adoucir le cœur de Jean. Le tyran n’avait point oublié ce prélat, banni pour sa généreuse fermeté, et il lui envoya Maluta Skouratof, sous le prétexte de lui demander sa bénédiction. Le vieillard répondit qu’il ne bénissait que les gens de bien et pour de bonnes œuvres ; devinant le motif de la mission du favori, il ajouta avec douceur : « depuis long-temps j’attends la mort : que la volonté du souverain soit accomplie ! » Elle le fut : l’odieux Skouratof étouffa le saint homme ; mais afin de cacher cet assassinat, il déclara à l’abbé et aux moines que Philippe était mort dans sa cellule, asphyxié par la chaleur. Les religieux, saisis d’effroi, creusèrent une tombe derrière le 1569. maître-autel, où, en présence de on meurtrier, ils déposèrent cet illustre chef de l’Église russe, orné de la glorieuse couronne du martyre. Mourir pour la vertu est le plus haut degré de la vertu humaine, et l’histoire, ancienne ou moderne, ne nous offre pas d’exemple d’un héros plus justement illustre. Quelques années après (en 1584) ses reliques furent transportées au monastère de Solovky, et rapportées, en 1652, dans l’église de l’Assomption à Moscou, où jusqu’à présent elles sont l’objet de la vénération des fidèles.

Ce crime secret fut suivi de crimes publics. Jean, au lieu d’entrer à Tver, resta pendant cinq jours dans un couvent du voisinage, tandis que ses soldats forcenés pillaient la ville, en commençant par le clergé, et ne laissaient pas une maison entière. Ils emportaient les objets légers et précieux, livraient aux flammes ce qu’ils ne pouvaient pas enlever, et s’amusaient à torturer, à mettre en pièces, à pendre les habitans. En un mot, ils rappelèrent aux infortunés Tvériens l’époque terrible de 1327, où le khan Usbek exerçait sa vengeance sur leurs ancêtres. Les prisonniers de guerre polonais, détenus dans les prisons de cette ville, furent égorgés ou noyés dans des trous faits à la glace du Volga : 1569. Jean assistait à ce spectacle !…. Quittant enfin ces lieux fumans de sang humain, il alla exercer de pareilles fureurs à Mednoïé, à Torjek, où l’on tenait renfermés dans des tours les prisonniers tatars et livoniens, chargés de fers : ils furent égorgés ; mais les premiers, en défendant leur vie, blessèrent grièvement Maluta-Skouratof, et peu s’en fallut que Jean ne fût blessé lui-même. Vouichny-Volotchok et toute la contrée qui s’étend jusqu’au lac Ilmen furent mis à feu et à sang. Tous ceux que l’on rencontrait sur la route étaient massacrés, sous le prétexte que l’expédition de Jean devait être un secret pour la Russie.

1570. Le 2 janvier, la nombreuse avant-garde du tzar entra dans Novgorod ; elle avait eu soin d’entourer la ville de fortes barrières afin qu’il ne pût s’en échapper un seul homme. On commença par fermer les églises et les couvens, par garrotter les moines et les prêtres, exigeant d’eux vingt roubles par tête. Celui qui se trouvait hors d’état de payer cette amende était battu, fustigé publiquement du matin jusqu’au soir. On mit sous scellé les maisons des plus riches citoyens, en même temps que l’on chargeait de fers les négocians, les marchands, les gens de robe, dont les familles étaient mises en 1570. surveillance dans leurs habitations. Le silence de la terreur régnait dans Novgorod. Ne pouvant deviner la cause ou le prétexte de ce châtiment, les citoyens tremblans attendaient l’arrivée du tzar.

Le 6 du même mois, jour de l’Épiphanie, Jean s’arrêta avec sa troupe à Goroditché, bourg situé à deux verstes de Novgorod (50). Le lendemain on mit à mort tous les religieux qui n’avaient point payé l’amende : ils furent assommés à coups de massue et transportés ensuite dans leurs monastères respectifs pour y être enterrés. Le 8, le tzar, accompagné de son fils et de sa légion, fit son entrée à Novgorod. L’archevêque Pimen avec le clergé et les images miraculeuses l’attendaient sur le grand pont : il voulut lui donner sa bénédiction ; Jean refusa de la recevoir et lui dit d’un ton menaçant : Homme impie, ce n’est pas la croix vivifiante que je vois entre tes mains, c’est une arme meurtrière que tu veux m’enfoncer dans le cœur. Je connais tes perfides projets et ceux de cette vile population. Je sais que vous êtes prêts à vous livrer à Sigismond Auguste ! Dès ce moment tu n’es plus à mes yeux le pasteur des Chrétiens, mais un ennemi de l’Église et de Sainte-Sophie, un loup carnassier, destructeur ; un misérable, acharné contre la couronne de Monomaque (51). Après 1570. ces invectives, il lui ordonna de reporter le crucifix et les images dans l’église de Sainte-Sophie, où il fut entendre la messe ; il pria avec ferveur, se rendit ensuite au palais épiscopal, se mit à table avec tous ses boyards, commença à dîner : tout à coup il se lève et pousse un cri effroyable (52) !…. À ce signal ses satellites paraissent ; ils saisissent l’archevêque, ses officiers, ses gens de service. Le palais, les cellules, sont, à l’instant, livrés au pillage. Léon Soltikof, maître de la cour, et Eustache, confesseur du tzar, osèrent même dévaster l’église de Sainte-Sophie, enlevant le trésor, les vases sacrés, les images, les cloches ; ils dépouillèrent également les églises des riches monastères ; après ces sacriléges, commencèrent les jugemens…… Ils étaient rendus par Jean et son fils, de la manière suivante : tous les jours on amenait devant eux cinq cents et jusqu’à mille novgorodiens,qui étaient aussitôt assommés, torturés ou brûlés au moyen d’une composition combustible. Quelquefois ces malheureux attachés à des traîneaux, par la tête ou les pieds, étaient traînés sur la rive du Volkhof, à l’endroit où cette rivière ne se couvre pas de glace en hiver. Là, de la hauteur du pont, on les précipitait dans l’eau par familles entières, les femmes avec leurs maris, les mères avec 1570. leurs enfans à la mamelle, tandis que les hommes d’armes moscovites, armés de pieux, de lances et de haches, se promenaient en bateaux sur le Volkhof, perçant, mettant en pièces ceux des infortunés qui surnageaient à la surface de la rivière. Ce massacre dura cinq semaines et se termina par un pillage général. Jean, suivi de sa légion, visita tous les monastères des environs ; partout il fit enlever les trésors des églises, dévaster les bâtimens, détruire les chevaux, le bétail, brûler les grains ; Novgorod fut également pillée de fond en comble. Le tzar, en personne, parcourait les rues, regardant ses avides soldats assiéger les maisons et les magasins, enfoncer les portes, escalader les fenêtres, se partager les étoffes de soie et les pelleteries, brûler le chanvre et les cuirs, jeter dans la rivière la cire et le suif. Des bandes de ces brigands furent aussi envoyés dans les domaines de Novgorod pour y piller et exterminer les habitans, sans distinction, sans examen. Ce fléau dévastateur, ce bouleversement, cette désolation de Novgorod-la-Grande, dura, dit l’annaliste, six semaines entières.

Le 12 février, lundi de la seconde semaine du grand carême, au lever du soleil, le tzar fit appeler devant lui ceux des novgorodiens de 1570. distinction qui restaient encore vivans, un par chaque rue. Ils parurent, semblables à des spectres, pâles, exténués par le désespoir et la terreur, attendant le coup de la mort : mais Jean jeta sur eux un regard de clémence et de bonté : la fureur qui, jusqu’alors, avait brillé dans ses yeux s’était éteinte comme un effrayant météore. Il leur dit avec douceur : Habitans de Novgorod, qui avez conservé la vie, priez Dieu pour qu’il nous accorde un règne heureux : priez pour nos soldats, fidèles serviteurs de Jésus-Christ, afin que nous triomphions de nos ennemis, visibles et invisibles ! Que le Tout-Puissant juge votre archevêque, le traître Pimen et ses abominables complices ; c’est sur eux que doit retomber le sang qui a coulé dans ces lieux ! Maintenant que les pleurs et les gémissemens cessent ! que la douleur et les regrets se calment ! Vivez et prospérez dans Novgorod. Je vous laisse, pour me représenter, mon boyard et voïévode le prince Pronsky, en qualité de gouverneur. Retournez en paix dans vos habitations. Le sort de l’archevêque n’était pas encore décidé : on le fit monter sur une jument blanche, couvert de haillons, tenant dans les mains une musette et un tambour de basque, affublé comme un vil histrion (53) ; on le promena de rue en rue ; ensuite 1570. on le fit partir pour la capitale, sous une forte escorte.

Jean quitta sans délai Novgorod et se dirigea sur Pskof, après avoir expédié à Moscou la proie acquise par le sacrilége et le pillage. Il n’y avait plus personne pour regretter ces richesses : ceux des habitans qui avaient conservé la vie, rendaient grâce au Seigneur, ou bien se trouvaient dans une espèce de délire. On assure qu’il périt, tant à Novgorod qu’aux environs, jusqu’à soixante mille hommes (54). Le Volkhof était encombré de cadavres, de membres mutilés, et ses flots, teints de sang, furent long-temps à les charrier jusqu’au lac Ladoga. La famine (55) et les maladies vinrent achever la vengeance de Jean ; pendant six à sept mois les prêtres ne pouvaient suffire à donner la sépulture aux morts : on les jetait dans une fosse commune, sans aucune cérémonie funèbre. Cependant Novgorod parut enfin se réveiller de sa morne stupeur : le 8 du mois de septembre, les débris de la population se rassemblèrent pour célébrer une messe des morts dans un champ situé près de l’église de la Nativité, vaste cimetière où se trouvaient dix mille cadavres chrétiens, enfouis sans funérailles ! On voyait à la première place, dans cette touchante cérémonie, un pauvre mendiant, nommé Jean 1570. Igaltzo, qui, seul, pendant la terreur, avait enterré les morts et prié sur eux. Novgorod-la-Grande n’était plus qu’un désert. Une partie considérable du quartier des marchands, jadis si populeux, fut convertie en une grande place ; après avoir démoli tous les bâtimens devenus inhabités, on y jeta les fondemens d’un palais pour le souverain.

Jean réservait à Pskof le sort de Novgorod, croyant que ses habitans avaient également formé le dessein de trahir la Russie. Cette ville avait alors pour gouverneur le prince Youry Tokmakof, homme vertueux et bon ; elle renfermait dans ses murs un ermite célèbre par sa piété, nommé Nicolas, qui par humilité chrétienne contrefaisait l’insensé. Les prudens conseils du premier et l’heureuse audace du second arrachèrent Pskof à sa perte. Le tzar passa la nuit du samedi dans le couvent de Saint-Nicolas à Lubatof. De là il découvrait cette ville dont les citoyens, effrayés à l’approche de la tempête, étaient loin de songer au repos ; ils couraient de tous côtés, s’encourageant les uns les autres, ou faisant leurs adieux à la vie. À minuit, le son des cloches de toutes les églises de Pskof retentit aux oreilles du tzar : son cœur, au rapport des contemporains, s’attendrit d’une 1570. manière miraculeuse (56). Son imagination lui représenta vivement avec quel sentiment douloureux les citoyens allaient aux matines prier pour la dernière fois le Très-Haut de les sauver du courroux de leur souverain ; avec quelle ferveur ils se prosternaient, baignés de larmes, au pied des autels ! L’idée que Dieu entend la voix des affligés toucha cette âme si endurcie !…. Dans un inexplicable élan de pitié, il dit à ses généraux : Émoussez vos glaives sur la pierre ; que les meurtres cessent !…. Pskof sauvée. Le lendemain il entra dans la ville et vit avec étonnement devant toutes les maisons, des tables dressées et couvertes de mets, d’après le conseil du prince Tokmakof. Les citoyens, à la tête de leurs familles, présentant au prince du pain et du sel, fléchissaient les genoux devant lui, le bénissaient. « Seigneur, disaient-ils, recevez de nous, vos fidèles sujets, le pain et le sel que nous vous offrons avec amour ; disposez de notre vie et de nos biens, car tout ce que nous possédons est à vous, aussi bien que nos personnes. » Cette soumission inattendue fut agréable à Jean. Cornélius, abbé du monastère de Petchersky, à la tête du clergé, le reçut sur la grande place. Après le Te Deum chanté dans le temple de la Trinité, le prince salua le tombeau 1570. de Saint-Vsevolod, examina avec étonnement la pesante épée de cet ancien prince de Pskof et voulut ensuite visiter la cellule du solitaire Nicolas. Celui-ci, sous l’égide de sa prétendue démence, ne craignit point de reprocher au tyran ses actions sanguinaires et ses sacriléges (57). On assure qu’il offrit à Jean un morceau de viande crue et que le prince lui ayant dit : « Je suis chrétien et je ne mange point de viande au grand Carême, » l’anachorète lui répondit : « Tu fais pis : tu te nourris de sang et de chair humaine, oubliant non-seulement le Carême, mais Dieu lui-même ! » Alors d’un ton menaçant, il prédit au tzar d’épouvantables malheurs et parvint à lui inspirer un tel effroi qu’il sortit incontinent de Pskof ; il demeura pendant quelques jours dans les faubourgs, permettant à ses soldats de piller les propriétés des habitans les plus riches ; mais il avait défendu de toucher aux biens des prêtres et des moines ; il n’enleva que les trésors des couvens, quelques vases sacrés, des images, des livres. Ayant épargné, comme malgré lui, l’antique patrie d’Olga, il reprit le chemin de Moscou, pour assouvir dans de nouveaux carnages son insatiable soif du sang.

L’archevêque Pimen et quelques uns des plus 1570. notables prisonniers de Novgorod, transportés avec lui au bourg d’Alexandrovsky, y attendaient leur sentence de mort. Supplices à Moscou. Cinq mois se passèrent sans qu’il fût rien décidé à leur égard. On ordonnait de scrupuleuses investigations ; on recueillait des délations pour établir un corps de délit ; on cherchait à Moscou des complices de l’archevêque Pimen parmi ceux qui, jusque-là, s’étaient soustraits à la vengeance du tzar ; les uns siégeaient à la haute cour de justice et au conseil souverain ; d’autres jouissaient même de la faveur particulière de Jean. Viskovaty, garde des sceaux, homme habile dans les affaires d’État ; le trésorier Founikof qui, depuis sa jeunesse jusque dans un âge avancé, avait servi avec fidélité son maître et son pays ; le boyard Yakovlef, les secrétaires Stépanof et Vassilief, hommes de mérite, furent mis en état d’arrestation. Mais quel fut l’étonnement général, lorsqu’avec eux l’on vit arrêter aussi les principaux favoris de Jean : Alexis Basmanof, voïévode intrépide, mais impudent serviteur de la tyrannie ; Théodore, son fils, grand échanson, dont la belle physionomie cachait une âme noire, compagnon nécessaire au tzar dans ses débauches comme dans ses cruautés ; enfin, le scélérat qu’il afectionnait le plus, le prince Athanase Viazemsky. 1570. Ils étaient accusés d’avoir concerté avec Pimen, le projet de livrer les villes de Novgorod et Pskof aux Polonais, et d’attenter à la vie du tzar pour élever au trône le prince Vladimir Andréiévitch. S’ils accordaient une juste pitié aux dignes fonctionnaires qui avaient bien mérité de la Russie, les Moscovites devaient éprouver une secrète satisfaction en voyant la vengeance divine s’accomplir sur les confidens du prince, sans doute innocens envers lui, mais criminels envers la patrie et l’humanité. Ces cruels courtisans reconnurent trop tard que la faveur d’un tyran est aussi dangereuse que sa haine même, car il ne peut pas avoir une longue confiance dans des hommes dont la perversité lui est connue. Le plus léger soupçon, le moindre mot, une seule pensée suffit pour causer leur perte : en brisant les instrumens de sa tyrannie, l’exterminateur éprouve le sentiment interne de sa justice, jouissance rare pour un cœur avide de sang, endurci au crime, mais encore troublé par la conscience ! Long-temps calomniateurs, ils périrent eux-mêmes victimes d’une calomnie. Jean accordait une confiance sans bornes au grand officier Athanase Viazemsky ; il ne prenait que de la main de ce favori les remèdes prescrits par Arnolphe Lensey, son médecin (58) ; 1570. lui seul était le confident des projets secrets du tzar, qui les lui communiquait, dans sa chambre à coucher, pendant le silence des nuits. Un jeune enfant boyard, nommé Féodorof Lovtchikof (59), comblé de bienfaits par le prince Athanase, l’accusa d’avoir prévenu les Novgorodiens de la colère du tzar, et par conséquent de complicité dans leur crime ; il n’en fallut pas davantage pour le perdre. Jean dissimula quelques jours ; puis, tout à coup, ayant fait appeler Viazemsky, pour lui parler des affaires de l’État avec sa confiance accoutumée, il donna ordre d’assassiner, pendant ce temps, tous les serviteurs dévoués au prince. En rentrant chez lui, celui-ci aperçoit leurs cadavres ensanglantés. Sans laisser paraître ni émotion, ni surprise, il passe dans son appartement, espérant calmer le courroux du tzar par cette preuve de soumission. Mais à l’instant il est arrêté et jeté dans un cachot où se trouvaient déjà les Basmanof, accusés, comme lui, de haute trahison. On fit subir la question à tous les prévenus : celui qui n’avait point la force d’en supporter les douleurs, faisait des aveux mensongers qui le compromettaient ainsi que ses compagnons, torturés également, pour découvrir des secrets qu’ils ignoraient eux-mêmes. 1570. Les procès-verbaux, contenant les déclarations de ces malheureux, formèrent un acte d’accusation énorme qui fut présenté au tzar et à son fils. Aussitôt les prétendus traîtres sont condamnés à mort. Leur supplice devait offrir aux regards des habitans de Moscou, déjà habitués aux horreurs, un spectacle capable de les étonner encore !

Le 25 juillet on vit dresser dix-huit potences au milieu de la grande place du marché (dans le quartier de Kitaï-Gorod) ; étaler des instrumens de torture, allumer un énorme bûcher, au-dessus duquel était suspendue une grande cuve remplie d’eau (60). À ces épouvantables apprêts, les Moscovites furent persuadés que leur dernier jour était arrivé, et que le tzar allait exterminer à la fois la capitale et ses habitans. Éperdus de terreur, ils fuient et se cachent partout où ils le peuvent, abandonnant, dans les boutiques ouvertes, leurs marchandises, leur argent. Bientôt la place est déserte ; on n’y voyait qu’une troupe d’opritchniks rangés autour des gibets et du bûcher embrasé, dans un profond silence. Tout à coup l’air retentit du roulement des tambours : on aperçoit le tzar à cheval avec son fils aîné, objet de son affection. Il était accompagné des boyards, des 1570. princes et de sa légion, marchant dans le plus grand ordre, suivie des condamnés, au nombre de plus de trois cents, semblables à des spectres, meurtris, déchirés, ensanglantés, pouvant à peine se traîner. Arrivé au pied des gibets, Jean promène ses regards autour de lui : étonné de n’apercevoir aucuns spectateurs, il ordonne aux légionnaires de rassembler les habitans et de les amener sur la place. Impatienté de leur lenteur, il court lui-même sur leurs pas, appelant les Moscovites au spectacle qu’il leur avait préparé, leur promettant grâce et sûreté. Les citoyens n’osèrent point désobéir : ils sortent des caves, des souterrains où ils s’étaient cachés et se rendent, tremblans de frayeur, sur la place des exécutions, qu’ils remplissent en peu d’instans ; les murailles, les toits étaient couverts de spectateurs : alors élevant la voix, le tzar leur dit : Peuple de Moscou, vous allez voir des tortures et des supplices ; mais je punis des traîtres. Répondez-moi ! mon jugement vous paraît-il juste ? À ces mots de bruyantes acclamations partent de tous côtés : Vive le tzar, notre seigneur et maître ! périssent ses ennemis ! Jean fit retirer de la foule des condamnés cent quatre-vingt personnes auxquelles il accorda la vie, comme aux moins coupables ; ensuite le secrétaire 1570. du conseil privé, déployant un rouleau de parchemin, publia les noms des victimes. Puis il fit avancer Viskovaty et lut à haute voix ce qui suit : Jean Mikhaïlof, ex-conseiller intime du tzar ! vous avez servi votre souverain d’une manière déloyale et vous avez écrit au roi Sigismond, voulant lui livrer Novgorod : voilà votre premier crime ! Il le frappe à la tête (61) et continue : Voici un second délit de moindre importance : ingrat et perfide, vous avez écrit au sultan pour l’engager à s’emparer d’Astrakhan et de Kazan. Après l’avoir frappé une seconde et une troisième fois, il ajoute : Vous avez aussi invité le khan de Tauride à ravager la Russie, et c’est votre troisième crime ! Ici, Viskovaty, humble, mais magnanime, répondit, en levant les yeux au ciel : Je prends à témoin celui qui lit au fond des cœurs, celui qui connaît les plus secrètes pensées, que j’ai toujours servi avec fidélité le tzar et la patrie. Tout ce que je viens d’entendre est un tissu d’atroces calomnies : il est inutile que je cherche à me justifier, car mon juge terrestre est sourd aux accens de la vérité ; mais celui qui règne aux cieux voit mon innocence : et vous aussi, prince, vous la reconnaîtrez devant le trône du Tout-Puissant. Les sicaires s’élancent sur lui, lui 1570. ferment la bouche, le pendent par les pieds et le taillent en pièces : Maluta-Skouratof, descendu de cheval, coupa, le premier, une oreille au martyr (62).

La seconde victime fut le trésorier Founikof, ami de Viskovaty, accusé, avec aussi peu de fondement, des mêmes trahisons : C’est pour la dernière fois, dit-il au tzar, que je te salue sur la terre, et je prie Dieu qu’il t’accorde, dans l’éternité, un prix digne de tes actions ! On versait alternativement de l’eau bouillante et de l’eau glacée sur le corps de ce malheureux, qui expira dans d’horribles souffrances. Les autres furent égorgés, pendus ou hachés en morceaux. Le tzar lui-même, à cheval, d’un air tranquille, perça un vieillard de sa lance : dans l’espace de quatre heures on mit à mort environ deux cents hommes ! Enfin, ayant terminé cette horrible expédition, les meurtriers baignés de sang, brandissant leurs épées fumantes, vinrent se ranger devant le tzar en poussant leur cri de joie, hoïda ! hoïda[1] ! et glorifiant sa justice. Jean, parcourant la place, examina les amas de cadavres ; mais, rassasié de meurtres, il ne l’était pas encore du désespoir de ses sujets. Il 1570. voulut voir les malheureuses épouses de Founikof et de Viskovaty ; il se rend chez elles, rit de leurs larmes et fait torturer la première, lui demandant des trésors. Il voulait aussi faire donner la torture à sa fille, âgée de quinze ans, qui poussait des cris de désespoir, lorsque changeant de résolution, il la donna à son fils, le tzarévitch Jean. Elle fut, par la suite, enfermée avec sa mère et la femme de Viskovaty, dans un couvent où toutes les trois moururent de chagrin (63).

Les habitans de Moscou, témoins de cette horrible journée, n’avaient vu dans le nombre des victimes, ni le prince Viazemsky, ni Alexis Basmanof : le premier était expiré au milieu des tortures (64) ; quant à la fin du second, malgré les atrocités sans exemple dont nous venons de tracer le tableau, elle nous semble encore invraisemblable ; puisse cet épouvantable récit être une calomnie inspirée par la haine que l’on portait au tyran ! Les contemporains rapportent que Jean força le jeune Féodor Basmanof à tuer son père ! Il avait aussi fait assassiner, à cette même époque ou précédemment, le prince Basile Prazorovsky, par son frère Nicétas (65) ! Au moins ce fils dénaturé ne sauva point sa vie par le parricide : il fut supplicié avec les autres. 1570. On confisqua leurs biens au profit du trésor. Plusieurs personnes de distinction furent exilées à Biélo-Ozéro ; l’archevêque Pimen, dépouillé de sa dignité, fut déporté à Toula et enfermé dans le monastère de Saint-Nicolas. Cependant on rendit la liberté à quelques uns des accusés, sous la garantie de leurs parens ou amis ; d’autres obtinrent même des gratifications du tzar.

Le tyran se reposa pendant trois jours, car il était indispensable d’inhumer les cadavres ; mais le quatrième on amena, sur la place, de nouvelles victimes que l’on mit à mort. Maluta Skouratof, chef des bourreaux, dépeçait à coups de hache les corps des suppliciés, et ces sanglantes dépouilles, privées de sépulture, restèrent huit jours exposées à la voracité des chiens qui se les disputaient. (C’est là, auprès des fossés du Kremlin, que sur le sang et les ossemens des hommes, on construisit dans la suite plusieurs églises, monumens expiatoires de ces meurtres.) Les femmes des gentilshommes égorgés, au nombre de quatre-vingts, furent noyées dans la rivière (66).

En un mot, Jean avait atteint le plus haut période de son insensée tyrannie. Il pouvait encore exterminer des hommes, mais il ne lui était plus possible d’étonner la Russie par de nouveaux 1570. raffinemens de férocité. Fatigués d’horreurs, nous aurons encore le courage de décrire quelques uns des crimes innombrables de cette époque désastreuse.

Il n’existait alors de sécurité pour personne, et bien moins encore pour les hommes que leur mérite ou leurs richesses mettaient en exposition : le tyran haïssait la vertu, autant qu’il était avide de butin. Le célèbre voïévode, devant lequel la nombreuse armée de Sélim avait pris la fuite ; celui qui, depuis vingt ans, n’était pas descendu de cheval, combattant tantôt les Tatars, tantôt les Polonais ou les Allemands, le prince Pierre Obolensky-Sérébrianoï, rappelé dans la capitale, ne recevait du tzar que des faveurs et des marques de bienveillance. Tout à coup il voit la légion des opritchnicks fondre sur l’hôtel qu’il habitait au Kremlin ; on enfonce les portes, et, sous les yeux, aux pieds de Jean, on tranche la tête à cet illustre voïévode, qui n’était accusé d’aucun crime (67). On exécuta à la même époque, le conseiller d’État Zacharie Pletchéïef ; Dobrynsky, l’un des plus riches dignitaires ; Jean Vorontzof, fils de Théodore, l’ami de jeunesse du tzar ; Vassili Razladin, descendant du boyard Kvachnin, célèbre dans le quatorzième siècle ; le voïévode Tyrkof, 1570. également illustre par l’angélique pureté de ses mœurs, son habileté dans les affaires d’État, et son brillant courage dans les combats, où il avait été couvert de glorieuses blessures ; André Kachkarof, l’héroïque défenseur de Laïs ; Michel Lykof, gouverneur de Narva (dont le père avait mieux aimé périr dans les flammes que de livrer la ville aux ennemis, en 1534) ; qui, dans son jeune âge, ayant été fait prisonnier en Lithuanie, y avait appris la langue latine et acquis d’autres connaissances ; qui se distinguait par la noblesse de son âme et l’agrément de son esprit ; et, enfin, un de ses parens du même nom, beau jeune homme que le tzar avait envoyé en Allemagne afin de s’instruire dans les sciences, et qui en était revenu pour servir sa patrie avec une âme ardente et un esprit éclairé. Le voïévode Nicétas Golokvastof, attendant la mort, avait quitté la capitale et pris la tonsure dans un monastère situé sur les rives de l’Oka. À la nouvelle que le tzar avait expédié ses satellites pour s’emparer de lui, il alla à leur rencontre et leur dit : Je suis celui que vous cherchez. Jean le fit sauter en l’air sur un baril de poudre à canon, et dit en plaisantant : Les cénobites sont des anges qui doivent s’envoler au ciel. Le dignitaire Miassoïédof avait une épouse charmante : 1570. elle fut saisie, violée et pendue aux yeux de son mari, auquel on trancha la tête (68).

La fureur du tyran, retombant sur les familles entières, exterminait nou-seulement les enfans avec leurs pères, les femmes avec leurs époux, mais souvent même jusqu’au dernier parent du prétendu criminel. C’est ainsi que, sans compter les dix Kolytschef, périrent plusieurs princes d’Yaroslavle (l’un d’eux, Jean Schakovsky, fut tué de la propre main du tzar, d’un coup de masse d’armes) ; plusieurs princes Prazorovsky, Ouchaty ; plusieurs boyards des familles Zabolotsky, Boutourlin, subirent le même sort. Quelques Russes de distinction prévinrent leur supplice par une fin glorieuse : deux frères, les princes André et Nicétas Metchersky, en défendant avec valeur la nouvelle forteresse du Don, tombèrent sous les coups des Tatars de Crimée. Les corps de ces deux guerriers, arrosés des pleurs de leurs braves compagnons d’armes, n’étaient point encore inhumés, lorsque les sicaires de Jean se présentèrent pour les égorger : on leur montra les dépouilles inanimées ! Il en arriva autant à l’égard du prince André Olenkin : les assassins expédiés de Moscou le trouvèrent mort au champ d’honneur ; loin d’en être touché, le tzar accomplit sa vengeance sur les 1570. enfans de ce généreux guerrier ; il les fit mourir dans l’exil.

Mais la mort n’était plus aux yeux des victimes dévouées, qu’une peine légère qu’elles demandaient comme une grâce. Il est impossible de lire, sans frémir, dans les mémoires contemporains, le détail des infernales inventions de la tyrannie, la description de tous les moyens imaginés pour tourmenter les hommes. Outre les poëles ardens dont nous avons déjà fait mention (69), on construisit, pour la torture, des fourneaux d’une espèce particulière ; on fabriqua des tenailles, des griffes de fer, de longues aiguilles. On coupait aux malheureux patiens les membres, l’un après l’autre ; on les sciait, pour ainsi dire, en deux parties au moyen de cordeaux ; on les écorchait tout vifs ; on leur tailladait la peau du dos par longues tranches !… Et lorsqu’au milieu des horreurs du carnage, la Russie était comme pétrifiée par la terreur, le palais de Jean retentissait du bruit de joyeux festins. Ce prince s’y livrait au plaisir, entouré de ses satellites et d’histrions qu’on lui envoyait avec des ours de Novgorod et autres provinces. Il se servait de ces animaux pour la chasse aux hommes dans ses momens de fureur, ou comme simple divertissement. Quelquefois, apercevant 1570. près du palais une troupe de citoyens paisiblement rassemblés, il faisait lâcher deux ou trois ours et riait aux éclats de l’épouvante, des cris de cette multitude en fuite, poursuivie par les bêtes féroces, qui déchiraient quelques malheureux. Il est vrai que pour récompense ou dédommagement, il donnait à ceux qui restaient estropiés une petite pièce d’or (denga) et quelquefois davantage (70). Bouffons du Tzar. L’un des principaux amusemens du tzar était une nombreuse troupe de bouffons dont les fonctions étaient de le faire rire avant, et après les meurtres. Souvent ils payaient de leur vie un bon mot hasardé ! On distinguait parmi eux le prince Gvozdef, qui occupait un rang élevé à la cour. Un jour, mécontent d’une de ses plaisanteries, le tzar lui versa sur la tête une écuelle de soupe bouillante : le malheureux, poussant un cri de douleur, veut prendre la fuite ; mais Jean lui porte un coup de couteau, et Gvozdef, baigné dans son sang, tombe sans connaissance. On appelle sur-le-champ le docteur Arnolphe : Sauvez mon bon serviteur, lui dit le tzar ; j’ai plaisanté avec lui un peu trop rudement ! Si rudement, répondit Arnolphe, que Dieu seul et votre majesté pourraient le rendre à la vie. Il ne inspire plus ! Le tzar fit un geste de mépris, donna au mort 1570. l’épithète de chien et continua de s’amuser.

Un autre jour, au moment où il était à table, Boris Titof, voïévode de Staritza, se présente devant lui, s’incline jusqu’à terre et lui adresse les complimens accoutumés : Dieu te conserve, mon cher voïévode ! lui dit le tzar ; tu mérites une grâce de ma part ; et prenant un couteau, il lui coupe une oreille ! Titof, sans laisser paraître la moindre douleur, sans changer de visage, remercia le tzar de sa gracieuse punition, et lui souhaita un heureux règne (71). Quelquefois le tyran, bien que plongé dans la sensualité, semblait en oublier les plaisirs ; il repoussait soudain les mets et les liqueurs, abandonnait les festins, puis, d’une voix de tonnerre, appelant sa légion, il s’élançait sur un cheval et courait se baigner dans le sang. C’est ainsi que quittant un dîner somptueux, il sortit un jour de son palais pour aller massacrer les prisonniers de guerre polonais enfermés dans Moscou. On rapporte que l’un d’entre eux, le gentilhomme Bykovsky, arracha la lance des mains du tyran et allait l’en percer lui-même, lorsqu’il reçut la mort d’un coup porté par le tzarévitsch Jean ; car dans de semblables occasions ce jeune prince secondait son père avec ardeur, comme pour enlever aux Russes jusqu’à l’espoir d’un règne 1570. plus doux dans l’avenir !…… Après avoir assassiné plus de cent personnes, le farouche exterminateur s’en retourna triomphant dans son palais, aux cris ordinaires de ses satellites, Hoïda ! Hoïda ! et se remit à table (72) !… Cependant, à cette époque même, le cri de l’humanité se faisait quelquefois entendre, et au milieu de ces sanguinaires orgies, des paroles d’une généreuse audace échappaient aux opprimés. Le tzar ayant voulu forcer un nommé Mitkof à vider une coupe d’hydromel vineux, cet homme courageux s’écria avec l’accent de la douleur : Ô tzar ! tu nous ordonnes de boire avec toi de l’hydromel mêlé au sang des chrétiens, nos frères ! À ces mots, Jean lui assène un coup de son bâton ferré et l’étend à ses pieds ! Mitkof, ayant fait un signe de croix, expira en récitant des prières.

Tels étaient et le tzar et ses sujets ! Qui de lui ou d’eux doit nous étonner davantage ? S’il ne fut pas le plus grand des tyrans, ils furent les plus résignées des victimes, parce qu’ils regardaient le pouvoir souverain comme celui de Dieu même, et toute résistance comme une impiété. Cette tyrannie leur paraissait un effet du courroux céleste, en punition de leurs péchés, et, pénétrés de foi, d’espérance, ils attendaient le jour de la miséricorde ; mais ils ne redoutaient 1570. pas la mort, consolés par l’idée d’une autre vie où la vertu reçoit sa récompense et à laquelle celle de ce bas monde doit servir d’épreuve……

Famine et peste. Terminons le tableau des malheurs de ce temps : la peste et la famine aidaient le tyran à dépeupler la Russie. Il semblait que la terre eût perdu sa fertilité, et le froid ou la sécheresse, détruisant les faibles récoltes dont elle se couvrait, occasionnèrent dans le prix des denrées une cherté si excessive, que le tchetvert de seigle se payait, à Moscou, environ 9 roubles d’argent de notre monnaie actuelle. Les marchés étaient encombrés d’une foule de pauvres, qui s’informaient avec effroi du prix des grains et poussaient des cris de désespoir ; la ressource des aumônes diminuait tous les jours, et l’on voyait même recourir à la charité d’autrui, ceux qui avaient, jusqu’alors, nourri les indigens. Semblables à des ombres, les hommes se traînaient dans les rues, sur les grandes routes, où ils tombaient épuisés de faim et de misère. Il n’y avait pas de révolte ouverte, mais il se commettait quantité de crimes épouvantables : dans des accès de frénésie, poussés par le besoin, des malheureux assassinaient leurs semblables pour se repaître de leur chair (73). L’affaiblissement des forces vitales, une nourriture si peu naturelle 1570. à l’homme, occasionnèrent bientôt, sur plusieurs points, une maladie contagieuse et mortelle. Le tzar donna l’ordre d’intercepter les communications, et des patrouilles de cavalerie arrêtaient ceux qui arrivaient sans passe-ports ou par des chemins détournés. Il était même enjoint aux soldats de brûler ces voyageurs ainsi que leurs chevaux et bagages (74). Cette calamité dura jusqu’en 1572.

Mais ni le destin, ni le tyran n’étaient encore rassasiés de victime ! Nous ne terminerons pas ici, nous suspendrons seulement le tableau des malheurs de la Russie pour fixer nos regards étonnés sur Jean IV, qui paraissait y être indifférent, et pour le suivre dans les rapports de son activité politique.

Relations avec la Pologne. Au printemps de l’année 1570, les ambassadeurs de Sigismond arrivèrent à Moscou, à l’effet de conclure la paix et dans l’espoir de la procurer également, par leur médiation, au roi de Suède (75). Mais ceci n’entrait en aucune façon dans les vues de Jean. Reçus par ce prince en audience secrète, les envoyés lui dirent qu’à la mort de Sigismond, événement peu éloigné selon toute apparence, les grands de Pologne songeaient à offrir la couronne royale au tzar, comme à un prince de race slavonne, monarque 1570. chrétien et puissant. Jean reçut ces ouvertures avec les dehors de l’indifférence et sans donner un aveu formel. Il répondit froidement : par la grâce de Dieu et les prières de nos ancêtres, la grandeur de la Russie est assurée. Qu’ai-je besoin de la Lithuanie et de la Pologne ? Toutefois, si cette pensée vous occupe réellement, vous devez éviter de nous déplaire en suscitant des difficultés dans la sainte entreprise de la paix des Chrétiens. Malgré ces dispositions réciproques, les négociations n’eurent d’autre résultat qu’une trève de trois ans, que Sigismond sanctionna à Varsovie, en présence de nos ambassadeurs. À leur retour, ceux-ci annoncèrent au tzar que les grands de Pologne le considéraient comme leur futur maître et désiraient lui faire épouser la princesse Sophie, sœur du roi ; qu’ils ne voulaient se soumettre, ni à l’empereur, faible défenseur de ses propres États, ni aux autres souverains plus ou moins inférieurs en puissance au tzar de Moscovie, ennemi terrible, mais dont la protection offrait le plus de garantie : l’ambitieux Jean ajoutait foi à ces discours et croyait déjà porter sa main sanguinaire sur la couronne des Jagellons !

Royaume de Livonie. En attendant, il s’occupait avec ardeur des affaires de la Livonie. Taube et Kruse, ses favoris, 1570. élevés par lui à la dignité de membres du conseil, lui inspirèrent l’idée de former, au moyen des ci-devant domaines de l’Ordre Teutonique, un royaume particulier sous la dépendance immédiate de la Russie : ils lui donnaient l’assurance que, dans le cas où il prendrait ce parti, les Livoniens se déclareraient en sa faveur, chasseraient de leur pays les Suédois et les Polonais, et deviendraient, eux et leur roi, les plus fidèles sujets du tzar. Dès l’année 1565, Jean avait, si l’on en croit les rapports contemporains, proposé la couronne de Livonie, sous le titre de vassal, à Fürstemberg, son illustre prisonnier. Ce vieillard magnanime avait répondu à cette proposition qu’il aimait mieux terminer ses jours dans la captivité que de trahir sa conscience et les vœux sacrés de son Ordre (76). En 1569, Taube et Kruse, qui possédaient l’entière confiance du tzar, entrèrent en relations avec les habitans de Revel, qu’ils engageaient à reconnaître sa domination, leur promettant l’âge d’or, la liberté et la paix. Contemplez, disaient-ils, le sort de la Livonie ; depuis douze ans, elle offre une suite non interrompue d’épouvantables calamités, de carnage et de désolation. Il n’y a de garantie ni pour la vie, ni pour la fortune des citoyens. Nous servons le 1570. puissant tzar de Moscovie ; mais, loin d’avoir trahi notre première, notre véritable patrie, son bien-être et son salut sont l’objet de nos désirs. Nous savons que ce prince a formé le dessein de fondre, avec toutes ses forces, sur la Livonie pour en chasser les Suédois, les Polonais et les Danois. Où sont vos défenseurs ? L’Allemagne ne songe pas à vous secourir : vous connaissez l’indolence, la faiblesse de l’Empereur. Le roi de Danemarck n’oserait pas adresser au tzar un mot téméraire. Sigismond décrépit a perdu sa fierté, et tandis qu’il demande la paix à Moscou, il opprime ses sujets de Livonie. La Suède attend la vengeance de Jean, prêt à la châtier. Vous-mêmes seriez déjà assiégés si une peste cruelle, ravageant la Russie, n’avait jusqu’à ce jour empêché le tzar de s’occuper de la guerre. Il aime les Allemands ; il est issu de la maison de Bavière (77), et il vous donne parole que, sous sa domination, Revel sera la plus heureuse des villes. Choisissez un souverain parmi les princes d’Allemagne : ce n’est pas vous, mais seulement ce souverain qui dépendra de Jean, ainsi que les princes d’Allemagne dépendent de l’empereur, et pas autrement. Jouissez des douceurs de la paix, de la liberté, de tous les avantages du commerce, sans payer 1570. d’impôts, sans être exposés aux fatigues du service militaire. Le tzar ne veut être que votre bienfaiteur. En même temps ils offraient, au nom de leur maître, le titre de roi de Livonie à Gothard, duc de Courlande. On n’ajouta aucune foi à deux hommes regardés comme d’odieux émissaires du tyran de la Moscovie. Revel ne voulut pas trahir la Suède et Gothard resta fidèle à Sigismond. Alors les agens du tzar s’adressèrent à Magnus, prince danois, souverain de l’île d’Œsel, et, séduit par eux, ce jeune homme crédule consentit à devenir l’instrument de la politique de Jean, à l’insu du roi de Danemarck, son frère (78).

Pour témoigner sa confiance dans les brillantes promesses qu’on lui avait faites, Magnus résolut de se rendre en personne auprès du tzar. Il apprit à Dorpat le sort de Novgorod (79) : frappé de terreur, il fut au moment de s’en retourner ; toutefois l’ambition l’emporta sur toute autre considération, et, continuant son voyage, il arriva à Moscou avec une extrême magnificence, suivi de deux cents chevaux et d’un grand nombre d’officiers ou de gens de service (80). Bienveillance du tzar pour Magnus. Il fut accueilli avec une bienveillance toute particulière ; on lui donna des fêtes, et bientôt l’entreprise projetée reçut son exécution. Le tzar 1570. nomma Magnus, roi de Livonie : celui-ci le reconnut pour son père et souverain maître ; ensuite il obtint l’honneur d’être choisi pour l’époux d’Euphémie, fille de l’infortuné prince Vladimir et nièce du souverain. Cependant la noce fut différée jusqu’à de plus favorables circonstances. Jean promit à la fiancée une dot de cinq tonneaux d’or ; par égard pour son futur allié, il rendit la liberté aux prisonniers de Dorpat et lui donna une armée destinée à chasser les Suédois de l’Esthonie. Magnus, à la tête des troupes russes, ayant à sa suite un grand nombre d’Allemands, entra en Livonie. Il annonçait à la fois aux habitans sa royauté, la faveur de Jean, la réunion des domaines de l’ordre, enfin l’aurore de la tranquillité et du bonheur public. De leur côté, Taube et Kruse, munis des pleins-pouvoirs du tzar, garantissaient solennellement sa bonne foi et sa sincérité : ils donnaient par écrit et de vive voix l’assurance que la Livonie resterait puissance indépendante, n’ayant à payer qu’un léger impôt à la Russie ; que les fonctionnaires moscovites y seraient remplacés par des Allemands, chargés seuls de gouverner le pays, au nom du roi et des lois. Quelques personnes, séduites par ces protestations, se livraient à la joie ; leur 1570. illusion ne tarda pas à s’évanouir ! Victime de son ambition et de sa crédulité, Magnus attira sur la malheureuse Livonie de nouvelles calamités.

Ce prince suivait en tous points les avis de Taube et de Kruse : ce fut d’après leurs conseils que, le 23 août, il se porta sur Revel à la tête de vingt-cinq mille Russes et d’une nombreuse troupe d’Allemands, espérant soumettre cette ville sans effusion de sang ; mais les habitans rejetèrent toutes ses propositions. « Nous connaissons, dirent-ils, l’hypocrisie du tzar : le tyran de son peuple ne saurait devenir le bienfaiteur d’une nation étrangère. Magnus, jeune et sans expérience, est sans doute entouré de conseillers perfides ou insensés, et doit s’attendre, en Russie, au sort du prince Michel Glinsky ; mais Revel ne veut pas avoir celui de Smolensk (81). » Le siége commença, et avec lui des maladies contagieuses et mortelles se déclarèrent, tant dans la ville que dans le camp des Russes, qui montraient plus de patience que de bravoure et d’habileté. Les travaux du siége les fatiguaient inutilement ; l’effet de leur artillerie était presque nul. Ayant occupé des hauteurs vis-à-vis la porte de Revel, ils construisirent des tours de bois, du 1570. haut desquelles ils lançaient dans la place des boulets et des grenades, sans causer de notables dommages à l’ennemi. Cependant les froids de l’hiver commençaient. Les généraux moscovites Yakovlef, Lykof et Krapotkin, incapables de s’emparer de Revel, se contentaient de la dévastation des villages d’Esthonie. Au mois de février ils expédièrent en Russie deux mille traîneaux chargés de butin (82). Ils espéraient que la famine forcerait sous peu les assiégés à ouvrir leurs portes ; mais la flotte suédoise les avait approvisionnés abondamment en munitions de guerre et de bouche. L’armée laissait éclater son mécontentement ; Magnus, au désespoir, accusait de ses revers les conseillers du tzar, et ne savait quel parti prendre. Il tenta d’envoyer encore à Revel son confesseur Schraffer pour faire de nouvelles propositions aux habitans. Ce ministre éloquent leur assurait avec effronterie « que Jean était un monarque vraiment chrétien ; qu’il préférait l’Église latine à la grecque et se déciderait facilement à embrasser la confession d’Augsbourg ; que, sévère par nécessité, mais seulement à l’égard des Russes, il était le véritable ami des Allemands ; enfin que, par une résistance hors de propos, Revel ne faisait que retarder l’âge 1570. d’or dont la Livonie avait un gage certain dans la personne de son jeune roi. » Pour toute réponse on lui ordonna de se retirer, et le 16 mars, après être resté plus de sept mois sous les murs de Revel, Magnus leva le siége, mit le feu à ses travaux, et se retira à la tête de sa troupe allemande à Oberpalen, que le tzar lui avait donné par anticipation sur sa future royauté. L’armée russe prit ses cantonnemens dans la Livonie orientale (83).

L’inutilité de cette première tentative était faite pour irriter le tzar ; instruit, dans le même temps, que les rois de Suède et de Danemarck venaient de conclure entre eux un traité d’alliance, il en témoigna à Magnus le plus vif mécontentement, accusant son frère d’avoir rompu l’amitié qui l’unissait à la Russie, pour rechercher celle d’un ennemi de Moscou (84). Un autre événement inattendu vint augmenter encore l’inquiétude du tzar et de Magnus. Taube et Kruse, redevables au premier de leur liberté, de leur élévation et de leur opulence, ayant perdu après le siége infructueux de Revel la confiance du nouveau roi de Livonie, et craignant de perdre aussi celle de Jean, oublièrent leurs sermens et l’honneur, entrèrent en relations secrètes avec les Suédois, avec les Polonais, et 1570. formèrent le dessein de s’emparer de Dorpat pour le livrer ensuite à l’une de ces puissances. Ce projet leur paraissait de facile exécution, car ils pouvaient disposer des Allemands à la solde du tzar qui, ne le servant que pour la paye, n’hésitaient pas à le trahir. D’un autre côté, les habitans les plus considérables de Dorpat, ayant été long-temps prisonniers en Russie, détestaient, plus encore que les autres Livoniens, la domination moscovite : on pouvait donc supposer, de leur part, une coopération active dans l’entreprise projetée. Pleins de cette idée, les factieux pénètrent dans la ville de vive force ; ils égorgent les premières sentinelles, appellent leurs amis, leurs frères, criant que l’heure de la liberté et de la vengeance est enfin arrivée. Mais les habitans surpris restèrent tranquilles spectateurs de ce qui se passait, et, aucun d’eux ne s’étant rangé du côté des traîtres, en peu d’instans les Russes en vinrent à bout. Ils sabrèrent les uns, chassèrent les autres, et dans leur colère, accusant les citoyens de complicité, ils mirent à mort plusieurs innocens.

Taube et Kruse (85) se hâtèrent de prendre la fuite. Repoussés par les habitans de Revel qui ne voulaient ni les voir, ni les entendre, ils furent chercher un asyle dans les États de Pologne. 1570. Le roi, et plus particulièrement le duc de Courlande, firent un honorable accueil à ces insensés, dans l’espoir d’en tirer des secrets importans sur les affaires de Russie ; toutefois ils n’apprirent que le détail des horreurs enfantées par la tyrannie de Jean (86). Ces hommes qui, l’année précédente, avaient, dans leurs dépêches à l’empereur Maximilien, présenté Jean comme seul prince en état de chasser les Turcs d’Europe, ayant une armée innombrable, expérimentée, invincible (87), maintenant qu’ils avaient trahi la Russie, assuraient Maximilien, ainsi que plusieurs autres souverains, de la faiblesse de notre patrie et de la possibilité, sinon de la soumettre, au moins de l’affaiblir. Magnus, bien qu’étranger à ces odieuses intrigues, craignit d’en devenir la victime et d’éprouver les effets du courroux de Jean ; il se hâta donc de quitter Oberpalen et de s’en retourner à l’île d’Œsel.

Mais le tzar, inébranlable dans ses desseins, savait dissimuler son dépit, et supporter, avec une apparente tranquillité, les revers les plus graves. Il essayait de dissiper les inquiétudes de Magnus par de nouvelles protestations de bienveillance ; et, lui ayant annoncé avec chagrin la mort subite de la jeune Euphémie, sa fiancée, il lui proposa, aux mêmes conditions et avec la 1570. même dot (88), la main de Marie, sœur de cette princesse, encore en bas âge, lui renouvelant la promesse de conquérir, à son profit, la province d’Esthonie. Magnus, consolé, accepta de nouveau le titre de fiancé d’une parente du tzar, s’attendant à recevoir à la fois sa main et une couronne. Il écrivit à son frère, à l’Empereur, aux princes, qu’en recherchant l’alliance de la Russie, il n’était pas guidé par une vaine ambition ; mais qu’animé d’un véritable zèle pour les intérêts de la chrétienté, il désirait devenir médiateur entre l’Empire et cette grande puissance, dont les forces, réunies à celles des autres souverains de l’Europe, pourraient arrêter les progrès des armes musulmanes. Effrayée des projets ambitieux du Sultan, toute l’Allemagne et l’Empereur lui-même avaient, à la vérité, conçu cette espérance ; néanmoins, comme nous le verrons bientôt, le tzar songeait moins à la défense de l’Europe chrétienne contre les infidèles qu’aux intérêts de sa politique particulière. Il cherchait la manière la plus sûre de soumettre la Livonie, et d’abaisser l’orgueil des habitans de Revel, qui osaient le traiter de tyran, et qui, fiers de leur victoire remportée sur les Russes, avaient institué une fête annuelle en commémoration de leur triomphe (89). 1570. L’affreuse calamité qui désolait Moscou et toute la Russie occidentale avait retardé jusqu’alors la vengeance éclatante qu’il méditait contre cette ville.

Ambassade à Constantinople. Fidèle au principe de ne pas augmenter le nombre des ennemis de la Russie, Jean voulut éviter une guerre infructueuse avec le Sultan, dont les bonnes intentions pour l’Empire étaient propres à tenir en respect le khan de Tauride. À cet effet, un officier nommé Novossilzof se rendit en 1570 à Constantinople, pour complimenter Selim à l’occasion de son avénement au trône. Dans une lettre affectueuse, Jean rappelait à ce prince toutes les relations d’amitié qui avaient existé entre la Russie et la Turquie depuis le règne de Bajazet ; il lui témoignait son étonnement de l’invasion de l’armée ottomane dans les États russes, sans préalable déclaration de guerre, et lui offrait paix, alliance et amitié. Mon maître, disait Novossilzof aux pachas, n’est pas l’ennemi de la religion de Mahomet. Plusieurs de ses vassaux professent hautement le culte du prophète et l’adorent dans leurs mosquées : tels sont le tzar Sahim-Boulat à Kassimoff, le tzarèvitch Kaïboula à Yourieff, Ibak à Sourogik, les princes Nogaïs à Romanof ; car en Russie tout étranger vit en liberté dans sa croyance ; à 1570. Kadom ; dans la province de Metschéra, plusieurs fonctionnaires publics du tzar suivent la foi musulmane. Il est vrai que Siméon, défunt tzar de Kasan, et le tzarévitch Mourtoza, ont embrassé le christianisme ; mais ce sont eux qui l’ont désiré, qui ont demandé le baptême. Novossilzof eut lieu d’être satisfait du gracieux accueil du Sultan ; il remarqua seulement que ce prince ne s’était pas informé de la santé de Jean, et que, contre l’usage ordinaire, il ne l’avait pas invité à dîner avec lui.

1571. Cette ambassade, et une autre partie en 1571, ne produisirent pas les résultats heureux que l’on en attendait, bien que, pour complaire à Selim, le tzar eût Consenti à la démolition de la nouvelle forteresse construite dans le pays de Kabarda. Le fier Sultan voulait qu’on lui abandonnât Astrakhan et Kazan, ou du moins il exigait que, conservant ces deux villes sous sa domination, le tzar se reconnût tributaire de l’Empire ottoman ; proposition absurde qui resta sans réponse. On apprit bientôt à Moscou que Selim demandait à Sigismond de lui céder Kief, propre à faciliter une invasion en Russie ; qu’il avait donné l’ordre de construire des ponts sur le Danube, et de former des approvisionnemens dans la Moldavie ; qu’à l’instigation des Turcs, le 1571. khan se préparait à attaquer les Russes ; enfin, qu’un tzarévitch de Crimée avait battu Temgrouk, beau-père du tzar, et fait ses deux fils prisonniers. Devlet-Ghireï, dans ses relations immédiates avec Moscou, recommençait ses menaces, exigeant, avec un tribut, la restitution des royaumes de Bâti, c’est-à-dire Kazan et Astrakhan. Le tzar avait reçu, de Donkof et de Poutivle, la nouvelle que l’armée du khan s’était mise en mouvement, et que les éclaireurs russes avaient aperçu, dans les stepps, des nuages de poussière, ainsi que des feux pendant la nuit, et les traces d’une cavalerie nombreuse, dont le bruit et les hennissemens des chevaux se faisaient entendre au loin. Les généraux moscovites étaient cantonnés sur les rives de l’Oka, et Jean, accompagné de son fils, alla deux fois visiter son armée à Kolomna et à Serpoukof. Déjà quelques escarmouches avaient eu lieu aux environs de Rezan et de Koschira ; mais, sur tous les points, les Tatars de Crimée se montraient en petit nombre et disparaissaient aussitôt : de sorte que le tzar finit par se tranquilliser. Il déclara que les rapports des hetmans, chargés de la surveillance des frontières, étaient dénués de fondement, et dans le courant de l’hiver il congédia une grande partie de son armée. 1571.
Invasion du khan.
Ses inquiétudes ne tardèrent pas à renaître ; car, à l’approche du printemps, le khan, qui avait rassemblé toutes ses hordes, envahit, à la tête de plus de cent mille hommes, et avec une incroyable promptitude, les contrées méridionales de la Russie. Là, il rencontra quelques enfans-boyards fugitifs, bannis de Moscou par la terreur. Ces traîtres lui annoncèrent que, dans l’espace de deux années, la famine, la peste et de continuelles exécutions avaient détruit la plus grande partie de l’armée de Jean, dont les restes se trouvaient en Livonie, ou en garnison dans des forteresses. Le chemin de Moscou, disaient-ils, est ouvert : à peine le tzar pourra-t-il, par point d’honneur, feindre de se mettre en campagne avec ses opritchniks peu nombreux, et bientôt il s’enfuira dans les déserts du nord. Nous répondons sur nos têtes de la sincérité de ces rapports, et nous serons les guides fidèles de l’armée tatare. Malheureusement ces perfides avaient dit la vérité. Le nombre des voïévodes, ainsi que des troupes disciplinées, était considérablement diminué. Les princes Belzky, Mstislavsky, Vorotynsky ; les boyards Morozof et Schérémétief firent de promptes dispositions pour occuper les rives de l’Oka ; elles devinrent inutiles (90) ; car les Tatars, évitant leur rencontre, 1571. s’approchèrent par un autre chemin de Serpoukof, où se trouvait Jean lui-même avec sa légion. Dans une telle circonstance il fallait de la résolution, de la grandeur d’âme. Que fit le tzar ? Il prit la fuite !…. Arrivé en toute hâte à Kolomna, il se rendit aussitôt à la Slobode Alexandrovsky, évitant de traverser sa capitale, et partit ensuite pour Yaroslavle, afin d’échapper à l’ennemi et aux traîtres, car il s’imaginait que ses généraux voulaient le livrer aux Tatars. La ville de Moscou, abandonnée, se trouvait sans troupes, sans chef, sans aucune ressource, et le khan n’en était plus qu’à trente verstes !… Dans ce pressant danger, les voïévodes arrivèrent à marches forcées des bords de l’Oka, et assez à temps pour la défendre. Mais au lieu d’aller à la rencontre des Tatars, pour les combattre en rase campagne, ils prirent le parti d’occuper les faubourgs, encombrés par une innombrable foule de fugitifs des villages environnans. Ils résolurent de s’y défendre au milieu d’édifices pressés et faciles à détruire. Chacun des voïévodes, à la tête d’un détachement, occupait une rue particulière. Le lendemain, jour de l’Ascension (24 mai), le khan fit sa première attaque contre Moscou, et, comme on aurait dû le prévoir, il fit mettre le feu aux faubourgs. Le temps était calme et serein (91). 1571.
Incendie de Moscou.
Dès le matin, les Russes s’étaient courageusement préparés au combat ; tout à coup ils se virent entourés de flammes : les maisons de bois et les chaumières étaient en feu sur dix points différens. Une épaisse fumée, agitée par un vent impétueux, obscurcissait le jour, et, dans peu d’instans, la ville fut entourée d’une mer de flammes qu’aucune force humaine n’aurait pu arrêter. Le bruit, l’épouvantable mugissement de l’incendie, répandaient la terreur dans la capitale, et les habitans, les soldats éperdus, cherchant à se sauver, périssaient sous les ruines des maisons embrâsées, ou dans la foule qui se précipitait dans l’intérieur de la ville, à Kitaï-Gorod ; partout repoussés par les flammes, ils se jetaient dans la rivière, où ils trouvaient la mort. Personne ne songeait ni à commander, ni à obéir. On parvint seulement à murer la porte du Kremlin, refusant à tout le monde l’entrée de ce dernier asyle de salut, protégé par de hautes murailles. Les malheureux habitans étaient consumés ou étouffés par la chaleur et la fumée, dans les églises de pierre. Les Tatars essayèrent en vain de piller les faubourgs ; le feu les en chassa : le khan lui-même, effrayé à l’aspect de cet enfer, se retira à Kolomensky. Dans l’espace de trois heures, la ville, 1571. les faubourgs, tout fut détruit, et Moscou n’existait plus !…. Le Kremlin seul avait échappé au désastre ; c’était là, dans l’église de l’Assomption, que s’était enfermé le métropolitain avec les objets du culte et le trésor. Le palais favori de Jean, situé à l’Arbath, n’offrait plus que des ruines. Le nombre d’hommes qui périrent dans cette fatale journée est incroyable, car il fut de plus de cent vingt mille soldats ou citoyens, sans compter les femmes, les enfans, et les habitans des campagnes réfugiés à Moscou ; ce qui, en total, s’éleva jusqu’à huit cent mille âmes (92). Le prince Belzky fut trouvé mort dans une cave de son hôtel ; le boyard Michel Voronoï, Arnolphe Linsey, premier médecin de Jean, ainsi que vingt-cinq négocians anglais, subirent le même sort ; des cadavres d’hommes et de chevaux à demi-brùlés étaient amoncelés sur les cendres. Celui, rapporte un témoin oculaire, qui a vu cette catastrophe, s’en souvient toujours avec un nouvel effroi, et prie Dieu de lui épargner à jamais un aussi affreux spectacle (93).

Devlet-Ghireï était satisfait ! il ne jugea pas à propos d’assiéger le Kremlin, et, après avoir contemplé, du sommet des montagnes de Vorobief, un espace de trente verstes (94) couvert de cendres fumantes, triste monument de son 1571. triomphe, il reprit le chemin de la Tauride, effrayé par la fausse nouvelle que le duc ou roi Magnus s’avançait à la tête d’une armée formidable. Jean apprit à Rostof la retraite de l’ennemi ; il ordonna aussitôt au prince Vorotynsky d’aller à la poursuite du khan ; mais, malgré la célérité de ce voïévode, les Tatars eurent le temps de ravager la plus grande partie des provinces situées au sud-est de Moscou et d’entraîner en Tauride plus de cent mille prisonniers. S’il était resté dans l’âme de Jean la moindre étincelle de générosité, il serait devenu, après cette affreuse calamité, le consolateur de son peuple : au lieu de cela, fuyant un théâtre de terreur et de larmes, il s’éloigna des ruines de sa capitale et retourna à la Slobode, donnant l’ordre de déblayer Moscou des cadavres qui infectaient l’atmosphère. Comme on manquait de bras pour les enterrer, on n’inhuma avec les cérémonies religieuses que les gens distingués par leur rang ou leurs richesses. Le reste fut jeté dans la Moskva, en telle quantité que son cours se trouva interrompu : ces monceaux de corps empoisonnaient l’air et les eaux ; les puits étaient ou desséchés ou comblés, de sorte que les débris de la population succombaient à l’ardeur de la soif. Enfin, on fit venir les habitans des villes 1571. voisines ; on retira de la rivière les cadavres qui l’encombraient et on leur donna la sépulture. C’est ainsi que le courroux céleste vint frapper la Russie. Que manquait-il encore à ses infortunes après la famine, la peste, le fer, le feu, la captivité, enfin un tyran pour maître ?

Nous verrons maintenant l’extrême lâcheté de ce tyran dans un revers, le premier et le plus funeste de son règne. Le 15 juin, il se rapprocha de Moscou et s’arrêta à Bratovtchina, où il trouva deux envoyés de Devlet-Ghireï qui, sortant de la Russie en triomphateur, désirait s’expliquer avec lui. Le tzar, les boyards et les officiers de la cour étaient vêtus simplement, en signe de deuil ou par mépris pour le khan. Jean demanda à l’envoyé des nouvelles de son maître : « Voici, répondit celui-ci, ce que notre tzar te fait dire. Nous nous donnions réciproquement le titre d’amis ; aujourd’hui nous sommes ennemis ; mais les frères se querellent et se réconcilient. Rends-nous Kazan et Astrakhan et j’irai de bon cœur faire la guerre à ceux qui te veulent du mal. » À ces mots l’envoyé présenta le présent de Devlet-Ghireï ; c’était un poignard monté en or : Mon maître, ajouta-t-il, l’a porté à sa ceinture ; fais comme lui. Il voulait aussi t’envoyer un cheval; mais tous les 1571. siens sont fatigués de la course qu’ils ont faite dans ton pays. Jean refusa ce présent peu convenable et se fit lire la lettre de Devlet-Ghireï, dont voici la teneur : Je brûle, je ravage la Russie, sans autre motif que celui de venger Kazan et Astrakhan ; sans songer à l’argent, aux richesses, que je regarde comme de la poussière. Je t’ai cherché partout, à Serpoukhof, à Moscou même : je voulais ta couronne et ta tête ; mais tu as fui de ces deux villes et tu oses te vanter de ta grandeur, prince sans courage et sans honte ! Je connais maintenant le chemin de tes États : j’y retournerai bientôt si tu ne rends pas la liberté à mon ambassadeur, que tu retiens inutilement en captivité ; si tu ne fais pas ce que j’exige de toi, si tu te refuses enfin à me jurer fidélité pour toi, tes enfans et tes descendans. Quelle fut en cette circonstance la conduite de Jean ? lui qui montrait tant de hauteur dans ses relations avec les monarques chrétiens de l’Europe ! Il adressa au khan une humble supplique renfermant la promesse de lui céder Astrakhan, après la conclusion solennelle de la paix. Il le conjurait de ne pas troubler, jusques-là, le repos de la Russie, et ne répondait rien aux injures, aux ironies amères de Devlet-Ghireï, consentant à mettre en liberté l’ambassadeur de 1571. Crimée, si le khan voulait laisser Athanase Nagoï retourner en Russie, et envoyer à Moscou un de ses grands dignitaires pour entamer des négociations définitives. Prêt, en effet, à se désister, au besoin, de sa brillante conquête, Jean écrivit à Nagoï, détenu alors en Tauride, que, de concert avec le khan, la Russie devait au moins confirmer les tzars d’Astrakhan sur leur trône, c’est-à-dire qu’il voulait conserver une ombre de domination sur ce royaume. Trahissant ainsi l’honneur et les intérêts de ses États, il n’hésita point à abandonner également les principes de notre Église ; pour complaire à Devlet-Ghireï, il lui livra, à la même époque, un illustre captif de Crimée qui, de son propre gré, avait embrassé le christianisme à Moscou et que cette extradition exposait à être martyrisé ou forcé à changer de religion ; affreux scandale pour l’orthodoxie !

Courbant ainsi son orgueil devant les Tatars, Jean semblait se réjouir d’une nouvelle occasion d’arroser de sang son malheureux pays. Les ruines de Moscou étaient encore fumantes ; les Tatars dévastaient nos provinces, et déjà le tzar donnait à ses sujets la torture et la mort ! Nous avons vu plus haut que des traîtres avaient conduit Deviet-Ghireï vers la capitale. Jean pouvait 1571. attribuer à cette trahison les succès de l’ennemi : elle lui paraissait suffisante pour justifier le délire de sa rage ; cependant il l’appuya bientôt sur un prétendu crime dont l’importance était aussi grave à ses yeux. Ennuyé de son veuvage, bien que peu scrupuleux sur les lois de la chasteté, il cherchait, depuis long-temps, une troisième épouse, affaire que l’invasion des Tatars avait interrompue et qui fut reprise dès que le danger fut passé. On amena au tzar, dans la Slobode Alexandrovsky, des jeunes filles de toutes les villes de l’Empire, sans distinction de naissance, et au nombre de plus de deux mille. Chacune lui ayant été présentée séparément, il en choisit d’abord vingt-quatre, et parmi celles-ci, douze que le médecin et les sages femmes eurent l’ordre de visiter. Il compara long-temps leur beauté, leurs grâces, leur esprit, Nouveau mariage de Jean. et donna enfin la préférence à Marfa Sabakin, fille d’un marchand de Novgorod. Il choisit en même temps pour épouse à son fils aîné Eudoxie Sabourof. Les pères de ces beautés heureuses furent élevés, de simples roturiers, au rang de boyards : les oncles de la future tzarine reçurent la dignité d’okolniks, et son frère celui de grand échanson. Avec ces titres on leur donna pour richesses, le butin des exécutions, biens considérables dont 1571. on avait dépouillé d’anciennes familles de princes et boyards. Tout à coup la fiancée du tzar tomba malade et commença à maigrir d’une manière surprenante. On répandit le bruit qu’elle avait été ensorcelée par de secrets ennemis, jaloux du bonheur domestique de Jean. Les soupçons se portèrent aussitôt sur les proches parens des défuntes tzarines, Anastasie et Marie. On ordonna une enquête, c’est-à-dire que les menaces et les promesses furent prodiguées pour obtenir des aveux ou des calomnies. Sans avoir sur cet événement des détails circonstanciés, nous connaissons au moins les noms des victimes de cette cinquième époque des meurtres et le genre de leur mort. Cinquième époque des meurtres. Le prince Michel Temgroukovitsch, beau-frère de Jean, farouche asiatique, qui s’était quelquefois conduit en général illustre, et souvent comme le plus odieux des bourreaux, comblé tour à tour de faveurs ou d’humiliations à plusieurs reprises, enrichi et dépouillé par le bon plaisir du tzar, était chargé de poursuivre Devlet-Ghireï avec le corps des opritchniks. Il se mit en marche ; mais tombé tout à coup en disgrâce, il fut empalé ! Le boyard Jean Yakovlef, qui, en 1566, avait échappé à la mort ; Basile son frère, par qui avait été élevé l’aîné des tzarévitchs ; Sabourof, neveu de

trcs l’infortunée 1571. Salomonie, première épouse du père de Jean, périrent par le knout. Le boyard Léon Soltikof, enfermé d’abord dans le monastère de la Trinité, fut bientôt mis à mort. On imagina alors un nouveau genre de supplice. Elisée Bomélius, cet exécrable calomniateur, cet indigne médecin dont nous avons déjà fait mention, proposa au tzar d’employer le poison pour exterminer ses ennemis, et composa, dit-on, un breuvage mortel avec un art si infernal, que l’homme empoisonné expirait précisément à l’instant indiqué par le tyran. C’est ainsi que Jean fit périr Griasnoï, l’un de ses favoris, le prince Gvosdof-Rostovsky et plusieurs autres seigneurs accusés de complicité dans l’empoisonnement de sa fiancée, ou d’avoir trahi leur souverain en ouvrant aux Tatars le chemin de Moscou (95). Cependant, le 28 octobre, le tzar épousa la malade, espérant, comme il le disait lui-même, l’arracher à la mort par cet acte d’amour et de confiance dans la miséricorde du Tout-Puissant. Six jours après son mariage, il ordonna celui de son fils avec Eudoxie ; mais le banquet nuptial fut terminé par des funérailles ! Mort de la tzarine. Maria expira le 15 novembre, peut-être victime de la méchanceté des hommes, peut-être aussi cause infortunée de la perte de tant d’innocens. Dans l’une et l’autre hypothèse, son cercueil, 1571. placé au couvent des religieuses de l’Ascension, à côté de ceux des deux premières épouses de Jean, est, pour la postérité, un objet d’attendrissement et de pénibles réflexions.

Consolé par la vengeance, Jean chercha de nouvelles distractions dans les affaires de l’État. Il craignait une seconde invasion du khan et voulut prendre des mesures propres à garantir la sécurité de Moscou. En conséquence, il décida que cette capitale n’aurait plus de faubourgs, et, transférant dans l’intérieur de la ville les marchands et les bourgeois, il défendit de construire des maisons de bois élevées, toujours dangereuses en cas d’incendie. Il passa la revue et fit la répartition de ses troupes ; ensuite il donna à Sahim-Boulat, tzar de Kassimof, l’ordre de marcher contre les Suédois, se dirigeant sur Orécheck avec l’avant-garde de l’armée russe. Voyage de Jean à Novgorod. Lui-même se disposa à partir pour Novgorod, laissant paraître de la répugnance à visiter ce théâtre de supplices barbares, affreux monument de sa fureur ; ces lieux où, au milieu d’un lugubre silence, les pierres semblaient élever la voix contre le destructeur des hommes ; cette cité de douleur, livrée au désespoir, à la misère, et dévastée encore par des maladies contagieuses. Les lieutenans du tzar à Novgorod donnèrent 1571. ordre à tous les habitans de se réunir devant le palais épiscopal, alors inhabité et désert. Là, on leur fit lecture d’une lettre de Jean, dans laquelle il les engageait à être sans crainte et à préparer, conformément aux anciens usages, des vivres pour son arrivée. Aussitôt on lui arrangea une maison ; on plaça dans l’église de Sainte-Sophie un nouveau dais, au-dessus duquel on suspendit une colombe d’or, en signe de paix et de réconciliation, et l’on restaura le siége du métropolitain dans ce temple orphelin de son pasteur. Les mesures les plus sévères furent prises pour la conservation de la santé du tzar. Il y eut défense d’enterrer en ville les hommes morts de maladies contagieuses et l’on destina à leur sépulture un cimetière situé au bord du Volkhof, aux environs du monastère de Khoutyn. Du matin au soir des patrouilles parcouraient les rues, visitant les maisons, fermant celles où la maladie s’était déclarée. Il était interdit aux prêtres eux-mêmes d’approcher des malades, sous peine, en cas de désobéissance, de se voir les uns et les autres condamnés à être brûlés vifs. Cette excessive sévérité produisit néanmoins un résultat avantageux, car elle arrêta les progrès du mal, et, à l’entrée de l’hiver, le clergé annonça solennellement à l’envoyé 1571. du tzar que la mortalité avait cessé à Novgorod. Le 23 décembre, les habitans eurent la satisfaction de voir arriver Léonidas, leur nouvel archevêque, qui avait été sacré à Moscou. Le lendemain, le tzar fit son entrée à Novgorod avec ses enfans et les grands officiers de sa couronne. Malgré la perte d’un si grand nombre de dignitaires, la cour moscovite paraissait encore brillante et magnifique. On voyait encore autour du trône des hommes respectables par leurs cheveux blancs et par les services qu’ils avaient rendus à leur patrie. Le conseil militaire était composé de douze boyards ou princes, de plusieurs grands officiers et des deux secrétaires André et Basile Chtelkalof, principaux hommes d’État depuis la mort de l’infortuné Viscovaty. L’armée se rassemblait à Oréchek et à Dorpat, afin d’attaquer en même temps la Finlande et l’Esthonie, pour se venger du roi de Suède qui n’avait pas exécuté le traité conclu par Érik, autant que pour réparer la honte de l’infructueuse tentative de Magnus sur Revel.

Affaires de Suède. Toutefois les cendres de Moscou, l’appauvrissement de la Russie et les nouvelles craintes qu’inspirait le khan, faisaient pencher le tzar pour une paix que, seulement, il voulait honorable. Les ambassadeurs suédois, exilés à Mourom, 1571. furent amenés à Novgorod où on leur fit connaître les conditions auxquelles leur grâce était accordée. Jean exigeait du roi une somme de 10,000 écus pour l’offense que Voronzof et Naoumof avaient reçue à Stockholm ; il demandait en outre la cession de toute l’Esthonie et des mines d’argent de la Finlande : il voulait que la Suède conclût avec la Russie un traité d’alliance offensive contre la Pologne et le Danemarck, et s’obligeât à lui fournir mille hommes de cavalerie et cinq cents d’infanterie : enfin que, dans ses dépêches, le roi lui accordât le titre de maître de la Suède et qu’il envoyât à Moscou les armes de son royaume pour être gravées sur le sceau du tzar ! Épuisés par une cruelle captivité, les ambassadeurs craignirent d’irriter Jean, autant pour leur propre compte que pour les intérêts de la Suède, affaiblie et menacée d’une invasion formidable ; en conséquence, ils implorèrent l’intercession des tzarévitchs et des boyards, les suppliant d’engager le tzar à user de modération ; à leur laisser la liberté de retourner auprès de leur maître et à attendre, en paix, sa réponse. Ils ajoutaient que la Finlande ne contenait point de mines d’argent et que la Suède était un pays pauvre, absolument hors d’état de nous fournir des troupes. Au moment où ils furent 1571. présentés à Jean, ils se prosternèrent devant lui ; mais ce prince leur ordonna de se relever. « Je suis, dit-il, un monarque chrétien et je ne souffrirai pas que l’on se prosterne en ma présence. » Ayant fait alors la récapitulation des torts du roi, il renouvela ses prétentions et continua ainsi : « S’il n’exécute pas notre volonté, nous verrons qui de nous deux a l’épèe mieux aiguisée (96). » Ensuite il leur déclara que lorsqu’il avait demandé à Érik de lui livrer Catherine, il l’avait crue veuve et sans enfans ; que, par conséquent, il n’avait point transgressé les lois divines, n’ayant d’autre but que d’obtenir un otage capable d’imposer à Sigismond. Les ambassadeurs lui donnèrent l’assurance que le roi réparerait ses torts et en demanderait pardon au tzar. Admis à la table de Jean, ils signèrent après dîner un acte où il était stipulé que le monarque russe, faisant succéder la miséricorde à la colère dans ses rapports avec la Suède, consentait à ne pas attaquer ses provinces jusqu’à la Pentecôte, sous la condition que le roi lui enverrait à Novgorod de nouveaux ambassadeurs, avec 10,000 écus pour dédommagement de l’insulte faite à Voronzof et Naoumof, deux cents hommes de cavalerie armés à la manière des Allemands et quelques 1571. métal=lurgistes habiles ; qu’il permettrait l’exportation, en Russie, de diverses marchandises, comme cuivre, étain, plomb, naphte, soufre, et qu’il laisserait librement passer pour s’y rendre des médecins, des artistes et des hommes de guerre. Dans une conversation amicale avec l’évêque d’Abo, les boyards lui demandèrent des renseignemens sur l’âge, l’esprit et l’extérieur de la jeune sœur du roi, témoignant le désir d’avoir son portrait et donnant à entendre que le tzar pourrait se décider à l’épouser (97) : enfin, on laissa partir les ambassadeurs pour Stockholm, munis d’une lettre adressée au roi. Je serai implacable, lui écrivait Jean, si vous ne renoncez pas à la Livonie. Vous espérez en vain des secours de l’empereur, et vous pourrez dire ce qu’il vous plaira, vous ne défendrez pas votre pays avec de belles paroles. Alors le tzar fit savoir à son armée que, par égard pour les supplications des Suédois, les hostilités étaient suspendues. Après un mois de séjour à Novgorod, pendant lequel il ne fut commis aucune violence, 1572. il quitta cette ville le 18 janvier ; il avait auparavant rétabli, selon le vœu des habitans, l’ancienne coutume des duels judiciaires et nommé les princes Mstislavsky et Pronsky lieutenans de Novgorod.

1572.
Quatrième mariage de Jean.
La première affaire dont il s’occupa après son retour à Moscou ou à la Slobode Alexandrovsky, causa un scandale jusqu’alors inoui dans l’Église russe, c’est-à-dire qu’ayant choisi pour femme Anne Koltovskoï, d’une naissance obscure, il se maria pour la quatrième fois, ne jugeant pas même nécessaire de demander la bénédiction épiscopale ; cependant, touché de repentir, il convoqua bientôt les évêques et les conjura de confirmer ce mariage. À cette époque, Cyrille étant décédé, le concile était présidé par Léonidas, archevêque de Novgorod, prélat avide de richesses, complaisant et vil. Lorsque les évêques furent solennellement réunis dans l’église de l’Assomption, Jean leur parla en ces termes : Des mèchans ont fait périr, par leurs sortiléges, Anastasie, ma première épouse : la seconde, princesse tcherkesse, également empoisonnée, a expiré au milieu de douloureuses convulsions. J’ai long-temps hésité avant de me décider à un troisième mariage, commandé par mon tempérament et par la position de mes enfans qui n’ont pas encore atteint l’âge de raison ; leur jeunesse m’empêchait de quitter le monde, et y vivre sans femme me paraissait scandaleux. Béni par le métropolitain Cyrille, j’ai cherché long-temps une épouse, que j’ai enfin 1572. choisie après un mûr examen. Mais la haine et l’envie ont fait périr Marpha qui, réellement, n’a été tzarine que de nom. À peine fiancée, elle a perdu la santé, et, quinze jours après son hymen, elle est morte vierge. Désespéré, abattu par le chagrin, je voulais me consacrer à la vie monastique ; mais ayant reporté mes regards sur la jeunesse de mes enfans et la détresse de mes États, j’ai osé me marier une quatrième fois. Je supplie les saints évêques de m’accorder l’absolution et leur bénédiction. Cet acte d’humilité d’un souverain puissant (disent les actes de ce concile) toucha profondément l’assemblée des prélats qui versaient des larmes sur la faute et sur le coupable. On fit lecture des canons œcuméniques, on en discuta l’application et il fut décidé que le mariage serait confirmé en faveur du fervent, de l’humble repentir du monarque, et en lui intimant défense d’entrer dans l’église avant le jour de Pâques, comme de s’approcher, jusque-là, de la sainte table et de ne manger de pain béni que les jours de fête. Il lui était également ordonné de se placer à l’église, pendant une année, avec les pénitens, et une autre avec les fidèles. Mais, en cas de guerre, on le relevait de cette pénitence, dont les prélats se chargeaient eux-mêmes, s’engagéant 1572. en même temps à prier pour la tzarine Anne. Afin que l’action illégale du tzar ne trouvât point d’imitateurs parmi le peuple, ils menacèrent d’un anathême fulminant celui qui oserait convoler en quatrièmes noces. 29 Avril. L’acte d’absolution fut signé par trois archevêques, seize évêques, plusieurs archimandrites et les prieurs des couvens les plus respectés. Ayant ainsi tranquillisé la conscience de Jean, ils s’occupèrent d’une autre affaire importante, l’élection d’un métropolitain. Mai. Antoine, archevêque de Polotsk, fut honoré de ce titre.

Cependant le tzar, bien qu’il désirât la paix, faisait des préparatifs de guerre : il appelait au service tous les enfans-boyards, faisait fortifier Bolkhof, Orel, villes du midi, fondées depuis peu de temps dans un désert, entrait en négociations avec plusieurs puissances de l’Europe, Alliance avec Élisabeth. et renouvelait l’alliance de la Russie avec l’Angleterre. L’indifférence qu’avait montrée la reine Élisabeth, lors de la confidence du projet de chercher un asyle en Angleterre, avait vivement excité le mécontentement du tzar, et peu s’en fallut qu’il ne chassât de ses États tous les marchands de Londres, accusés d’une avidité déloyale. Afin de l’apaiser, Élisabeth lui envoya, pour la quatrième fois, Jenkinson, chargé 1572. de lui porter les assurances d’une amitié sincère et inaltérable. Jean répondit : « Pourquoi donc la reine, uniquement occupée des avantages du commerce anglais, ne m’a-t-elle pas témoigné le moindre intérêt dans des circonstances décisives pour mon sort ? Je sais que le négoce est d’une grande importance pour un État ; mais les affaires particulières des souverains doivent passer avant celles des marchands. » Jenkinson cherchait à justifier Élisabeth, en rejetant tout le tort sur l’ignorance des interprètes qui avaient mal rendu ses expressions animées d’une vive amitié pour le tzar. Il s’informa des griefs reprochés aux marchands anglais, et, récapitulant les services qu’ils avaient rendus à la Russie, il s’efforça de prouver que, conformément à la volonté de leur reine, ils avaient contribué aux succès de nos armes en Livonie, en s’opposant aux entreprises des puissances du Nord, dont l’intention était d’intercepter la communication maritime de Narva, afin de priver la Russie des avantages du commerce de la Baltique. Satisfait de ces explications, Jean déclara qu’il faisait grâce à tous les Anglais, sans vouloir expliquer leur délit. Il ajouta : « Je n’accuse pas ceux à qui je pardonne. Soyons amis comme auparavant. Le secret que j’ai 1572. confié à la Reine ne doit jamais être divulgué. À la vérité les circonstances sont changées aujourd’hui ; toutefois, en cas de besoin, j’ouvrirai mon âme à Élisabeth, ma bien-aimée sœur, avec une confiance absolue. » C’est-à-dire qu’après la destruction de ses prétendus ennemis domestiques, il ne songeait plus à se réfugier à Londres. Jenkinson, ayant donc obtenu pour les marchands de sa nation une autorisation nouvelle de commercer en Russie, proposa d’établir à Astrakhan un comptoir pour les échanges de marchandises avec la Perse et de construire des magasins à Kolmogore. Il demanda ensuite,

1o. Qu’on laissât aux artistes et ouvriers anglais qui se trouvaient à Moscou pleine liberté de retourner dans leur patrie ;

2o. Qu’il fût tenu compte aux négocians anglais de la valeur des marchandises par eux fournies à crédit à plusieurs gentilshommes du tzar suppliciés ;

3o. Que le montant des pertes à eux occasionnées par l’incendie de Moscou, leur fut également remboursé.

Il paraît que ces diverses réclamations furent désagréables au tzar. Il répondit que les étrangers étaient maîtres d’habiter ou de quitter la 1572. Russie : au sujet des dettes, il promit de faire prendre des informations sur leur validité, ajoutant que dorénavant il ne voulait plus en entendre parler ; enfin qu’il ne pouvait être responsable des dommages de l’incendie et des effets du courroux céleste, qui avaient réduit en cendres la ville de Moscou. Jenkinson, muni d’une lettre amicale pour Élisabeth, fut congédié avec honneur.

Négociations avec le Danemarck et la Pologne. Dans ses nouvelles relations avec le Danemarck et la Pologne, Jean, fidèle aux anciennes maximes, se conduisait avec une orgueilleuse opiniâtreté. Frédéric, roi de Danemarck, qui ne lui avait pas donné connaissance de son alliance avec la Suède, ne paraissait prendre aucun intérêt à la destinée de Magnus ; mais il donnait au tzar de continuelles assurances de son amitié inaltérable : il se plaignait de ce que les Russes enlevaient aux Norvégiens leurs terres, leurs pêcheries, et demandait des lettres de sauvegarde pour les ambassadeurs de Maximilien, qu’une affaire importante appelait à Moscou. « Frédéric fait très-bien, répondit le tzar, de vouloir être notre ami fidèle jusqu’à la mort ; mais ce que je n’approuve pas, c’est que, sans notre permission, il contracte alliance avec l’ennemi de la Russie. Il faut qu’il 1572. change de système ; qu’il embrasse la même cause que nous, et persuade aux Suédois de se soumettre à nos volontés. Quant aux affaires de la Norvége, nous prendrons à ce sujet d’exactes informations, afin de lui en rendre satisfaction dans un court délai. Nous attendons les ambassadeurs de notre frère Maximilien. La route est libre pour leur arrivée ici, comme pour leur retour en Allemagne. » Harabourda, envoyé de Pologne, déclara à Jean que, dans plusieurs villes d’Allemagne, on faisait circuler sous son nom des lettres injurieuses pour Sigismond, remplies de mensonges et d’absurdités. Il demandait que le tzar désavouât hautement ces calomnies répandues par la haine. « Le duc Magnus, disait-il, envahit les domaines royaux avec le secours des Russes, et, au mépris des articles du traité, ceux-ci ont occupé Tarvast. Enfin Sigismond serait disposé à céder à la Russie plusieurs villes de la Livonie, en échange de Polotsk. » Chelkalof, secrétaire du tzar, fut chargé de répondre à ces diverses demandes. Selon lui, les libelles répandus contre le roi avaient été forgés par les Allemands, Taube et Kreuse, pour réfuter les choses indiscrètes avancées par Sigismond. Ces deux vagabonds s’étant réfugiés en Pologne, le roi 1572. doit les envoyer à Moscou pour y subir la peine qu’ils ont méritée et « alors, ajoutait-il, le tzar déclarera incessamment à tous les souverains de l’Europe que ces lettres, offensantes pour Sigismond, sont apocryphes : quant à la ville de Tarvast, elle est occupée par nos troupes parce qu’elle nous appartient. Magnus n’attaque point les domaines de la Pologne, mais seulement ceux de la Suède. Si le roi veut abandonner toute la Livonie à la Russie, nous lui céderons Polotsk et la Courlande : et au surplus, pour terminer une affaire de cette importance, Jean attendra à Pskof les ambassadeurs du roi. »

Départ de Jean pour Novgorod. En effet, le tzar se disposait à faire un nouveau voyage à Novgorod pour conclure la paix ou continuer la guerre avec la Suède, qu’il méprisait ; et dans quelles circonstances !…… au moment où, ne recevant pas de nouvelles de la Tauride, il lui était facile de deviner les intentions hostiles du khan ! lorsque, déjà, des bruits, avant-coureurs du danger, annonçaient une nouvelle invasion des Tatars, et que la sûreté de Moscou, celle de la Russie, nécessitaient la présence du souverain dans une capitale à peine sortie de ses cendres, faible, encore effrayée par l’affreux souvenir de ses derniers malheurs ! Ce projet de 1572. Jean semblait n’avoir d’autre but que celui de chercher sa sûreté personnelle dans une contrée éloignée. Il fit expédier sur Novgorod quatre cent cinquante chariots chargés de trésors et partit, emmenant avec lui sa jeune épouse, ses deux fils, le tzarévitch Michel, fils de Kaïboula ; Étienne, voïévode de Moldavie ; Radoul, voïévode de Valachie ; les frères de la tzarine, Grégoire et Alexandre Koltovsky, un petit nombre de boyards, ses favoris, ses secrétaires et sa troupe d’élite. La preuve qu’il prévoyait le siége de Moscou, c’est qu’il en confia la défense aux princes Takinatof et Dolgorouky. Il laissa aussi un corps d’armée en campagne. Le plus illustre de ses capitaines, le prince Michel Vorotinsky, le boyard Schérémétief, les princes Odoïevsky et Khovansky, ses dignes compagnons d’armes, étaient campés sur les rives de l’Oka pour attendre et repousser les Tatars. Le tzar leur donna son bataillon allemand composé de sept mille hommes et commandé par Georges Fahrensbach ; mais lui-même était déjà loin de sa capitale !

À son arrivée à Novgorod, il envoya des renforts à Dorpat, à Fellin ; il attendait des nouvelles du roi de Suède, et il écrivait à Sigismond que le succès des affaires d’État dépendant du 1572. choix des hommes par qui elles étaient traitées, le Castellan Trotzky, Eustache Volovitch et le secrétaire Harabourda lui paraissaient, plus que tous les autres grands de Pologne, habiles à procurer à leur patrie une paix solide avec la Russie : le Roi ne jugea à propos d’acquiescer aux désirs de Jean, car il lui répondit que ses ambassadeurs seraient des dignitaires aussi estimés que Volovitch et Harabourda. Cette lettre de Sigismond fut sa dernière au tzar. Il mourut le 18 juillet, laissant aux grands de son pays le conseil d’offrir la couronne des Jagellons au monarque moscovite. Ils s’empressèrent d’annoncer au tzar la mort de Sigismond, promettant d’entamer bientôt avec lui des négociations d’une haute importance. Une perspective nouvelle, favorable à l’ambition de Jean, s’ouvrait devant lui…… Néanmoins, à cette époque, le désir de conquérir de nouveaux États occupait moins sa pensée que les moyens de conserver les siens.

Devlet-Ghireï semblait, depuis quelque temps, livré à une complète inaction. Il se reposait, mais sans desseller ses chevaux. Peu satisfait d’avoir désolé la Moscovie, d’avoir abaissé l’orgueil de Jean, il conservait l’espoir de s’enrichir, une autre fois encore, de butin et de prisonniers, 1572. sans livrer bataille ; il se croyait certain d’atteindre notre capitale, de détrôner, même d’expulser le tzar sans rencontrer d’obstacles et n’ayant qu’à tuer des hommes désarmés. Un jour il dit à ses houlans, aux princes, aux grands de sa cour, « au lieu de perdre son temps à une correspondance fallacieuse, il faut décider, avec le tzar de Moscovie en personne, l’affaire d’Astrakhan et de Kazan. » Invasion des Tatars. Aussitôt il se précipite, par une route qui lui était déjà connue, vers le Don et l’Ougra, traversant, sans aucun danger, des stepps, des villes incendiées, des villages en ruine, et à la tête d’une armée telle que les khans n’en avaient point rassemblée depuis Mamaï, Tokhtamouich et Akmet. Il s’y trouvait des Nogaïs, des Janissaires du Sultan et un train d’artillerie considérable. Les Russes, peu nombreux, se tenaient renfermés dans leurs forteresses ; rarement voyait-on en campagne quelques cavaliers ; encore y paraissaient-ils comme éclaireurs, et non pas pour combattre. Bientôt le khan découvrit l’Oka, et, sur la rive gauche de ce fleuve, à trois verstes de Serpoukhof, il aperçut l’armée moscovite dans des retranchemens, garnis de fortes batteries. Cet endroit était regardé comme le plus propre au passage ; le khan, trompant 1572. l’attention des Russes par une vive canonnade, trouva un gué moins défendu, de sorte que le jour suivant il était sur la rive gauche de l’Oka et sur la route de Moscou……

Cette nouvelle parvint à Novgorod le 31 juillet. Le tzar, dissimulant le trouble intérieur dont son âme était agitée, donnait des fêtes et des banquets à l’occasion des noces de son beau-frère Koltovsky, et faisait noyer des enfans-boyards dans le Volkhof. Il avait encore des troupes, mais il n’était plus temps de les envoyer à la défense de la capitale. Il attend donc, dans l’inaction, des nouvelles décisives, tandis que Moscou, livrée à la frayeur, apprenait que déjà le khan désignait dans son enceinte les maisons que devaient habiter les grands de Crimée. C’était le moment de décider si le tzar courroucé avait raison d’accuser les généraux russes de lâcheté, d’insousiance, de froideur pour le bien-être et la gloire de leur patrie.

Vorotinsky, abandonnant d’inutiles retranchemens, se jeta à la poursuite de l’ennemi, parvint à l’atteindre, le força de s’arrêter et de combattre, le 1er. août, près de Molody, à cinquante verstes de Moscou. L’armée du khan s’élevait à cent-vingt mille hommes, celle des Russes était bien inférieure en nombre : la victoire 1572. devait procurer aux Tatars Astrakhan et Kazan, et leur faciliter une libre retraite ; les Russes combattaient pour tout ce qui pouvait les attacher à la vie, pour la religion, la patrie, leurs familles. Moscou délaissée par son souverain leur causait un vif attendrissement, augmenté encore par l’idée qu’elle ne s’était relevée de ses cendres que pour subir une nouvelle destruction. Bientôt commença un combat à mort, et les rives de la Lopasnia et du Rojaï furent inondées de sang. Outre les ravages de l’artillerie, les combattans, acharnés l’un contre l’autre, s’égorgeaient à l’arme blanche et cherchaient, au milieu de la mêlée, à l’emporter d’audace et d’opiniâtreté. Vorotinsky combattait et observait en même temps les mouvemens de l’ennemi : il faisait manœuvrer, il encourageait ses troupes ; il inventait des ruses de guerre et attirait les Tatars dans des positions où ils se trouvaient exposés au feu des batteries cachées, qui en enlevaient, à la fois, des files entières. Au moment où les deux armées fatiguées de mouvemens rapides dans tous les sens, commençaient à faiblir, à désirer la fin de l’action, Vorotinsky, couvert de sang et de sueur, se fraie un passage par un vallon étroit et tombe sur les derrières de l’ennemi.… Cette habile manœuvre fixa la victoire 1572.
Célèbre victoire du prince Vorotinsky.
et décida du sort de la bataille. Le khan, profitant de la nuit, s’enfuit dans les déserts, abandonnant aux Russes ses bagages, ses tentes et son propre drapeau ; selon le rapport des contemporains, il ne ramena en Tauride qu’environ vingt mille cavaliers. Les plus illustres de ses princes restèrent sur le champ de bataille, et Divi-Mourza, le héros des infidèles, le fléau, l’exterminateur des chrétiens, se rendit prisonnier au brave Alatykin de Souzdal. Dans cette journée, l’une des plus mémorables de nos annales, les Russes sauvèrent et leur capitale et leur honneur ; ils affermirent leur domination sur Astrakhan et Kazan, vengèrent l’incendie de Moscou, et, sinon pour toujours, au moins pour long-temps, ils imposèrent respect aux Tatars de Crimée. La terre engloutit leurs cadavres entre la Lopasnia et le Rojaï, à l’endroit où l’on voit encore de nos jours de hautes élévations, monumens de cette célèbre victoire, ainsi que de la gloire du prince Vorotinsky.

Le 6 d’août, cette nouvelle parvint à Novgorod. Le dignitaire Davidof et le prince Nogtef, témoins d’un triomphe auquel ils avaient coopéré, en apportèrent les trophées au tzar. C’était deux arcs et deux sabres de Devlet-Ghireï, qu’ils lui remirent avec l’expression d’une joie à laquelle 1572. ils n’étaient plus habitués. Ils le félicitèrent au nom de ses vaillans voïévodes qui, après Dieu, lui attribuaient toute leur gloire. Étranger au sentiment de la reconnaissance il ne vit, dans cet événement, que le bonheur d’être délivré de ses inquiétudes ; il combla de faveur les messagers et les voiévodes, fit sonner les cloches, chanter un Te Deum jour et nuit, pendant une semaine entière ; et signalant lui-même sa pusillanimité, comme pour prouver que la crainte seule de l’invasion du khan, et non pas les affaires de Livonie ou de Suède, lui avait fait abandonner sa capitale, il se hâta d’y retourner avec son épouse, ses fils et toute sa cour, afin de recevoir les actions de grâce du peuple pour le salut de la patrie.

Lettre au roi de Suède. Avant de quitter Novgorod, Jean écrivit une lettre fulminante au roi de Suède. « J’avais pensé, lui disait-il, que toi et ton pays, châtiés par notre colère, vous étiez revenus de vos orgueilleuses prétentions, et j’attendais tes ambassadeurs ; ils ne viennent pas et tu fais courir le bruit que je te demande la paix !…. Je vois que le sort de la Suède ne t’inspire aucune pitié et que tu comptes sur tes richesses. Informe-toi comme le khan de Crimée a été traité par nos voïévodes. Nous allons partir 1572. pour Moscou ; mais nous reviendrons à Novgorod au mois de décembre, et tu verras alors comment le tzar de Russie et son armée demandent la paix aux Suédois. »


  1. Cri des Tatars pour animer leurs chevaux.

(47) Sur le prétendu empoisonnement de Marie, voyez plus bas, dans la description du Concile au sujet du quatrième mariage de Jean (dans la note). Elle fut inhumée à Moscou, au couvent des religieuses de l’Ascension ; l’inscription du sarcophage porte la date de sa mort.

Voyez Affaires de Pologne, no. 7, feuille 1220. « Le tzar (en recevant le courrier polonais, le douze septembre) était assis dans la salle à manger ; les boyards et les gentilshommes étaient vêtus modestement, portant des pelisses de velours et de damas sans garnitures d’or, à cause du deuil du monarque, occasionné par la mort de la tzarine Marie. » Jean revint de la Slobode-Alexandrovsky le dix septembre. Au mois d’août il traversa la Vologda. À l’égard des aumônes, voyez dans Legat, muscov, per P. Junsten, sammt. Russ. gesch. t. X, p. 151.

(48) Taube et Kruse rapportent ce qui suit : « Jean envoya ses cuisiniers à Nijny-Novgorod sous prétexte d’y prendre du poisson. L’un d’entre eux, en retournant à la Slobode Alexandrovsky, remit une poudre à Théodore Nounua (peut-être à Nâoumof) en disant que le prince Valdimir lui avait donné cette poudre avec cinquante roubles d’argent, pour qu’il empoisonnât le tzar. Théodore Nounua en informa Jean. On commença par faire semblant de questionner le cuisinier, lequel ne remplissait, en effet, que la volonté secrète du tzar. On trouva des témoins tout prêts qui soutenaient que le prince Vladimir voulait effectivement empoisonner le monarque. Alors on appela cet infortuné à la Slobode, etc., » comme il est dit dans le texte. Guagnini assure que le prince Vladimir avait été calomnié par le secrétaire Viskovaty. Eudoxie fut la seconde épouse de Vladimir.

(49) Voyez Taube et Kruse, p. 217 ; la relation de l’ambassadeur danois Uhlfed, qui était en Russie en 1578, se trouve d’accord avec celle-ci. Il dit que Jean empoisonna son cousin : Porrigens illi venenum, quod cum gustasset, morbo correptus expiravit (hodœporicon 14). D’après le rapport de Guagnini, le prince Vladimir eut la tête tranchée ; et Oderborn en l’appelant George, dit qu’il fut égorgé. Voyez aussi Heidenstein de bello Moscow, 335. Kourbsky dit : « En même temps il fit fusiller la femme de son cousin, Eudoxie, » (d’après le faux rapport de Guagnini et d’Oderborn, elle fut noyée dans la rivière : Ce ne fut pas le sort de l’épouse de Vladimir mais celle de George.…) « et deux enfans, fils de son cousin, nés de cette femme, dont le premier nommé Basile était âgé de douze ans, l’autre était plus jeune ; je ne peux pas me rappeler son nom : il est écrit dans les registres de naissance. Leurs suivantes, nobles, femmes et demoiselles furent aussi mises à mort. » Taube et Kruse se trouvaient alors auprès du tzar, et Kourbsky en Lithuanie : le rapport de ces premiers doit donc être plus authentique.

(50) Les annales de Moscou disent que le tzar avait avec lui, indépendamment des autres troupes, quinze cents strélitz. D’après le rapport de Taube et Kruse le nombre de ses soldats montait jusqu’à quinze mille. Voici le texte du premier : « Le lendemain de l’arrivée du monarque, samedi, il (le tzar) ordonna de mettre à mort, à coups de massues, tous les abbés, les prêtres et les diacres des couvens et les moines du premier rang qu’on avait amenés des couvens et mis à la question, et de les porter ensuite chacun dans son couvent pour y être enterré. »

(51) Et coupable envers notre rang et notre couronne tzarienne.

(52) Voyez Guagnini, Taube et Kruse.

(53) Taube et Kruse, p. 222, et Guagnini, p. 264. Nous passons sous silence quelques détails.

(54) Dans les Annales de Pskof, feuille 21. « Le tzar tourmenta jusqu’à la mort plusieurs hommes de marque par différens tourmens ; et le nombre des autres qu’il fit périr est, dit-on, de soixante mille ; il les fit précipiter, hommes, femmes et enfans, dans la grande rivière de Volkhof, de sorte que son cours en fut interrompu ; il fit la même chose dans les autres villes dépendantes de Novgorod, » etc. Taube et Kruse portent le nombre de ceux qu’il fit périr à vingt-sept mille, et Guagnini à deux mille sept cent soixante-dix citoyens, outre les femmes et les gens du peuple. Kourbsky écrit que Jean fit périr en un seul jour quinze mille Novgorodiens. Dans le grand service des morts, envoyé par le tzar au monastère de Saint-Cyrille, il est dit : « ô Seigneur ! accorde la paix aux âmes de tes quinze cent cinq serviteurs. » Et plus haut il est inscrit : « Novgorodiens. »

(55) Taube et Kruse disent que depuis la ruine de Jérusalem, il n’y avait pas eu de famine semblable à celle qui ravagea Novgorod à cette époque.

(56) On appelait ce Nicolas pauvre d’esprit pour l’amour du Christ, salos du mot grec σαλος ; Ducange l’appelle stultus, simplex.

(57) Voyez Taube et Kruse, p. 223 ; Fletcher of the russe common Wealth, p. 91. Ils rapportent que Nicolas disait au tzar : « Jvasko, Jvasko ? (diminutif d’Jvan ou Jean), verseras-tu encore long-temps le sang innocent des chrétiens ? » etc. (Voyez aussi Horsey Treatise of Russia ; et Georg. van Hoff tyranney Joannis Basilides, II.) Dans les mémoires du premier de ces écrivains se trouve le passage suivant : « Le saint hermite dit au tzar : Si tu étends ta main sur un seul des habitans de cette cité protégée par Dieu, le Très-Haut te frappera de sa foudre ; et le ciel, à la terreur du tyran, se couvrit aussitôt de nuages. » Mais c’était pendant l’hiver, et les nuages de cette saison ne portent point de tonnerre !

(58) Voyez Guagnini, 267. Il l’appelle Italum Arnolphum doctorem ; mais M. Richter trouva le nom de ce médecin dans Gelehrten Lexicon de Jocher, où il est écrit de la manière suivante : Arnolphus Lensæus. V. l’Histoire de la Médecine en Russie, ouvrage écrit en russe, t. I, p. 285.

(59) Guagnini dit : Ophanasius greorum quendam, lowczic dictum, M. Duci commendaverat. L’auteur a trouvé dans les Tozriades de 1567 (Voyez Bibliothèque ancienne russe, XIII, 293) : « Le veneur Grégory, fils de Dmitry Lovtschikof. »

(60) Guagnini, 287 ; Taube et Kruse, 225. Ces derniers rapportent que Jean, pour faire exécuter ce supplice, attendait le départ des ambassadeurs de Pologne et du duc Magnus, qui se trouvaient alors à Moscou.

(61) Avec un fouet, comme dit Guagnini. Dans les Affaires de Turquie (no. 2, feuille 130), il est fait mention d’une lettre de Viskovaty, qu’il avait écrite au pacha de Kepha ; ce qui arriva, comme il est probable, à la connaissance du tzar : il paraît que cette lettre servit à Jean pour accuser cet infortuné de secrètes intelligences avec le Sultan.

(62) Je passe sous silence quelques détails horribles. (Voyez Oderborn.)

(63) Guagnini, 294. J’épargne encore au lecteur et à moi-même le récit des détails. L’épouse de Founikof était la sœur du prince Athanase Viasemsky.

(64) Voyez Guagnini, 269.

(65) Kourbsky répète deux fois que Théodore Basmanof, exécutant l’ordre de Jean, tua son père. Voici un autre récit de ce trait horrible inséré dans le manuscrit de la bibliothèque du synode (no. 364, feuille 851) : « Le tzar Jean força Théodore Basmanof à tuer son père, et Nicétas Prozorovsky à tuer son frère Basile. » Guagnini (pag. 279) fait mention de cette dernière circonstance ainsi que Kourbsky.

(66) Guagnini, 295.

(67) Guagnini, Kourbsky, Taube et Kruse.

(68) Guagnini, 283. La femme de Miassoïédof fut violée un an avant la mort de son mari, et pendue avec sa servante sur l’escalier de sa maison. Le même historien raconte le trait suivant : « Un des secrétaires du tzar, régalant ses amis, envoya un de ses gens au palais pour s’informer de ce qui s’y passait ; Jean ayant aperçu cet homme lui demanda à qui il appartenait. Il fit appeler le secrétaire et ses convives, et leur fit donner la question, voulant savoir dans quel dessein ils avaient envoyé un espion près de lui, et ce qu’ils disaient entre eux sur le compte du tzar. Quelques uns de ceux-ci périrent dans les tourmens. Depuis ce temps, personne n’osait plus s’informer de ce qui se passait au palais. »

(69) Dans le manuscrit de la bibliothèque du synode, no. 364, feuille 851. Il avait (Jean) différens instrumens de torture, des poëles, des fourneaux, des fouets garnis de pointes, des griffes de fer, des tenailles rougies au feu pour déchirer les corps humains ; on enfonçait des clous entre les ongles et la chair, on coupait les hommes par membres, on sciait en deux au moyen de cordeaux non-seulement les hommes, mais aussi les femmes nobles ; il inventait tous les jours de nouvelles tortures pour ses sujets innocens. Et jusques à sa mort il n’y eut rien de bon. Kourbsky : « Il ordonna d’appliquer divers tourmens à Nicétas Odoëvsky, de lui taillader la peau, de lui déchirer les entrailles. Taube et Kruse, 225, Vilen hat er riemen aus des lebendigen haut schneiden und etzliche ganz schinden lassen.

(70) Voyez Guagnini, Rer. Polon., 274. Il dit que ceci avait lieu le plus souvent en hiver, lorsque Jean voyait de son palais des hommes patiner sur la glace de la rivière ou d’un étang.

(71) Guagnini, 254.

(72) Ibid., 285.

(73) Dans les documens envoyés des archives de Mecklenbourg Schwérin à M. le comte Nicolas de Roumanzof, grand chancelier de l’Empire, se trouve une lettre datée de Moscou du 24 juin 1570, où il est dit : Der Hunger ist alhier in der Moskaw so gross, als nie gehœret oder gesehen worden, dass auch ein Mensch den andern, wo einer den andern uberweldigen kan, auffrist, ja ess hauet ein Mensch den andern in tonnen und Saltzet ihn ein und friesset, dass ein grauen zu horen ist. Wir aber aben, goltlob, Leibsnotturff gehabt, wiewol von unserm Volgk viel hinvegk gesiorben, etc. Cette lettre fut écrite par un dignitaire du roi de Pologne. Voyez Acten-Stücke zu Gesch. Russe, V, 1493—1625.

(74) Voyez Hakluit’s, Navigations, 453.

(75) Voyez affaires de Pologne, no. 9, p. 1—319. La suite des ambassadeurs se composait de sept cent dix-huit personnes : les envoyés des commerçans et leurs gens étaient au nombre de 643 ; en tout neuf cents chevaux. Dans les extraits de la bibliothèque du Vatican par Albertrandi se trouve un discorso di Monsignor Gerio, Priore d’Inghiltera, mandato da Venezia, del trattamento che usò il Duca di Moscovia alli ambasciatori polacchi, e d’una invasione che fecero gli Tartari in quei paesi, al Doge di Venezia (ex codice manuscripto inter veteres Vaticanos, 6786, pag. 108). Ce prieur Gério étant venu en Russie avec les ambassadeurs du roi de Pologne, en 1570, fait au doge de Venise la description de la tyrannie de Jean. En voici quelques extraits : « Pendant notre séjour à Moscou, le tzar y entra par une nouvelle rue pratiquée dans l’espace de quatre jours et pour l’ouverture de laquelle il fallut démolir quantité de maisons ; il était précédé par trois mille strélitz : après eux venait le bouffon du tzar monté sur un bœuf (a cavallo a un bove), et un autre couvert d’habits d’or. Jean les suivait immédiatement ; il avait un arc attaché derrière les épaules et une tête de chien suspendue à l’arçon de sa selle ; quatre mille cavaliers fermaient la marche. Ce tzar est le plus grand tyran qui ait jamais existé : à l’époque même où nous nous trouvions à Moscou, il a fait supplicier dix-huit mille personnes, femmes et enfans, à Novgorod-la-Grande, à la suite de la découverte d’une correspondance des habitans de cette ville qui voulaient le trahir (per haver trovato un correro con lettere di ribellarsi). Un voïévode qui avait mal poursuivi les Tatars dans leur fuite, a été jeté, par ordre de ce prince, à un ours farouche qu’il conserve à cet effet. Il fit noyer dans la rivière, en notre présence, un grand nombre de prisonniers tatars…… Il dit à nos ambassadeurs (c’est-à-dire à ceux du roi de Pologne) : Polonais ! Polonais ! vous ne voulez pas faire la paix avec moi ; mais je vous taillerai en pièces.… Ayant pris le bonnet de zibeline d’un de nos gentilshommes, Jean le plaça sur la tête de son bouffon et lui dit : saluez à la polonaise. — Je ne le sais pas, répondit celui-ci : alors le tzar se mit à le lui enseigner, faisant lui-même force révérences, en riant…… Le secrétaire de l’ambassade de Pologne ayant refusé les zibelines qu’on lui offrait au nom du tzar, les dignitaires russes le saisirent par la barbe en criant : aurais-tu l’audace de dédaigner le présent de notre monarque ? »

(76) Voyez Arnt,257.

(77) Kelch, 287—288.

(78) Parmi les papiers des archives du Mecklenbourg se trouve une lettre de Frédéric, roi de Danemarck, à Ulrik, duc de Mecklenbourg, avec un supplément du 30 avril 1570, que les curieux pourront consulter.

(79) Kelch, 292.

(80) Voyez dans les papiers des archives de Mecklenbourg la lettre du duc Ulrick à l’empereur Maximilien, avec un supplément du 24 septembre 1571. Il y est dit : Nach Inhalt darruber gegebenen stadtlichen Siegell und brief, in welchen der Muscowitter sich gegen Konnigk Magnussen versprochen und belobet, ihnen uber dieselbe Lande Lifflands zu einem Konnigk zu krönen.… Ob aber woll Konnigk Magnus dienstlich gebetten, der Muscowitter ihne mit sollichen hohen ehren wolte verschonen, so hat er doch derselben in nichts erlassen werden mugen, sondern hat sich hochlich versprochen, ihn zu ehren und zu schutzen, und bey dem allein Seligmachenden Wortt Gottes verpleiben zulassen, bey den loblichen Teutschen gebreuchen, gericht und gerechtigkeiten zu handthaben, mit der Romischen Kays-Mayest, allen Khur und Fursten und andern Christ. Teutsch Potentaten friedliebendt zu erhalten. So Hat auch der Muscowitter seines Vattern Bruders nachgelassene tochter Frewl. Euphemiam Konnigk Magnussen…… Ehelichen zu vermehlen. Plus bas il est parlé des fiançailles. Als aber der Muscowitter sich mit Konnigk Magnussen Ungelegenheit und anderer furfallender Sachen halben, der Zeit dess ehlichen Beylagers nicht entlichen vergleichen konnen, ist die Zeit biss auf Gelegenheit zu beiderseits aufgeschoben worden. Quant à la dot, voici ce que le duc lui-même en écrit à l’empereur : So wurden vor erst über funff Tonnen goldes Ehesteur und endlich alles, was wir begeren, schleunigst erfolgen. (Voyez aussi Kelch, 293.) Magnus était auprès du tzar aux mois de mai et juin 1570.

(81) Voyez Kelch, 295—299, et Hadebusch, année 1570 et 1571.

(82) C’est ainsi qu’en parle Kelch. — On lit dans les Annales de Novgorod, manusc. qui se trouve chez M. de Malinovsky : Le 14 mars, les Tatars amenèrent de la Suède une grande quantité de captifs, et se dirigèrent sur le chemin de Doubetz.

(83) Dans le même temps les Russes et la cavalerie allemande de Magnus tentèrent, mais sans succès, un assaut contre Vittenstein. Dans sa lettre à l’empereur, Magnus dit qu’il n’avait pu mettre à la raison les troupes russes qui se révoltaient, et fut obligé de les renvoyer : Wie wir aber das unmenschliche Toben des reussischen Kriegsvolgs nicht haben coerciren kœnnen (voyez plus haut no. 78).

(84) Cette paix fut conclue le 13 décembre 1570 (voyez Dalin). Magnus écrit à ce sujet à l’Empereur : Dadurch der Grossfürst vast zu ungnaden bewogen es darfür hielte, es würde die Cron zu Dennemarken neben uns sich mit seinen feinden verbinden.

(85) Voyez Kelch., p. 303, et la lettre de Magnus à l’Empereur (plus haut, note 78 et 81), où il est dit : Den 21 oct. J. Taube und E. Krause one unser fürvissen dem Grossfürsten abtrunnig worden, mit etzlichen Teutschen Hofeleuten, so sie mit seinem Gette bestellet, unvermuttlich in die Stadt Derpt in Schein der Musterung emgefallen…… der Grossfürst hat sie niht allein ires langwerigen Gefecknus gnedigst erlassen, besondern mit grossen Guettern, Lannden, Leuthen, Jar und Tagbesoldung reichlich überschittet, etc.

(86) Voyez leur rapport au duc de Courlande dans Sammlung Russ. Gesch. ; par M. Evers, X.—1.

(87) Voyez dans le supplément de la lettre de Magnus à l’Empereur (plus haut, note 81) : Derowegen wolten sie (Taube et Kruse), alle Christ. potentaten wider den Grossf. zum Kriege erregen ; sollen auch seine Macht yetzo vast geringe machen, da sie doch innerhalb Jarezeit an die Kays. Mayestat, das die Grossf. dem Heil. Rom. Reiche mit etzlichmal hundert tausend Mann, und wie sie geschrieben unerhœrter Kriegsmunition, wider den Türken zu stehen kœmmen konnte.

(88) Voyez dans le supplément à la lettre d’Ulrik à l’Empereur. (Voyez note 78.) Es hat unlengst der Muscowitter K. Magnussen schriffilich vormeldet, welcher Gestalt Freulein Euphemia mit Tode abgegangen, und ihme nun newlich bey seinen Gesantten so in die Muskouw abgeferticht gewesen, neben freuntlicher Bitt, das er sich des zugetragenen Unfals zufrieden geben wollte, zu entbieten lassen, dieweil das verstorbene Frewlein noch eine Schwester, F. Maria genant, nachgelassen, als wer eer, der Muscowitter, geneigt, ihme dasselb anstatt ihrer Schwester ehelichen vertrauwen zu lassen, etc.

(89) Voyez Dalin (Gesch. des R. Schw., année 1571, pag. 18).

(90) Fletcher (R. Com. Wealth., fol. 66.) Hee (le tzar) doubted his nobilitie and chiefe captaines of a meaning to betray him to the Tartar.

(91) Au nombre des pièces que le musée britannique a envoyées à M. le comte Nicolas de Roumanzof, chancelier de l’Empire, se trouve la lettre d’un Anglais qui s’était trouvé à Moscou à cette époque. Il dit : The king of the Crimea came to the city of Moscovy with above 120,000 horsemen…… the morning was exceeding cleer and fait, and calm, without any wind ; but being a fire, there was nothing but whirlewinds and such a noise as thought the heavens should have fall’n.

(92) Voyez Taube et Kruse 228. — Fletcher, fol. 66 : The people burning in their houses and streates, but, most of all of such as laboured to passe out of the gates farthest from the enemie, where meeting together in a mightie throng, and so pressing every man to prevent another, wedged themselves so fast within the gate and streates neare unto it, as that three ranks walked one upon others head, the uppermost treading daone those, that were lower (c’est-à-dire que dans la foule qui se pressait à la porte de la ville, les hommes s’écrasaient entassés les uns sur les autres). So that there perished at that time by the fire and the presse the number of 800,000 people or more.

Dans la chronographie qui se trouve dans la bibliothèque du comte Tolstoï, on lit : « une innombrable quantité d’hommes furent dévorés par les flammes, etc…… »

À l’égard du docteur Arnolphe, voyez Jöckers, Gelehrt. Lexicon., t. IV, 11, 2364 ; voyez aussi Hakluit’s Navig. 452.

(93) Voyez dans la lettre de l’Anglais, témoin oculaire (voyez note 89). I pray god I may never behold again.

(94) Fletcher : being (Moscou) of 30 miles or more of compasse.

(95) Voyez Taube et Kruse, 230. — Relativement au docteur Élisée, voyez plus haut, note 45. Taube et Kruse appellent Yakovlef, Jvan petrowitz Jacob, den ersten Woyevoden von Revel, et donnent à Zamiatnia Ivanovitch Sabourof le nom d’Iwan Zathania : ils disent de Griaznoï seinem nechsten Kemerer, mit Namen Gregory Grassnow, durch den Doctor Gifft geben lassen. (Voyez Affaires de Suède, n. 2, fol. 122. Sur le revers et acta leg. Muscow, per Paulum Junsten, p. 162.) Ce Grégoire n’était point le père, mais le fils de Basile Griasnoï, dont nous avons déjà et nous ferons encore mention.

(96) Voyez acta leg. Muscov, 180—181 : dicens se christianum esse Principem et dominum ideoque se non expetere ut proni in terra jaceamus coram se…… probabamus (dit le tzar) cujus ensis fortius feriet et sit penetrantior.

(97) (Voyez Affaires de Suède, feuille 236.) Dans ses lettres au roi de Suède, Jean prenait le titre d’autocrate ; il les commençait par des expressions pompeuses (feuille 182). « Par la grâce de Dieu qui nous a éclairé de sa divine lumière, afin de diriger nos pas dans le sentier de la paix, qui nous a donné le sceptre de l’Empire russe ; par la grâce de ce Dieu glorifié dans la Sainte-Trinité, dont la protection nous a maintenu sur le trône et nous a fait acquérir de la gloire ; par son amour pour les humains et son inépuisable bonté, nous, grand souverain, etc. (Voyez aussi feuille 231, sur le revers.) Notre Dieu est la Sainte-Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, par qui les rois règnent et les puissans proclament la vérité, qui nous a confié le sceptre de l’Empire russe, et nous a aidé à le conserver en tenant les rênes du gouvernement avec l’appui de la bannière de la croix…… etc. »